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AMOUREUX, EUSE, adj. et subst.
I.− Emploi adj.
A.− [En parlant d'une pers.] .
1. Emploi abs. Qui s'est pris d'amour pour une autre personne et en éprouve ou manifeste tous les signes. Être, tomber, se montrer (très, follement, éperdument) amoureux. Synon. épris :
1. ... Son regard partait par les deux trous du masque et se ralliait aux yeux de Lucien, enfin le frémissement de son corps semblait avoir pour principe le mouvement même de son ami. D'où vient cette flamme qui rayonne autour d'une femme amoureuse et qui la signale entre toutes? D'où vient cette légèreté de sylphide qui semble changer les lois de la pesanteur? Est-ce l'âme qui s'échappe? Le bonheur a-t-il des vertus physiques? H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 25.
2. ... d'après des théories qu'elle croyait bonnes, elle voulut se donner de l'amour. Au clair de lune, dans le jardin, elle récitait tout ce qu'elle savait par cœur de rimes passionnées et lui chantait en soupirant des adagios mélancoliques; mais elle se trouvait ensuite aussi calme qu'auparavant, et Charles n'en paraissait ni plus amoureux, ni plus remué. G. Flaubert, Madame Bovary,t. 1, 1857, pp. 48-49.
3. Nous lui demandons s'il a jamais compris une femme : « Une femme, qu'est-ce que vous voulez? C'est un oiseau. C'est impénétrable, non pas parce que c'est profond, mais parce que c'est creux ». Nous lui demandons encore s'il a jamais été pris, toqué, amoureux, s'il a eu quelque grand chagrin : « Non, je n'ai jamais aimé que mon père et ma mère et mon enfant ». E. et J. de Goncourt, Journal,mai 1860, p. 743.
4. ... se compromettre avec deux hommes tout en adorant et n'ayant jamais adoré que son mari, avoir les chastetés d'une sainte, les allures d'une coquette, les audaces d'une courtisane, et revenir à son époux, calomniée, innocente, amoureuse et vierge, voilà des tours de force qu'une femme seule est capable d'accomplir. Cherchez un atome de logique là-dedans, bien fin si vous le trouvez. Cela est cependant, et il y a des milliers de femmes qui font les mêmes bêtises à l'heure où je parle, toujours au nom de l'amour et de l'idéal. A. Dumas Fils, L'Ami des femmes,1864, V, 3, p. 187.
5. Ce n'est qu'un cas plus frappant dans le jeu ordinaire des affections. On devient amoureux parce que l'on se croit aimé; intelligent dès que l'intelligence vous fait signe. Réellement il y a des cercles magiques, bons et mauvais, qui enferment les gens pour toujours. Alain, Propos,1913, p. 159.
6. − Tu es amoureux, toi? − C'est-à-dire : j'ai une petite amie. − Je comprends. Ce n'est pas l'amour ça. Tu verras plus tard. Un jour. Ça te serre le cœur comme un étau et ça te le déchire crrac! Et après ça saigne, ça saigne. Toute une vie. R. Queneau, Loin de Rueil,1944, p. 85.
7. « ... − Il faut que je vous pose une question : est-ce qu'il y a une autre femme? − Oh! Grands dieux non! dit-il avec élan. Je ne serai plus jamais amoureux! » Je soupirai. Le pire m'était épargné! Ce visage que je ne verrais plus, cette voix que je n'entendrais plus, ils n'existaient pour personne d'autre. − Pourquoi dites-vous ça? demandai-je, on ne peut jamais savoir. Lewis secoua la tête : « Je pense que je ne suis pas fait pour l'amour, dit-il d'une voix un peu hésitante. Avant vous, aucune femme n'avait compté. Je vous ai rencontrée à un moment où ma vie me semblait très vide : c'est pour ça que je me suis jeté dans cet amour avec tant de précipitation; et puis ça a fini par finir. » S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 515.
Rem. 1. Au sing. le mot n'implique pas nécessairement réciprocité, mais seulement désir de réciprocité :
8. De 18 à 20 ans, je fus toujours amoureux, quelquefois aimé, souvent maladroit et me donnant en spectacle par des fureurs de théâtre qui devaient bien amuser les gens médiocres dont la vanité était blessée d'avance par tout ce que je semblais promettre. B. Constant, Journaux intimes,oct. 1804, p. 153.
9. Enfin − et ceci est plus grave − je n'ai pas la moindre défense contre les hommes ... Je serais la constante victime de mon désintéressement et de leur plaisir ... Je suis trop amoureuse, oui, j'aime trop l'amour, pour tirer un profit quelconque de l'amour ... C'est plus fort que moi, je ne puis pas demander d'argent à qui me donne du bonheur et m'entr'ouvre les rayonnantes portes de l'extase ... Quand ils me parlent, ces monstres-là ... et que je sens sur ma nuque le piquant de leur barbe et la chaleur de leur haleine ... Va te promener! ... Je ne suis plus qu'une chiffe ... Et c'est eux, au contraire, qui ont de moi tout ce qu'il veulent ... O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, pp. 21-22.
Voir aussi quelques assoc. paradigmatiques fréq. hardi, timide, etc.
Rem. 2. Le mot implique gén. une idée d'émoi phys., caractéristique notamment de la phase initiale de l'amour (d'où l'aspect volontiers inchoatif de l'adj. : devenir, tomber amoureux), spéc. chez les jeunes (d'où l'ironie qui s'attache volontiers au syntagme vieillard amoureux) :
10. Je voulais seulement vous exprimer ainsi la sainteté de mes sentiments, qui ne ressemblent à aucun de ceux que les hommes ont éprouvés, d'abord parce que je suis un vieillard, puis parce que je n'avais jamais aimé. Je vous aime tant que, si vous me coûtiez ma fortune, je ne vous en aimerais pas moins. Soyez juste! La plupart des hommes n'auraient pas vu, comme moi, un ange en vous : je n'ai jamais jeté les yeux sur votre passé. Je vous aime à la fois comme j'aime ma fille Augusta, qui est mon unique enfant, et comme j'aimerais ma femme si ma femme avait pu m'aimer. Si le bonheur est la seule absolution d'un vieillard amoureux, demandez-vous si je ne joue pas un rôle ridicule. H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 231.
11. ... tel que vous me voyez, avec mon front chauve, mes lunettes et mon abdomen volumineux, je me sens très jeune encore; si jeune, que ... je suis amoureux ... − Vous! s'exclama le jeune homme, qui ne put réprimer un geste de surprise. − Chut! murmura M. de Beaupréau en souriant; oui, mon cher, je suis amoureux ... comme à vingt ans ... N'allez pas me trahir, au moins! − Ah! Monsieur ... − Eh! ma foi, tant pis! puisque j'avoue ... Avouons tout ... J'ai une maîtresse ... une maîtresse de dix-neuf ans, dont je suis ... un peu fou ... Fernand, à son tour, se prit à sourire; puis, comme la jeunesse est toujours un peu railleuse à l'endroit de l'avenir, il demanda : − Et elle? P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 197.
Rem. 3. L'état amoureux se manifeste à l'amoureux et le plus souvent aussi à son entourage par des signes caractéristiques (ex. supra); parmi ces signes la poésie joue un rôle traditionnel à toutes les époques et dans toutes les formes de civilisation. D'où le relief du poète amoureux :
12. Albertus eut bientôt brisé ce rempart frêle, Et dans un tour de main déshabillé la belle. − Il eut tort, c'est gâter soi-même son plaisir, C'est tuer son amour et lui creuser sa tombe, Hélas! Car bien souvent avec le voile tombe L'illusion et le désir. Il n'en fut pas ainsi. − La dame était si belle Qu'un saint du paradis se fût damné pour elle. − Un poëte amoureux n'aurait pas inventé D'idéal plus parfait. T. Gautier, Albertus,1833, p. 173.
13. Saval prononça pour la troisième fois : « Je te dis que tu es amoureux. Tu parles d'elle avec une emphase de poète et un lyrisme de troubadour. Allons, descends en toi, tâte ton cœur et avoue. » Servigny fit quelques pas sans rien répondre, puis reprit : « C'est possible, après tout. Dans tous les cas, elle me préoccupe beaucoup. Oui, je suis peut-être amoureux. J'y songe trop. Je pense à elle en m'endormant et aussi en me réveillant ... C'est assez grave. Son image me suit, me poursuit, m'accompagne sans cesse, toujours devant moi, autour de moi, en moi. Est-ce de l'amour, cette obsession physique? Sa figure est entrée si profondément dans mon regard que je la vois sitôt que je ferme les yeux. J'ai un battement de cœur chaque fois que je l'aperçois, je ne le nie point. Donc je l'aime, mais drôlement. Je la désire avec violence, et l'idée d'en faire ma femme me semblerait une folie, une stupidité, une monstruosité. J'ai un peu peur d'elle aussi, une peur d'oiseau sur qui plane un épervier. Et je suis jaloux d'elle encore, jaloux de tout ce que j'ignore dans ce cœur incompréhensible. » G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Yvette, 1884, pp. 485-486.
14. Je m'imagine que le monde actuel est réglé par l'intelligence des mâles et que nous avons laissé derrière nous l'élément d'une civilisation femelle dont quelque chose demeure peut-être dans les harems de l'Asie, dans les couvents des religieuses et sûrement dans les chants des poétesses amoureuses. La femme s'est soumise à régner dans la maison du mâle, en obéissant. M. Barrès, Mes cahiers,t. 12, 1 juill. 1919-juin 1920, pp. 236-237.
Rem. 4. Autres syntagmes fréq. a) Adv. + amoureux : fort, passionnément, tellement, vraiment; b) Verbe + amoureux : croire qqn, devenir, rendre, sembler.
[Avec une idée de réciprocité, notamment au plur. ou avec un sing. exprimant une dualité] Âmes amoureuses, couple amoureux :
15. Voyez! Deux âmes amoureuses qui ont longtemps pleuré, et dont un poëte m'a parlé, vivent ici dans un même sein, dans un même cœur, et ne font plus qu'un ange. Comme la couvée d'une hirondelle de printemps, tous deux ils se voient rassemblés en un seul être, sous une même aile transparente. Dans une seule poitrine tressaillent deux bonheurs, deux souvenirs, deux mondes. Moitié homme, moitié femme, pour deux vies ils n'ont qu'un souffle. Et, quand ils effleurent mes cordes, ils n'ont tous d'eux qu'une bouche pour dire : Est-ce ta voix? Est-ce la mienne? Je n'en sais rien. E. Quinet, Ahasvérus,1833, p. 394.
16. Soudain il reçut comme un coup de couteau; on s'embrassait, là, derrière ce buisson. Il y courut; c'était un couple amoureux, dont les deux silhouettes s'éloignèrent vivement à son approche, enlacées, unies dans un baiser sans fin. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Femme de Paul, 1881, p. 1228.
17. ... pendant que Jules bordait Lilitte, il posa un baiser sur le front de la jeune femme, le baiser d'adieu d'un père qui cède sa fille à un gendre. Puis, les voyant, très amoureux, se regarder d'un air ivre, il les coucha, il leur souhaita à travers la porte une bonne nuit, avec beaucoup de jolis rêves. É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 171.
18. Une grosse discussion à laquelle je mets fin par ces paroles : « Non, je ne crois pas au surnaturalisme entre les vivants et les morts, hélas! mais je crois au surnaturalisme entre les vivants ... L'amour, cette première vue qui fait deux êtres amoureux, ce coup de foudre qui en une seconde affole deux êtres l'un de l'autre ... Voilà du surnaturel bien certain, bien positif! » E. et J. de Goncourt, Journal,avr. 1889, p. 954.
19. Vous ne l'aimez pas. On ne s'entend pas, dans l'amour. La vie de deux époux qui s'aiment, c'est une perte de sang-froid perpétuel. La dot des vrais couples est la même que celle des couples faux : le désaccord originel. Hector est le contraire de moi. Il n'a aucun de mes goûts. Nous passons notre journée ou à nous vaincre l'un l'autre ou à nous sacrifier. Les époux amoureux n'ont pas le visage clair. J. Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu,1935, II, 8, pp. 140-141.
Emploi péj. :
20. Le chef de ce gouvernement n'est pas un général à barbe blonde, monté sur un cheval noir, et qui caracole devant des foules amoureuses. Le peuple de France en a fini avec ces engouments stupides des époques heureuses. F. Mauriac, Le Bâillon dénoué,1945, p. 434.
Rem. Pour les emplois mystiques, infra.
2. [Suivi d'un compl. marquant l'obj. de l'amour] Amoureux de...
a) [Le compl. désigne une pers.]
[Pers. de sexe opposé] :
21. Je vous proteste d'avance que, fussé-je amoureux de vous à la fureur, je ne vous aimerais que pour vous-même, et que, dès que j'aurais découvert un homme capable de vous rendre plus heureuse que je ne le ferais, je lui céderais la place. N.-E. Restif de La Bretonne, Monsieur Nicolas,1796, p. 14.
22. Jadis Lamiel avait été au moment d'aimer, de devenir amoureuse de l'abbé Clément. Stendhal, Lamiel,1842, p. 147.
23. Et puis, il y a dans tout cela (chez les femmes surtout) des questions de tempérament qui compliquent la douleur. Ne voyez-vous pas qu'elles sont toutes amoureuses d'Adonis? C'est l'éternel époux qu'elles demandent. Ascétiques ou libidineuses, elles rêvent l'amour, le grand amour; et pour les guérir (momentanément du moins) ce n'est pas une idée qu'il leur faut, mais un fait, un homme, un enfant, un amant. Cela vous paraît cynique. Mais ce n'est pas moi qui ai inventé la nature humaine. G. Flaubert, Correspondance,1859, p. 313.
24. − Je veux vous croire. Pourquoi n'êtes-vous pas amoureux de moi? − Pourquoi je ne suis pas amoureux de vous? − Oui, dites un peu. − Je le suis. − Vous êtes amoureux de moi? Quelle plaisanterie! − Je ne plaisante aucunement. Le mal a commencé il y a trois mois; je vous aime à l'adoration. − Vous me dites cela comme vous me raconteriez la gazette. − C'est qu'en effet c'est une nouvelle, puisque vous ne le savez pas. J.-A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 197.
25. D'abord, elle le crut amoureux de Marguerite, à voir ses airs transis d'amant qui désespère, car Marguerite, sage et couchant au magasin, n'était point commode. Puis, elle resta stupéfaite, lorsqu'elle acquit la certitude que les regards ardents du commis s'adressaient à Clara. Il y avait des mois qu'il brûlait ainsi, sur le trottoir d'en face, sans trouver le courage de se déclarer; ... É. Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 515.
26. ... il devint amoureux d'une jeune actrice, d'une toute jeune élève du Conservatoire, qui débutait avec éclat à l'Odéon. Il en devint amoureux avec toute la violence, avec tout l'emportement d'un homme né pour croire à des idées absolues. Il en devint amoureux en la voyant à travers le rôle romanesque où elle avait obtenu, le jour même où elle se montra pour la première fois au public, un grand succès. Elle était jolie, nativement perverse, avec un air d'enfant naïf qu'il appelait son air d'ange. Elle sut le conquérir complètement, faire de lui un de ces délirants forcenés, un de ces déments en extase qu'un regard ou qu'une jupe de femme brûle sur le bûcher des passions mortelles. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Le Champ d'oliviers, 1890, p. 77.
27. J'avais autrefois entrevu aux Champs-Élysées et je m'étais mieux rendu compte depuis, qu'en étant amoureux d'une femme nous projetons simplement en elle un état de notre âme; que par conséquent l'important n'est pas la valeur de la femme, mais la profondeur de l'état; et que les émotions qu'une jeune fille médiocre nous donne peuvent nous permettre de faire monter à notre conscience des parties plus intimes de nous-mêmes, plus personnelles, plus lointaines, plus essentielles, que ne ferait le plaisir que nous donne la conversation d'un homme supérieur ou même la contemplation admirative de ses œuvres. M. Proust, À la recherche du temps perdu,À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 833.
Amoureux des onze mille vierges :
28. Amoureux des onze mille vierges. C'est être amoureux de toutes les femmes et croire aussi que toutes les femmes sont dignes d'être aimées. Presque tous les jeunes gens sont au sortir du collège, amoureux des onze mille vierges. Ce chiffre énorme est une allusion au martyre de sainte Ursule qui fut, dit la légende, mise à mort par les Huns au ivesiècle, près de Cologne, avec ses onze mille compagnes! H. France, Dict.-Journal; les compléments, vocabulaire de la langue verte,1907.
[Dans le mariage] Un mari amoureux de sa femme :
29. Toujours amoureuse de son mari, elle respectait en lui l'homme de talent assez modeste pour renoncer au tapage de la gloire; enfin, pour la peindre, il suffit peut-être de dire que, dans toute sa vie, elle n'avait pas à compter un seul battement de cœur qui ne fût inspiré par ses enfants ou par son mari. H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 315.
30. − Vous souhaitez maintenant un mari amoureux de sa femme, de la femme que vous aimez; vous n'êtes pas raisonnable non plus, dit Madame Chappe. − Sans aimer sa femme, M. Creton pouvait m'en donner des nouvelles; j'aurais demandé la permission d'aller rendre visite à Louise. Je vois souvent passer le mari dans la rue; il est toujours aussi content de lui-même, et il ne se doute pas des souffrances morales de sa femme. Champfleury, Les Bourgeois de Molinchart,1855, p. 230.
PSYCHANAL. [Dans le complexe d'Œdipe] :
31. Elle voyait et expliquait l'univers à travers les manies de quelques auteurs à la mode; par exemple, elle croyait sincèrement que chaque homme avait été, enfant, amoureux de sa mère; ... H. de Montherlant, Les Célibataires,1934, p. 817.
32. − J'ai le complexe d'Œdipe, dit-il. Le cas-type. − C'est de ta mère que tu es amoureux? demanda Daniel avec incrédulité. Philippe ne répondit pas : il avait un air important et fatal. Daniel se pencha en avant : − Ça ne serait pas plutôt de ton beau-père? demanda-t-il avec douceur. Philippe sursauta et devint écarlate, puis il éclata de rire en regardant Daniel dans les yeux : − Vous en avez de bonnes! dit-il. J.-P. Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 128.
33. ... la situation classique de la fille amoureuse de son père et du fils fixé à sa mère apparaît comme l'aboutissement d'une longue évolution ... M. Choisy, Qu'est-ce que la psychanalyse?1950, p. 58.
[Dans les relations incestueuses] :
34. Je disais ces jours-ci que Pot-Bouille était fait, non sur des observations, mais avec des racontars de disciples. Aujourd'hui, je rencontre Céard, qui me raconte l'histoire vraie de l'idiot amoureux de sa sœur. La voici, elle est vraiment curieuse. Un faible d'esprit est épris de sa sœur, non absolument sensuellement, mais plutôt plastiquement et un peu à la façon d'un fou qui serait amoureux d'un rayon de soleil; il était gênant pour l'établissement de la jeune fille. Alors, la famille l'irrite, l'exaspère, le pousse de parti pris à la folie. On l'enferme non dans une maison de fous, mais dans une maison de santé. La sœur se marie. E. et J. de Goncourt, Journal,févr. 1882, p. 147.
[Pers. du même sexe] :
35. La cousine de MlleAbbatucci, la jolie MmeThouvenel, un jour, vint faire une visite à MmeStern, − celle qui chante et qui chante des chansonnettes Judic, − et tout en plaisantant, en riotant, lui insinua que Mmede Belbeuf était amoureuse d'elle et qu'elle faisait du trapèze toute nue et que c'était vraiment amusant à voir et qu'elle devrait un jour venir assister à une séance... E. et J. de Goncourt, Journal,sept. 1884, p. 380.
36. − Évidemment, il est pédéraste. − Tu es folle. − Puisqu'il ne sort jamais qu'avec des garçons. Et il est amoureux d'Henri, c'est trop clair. − Tu oublies Rosa. − Oh! Rosa était si belle, dit Nadine avec nostalgie. Même un pédé pouvait être amoureux de Rosa. Tu ne comprends pas, ajouta-t-elle avec impatience. Lambert a de l'amitié pour moi, soit, mais comme il en aurait pour un homme. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 201.
PSYCHANAL. Narcisse amoureux de lui-même :
37. ... les livres ont amplifié les mythes; − mais quelques mythes suffisaient. Ainsi le mythe du Narcisse : Narcisse était parfaitement beau, − et c'est pourquoi il était chaste; il dédaignait les Nymphes − parce qu'il était amoureux de lui-même. Aucun souffle ne troublait la source, où, tranquille et penché, tout le jour il contemplait son image... − Vous savez l'histoire. Pourtant nous la dirons encore. Toutes choses sont dites déjà; mais comme personne n'écoute, il faut toujours recommencer. A. Gide, Le Traité du Narcisse,1891, p. 3.
38. Que l'enfant puisse être quelque temps amoureux de son propre corps, il s'agit encore d'un tâtonnement de l'instinct indifférencié, et non d'une « perversion » comme l'écrit Freud, non plus que d'une « homosexualité » comme il qualifie la quatrième phase infantile étroitement accolée à celle-ci. Mais il faut veiller à ce que ne se produise pas à cet âge une première fixation qui préparerait une déviation définitive du narcissisme de l'adolescence. Elle laisserait chez l'adulte le désir tyrannique d'être aimé, ... E. Mounier, Traité du caractère,1946, pp. 144-145.
[Avec une idée de réciprocité] Amoureux l'un de l'autre :
39. Les jeunes époux menaient donc une charmante vie, toujours plus amoureux l'un de l'autre et n'éprouvant pas cette satiété du bonheur qui gâte les plus belles existences. T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 488.
Rem. 1. Comme on le voit par les ex., le compl. correspond gén. à l'emploi actif, plus rarement à l'emploi pronom. (réfléchi ou réciproque) du verbe aimer. 2. L'adj. comportant volontiers une idée de désir amoureux, et donc de cour faite en vue d'obtenir la réciprocité de l'amour, on constate, en raison des usages qui traditionnellement laissent moins d'initiative dans ce domaine au partenaire fém., un emploi statistiquement plus fréq. du masculin.
P. anal., en partic. dans le lang. des mystiques. Amoureux de Dieu :
40. J'aime les natures logiques et complètes comme la vôtre, et je vous estime autant, courtisane amoureuse de tous les hommes, qu'une abbesse amoureuse de tous les saints. G. Sand, Lélia,1833, p. 243.
41. ... au sein du Christianisme, il y a lieu à la continuation et à la distinction des caractères et des complexions individuelles, même régénérées et transfigurées. Saint François de Sales a une nature affectueuse, suave, amoureuse et expansive si prononcée, qu'indépendamment de toutes les grâces surnaturelles qui sont survenues, il ne se peut expliquer qu'ainsi. Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 1, 1840, p. 228.
42. Fête du Sacré-Cœur. − Ce sentiment d'être amoureux de Dieu! Et cette joie sublime que Dieu donne! ... Cette joie d'amour contre laquelle rien ne prévaut, pas même le crime! L. Bloy, Journal,1900, p. 191.
43. Dieu se retirait, aucun mortel ne pouvait prendre une part de l'angoisse du cœur trahi. Elle revenait sur Dieu avec une amoureuse passion désespérée. Viens, viens, reviens, reprends-moi, visite-moi de ton saint baiser, je n'ai pas changé, je n'ai pas démérité de toi, baise mon âme, je me tiens prête, j'embrasse ton sacré côté. P.-J. Jouve, Paulina 1880,1925, p. 219.
44. « Dieu est amoureux de son image. Mais où est l'image, où le réel? Si c'est moi qui suis et si Dieu n'est que la plus belle image que je me fais de moi-même, mon image serait-elle amoureuse de moi ou bien en aimant ou n'aimant pas Dieu, n'aimerais-je et ne haïrais-je toujours que moi? Mais Dieu n'est pas mon image. C'est moi qui suis l'image de Dieu et Dieu, nouveau Narcisse, qui est amoureux de son image : Dieu est amoureux de moi. » M. Jouhandeau, Monsieur Godeau intime,1926, p. 237.
b) [Le compl. désigne un aspect de la pers. aimée] Amoureux des formes, des attraits, des regards d'une personne (cf. infra c) :
45. Ô inconnu! inconnu! je suis amoureuse de tes yeux! comme une hyène en chaleur, je tourne autour de toi, sollicitant les fécondations dont le besoin me dévore. G. Flaubert, La Tentation de saint Antoine,1856, p. 592.
c) Au fig. [Le compl. désigne une valeur] Qui éprouve un vif attachement à, un goût prononcé pour.
[Une chose, un être particulier ou un ensemble de choses ou d'êtres] Amoureux de l'œuvre d'un écrivain, d'un pays, des animaux, etc. :
46. Je devenais amoureux de tous les poètes l'un après l'autre; mais, étant d'une nature très impressionnable, le dernier venu avait toujours le don de me dégoûter du reste. A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 41.
47. Le propriétaire amoureux. − Personnage comique à faire. Il est amoureux de sa maison, il a peur que quelque chose la surcharge, il regarde sans cesse ce qu'on apporte, il frémit du poids de chaque meuble et s'attriste quand un homme trop gros y monte. Le propriétaire amoureux doit être le type du bourgeois riche. A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1837, p. 1053.
48. Je voudrais en vain le cacher, cher ami, je suis amoureux de la Hollande; il n'y a rien en Europe de plus charmant que ses larges paysages, uniformes peut-être au premier aspect, mais pleins, pour l'observateur, d'une variété sans cesse renouvelée et toujours souriante. M. Du Camp, En Hollande,1859, p. 97.
49. ... je trouvais, en des cités d'une fantaisie de songe, de prodigieux monuments, fins et ciselés comme des bijoux, légers comme des dentelles et énormes comme des montagnes, ces monuments, fabuleux, divins, d'une grâce telle qu'on devient amoureux de leurs formes ainsi qu'on peut être amoureux d'une femme, et qu'on éprouve à les voir, un plaisir physique et sensuel. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Châli, 1884, p. 446.
50. ... sa virtuosité n'est qu'une des formes de cette sensibilité subtile. Car c'est par la même sensibilité qu'on est amoureux des mots et de leurs combinaisons, qu'on y saisit certaines nuances fugaces, et qu'on est curieux des réalités, qu'on en reçoit des impressions très déliées et douloureuses ou charmantes. Un grand virtuose, quoiqu'on ait pu parfois s'y tromper, est nécessairement un homme très sensible. Tout au moins la recherche, même exclusive, de la forme suppose-t-elle une sorte de sensualité épurée, ... J. Lemaitre, Les Contemporains,1885, p. 92.
51. Imaginez, en effet, un artiste tombant amoureux de son enfant, de son œuvre, d'une Hérodiade, d'une Judith, d'une Hélène, d'une Jeanne d'Arc, qu'il aurait ou décrite ou peinte et l'évoquant et finissant par la posséder en songe! − Eh bien, cet amour est pis que l'inceste normal. J.-K. Huysmans, Là-bas,t. 2, 1891, p. 34.
52. Malgré la mauvaise lumière la salle des dessins de Primatice, un ravissement : il n'existe pas dans le monde de l'art de jambes dont je sois aussi sincèrement amoureux que des jambes des femmes de Primatice : cette sveltesse au-dessous du mollet, et dans le mollet même cette nervosité des pleins, non jamais − pas même chez Goujon (mais ici il faudrait revoir des Goujon, car leur attrait est bien irrésistible) − la race n'a été plus loin : ... Ch. Du Bos, Journal,déc. 1924, p. 216.
53. Je n'aime plus écrire le portrait, l'histoire des bêtes. L'abîme, que des siècles ne comblent point, est toujours béant entre elles et l'homme. Je finirai par cacher les miennes, sauf à quelques amis, qu'elles choisiront. Je montrerai les chats à Philippe Berthelot, puissance féline, à Vial, qui est amoureux de la chatte et qui prétend, avec Alfred Savoir, que je puis susciter un chat dans un endroit où il n'y a pas de chat... on n'aime pas à la fois les bêtes et les hommes. Colette, La Naissance du jour,1928, p. 23.
[Une valeur abstr.] Amoureux du beau, de la nouveauté, de la vérité, de la vie; de la poésie, du théâtre :
54. Le peuple est, dans tous les pays amoureux de l'extraordinaire, et sujet à se passionner pour les personnes et pour les choses; mais nulle part il ne porte aussi loin qu'à Venise la faculté de se créer des dieux, objets passagers d'un enthousiasme dont les retours sont souvent funestes pour ceux qui l'on excité. Ch. Nodier, Jean Sbogar,1818, p. 127.
55. La poésie de la nature, le charme de la beauté, l'exaltation de la vie, la joie de l'être ont envahi et rafraîchi mon cœur. J'ai regardé le monde avec des yeux d'Hellène, d'Hellène amoureux de liberté, de grandeur et d'harmonie, et j'ai respiré l'air des allégresses. H.-F. Amiel, Journal intime,26 janv. 1866, p. 99.
56. C'est [Albert Durer] un géomètre en même temps qu'un rêveur, un peintre amoureux de la réalité et un artiste épris de fantastique. R. Ménard, Histoire des beaux-arts,1882, p. 263.
57. Cette idée me hante depuis; n'aimons-nous donc à savourer que de la poussière de cadavres, de la décomposition. Moi amoureux de l'histoire, de la mort, je sens combien cela est vrai. M. Barrès, Mes cahiers,t. 1, 22 juin 1896-mai 1897, p. 126.
58. ... les huit cent mille fonctionnaires dormaient, gloire et douceur de l'État. L'égalité de la nuit pénétrait par des millions de volets hermétiquement clos et par cinq ou six fenêtres ouvertes le peuple le plus amoureux de l'égalité et le plus ennemi de l'air. J. Giraudoux, Siegfried et le Limousin,1922, p. 290.
Rem. 1. Constr. fam. amoureux de + inf. (cf. aussi infra II A 2 b ex. 133) :
59. Ils aimaient beaucoup leur grenier et « rrou! ... et rrou! ... rrouu! ... rrouu! ... » Ils en demandaient pas davantage. Ça ne cessait jamais... Toujours ils étaient rentrés bien avant nous autres. Jamais j'ai connu pigeons aussi peu fervents des voyages, si amoureux d'être tranquilles ... je leur laissais pourtant tout ouvert ... Jamais l'idée leur serait venue d'aller faire un tour au jardin... d'aller voir un peu les autres piafs... les autres gros gris roucoulards qui batifolent sur les pelouses... L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 430.
Rem. 2. Au lieu d'une pers., le subst. déterminé par l'adj. peut désigner un aspect d'une pers. l'œil amoureux de la couleur, un esprit amoureux de la variété :
60. Il y entre aussi le haut-le-cœur de l'artiste devant les déformations et les trivialités. L'âme poétique n'est pas seulement une assoiffée de bonheur; elle est amoureuse de la beauté, ... P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 129.
61. Exposition des pastellistes. Helleu : des pastels où l'on sent un œil de peintre amoureux de douces étoffes, de tendres nuances passées, de soieries harmonieusement déteintes. E. et J. de Goncourt, Journal,avr. 1894, p. 541.
62. Luce l'examine avec ce sourire intéressé et sans ironie qu'il promène à travers le monde : une sorte d'étonnement enfantin, une curiosité amoureuse des choses, et pour laquelle tout est inédit, admirable. R. Martin du Gard, Jean Barois,1913, p. 337.
63. Mon esprit amoureux de tout, même de la laideur ... ils vont toujours au plus facile, et même le désir ne les pousse pas loin en avant. A. Gide, Journal,21 août 1917, p. 630.
B.− P. méton.
1. [Avec une valeur factitive] Qui cause ou favorise l'amour. Breuvage, philtre amoureux. Synon. d'amour :
64. D'un autre côté, le Dr Brown-Séquard rajeunit des vieillards infirmes, ranime des impuissants avec des injections de parties distillées de lapins et de cobayes. Qui sait si ces élixirs de longue vie, si ces philtres amoureux que les sorcières vendaient aux gens épuisés ou atteints de ligature, n'étaient pas composés de substances similaires ou analogues? On n'ignore point que la semence de l'homme entrait presque toujours, au Moyen Âge, dans la confection de ces mixtures. J.-K. Huysmans, Là-bas,t. 2, 1891, p. 77.
2. [Avec des subst. exprimant un aspect phys. ou moral d'une pers. ou de son comportement] Qui est caractéristique d'une personne amoureuse :
65. Assis moi-même sous l'arbre hospitalier, tenant ma bien-aimée sur mes genoux, et réchauffant ses beaux pieds nuds entre mes mains amoureuses, j'étois plus heureux qu'une nouvelle épouse, qui sent pour la première fois son fruit tressaillir dans son sein. F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme, t. 2, 1803, p. 216.
66. Dans la scène délicate du troisième acte avec Elmire, la déclaration amoureuse qu'il lui fait en langage dévot : L'amour qui nous attache aux beautés éternelles n'étouffe pas en nous l'amour des temporelles, etc.; cette déclaration confite, toute pétrie de benin et de suave, est assez du même ton au début que celle du père Le Moine à Delphine; ... Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 218.
67. Pendant les trois mois qui venaient de s'écouler, j'avais écrit, aux heures d'insomnie, un petit volume de poésies amoureuses, rêveuses, pieuses, selon que l'imagination chantait en moi ses notes tendres ou ses notes graves. A. de Lamartine, Raphaël,1849, p. 246.
68. ... appliquant l'oreille à l'indiscrète cloison qui le séparait de la chambre voisine, il écouta et distingua parfaitement un dialogue alterné de baisers et autres amoureuses onomatopées. − Diable! pensa Rodolphe en regardant sa pendule, il n'est pas tard... Et ma voisine est une Juliette qui garde ordinairement son Roméo bien après le chant de l'alouette. Je ne pourrai pas travailler cette nuit. H. Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 53.
69. Mais Cerise ne prenait pas plus garde aux coups d'œil amoureux qu'aux propos plus ou moins galants qui l'accueillaient sur sa route, et elle poursuivait son chemin en songeant à son cher Léon, dont elle serait bientôt la femme. P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 120.
70. C'est ainsi qu'au temps de la passion amoureuse, cet instinct vainqueur, qui semble tenir alors la place de la personne tout entière, emploie sans peine à le servir tous les autres instincts toutes les autres puissances du corps humain. Or durant le règne de cet instinct, la vie intense, inconnue et réelle, qui se donne cours, au regard de la conscience individuelle, sous le nom de l'amour, tend à sortir des limites et de l'habitat qui lui furent jusqu'alors fixés. Elle émigre de ce corps, de ce moi qu'elle avait jusqu'alors animé, pour se répandre au dehors, ... J. de Gaultier, Le Bovarysme,1902, p. 178.
71. ... je renonçai pour toujours à Gilberte, dans l'intérêt même de mon amour, et parce que je souhaitais avant tout qu'elle ne conservât pas de moi un souvenir dédaigneux. Même, à partir de ce moment-là, et pour qu'elle ne pût former la supposition d'une sorte de dépit amoureux de ma part, quand dans la suite, elle me fixa des rendez-vous, je les acceptais souvent et, au dernier moment, je lui écrivais que je ne pouvais pas venir, mais en protestant que j'en étais désolé, comme j'aurais fait avec quelqu'un que je n'aurais pas désiré voir. Ces expressions de regret qu'on réserve d'ordinaire aux indifférents, persuaderaient mieux Gilberte de mon indifférence, me semblait-il, que ne ferait le ton d'indifférence qu'on affecte seulement envers celle qu'on aime. M. Proust, À la recherche du temps perdu,À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 589.
72. Mais il n'y a aucun rapport entre la passion tumultueuse et secrète de la Lettre à l'Immortelle Aimée (une jeune fille, comme je le montrerai, naïve et irréfléchie), et le ton de badinage amoureux de Beethoven avec une actrice, qui ne perd point la tête pour un baiser reçu et rendu, et qui joue au bon ange domestique, grondeur et déluré, tandis que Beethoven est, en ce septembre humide, cloué dans son lit par ses rhumatismes. R. Rolland, Beethoven,t. 2, 1928, p. 532.
En partic. [Avec insistance sur les moy. ou les satisfactions de l'amour physique] Qui recherche ou procure ces satisfactions. Ébats, plaisir amoureux; la vie amoureuse de qqn :
73. Au moment de la quitter pour longtemps peut-être, on eût dit qu'il voulait graver plus avant son image dans son souvenir, puiser dans ce baiser d'adieu l'énergie et le courage dont il avait besoin. Laure croyait toucher au bonheur; Gaston s'enfuit sans trouver la force de lui annoncer son départ. Restée seule, Laure savoura d'abord avec délices l'émotion enivrante de cette première étreinte amoureuse. J. Sandeau, Sacs et parchemins,1851, p. 63.
74. Quand elle levait les yeux vers lui, elle le regardait avec une humilité tendre, avec des sourires humides. Elle se faisait souple, coquette; elle avait l'air de quêter l'amour du jeune homme comme une pauvre honteuse. La fatigue, les voluptés des ombrages, le réveil de sa jeunesse, le lieu sauvage qu'elle traversait, tout mettait dans son être une émotion amoureuse, une de ces langueurs des sens qui font tomber aux bras d'un homme les femmes les plus fières. É. Zola, Madeleine Férat,1868, p. 12.
75. Il semble ici que la plus haute félicité ne puisse être atteinte que dans le coït. Il ne tient nullement compte de ceci : que, même entre des êtres de goûts « normaux », la concomitance parfaite du spasme amoureux est extrêmement rare (entre homosexuels également, du reste) et que le plus grand nombre des ménages ne peut se flatter de l'avoir jamais connue; baser sur cela même l'union profonde d'un couple a quelque chose de péniblement paradoxal. A. Gide, Journal,1931, p. 1088.
76. Elle convient d'ailleurs avec elle-même que l'intérêt qu'elle prend à l'amour reste d'essence plutôt égoïste. Ce qu'elle aime chez un homme, c'est moins l'homme lui-même que l'ardeur ou la tendresse qu'il lui témoigne. Elle sait, par des confidences de camarades, qu'il arrive à certaines femmes, au cours des pratiques amoureuses, d'être prises d'un enthousiasme de caresses qui est une forme sensuelle de générosité, et même de dévouement. Ce qui les enivre alors, c'est de s'oublier pour ne penser qu'à l'autre. J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 120.
77. Les hommes de Claquebue n'oubliaient pas seulement le butin de leurs jeunes années, ils oubliaient aussi que les plaisirs amoureux tenaient une grande place dans les jeux de leurs enfants; ou plutôt, ils feignaient de l'oublier. Dans leur jeune âge, les garçons communiaient dans une curiosité presque sans frein de tout ce qui pouvait satisfaire leurs instincts sexuels. Ils formaient un troupeau lascif et sans mystère, pareils à de jeunes dieux rustiques dont les ébats ne sont pas bridés par le souci de subsister durement. M. Aymé, La Jument verte,1933, p. 146.
78. Il est faux, après tout, que je n'aie jamais aimé. J'ai contracté dans ma vie au moins un grand amour, dont j'ai toujours été l'objet. De ce point de vue, après les inévitables difficultés du très jeune âge, j'avais été vite fixé : la sensualité, et elle seule, régnait dans ma vie amoureuse. Je cherchais seulement des objets de plaisir et de conquête. M. Camus, La Chute,1956, p. 1503.
Rem. 1. Autres syntagmes aventure, cœur, correspondance, curiosité, désir, dévouement, état, extase, folies, fureur, geste, hommage, imagination, intrigue, loisirs, penchant, poésie, regard, rêve, sentiment, songe, tentative amoureux/euse(s). 2. Dans un certain nombre de ces syntagmes, amoureux pourrait être remplacé par d'amour : plaisir d'amour, poésie d'amour, regard d'amour, etc.
Au fig. (Faire une chose) avec un soin amoureux (cf. faire une chose avec amour). Avec un soin qui témoigne d'un intérêt passionné pour ce qu'on fait :
79. Mais tout en se déchargeant sur moi de la fabrication ouvrière de nos livres, mon frère était resté un passionné de style; et j'ai raconté, dans une lettre à Zola, écrite au lendemain de sa mort, le soin amoureux qu'il mettait à l'élaboration de la forme, à la ciselure des phrases, au choix des mots, reprenant des morceaux en commun et qui nous avaient satisfaits tout d'abord, les retravaillant des heures, des demi-journées, avec une opiniâtreté presque colère, ... E. et J. de Goncourt, Journal,1895, p. 892.
3. [Avec un subst. abstr. ou plus rarement concr.] Qui concerne l'amour entre les personnes de sexe différent ou parfois identique :
80. Ainsi pour rassurer complètement la chasteté effarouchée du lecteur, je dirai que je rangerais dans les sujets amoureux, non seulement tous les tableaux qui traitent spécialement de l'amour, mais encore tout tableau qui respire l'amour, fût-ce un portrait. Dans cette immense exposition, je me figure la beauté et l'amour de tous les climats exprimés par les premiers artistes, depuis les folles, évaporées et merveilleuses créatures que nous a laissées Watteau fils dans ses gravures de mode, jusqu'à ces Vénus de Rembrandt... Ch. Baudelaire, Salon de1846, 1846, p. 133.
81. Si l'œuvre d'art garde les traits de l'œuvre d'amour, la préoccupation de l'art ne va pas sans préoccupation d'amour. L'art, la critique, à plus forte raison la critique esthétique générale, exigent cette préoccupation. Ôtez de Sainte-Beuve l'atmosphère amoureuse qui lui fait comme sa troisième dimension vivante, retranchez de lui ce qui par tous les interstices des Lundis s'insinue, palpite et fleurit du Livre d'Amour, de Volupté, et des voluptés moins singulières de son dernier âge, vous aurez sans doute un Gustave Planche quelconque. L'amour, qui est le tout absolu de la cristallisation amoureuse, fait une grande part de la cristallisation artistique, ... A. Thibaudet, Réflexions sur la littérature,1936, p. 66.
82. Il me dirait sans doute que les filles du peuple ont une sorte de sagesse, précocement acquise, et qu'elles sont les moins promptes de toutes à se monter la tête. Même quand par exception, elles manquent d'expérience personnelle en matière amoureuse, elles savent par tradition, par un abondant enseignement oral, que les hommes, avec les femmes, cherchent d'abord à s'amuser; que les belles paroles ne leur coûtent rien; et que lorsqu'un homme fait la cour à une fille, la dernière chose qu'il ait en tête, c'est de s'engager durablement. J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 88.
En partic., PSYCHANAL. :
83. Il me semble juste de rattacher aux obsessions de la honte de soi (...) un groupe des plus intéressants, celui des obsessions et des impulsions amoureuses. P. Janet, Les Obsessions et la psychasthénie,1903, p. 30.
84. C'est dans les états amoureux exacerbés seulement que la majeure partie de la libido se trouve transférée à l'objet... S. Freud, Abrégé de psychanalyse,trad. A. Bermann, 1949, p. 10.
85. Elle [la haine] y restera indissolublement attachée [à l'amour] et viciera plus tard toutes nos relations amoureuses, familiales, sociales et même spirituelles. M. Choisy, Qu'est-ce que la psychanalyse?1950, p. 39.
C.− [En parlant d'animés non hum., ou d'un aspect de leur comportement] Qui est en amour.
1. [En parlant d'animaux, princ. domestiques ou vivant dans l'entourage de l'homme] Un matou, un taureau amoureux; un couple de perruches, de pigeons amoureux :
86. Oh! quand la mort, que rien ne saurait apaiser, Nous prendra tous les deux dans un dernier baiser Et jettera sur nous le manteau de ses ailes. Puissions-nous reposer sous deux pierres jumelles! Puissent les fleurs de rose aux parfums embaumés Sortir de nos deux corps qui se sont tant aimés, Et nos âmes fleurir ensemble, et sur nos tombes Se becqueter longtemps d'amoureuses colombes! (Avril 1845). T. de Banville, Les Stalactites,Oh! quand la mort, 1846, p. 145.
87. ... nos chevaux ont de temps en temps des frissons amoureux et poussent, vers une femelle invisible qui les enflamme, des hennissements aigus comme un éclat de trompette; ... E. Fromentin, Un Été dans le Sahara,1857, p. 24.
88. ... mais un instinct tout puissant la prenait à guetter les ébats amoureux des oiseaux de son bois, leurs poursuites, leurs querelles, leurs combats : ... L. Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 106.
89. ... ce taureau délicieux était aussi un taureau amoureux. Il suivait une vachette noire pas à pas, se collait à elle, aussi inséparable d'elle que deux taureaux en métal, soudés ensemble en un bibelot d'étagère. Il tournait la tête vers elle comme fait l'aimé, au théâtre, assis à côté de l'aimée. Il se frottait le museau contre son épaule, il posait sa tête par-dessus son dos, il appuyait le frontal contre son cou et restait là, immobile, engourdi de tendresse, tout pareil à un homme. H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 489.
90. Tenez, j'ai un souvenir de Londres... Au jardin zoologique... Un couple, un adorable couple de ouistitis amoureux ... Ah, ne souriez pas, Wanda! Si vous aviez vu cette petite femelle, rouler sa tête contre la poitrine du mâle, et se blottir dans ses bras... Je suis sorti de là, malade! Malade de désespoir! Malade d'envie! ... R. Martin du Gard, Un Taciturne,1932, II, 5, p. 1289.
Rem. On rencontre naturellement les animaux dans la liste des êtres qui peuvent être l'obj. d'un attachement hum. (cf. supra A 2 c).
2. [En parlant de végétaux, d'un élément végétal] :
91. Souvent aujourd'hui je marie à ces grandes scènes le souvenir de l'âme alors épandue sur la nature. J'y promène encore la souveraine dont la robe blanche ondoyait dans les taillis, flottait sur les pelouses, et dont la pensée s'élevait, comme un fruit promis, de chaque calice plein d'étamines amoureuses. Aucune déclaration, nulle preuve de passion insensée n'eut de contagion plus violente que ces symphonies de fleurs, ... H. de Balzac, Le Lys dans la vallée,1836, p. 119.
92. ... un faux-ébénier, vêtu de grappes jaunes, éparpillait au vent sa fine poussière, une fumée d'or qui sentait le miel et qui portait, pareille aux poudres caressantes des parfumeurs, sa semence embaumée à travers l'espace. Le sénateur s'arrêta, huma le nuage fécondant qui flottait, considéra l'arbre amoureux resplendissant comme un soleil et dont les germes s'envolaient. Et il dit : « Quand on songe que ces imperceptibles atomes qui sentent bon, vont créer des existences à des centaines de lieues d'ici, vont faire tressaillir les fibres et les sèves d'arbres femelles et produire des êtres à racines... G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Un Fils, 1882, p. 315.
P. méton. Qui incite à l'amour :
93. On était à l'époque de la fenaison, et l'odeur amoureuse des foins coupés, qui s'exhalait matin et soir autour de la ferme, contribuait encore à enivrer Germain. A. Theuriet, La Maison des deux barbeaux,1879, p. 68.
D.− Par métaph. [En parlant d'un phénomène phys.] Qui est tendre comme une caresse. Une amoureuse lumière blanche, une sonorité amoureuse :
94. ... «Légers vaisseaux de l'Ausonie, fendez la mer calme et brillante! Esclaves de Neptune, abandonnez la voile au souffle amoureux des vents! » F.-R. de Chateaubriand, Les Martyrs,t. 3, 1810, p. 207.
95. Que la ronde recommence! Que les soleils tournent plus vite! Que la valse des sphères avec leurs satellites passe, repasse, tourbillonne, jusqu'au vertige, si bien qu'elles disent en chancelant : Nos satellites, où sommes-nous? Que les étoiles amoureuses, en soulevant leurs voiles, laissent tomber leurs bouquets de leur sein. E. Quinet, Ahasvérus,1833, p. 393.
96. ... l'amoureux rayon de lune (...) s'écrase passionnément dans une vapeur bleuâtre sur les belles lèvres et la poitrine marmoréenne du dormeur [l'Endymion de Girodet]. T. Gautier, Guide de l'amateur au Musée du Louvre,1872, p. 14.
97. ... le ciel devint rose, d'un rose joyeux, amoureux... G. de Maupassant, Une Vie,1883, p. 173.
E.− Emplois spéc., IMPR., LITHOGRAPHIE :
98. Amoureux (Papier). Papier qui boit l'encre, − en terme d'imprimerie. L. Rigaud, Dict. du jargon parisien,L'Argot ancien et moderne, 1878, p. 10.
99. Le caoutchouc [du blanchet lavé à l'essence] devient (...) moins « amoureux » et les fibrilles de papier s'y déposent moins nombreuses. R. Chelet, Manuel de lithographie,1933, p. 283.
Rem. L'emploi de amoureux dans le vocab. musical n'est qu'un cas partic. de l'emploi métaph. signalé en D :
100. ... les harpes amoureuses qui convoquent les damoiselles en hennin « à se parer si lentes », l'allégresse des triangles résonnant au passage « des hérauts sur leurs blancs coursiers », tout ça est parfait. [Saint-Saëns, La Fiancée du timbalier]. Willy, Entre deux airs, par l'ouvreuse du Cirque d'été,1895, p. 95.
101. Vainement on a invoqué parfois (...) quelque phénomène plus ou moins bien constaté dans l'orchestre ou sur des instruments particuliers : la « sonorité amoureuse » du ton de Fa # majeur, la « sombre mélancolie » de Ré ♭ (...), etc. Ce ne sont là pourtant que de pures illusions, ... V. D'Indy, Cours de composition musicale,t. 2, 1897-1900, p. 259.
102. ... [il y a des] associations d'idées accidentelles ou fantaisistes (fa est pastoral, mi ♭ est amoureux, etc.)... Ch. Lalo, Esquisse d'une esthétique musicale scientifique,1908, p. 67.
II.− Emploi subst.
A.− Personne qui aime.
1. Vieilli. Personne qui aime sans être aimée :
103. Un homme amoureux est un homme qui veut être plus aimable qu'il ne peut; et voilà pourquoi presque tous les amoureux sont ridicules. Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 60.
104. Cette fille a un amoureux; dites, un amant. L'amoureux est celui qui aime sans être aimé, ou même connu; il se dit des choses comme des personnes; l'amant est celui dont l'amour est partagé et approuvé. Il ne se dit pas des choses. É. Molard, Le Mauvais langage corrigé,1810, p. 20.
Rem. Cette obs. reproduit telle quelle celle faite dans Desgrouais, Les Gasconismes corrigés, 1768.
2. Au sing. ou au plur. [En dehors de syntagmes marquant l'appartenance] Personne qui aime d'amour une autre personne généralement de l'autre sexe et dont elle est ou désire être aimée. Un amoureux, une amoureuse :
105. « Je vous dis, moi, qu'on peut aimer plusieurs fois avec toutes ses forces et toute son âme. Vous me citez des gens qui se sont tués par amour, comme preuve de l'impossibilité d'une seconde passion. Je vous répondrai que, s'ils n'avaient pas commis cette bêtise de se suicider, ce qui leur enlevait toute chance de rechute, ils se seraient guéris; et ils auraient recommencé, et toujours, jusqu'à leur mort naturelle. Il en est des amoureux comme des ivrognes. Qui a bu boira − qui a aimé aimera. C'est une affaire de tempérament, cela. » G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Rempailleuse, 1882, p. 650.
106. Qu'est-ce que l'état mystique? Les poètes le savent, comme les mystiques classés, et je crois que les savants aussi le savent, et encore les amoureux. Le parallélisme entre l'inspiration des poètes et des mystiques est constant. Il n'est pas prouvé qu'il y ait une très grande différence entre l'expérience mystique un peu complète et l'expérience amoureuse proprement dite. Je suis persuadé que chez plusieurs mystiques la conséquence presque immédiate était un état d'éréthisme qui allait loin. M. Barrès, Mes cahiers,t. 14, févr.-juill. 1922, p. 14.
107. ... l'amour, c'est une vocation, c'est une carrière. On ne s'improvise pas amoureux d'un jour à l'autre. − Tais-toi, papa! tais-toi! − Je me demande pourquoi, mon garçon, tu veux m'imposer silence alors que je parle de choses que je connais à merveille. La passion, je sais ce que c'est. À condition, toutefois, qu'on ne fasse pas de mélodrame. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Nuit de la Saint Jean, 1935, p. 189.
108. L'amour! À la campagne, au moins, ils n'ont pas peur d'appeler la chose par son nom : ils disent qu'une bête est en folie... mais, pour nous, ce serait trop simple; et ce serait humiliant! Il faut sublimer! il faut dire, en roulant des yeux blancs : « nous nous aimons! ... Je l'aime!... L'â-âmour!!! » Le cœur, on le sait, c'est votre monopole à vous autres, les amoureux! R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 603.
109. Ce ne sont pas forcément des amoureux qui ont écrit les plus beaux poèmes d'amour − et quand ce sont des amoureux, ils n'en rendaient pas leur amour responsable. Pourtant, le reflet de toutes ces paroles prononcées, inventées est sur eux, en eux, indélébile. P. Éluard, Donner à voir,1939, p. 124.
a) [Gén. avec une détermination adj., subst. ou verbale marquant diverses composantes]
[Pour exprimer la nature du sentiment ou le comportement de l'amoureux] Amoureux transi, romantique :
110. Il faut être excessivement riche pour aimer, car l'amour annule un homme, à peu près comme notre cher baron brésilien que voilà. Il y a longtemps que je l'ai déjà dit, les extrêmes se bouchent! Un véritable amoureux ressemble à un eunuque, car il n'y a plus de femmes pour lui sur la terre! Il est mystérieux, il est comme le vrai chrétien, solitaire dans sa thébaïde! H. de Balzac, La Cousine Bette,1846, p. 373.
111. Parmi toutes les saintes niaiseries du premier amour, vous saurez qu'on a celle de vouloir se tuer, si l'on n'est pas aimé. J'étais donc bien résolu à faire comme tous les amoureux débutants, si j'étais repoussé; mais, du moins, je voulus faire une tentative. Un soir, je fis bonne provision de courage et m'acheminai vers mon idole fleurie. En marchant, je ruminais tout bas ma déclaration. « Ferai-je du madrigal ou de l'élégie? » disais-je. H. Murger, Les Nuits d'hiver,1861, p. 199.
112. Mais elle a beau faire, on sent la noire tristesse qui entoure les années de vieillesse de la femme galante, les infirmités de plaisir, la fin d'être aimée. Du reste, ici, la plage semble continuer ce salon de Gisette. Ce ne sont que vieilles amoureuses, dondons usées, éreintées et fourbues. Essayant encore de grimacer la jeunesse. On croirait voir le bain de mer des invalides de la galanterie. E. et J. de Goncourt, Journal,juill. 1865, p. 179.
113. Burty arrive déjeuner avec le rayonnement de l'amoureux et du romancier débutant. Il se plaint de ce que les femmes se contentent d'un frottement avec l'homme aimé et souvent s'arrêtent là. E. et J. de Goncourt, Journal,août 1880, p. 79.
114. Une femme, le plus souvent, ne cède à l'amour-passion qu'à l'âge où la solitude n'effraye plus. C'est qu'en effet la passion est un désert aride, une thébaïde brûlante. La passion, c'est l'ascétisme profane, aussi rude que l'ascétisme religieux. Aussi voit-on que les grandes amoureuses sont aussi rares que les grandes pénitentes. A. France, Le Lys rouge,1894, p. 92.
115. J'aime, j'aime, certainement j'aime, et je crois aimer ma femme d'amour, mais, de tout ce que disent les grands amoureux : Don Juan, Rodrigue, Ruy Blas, il n'y a pas un mot que je pourrais dire à ma femme sans rire. J. Renard, Journal,1901, p. 701.
116. Et puis tout à coup − le demi-siècle franchi d'un bond − les premières morsures de la vieillesse, un rendez-vous dénoué..., le grand amour, chèrement gardé, pas à pas défendu, disputé, jusqu'à la dernière minute, lorsque les lèvres du vieil amoureux pressent une bouche mobile et furtive, demain féroce... C'est là sa vie − tout ce que le temps épargne − qui dans son passé garde encore forme et figure; le reste n'est rien, son œuvre, ni la gloire. G. Bernanos, Sous le soleil de Satan,1926, p. 297.
117. J'étais de ces imbéciles qui se persuadent qu'il existe d'une part les amoureuses désintéressées, et de l'autre les rouées qui ne cherchent que l'argent. Comme si dans la plupart des femmes, l'inclination amoureuse n'allait de pair avec le besoin d'être soutenues, protégées, gâtées... F. Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 98.
Rem. Pop. amoureux de Carême :
118. Amoureux de carême. Amoureux timide. En carême, les bons catholiques n'osent manger la chair. L'analogie est facile à saisir. H. France, Dict.-journal; les compléments, vocabulaire de la langue verte,1907.
[Pour exprimer la satisfaction ou le rejet des avances amoureuses] Amoureux comblé, éconduit :
119. ... il s'était posé vis-à-vis de lui en amoureux dédaigné, rebuté, et qui met au service de sa vengeance son intelligence et son argent. P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 2, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 236.
120. Il la voyait tout entière, comme si elle se fût montrée exprès, pour le tenter, pour s'offrir ou pour se jouer encore de lui. Et il se mit à la désirer avec une ardeur passionnée et un énervement exaspéré. Tout à coup elle se retourna, le regarda, se mit à rire. « Vous avez une bonne tête », dit-elle. Il fut piqué, irrité de cette raillerie, saisi par une colère méchante d'amoureux bafoué; ... G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Yvette, 1884, p. 516.
121. ... aucun autre mobile que celui d'une vengeance d'amoureux éconduit n'était admissible, par ce simple fait que la victime avait tous ses bijoux, tout l'argent de son porte-monnaie, et que son corps ne portait la trace d'aucune espèce de violence. P. Bourget, Le Disciple,1889, pp. 37-38.
[Pour exprimer l'orig.] Un amoureux de village :
122. La déclaration d'amour que lui fit ce gentilhomme resta même tellement gravée dans sa mémoire, que six ans plus tard, après avoir traversé les orages d'un autre amour, des malheurs de toute sorte, elle se rappelait encore cette première lettre et la retraçait mot pour mot. Qu'on me permette de citer ici ce curieux échantillon du style d'un amoureux de province au temps de Louis XIII. Voici la lettre du premier amoureux de Mademoiselle Angélique de Longueval : « Je ne m'étonne plus de ce que les simples, sans la force des rayons du soleil, n'ont nulle vertu, puisque aujourd'hui j'ai été si malheureux que de sortir sans avoir vu cette belle aurore, ... G. de Nerval, Les Filles du feu,Angélique, 1854, p. 526.
Dans la lang. du théâtre. Un rôle d'amoureux; jouer les amoureux, faire l'amoureux :
123. m. de volmar. − C'est un rôle dans les proverbes? le chevalier. − Sans doute, mais un rôle d'amoureux avec Madame Dolcy : je tiens à cela par-dessus tout. m. de solanges. − C'est agir sans façons, et vous nous chargez là d'une jolie commission. le chevalier. − Comment l'entendez-vous? m. de solanges. − Il me semble que cela s'explique assez. le chevalier. − Quoi! Vous pensez que sous le voile d'un amour feint j'en cache un plus sérieux, et que je profiterai des proverbes pour faire un aveu de ma flamme? ... T. Leclercq, Proverbes dramatiques,La Manie des proverbes ou Chacun pour soi et Dieu pour tous, 1835, 8, pp. 39-40.
124. « Vous jouez les amoureuses d'une admirable sorte, Isabelle, et l'on pourrait s'y méprendre. − N'est-ce pas mon métier? répondit la jeune fille en souriant, et le directeur de la troupe ne m'a-t-il pas engagée pour cela? − Sans doute, dit Sigognac; mais comme vous aviez l'air sincèrement éprise de ce fat qui ne sait rien que montrer ses dents comme un chien qu'on agace, tendre le jarret et faire parade de sa belle jambe! − C'était le rôle qui le voulait; fallait-il pas rester là comme une souche... » T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 123.
Au fig. :
125. Soit qu'il y prît vraiment plaisir, soit comme marque de grandeur d'âme, le vieux fou, ce jour-là, ne s'avisa-t-il pas de faire l'amoureux, pressant la Belcredi du genou, par dessous la table, se penchant parfois, et lui parlant bas, avec des roulements de prunelles. É. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 288.
126. É « Chère mademoiselle, je suis un vieil homme, n'ayant plus du tout d'amour sur moi, et vous voulez me donner un rôle d'amoureux que je suis incapable de jouer, même auprès de vous, toute charmante que vous êtes. Votre ami. » E. et J. de Goncourt, Journal,août 1893, p. 442.
b) [Avec un compl. exprimant l'obj. de l'amour]
Rare. [L'obj. est une pers.] :
127. Le duc de La Vallière, voyant à l'Opéra la petite Lacour sans diamants, s'approche d'elle et lui demande comment cela se fait. « C'est, lui dit-elle, que les diamants sont la croix de Saint-Louis de notre état. » Sur ce mot, il devint amoureux fou d'elle. Il a vécu avec elle longtemps. Elle le subjuguait par les mêmes moyens qui réussirent à Madame Dubarry près de Louis XV. Elle lui ôtait son cordon bleu, le mettait à terre, et lui disait : « Mets-toi à genoux là-dessus, vieille ducaille. » Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 100.
L'amoureux des onze mille vierges :
128. Tout le monde à Saint-Omer, depuis le président du Tribunal jusqu'au roquet de l'allumeur de réverbères, connaissait Gudule et son panier. À la nouvelle que Putois avait séduit Gudule, la ville fut pleine de surprise, d'admiration et de gaîté. Putois fut célébré comme un grand abatteur de quilles et l'amoureux des onze mille vierges. On lui attribua, sur des indices légers, la paternité de cinq ou six autres enfants qui vinrent au monde cette année-là, et qui eussent aussi bien fait de n'y pas venir, pour le plaisir qui les y attendait et la joie qu'ils causaient à leur mère. A. France, Crainquebille, Putois, Riquet,1904, p. 73.
Rem. Cet emploi se rencontre surtout en constr. d'attribut sans art.; il est proche de l'emploi adj., dont il se distingue cependant par la possibilité d'ajouter un adj. qualificatif à amoureux (amoureux fou).
[L'obj. désigne une catégorie d'êtres ou une valeur; supra I A 2] Un amoureux des jeunes, un amoureux d'âmes, un amoureux de la poésie :
129. ... qui ne comprend que cette résurrection du passé, à coups de documents, si scrupuleuse et si habile qu'on la suppose, n'est jamais qu'une hypothèse? Il y a là une portion de hasard que toutes les habiletés de la méthode ne sauraient éviter, par cette seule raison qu'à la distance de cinquante années les goûts et les idées d'une génération passée sont devenus presque inintelligibles à la génération présente. Pour arriver à écrire de l'histoire de mœurs vraiment indiscutable, ne suffirait-il pas de supprimer cette cause d'erreur, inhérente à la perspective du temps? De là pour l'amoureux de l'exactitude une tentation suprême de s'attaquer à la seule peinture qui se puisse exécuter d'une façon directe : celle des mœurs de notre âge. P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 159.
130. ... rendons cette justice aux amoureux du vieux papier noirci, qu'ils sont tout aussi fous que les autres amoureux. A. France, La Vie littéraire,t. 2, 1890, p. 74.
131. Mais ce qui valait encore mieux que son incomparable érudition, c'était son ardente bonté; il était un amoureux d'âmes; il se jetait sur elles, les étreignait passionnément, pleurait de joie à l'idée qu'il avait pu en sauver une. J.-K. Huysmans, L'Oblat,t. 1, 1903, p. 64.
132. Évidemment, plus j'irai et plus les choses que j'écrirai auront ce caractère très poussé et très soutenu; cela est dû au fait que n'étant pas complètement un artiste, je suis un de ces amoureux de l'art qui prennent au fond avec leur idole plus de précautions, beaucoup plus de ménagements que l'artiste-né. Il y a là le tendre respect de l'amoureux, non la possession brusque et dégagée de l'amant. Ch. Du Bos, Journal,juin 1922, p. 97.
Rem. 1. Cette constr. est plus rare que pour l'adj. 2. Amoureux + de + inf. est exceptionnel :
133. Sur les tas refaits on laissait s'accomplir l'œuvre du temps irremplaçable pour velouter le vin. Nul ne troublait le précieux travail de la durée sauf quelques sournois amoureux de bien boire qui épargnaient à de fines bouteilles la grande vieillesse. P. Hamp, Vin de Champagne,1909, p. 155.
− Dans le domaine relig.[Avec ou sans compl.] :
134. Vous vivez dans la gloire de ce monde dont vous êtes une des potentates; et moi, je croupis au fond de l'abîme où les amoureux de Dieu sont précipités, pêle-mêle avec les amis de la douleur et de la lumière, − depuis les siècles. L. Bloy, Journal,1900, p. 191.
135. La clef du cœur de saint Ignace, c'est naturellement l'amour. Les saints sont des amoureux. Mais c'est aussi la tendresse. J. Green, Journal,1947, p. 98.
3. Au plur. [En parlant de 2 pers. de sexe gén. différent, avec une idée implicite de réciprocité dans l'amour] Les (deux) amoureux, un couple d'amoureux, un rendez-vous d'amoureux :
136. Chose assez banale qu'une causerie d'amoureux. C'est un je vous aime perpétuel. Phrase musicale fort nue et fort insipide pour les indifférents qui écoutent, quand elle n'est pas ornée de quelque fioriture. V. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 340.
137. − Figurez-vous, continua Rodolphe, que depuis deux heures je ne rencontre que des amoureux, des hommes et des femmes deux par deux. J'ai eu l'idée d'entrer dans le Luxembourg, où j'ai vu toutes sortes de fantasmagories; ça m'a remué le cœur extraordinairement; il m'y pousse des élégies; je bêle et je roucoule; je me métamorphose moitié agneau, moitié pigeon. H. Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 55.
138. Quand les amoureux s'embrassent sur les joues, c'est qu'ils tâtonnent et cherchent les lèvres. Un baiser fait des amants. É. Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 166.
139. ... les deux amoureux s'essayaient à retrouver les ferveurs, les ravissements qui les laçaient jadis l'un à l'autre; ils s'essayaient à faire renaître l'allégresse des rencontres passées, les voluptés douloureuses des séparations exigées par l'heure. J.-K. Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 272.
140. Cela se compliquait d'une querelle d'amoureux, il n'emmenait plus Catherine à Réquillart ou derrière le terri, sans l'accuser, en termes abominables, de coucher avec le logeur de sa mère; puis, il la tuait de caresses, repris pour elle d'un sauvage désir. É. Zola, Germinal,1885, p. 1287.
141. Il y eut un débat particulièrement agité sur l'amour qu'on nomme platonique et sur l'autre, qu'on ne nommait pas. Une camarade ayant rangé Tristan et Yseult parmi les amoureux platoniques, Zaza éclata de rire : « Platoniques! Tristan et Yseult! Ah! non! » dit-elle avec un air de compétence qui déconcerta toute la classe. L'abbé conclut en nous exhortant au mariage de raison : ... S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 159.
En emploi apostrophe. Hé, les amoureux! :
142. ... une ombre passa rapidement devant le banc sur lequel ils étaient assis, et une voix leur jeta ces mots en passant : Bonsoir, les amoureux! Rosette tressaillit et se serra auprès d'Ulric. Tous deux venaient de reconnaître la voix d'une de leurs voisines. H. Murger, Scènes de la vie de jeunesse,1851, p. 57.
143. Ils sont mariés depuis peu. Ils forment un couple vigoureux. Pourtant, elle a déjà l'air triste. − C'est agréable, dis-je, d'avoir une petite femme qui vient vous voir comme ça pendant votre travail. − N'est-ce pas, Monsieur Renard? − Vous avez bien fait de la prendre. Bonsoir, les amoureux. Je m'imagine qu'ils vont se coucher là, dans l'herbe, et se caresser après la soupe. Je m'éloigne, mais, comme je marche lentement, une femme me dépasse : c'est la jeune mariée. Elle n'est pas restée près de lui. J. Renard, Journal,1907, p. 1115.
En partic. [Avec insistance sur les satisfactions physiques des relations amoureuses] Un nid d'amoureux :
144. Le château était à vendre à un prix des plus raisonnables. Arthur Rance l'acheta et, ce faisant, il combla de joie sa femme qui fit venir les maçons et les tapissiers et eut tôt fait, en trois mois, de transformer cette antique bâtisse en un délicieux nid d'amoureux pour une jeune personne qui se souvient de la Dame du lac et de la Fiancée de Lammermoor. G. Leroux, Le Parfum de la Dame en noir,1908, p. 63.
145. On sentirait le ridicule de l'image si l'on rapprochait vraiment le « nid » bien chaud que se promettent les amoureux, du nid réel perdu dans la feuillée. Les oiseaux, faut-il le dire, ne connaissent que les amours buissonnières. Le nid se construit plus tard, après la folie amoureuse à travers les champs. S'il fallait rêver à tout cela et en tirer des leçons humaines il faudrait faire encore une dialectique de l'amour dans les bois et de l'amour dans une chambre des villes. Cela non plus n'est pas notre sujet. Il faut être André Theuriet pour comparer la mansarde à un nid en assortissant de cette seule remarque sa comparaison : « Le rêve n'aime-t-il pas se percher haut? » G. Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 94.
B.− Avec une nuance de familiarité. [Gén. dans un syntagme exprimant, à l'aide d'un adj. possessif ou d'un compl. de nom de pers., prép. de, l'appartenance à la pers. aimée] .
1. Personne (surtout masc.) qui aime et courtise assidûment une personne de l'autre sexe, généralement en vue du mariage. Synon. soupirant, prétendant :
146. Nous possédons dans ce château l'aimable Fornier et M. Gibbon, l'auteur de l'histoire du bas-empire, l'ancien amoureux de ma mère, celui qui voulait l'épouser. Quand je le vois, je me demande si je serais née de son union avec ma mère; je me réponds que non, et qu'il suffisait de mon père seul pour que je vinsse au monde. Mmede Staël, Lettres de jeunesse,1790, p. 373.
147. Désirée causa très sagement de son nouvel amoureux. − Aujourd'hui que ce jeune homme la voulait pour femme, elle s'apercevait de mille détails qu'elle n'avait jamais remarqués alors qu'il n'était pour elle qu'un bon camarade. C'était un beau blond, bien découplé et aimant à rire. Elle n'en était pas amoureuse, mais cela viendrait sûrement. J.-K. Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 297.
148. C'était une chanceuse, cette Fanny, d'avoir été épousée par un amoureux honnête et riche, sans même être enceinte, elle qui, pour sa part, n'espérait du père Fouan que trois hectares environ. Son mari, du reste, ne se repentait pas, car il n'aurait pu trouver une ménagère plus intelligente ni plus active, ... É. Zola, La Terre,1887, pp. 22-23.
149. Jadis au temps des « Trimazôs », alors que la poussée des sèves réveille au cœur des hommes l'instinct de la fécondité et de la vie, les amoureux venaient planter sous la fenêtre de la promise des mais bruissants, des branches de feuillages symboliques, qui étaient une déclaration d'amour. É. Moselly, Terres lorraines,1907, p. 160.
En partic. [En parlant des amoureux d'une jeune fille (avec gén. une idée de mariage)] Avoir un, plusieurs amoureux :
150. ... je t'avouerai que moi aussi, quand je me suis mariée, je n'avais pas d'amour pour M. Pinchon. Oh! mon Dieu, pas un brin; et d'un autre côté je ne manquais pas d'amoureux, et de bien gentils. Mais les amoureux, vois-tu bien, ça n'est que pour durer un instant; les maris, ça dure toujours. Il faut donc, en fait d'ça, choisir du bon et du solide, parce qu'une fois pris, on ne peut plus en changer, ... E. Scribe, A.-F. Varner, Le Mariage de raison,1826, II, 8, p. 402.
151. − Écoute... Surtout, n'en parle à personne! Je crois que je vais avoir un amoureux. Chut! ... Cela m'en fera deux avec mon cousin. − Un amoureux! fit Anna vivement. − Oui... Un beau jeune homme, Anna! Il n'était pas au bal cette nuit... Comprends-tu maintenant ma tristesse? Mais... P. Reider, Mademoiselle Vallantin,1862, p. 84.
2. [Avec une idée de réciprocité] En milieu pop., notamment rural. Synon. (quasi-) fiancé(e)(s) :
152. Alors, attendu que Zéphyrin était l'amoureux de Rosalie, elle [la tante de Rosalie] priait madame de permettre aux enfants de se voir le dimanche. É. Zola, Une Page d'amour,1878, p. 857.
153. ... le garçon, dont le service allait finir l'autre mois, l'amènerait à la maison afin qu'on pût l'examiner et décider en causant si elle n'était pas trop foncée pour rentrer dans la famille Boitelle. Antoine alors annonça que le dimanche 22 mai, jour de sa libération, il partirait pour Tourteville avec sa bonne amie. Elle avait mis pour ce voyage chez les parents de son amoureux ses vêtements les plus beaux et les plus voyants, où dominaient le jaune, le rouge et le bleu, de sorte qu'elle avait l'air pavoisée pour une fête nationale. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Boitelle, 1889, p. 275.
154. On laissait les jeunes gens bien tranquilles. Car on a confiance dans les amoureux qui se sont promis le mariage; on sait qu'ils prendront la peine d'attendre. É. Moselly, Terres lorraines,1907, p. 193.
155. Comme la source suit la pente qu'elle creuse C'est à son amoureux que s'en va l'amoureuse. Elle allait avisée et souple comme l'eau Et le cœur frémissant tel qu'au vent le roseau. Quand elle fut auprès de lui : tu seras mienne, Dit-il, lorsque ce blé verdira dans la plaine. Elle rougit. C'était un mois avant Noël. Une rumeur déjà circulait dans le ciel. F. Jammes, Les Géorgiques chrétiennes,Chants 3-4, 1911, pp. 7-8.
Rem. À cause de l'idée de cour faite ou à faire, le mot se rencontre rarement au fém. dans ces emplois.
3. Plus rarement. [Avec insistance sur l'idée des relations phys.] Quasi-synon. de amant :
156. − Si elle avait eu de l'honneur, elle n'aurait pas pris un amoureux... Quoique ce doive être drôle pourtant d'être amoureux. Mais il n'y a que l'homme pour qui ce ne soit pas mal! − J'ai été bien souvent amoureux, dit Corbie, mais je me suis toujours retiré quand j'ai vu que cela devenait incompatible avec les principes de l'honnêteté et les lois du monde. L.-É.E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 134.
157. Elle me dit avec simplicité qu'elle a eu son premier amoureux à quinze ans, ou plutôt, corrige-t-elle, qu'elle a d'abord été violée deux fois, par un cosaque de Denikine, puis par un garde rouge. R. Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 251.
C.− P. anal. ou par métaph. [En parlant d'animaux, de végétaux, de la nature, etc.] :
158. Terrible idylle! On n'eût pas su, en conscience, ce qu'ils voulaient. S'aiment-ils? Se dévoraient-ils? À travers ce peuple éperdu de fiancés qui ne connaissaient rien, erraient d'autres fourmis sans ailes, qui s'attaquaient surtout aux gens les plus embarrassés, les mordaient, les tiraient si bien que nous pensâmes les voir croquer les amoureux. Mais point. Elles voulaient seulement s'en faire obéir et les rappeler à eux-mêmes. Leur vive pantomime, c'était le conseil de la sagesse traduit en action. Les fourmis non ailées étaient les sages et irréprochables nourrices, qui, n'ayant pas d'enfants, élèvent ceux des autres, et portent tout le poids du travail de la cité. Ces vierges surveillaient les amoureuses et paresseuses, inspectaient sévèrement les noces... J. Michelet, L'Insecte,1857, p. 254.
159. Le soleil entrait à droite, loin de l'alcôve. Serge, pendant toute la matinée, le regarda s'avancer à petits pas. Il le voyait venir à lui, jaune comme de l'or, écornant les vieux meubles, s'amusant aux angles, glissant parfois à terre, pareil à un bout d'étoffe déroulé. C'était une marche lente, assurée, une approche d'amoureuse, étirant ses membres blonds, s'allongeant jusqu'à l'alcôve d'un mouvement rythmé, avec une lenteur voluptueuse qui donnait un désir fou de sa possession. É. Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1324.
Prononc. ET ORTH. : [amuʀø], fém. [-ø:z]. Les dict. du xixes. indiquent une durée longue également pour la dernière syllabe de la forme masc. Littré précise que ,,l'x se lie : amoureux et jeune dites ɑ-mou-reû-z' et jeu-ne``. Ac. Compl. 1842 mentionne encore l'anc. forme amorous.
Étymol. ET HIST. I.− Adj. 1. Ca 1150 amoros sens passif « digne d'être aimé, aimable (en parlant de qqc. ou de qqn) » (Roman de Thèbes, éd. L. Constans, I 8433 : Ueuz vairs rianz et amoros). − xves., La Repeue de Villon ... ds Gdf. : vin... blanc et amoureux; 2. a) fin xiies. amorous « qui aime (qqn) d'amour » (Guy Chatelain de Couci, VII ds Gdf. Compl. : Que pour autre ne puis estre amorous); p. ext. b) xiiies. amerous « (d'une pers., d'un animal domestique) enclin, porté à l'amour » (Recueil gén. des Ysopets éd. J. Bastin, t. 2, Ysopet de Lyon XVII 1 p. 112 : Li Chiens qu'est amerouse beste, A son seignour façoit grand feste), d'où, Ac. 1694 s.v. : On dit prov. d'Un homme qui prend de l'amour indifferemment pour toutes les femmes qu'Il est amoureux des onze mille Vierges; c) mil. xiiies. « (d'un inanimé abstr.) qui marque de l'amour ou tend à en inspirer » (Raoul de Soissons ds Gdf. Compl. : N'est mervoille se fins amans oblie Aucune fois son amerous desir); spéc. 1771 peint. (Trév. : En termes de peinture, pinceau amoureux, dont la touche est moelleuse, douce, légère et délicate); 3. 1569 amoureux de « qui est passionné (pour qqc.) » (Martin Du Bellay, Mém. ds Dict. hist. Ac. fr. t. 2 1884 p. 572a : Homme ne peult estre amoureux de vertu, qui n'est songneux et curieux de sa renommée). II.− Subst. 1. xiiies. sens mystique « dévot, fidèle » (Mir. de N. D., II, 346 ds Gdf. Compl. : Puissanment fut getté quant par ce cop furent desprisonné li amoureux et osté de grevance); 2. 1636 « celui qui aime (sans être aimé dans la tragédie classique) » (Corneille, Cid, Liste des personnages ds Cayrou 1948 : Don Rodrigue, amant de Chimène − Don Sanche, amoureux de Chimène), noté comme pop. par Mllede Gournay (Brunot t. 4, p. 602) et empl. notamment; 1681 dans le syntagme amoureux transi (Poisson, Fou divert., I, 4, ibid. : Et que sont devenus ces Amoureux transis?); 1771 en style de théâtre (Trév. : On dit, en termes de comédie, Faire les rôles d'amoureux, c'est-à-dire, faire les rôles d'amans). Étant donné l'unanimité des corresp. rom. (prov., ital., esp., cat. xiiies., d'apr. Batt. t. 1 1961, Rayn., Al. 1958 et Alc.-Moll), du lat. vulg. amorosus (cf. lat. médiév. au sens 1, xiiies. ds Vita Mariae rhythm., 3606 ds Mittellat. W. s.v., 582, 34 : te mater amorosa), avec influence de amour.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 5 425. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 6 557, b) 11 247; xxes. : a) 8 940, b) 6 070.
BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Bach.-Dez. 1882. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bonnaire 1835. − Bruant 1901. − Daire 1759. − Divin. 1964. − Dup. 1961. − France 1907. − Girard 1756. − Gramm. t. 1 1789. − Guizot 1864. − Henry 1960, pp. 54-58. − Laf. 1878. Larch. − 1880. − Lav. Diffic. 1846. − Le Roux 1752. − Lew. 1960, pp. 224-225. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Morier 1961. − Noter-Léc. 1912. − Nysten 1824. − Synon. 1818. − Tournemille (J.). Au jardin des locutions françaises. Vie Lang. 1955, no39, p. 243.