MÊME, adj. ou adv.
Étymol. et Hist. I. Adj. a. fr.
meïsmes, cas régime
meïsme.
A. Marque l'insistance, indiquant qu'il s'agit exactement de la personne ou de la chose en question; sens du lat.
ipse 1. placé derrière
a) ca 1050 un pron. pers. (
St Alexis, éd. Chr. Storey, 118: A lui
medisme; 284: de sei
medisme);
ca 1100 (
Roland, éd. J. Bédier, 2858: Kar mei
meïsme estoet avant aler);
b) ca 1050 un subst. désignant une pers. (
St Alexis, 539: Co lur est vis que tengent Deu
medisme);
ca 1100 (
Roland, 400: L'emperere
meïsmes a tut sun talent);
c) ca 1050 un pron. poss. (
Alexis, 432: A grant duel met la sue carn
medisme);
d) 1651 un subst. mis en appos. exprimant une qualité, indique que le déterminé possède cette qualité au plus haut point (
Scarron, Roman comique, I, 15, éd. H. Bénac, t.1, p.199: estant la brutalité
mesme);
2. placé devant
a) 1121-34 un subst. désignant une pers. (
Philippe de Thaon, Bestiaire, 2526 ds T.-L.: Saint Esperit Qu'en
meïsme Dé vit);
b) 1578 un subst. mis en appos. et exprimant une qualité, indique que le déterminé possède cette qualité au plus haut point (
Ronsard, 1erLivre de Sonnets pour Hélène, XXXVII, 6, éd. P.Laumonier, t.17, p.226: Mais vous embellissez de me voir à malaise, Tigre, roche de mer, la
mesme cruauté), cette construction demeure en fr. class.
B. Marque l'identité absolue; sens du lat.
idem. 1. placé derrière le subst.
ca 1100 (
Roland, 204: Nuncerent voz cez paroles
meïsme);
ca 1170 (
Marie de France, Lais, éd. J. Rychner,
Eliduc, 1006: Cel jur
meïsme, apres midi [la place de
meïsme n'étant pas rigoureusement fixée, il arrive que la valeur d'identité et celle d'insistance ne soient pas clairement distinguées: ici, l'interprétation «ce jour-même» est également possible, v. Ph.
Ménard, Synt. de l'a. fr., §25, 1
o]);
2. placé devant le subst.
a) ca 1165 précède le déterm. (
Benoît de Ste-
Maure, Troie, éd. L. Constans, 19799: Enz en
mëisme la semaine);
ca 1170 (
Rois, éd. E. R. Curtius, I, III, 17, p.11: vint en Sylo
meïsme le jur [
in illa die]; III, XIII, 31, p.144: ... que il a sa mort fust enseveliz en
meïme le sepulchre ù li bons huem fud enseveliz
in sepulchro in quo...;
cf. infra IV B 1 et
Moignet, Gramm. de l'a. fr., p.344 en note);
ca 1180 (
Thomas, Tristan, éd. J. Bédier, 2183: Escu ot d'or a vair freté, De
meime le teint ot la lance);
b) ca 1165 placé entre le déterm. et le subst. (
Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 2186: tote une
meïsme cose).
II. Pron. indéf. indiquant l'identité, la ressemblance:
le même.
A. Empl. comme subst. av. 1473
faire le mesme «faire la même chose» (
Juv. des Ursins, Charles VI, 1382 ds
Littré); 1541
dire le mesme (
Calvin, Instit., VI, p.410 ds
Hug.); 1587 (
Lanoue, 198 ds
Littré: Le
mesme est des vertus).
B. 1643 en fonction d'attribut (
Corneille, Polyeucte, I, 1).
III.Adv.
meïsmes [pourvu de l'
-s adv., ne se distingue morphologiquement de l'adj. que dans les cas où ce dernier est dépourvu de tout
-s de flexion].
A. Avec les valeurs du lat.
ipse «même, précisément, justement; [mon, ton, son] propre». Placé derrière
1.ca 1100 le subst. lui-même précédé d'un poss. que l'adv. renforce (
Roland, 2551: Sun cors
meïsmes i asalt e requert);
ca 1165 (
Guillaume d'Angleterre, 2544: Cil le regarde, et ele lui, Tant que li rois connut lors primes Que c'estoit sa feme
meïsmes);
2.ca 1170 le pron. pers. (
Marie de France, Lais, Fresne, 72: A sei
meïsmes se desmente; 470: Vers mei
meïsmes meserrai);
3.ca 1170 un adv. de lieu, marque la précision (
Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 4188: Illuec
meïsmes an la place); 1176-80 (
Id., Lion, éd. M. Roques, 4989: ci
meïsmes).
B. Avec la valeur du lat.
id. 1. placé derrière le subst.
ca 1170 (
Marie de France, Lais, Fresne, 66: En l'an
meïsmes); 1174-76 (
Guernes de Pont-
Ste-
Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 1541: Le jur
mëesmes) [autre interprétation possible «l'année-même, le jour-même», v. Ph.
Ménard, op.cit., §25, 2
o, rem.;
cf. supra I B 1];
2. placé devant le subst. précédé de l'art.
ca 1170 (
Marie de France, Lais, Lanval, 219:
meïsmes l'an Aprés la feste Seint Johan [
cf.rem. précédente]).
C. Au sens de «également, aussi, de même»
1. ca 1170 placé devant le subst. précédé de l'art. (
Chrétien de Troyes, Erec, 6247: ... lié an furent Nostre parant, si com il durent; Liez an fu
meïsmes li cuens);
2. ca 1200 placé derrière le subst. (nom de pers.) (
Aiol, éd. W. Foerster, 9560: Aiol ont mis dedens [une nef] et Mirabel
meïsmes).
D. Marque un renchérissement, une gradation, une mise en relief par rapport à un ensemble
ca 1170 (
Béroul, Tristan, éd. E.Muret, 3641); 1176-80 (
Chrétien de Troyes, Lion, 5405: Mes a grant joie le reçoivent Et font sanblant que molt lor pleise...
Meïsmes la fille au seignor Le sert et porte grant enor).
E. Au sens de «particulièrement, surtout» 2
emoitié XIII
es. (
Lég. de G. de Roussillon, 39 ds T.-L.).
IV. Loc.
A. Loc. adv.
1. ca 1100
de meïsme «aussi, de la même manière» (
Roland, 592);
2. ca 1160
a meïsmes «à proximité, dans le voisinage» (
Eneas, éd. J. Salverda de Grave, 2423);
3. 1839
quand même «cependant, néanmoins» (
Stendhal, Chartreuse de Parme ds
Romans et nouvelles, éd. H. Martineau, t. 2, p.407: Si je meurs, ce sera en t'adorant
quand même...);
4. 1831
tout de même «en dépit de tout, néanmoins» (
Sue, loc. cit.).
B. Loc. prép.
1. ca 1160
a meïsmes de «près de» (
Eneas, 928:
A meïsmes de la cité);
ca 1195
a meimes + subst. (
Ambroise, Guerre sainte, éd. G. Paris, 10383: a meimes le lieu); 1269-78 (
Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 2035: ... car touz biens puisent
A meïsmes une fonteine);
2. 1176-81
estre a meïsmes de + inf., pron. ou adv. pronom. (
Chrétien de Troyes, Charrette, éd. M. Roques, 6727); 1306 (
Guillaume Guiart, Royaux lignages, éd. L. Delisle et N. de Wailly, 88).
C. Loc. conj.
1. a) av. 1514
de mesmes a «de même que, comme» (
Lemaire de Belges, Couronne Margaritique, IV, 63 ds
Hug.);
b)1606
tout de mesme que (
Nicot);
2. 1583-90
mesmes que «et même, bien plus» (
Brantôme, Cap. estr., Dom Pedro de Tolledo, II, 21 ds
Hug.), devenu pop. en fr. mod.;
3. 1671
quand même introduisant une prop. concessive au cond. (
Pomey:
Quand même je le voudrois, je ne le pourroie pas). Issu d'un lat. vulg.
*metĭpsimu comp. de la particule enclitique emphatique
-met servant à renforcer les pron. pers. (
egomet, nosmet...) et du dém. intensif
ipse (
ipsus). Celui-ci, en effet, dans un même but d'insistance, accompagnait fréq. en b. lat. le pron. pers. renforcé (
cf. Donat, Gramm., IV, 395, 10 ds
TLL s.v. ipse, 356, 70:
tautologia est ejusdem dictionis repetitio vitiosa ut ,,egomet ipse``):
nosmet ipsi, temet ipsum, v.
TLL, loc. cit., col. 357-359; de là, par rapprochement de
-met et de
ipse, le pron.
metipse (av. le V
es.
Didascaliae apostolorum ds
TLL s.v., v. aussi J.
Pirson ds
Mél. Wilmotte, p.509;
cf. aussi la forme renforcée
ipsismet ipsis III
e-IV
es. ds E.
Löfstedt, Syntactica, t.2, p.197), d'où l'a. prov.
medeps (fin X
es., forme occitane ds
Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 184, 255),
meseis (XI
e-XII
es.
eu mesis, Confession ds
Bartsch Prov., col. 23, 2);
aqui meseix (fin XII
e-début XIII
es.
Jaufre, éd. C. Brunel, 3097). Comme, par emphase également,
ipse s'employait dans la lang. vulg. au superl. (
ipsissimus «tout à fait lui-même», Plaute;
ipsimus, -a au sens de «patron, patronne», Pétrone, 63, 3:
ipsimi nostri; 69, 3 : [
ipsumam i.e. dominam] ds
TLL s.v. ipse, 344, 30
sqq), le lat. vulg. connut la forme
*metĭpsimu (v. aussi W.
von Wartburg, Problèmes et méthodes2, pp. 153-155). De celle-ci, prononcée
*metessimu (
cf. les formes
isse, issa ds
TLL s.v.), sont issus l'a. fr.
medesme, meesme et l'a. prov.
medesme (1
remoitié X
es.
Boèce ds
Bartsch Prov., col. 7, 11: Ella
medesma),
meesme (XI
es.
Evangile de St Jean, ibid., col. 12, 4). La forme a. fr.
meïsme peut être expliquée comme anal. du nomin. plur.
*metessimi, la dilation de
de la dés. ayant entravé l'ouverture du
ĭ
tonique en
é; F. de
La Chaussée,
Morphol. hist. de l'a. fr., §77, 2;
cf. le pron. a. fr.
is «même» (
ca 1175
en is l'ore, Benoît de Ste-
Maure, Chron. ducs de Norm., éd. C. Fahlin, 38423; var. de
es, régulièrement issu de
ipsu), anal. du plur.
ips, avec dilation maintenant le timbre
i de l'initiale, F. de
La Chaussée, op. cit., § 239 C d (G.
Millardet ds
Romania t.42, p.462,
R. Lang. rom. t.55, p.422 et t.61, p.6 [hyp. adoptée par
FEW t.4, p.809a] a expliqué
ĭpse devenu
ĭps sous l'infl. de
qu;
Pope, §836 et 850 attribue
ĭps (à l'origine des formes en
-is- par le même effet de dilation) à l'infl. conjuguée de
qu et du nomin. plur.). Les notions exprimées par
meesme en a. fr. (identité, insistance) sont le reflet des emplois de
ipse à basse époque; ce dernier, pron. intensif et adversatif [moi et non un autre] dans la lang. class., a, en effet, à partir de l'Empire, concurrencé puis tendu à remplacer le pron. d'identité
idem (
Vään., § 272),
cf. dès
Ennius, Ann., 14:
terra corpus quae dedit, ipsa capit; ainsi que 1
ers. Velleius Paterculus:
his ipsis... gladiis quibus...; id. Valère Maxime:
inter ipsum tempus quo... (
Lat. Gramm., Syntax und Stylistik, § 105, f, p.189; v. aussi
Löfstedt, p.65).