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ROULER, verbe
I. − Empl. intrans.
A. −
1. Être animé d'un mouvement de rotation qui entraîne une translation.
a)
α) [Le suj. désigne gén. un corps arrondi, plus ou moins sphérique ou cylindrique] Avancer, se déplacer en appui sur une surface, en tournant sur soi-même, sous l'effet d'une impulsion, de la pesanteur. Ballon, barrique, bille, boule de neige, cerceau, pelote, roue, tonneau qui roule; dé qui roule; pneu roulant à plat. Les galets, poussés et ramenés par les lames, roulaient avec un fracas assourdissant (Verne,Île myst., 1874, p. 43).
Proverbe. Pierre qui roule n'amasse pas mousse. V. amasser A 2.
[Avec compl. circ. désignant]
[la surface, le lieu] Rouler le long d'une pente, vers le fond d'un ravin; poulie qui roule sur un câble. Le hameau redevint silencieux. Il n'y avait plus que les feuilles mortes qui roulaient sur le chemin forestier (R. Bazin,Blé, 1907, p. 377).
[une partie de l'objet] On peut d'abord, à l'aide de fin papier de verre, arrondir quelques arêtes choisies (...). Ce dé roulera sur ses parties plus arrondies (Jeux et sports, 1967, p. 486).
[la cause du mouvement] Pierres qui roulent sous les pas, le pied. Il a fallu marcher le long des précipices par des bords escarpés, où nous sentions à chaque instant la terre et les cailloux roulant sous nos poids (Maine de Biran,Journal, 1816, p. 202).
Faire rouler qqc.Un vent du diable, hurlant à la mort. Il fit rouler un bidon jusqu'au bas du talus (Guèvremont,Survenant, 1945, p. 30).
En partic.
[Le suj. désigne des gouttes de liquide] Glisser en tournant. Une larme roulait sur sa belle joue, comme une goutte d'eau du Nil sur un pétale de nymphaea (Gautier,Rom. momie, 1858, p. 201).[Les] sourcils accordés à l'homme seulement pour que la sueur qui doit rouler de son front ne ruisselle pas jusqu'en ses yeux (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 378).
[Pour indiquer une altération de la voix] D'une voix où roulaient des larmes, stoïque cependant, il lui dit: « Je partirai, Bravida! » (A. Daudet,Tartarin de T., 1872, p. 44).
[Le suj. désigne une pers.] Tourner sur soi-même en étant allongé. La reine Bérénice, folle de joie, se traîna sur les mains jusqu'au fond, et roula parmi les coussins comme une chatte qui veut jouer (Louÿs,Aphrodite, 1896, p. 119).
Faire rouler qqc. entre ses doigts. Faire aller et venir en tournant. Noël Chérouvier fit rouler entre son pouce et son index quelques-uns des poils de sa barbe, ce qui produisit un petit bruit crépitant (Duhamel,Suzanne, 1941, p. 13).
Laisser, faire rouler sa tête. Tourner la tête d'un côté et de l'autre sur quelque chose. Parfois je pose ma plume, je laisse rouler ma tête contre le dur dossier (Mauriac,Nœud vip., 1932, p. 165).
β) P. anal.
[Le suj. désigne un astre ou, p. méton., le ciel] Décrire un mouvement circulaire en tournant sur soi-même. Pendant des milliers de siècles, le globe terrestre roula dans l'espace à l'état d'immense laboratoire chimique (Flammarion,Astron. pop., 1880, p. 98).V. harmonie ex. 2.[Dans une métaph.] Mmede Staël n'avait pas une parole plus svelte, plus rapide, plus splendide, plus variée que Rivarol; mais elle l'avait plus vive encore et plus ardente. En un mot, elle était plus tourbillon. Elle vous entraînait, elle vous forçait à rouler dans son orbite (Chênedollé,Journal, 1824, p. 127).
[Le suj. désigne un organe] Se déplacer en glissant. Ganglions qui roulent sous le doigt. Ralph était souple et dur; ses muscles roulaient sous les mains de Daniel (Sartre,Âge de raison, 1945, p. 271).Sa pomme d'Adam se met à rouler dans sa gorge comme une boule de naphtaline dans un vieux gilet de flanelle (Prévert,Paroles, 1946, p. 38).P. ext. [Pour indiquer la contracture des muscles] Se montrant du coin de l'œil les biceps gigantesques qui roulaient sur ses bras, ils se disaient (...): « C'est celui-là qui est fort! (...) » (A. Daudet,Tartarin de T., 1872, p. 14).
[Le suj. désigne une pers. (courte et ronde)] Avancer rapidement sans paraître lever les pieds. Rouler à pas rapides, comme une boule. Le petit père Vervelle roulait comme une pomme dans son parc, la fille serpentait comme une anguille (Balzac,P. Grassou, 1840, p. 457).Autour de lui, roulaient sur leurs jambettes douze petits Suisses, bambins joufflus (La Varende,Anne d'Autr., 1938, p. 203).
[Le suj. désigne un élément fluide]
Se déplacer en formant des tourbillons, des masses arrondies. Lames qui roulent sur la grève. Sur les routes blanches que le train coupe ou longe, une poussière crayeuse roule en tourbillons bas et poudre les buissons (Colette,Vagab., 1910, p. 261).D'épaisses masses de nuées noires roulaient dans le ciel bleu (Rolland,J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1450).[P. méton., le suj. désigne la mer] Être agitée par la houle. Il y avait du flot. La mer, roulant sous un vent rude et sur un fond déchirant, était sauvage (Hugo,Quatre-vingt-treize, 1874, p. 48).[Dans une métaph.] La moisson débordant le plateau diapré Roule, ondule et déferle au vent frais qui la berce (Heredia,Trophées, 1893, p. 141).[Le suj. désigne un cours d'eau, un liquide qui coule] S'écouler en tourbillonnant, avec plus ou moins d'agitation. Courant, torrent qui roule. Les flots qui roulent à ses pieds sont noirs et chargés d'immondices (Janin,Âne mort, 1829, p. 50).Le Rhin, fils altier des montagnes, S'élance, à gros bouillons, de leurs flancs tortueux: Une fertile écume inonde les campagnes: Il roule à flots majestueux (Chênedollé,Journal, 1833, p. 183).
γ) [Le suj. désigne gén. un animé; l'idée de chute prédomine] Tomber en roulant plus ou moins sur soi-même dans l'élan de la chute. Rouler à terre, par terre, sur le sol, dans la poussière, au bas de/dans l'escalier, dans un précipice, sous les pieds d'un cheval, à la renverse; envoyer rouler son adversaire. Je fus debout si vite, que ma chaise roula derrière moi (Maupass.,Contes et nouv., t. 2, Rois, 1887, p. 300).Il courait vers les fusils, entouré de bourdonnements pointus, invulnérables. Il roula, les deux jambes coupées (Malraux,Espoir, 1937, p. 488).
Boire, être ivre à rouler (sous la table, etc.). Ce vieux bandit de Négouko (...) se gavant d'eau-de-vie jusqu'à rouler sous sa chaise (A. Daudet,Port-Tarascon, 1890, p. 202).Deux heures après, le jour étant tombé, toute cette compagnie était ivre à rouler (Druon,Loi mâles, 1957, p. 160).
CHASSE. ,,S'il a été bien tiré, l'animal culbute cul par dessus tête. On dit qu'il a roulé ou qu'on l'a fait rouler`` (Duchartre 1973).
Au fig.
Tomber dans un état de déchéance, dans une situation dégradante, méprisable. Rouler très bas; rouler dans la galanterie. Le pire danger était qu'(...)il ne succombât désormais à la tentation de vendre une à une les autres parts, sur la pente de gaspillages et de sottises où il roulait (Zola,Fécondité, 1899, p. 574).Comment moi si fière ai-je pu rouler dans l'abîme de débauche adultère et de sensualité perverse et m'y complaire si longtemps? (Jouve,Paulina, 1925, p. 185).
Loc. Rouler/se laisser rouler dans la boue, la fange, le ruisseau. Si elle ne pouvait pas l'en retirer, elle se laisserait rouler avec lui dans la dernière fange pour l'avoir encore dans ses bras jusqu'à l'heure de mourir (Loti,Mon frère Yves, 1883, p. 230).Sa mère jolie encore et vaillante, lâchée par son père, puis reprise après s'être mariée à un autre, vivant entre les deux hommes qui la mangeaient, roulant avec eux au ruisseau, dans le vin, dans l'ordure (Zola,Germinal, 1885, p. 1171).
Se laisser aller complètement à un certain sentiment, un certain état; être entraîné dans une certaine situation. Je ne sais pas cependant si je ne préférais pas encore ces heures de moquerie à d'autres où il roulait dans un silence de torpeur (Bourget,Physiol. amour mod., 1890, p. 175).Avoir vingt ans, être roi, ah! quelle misère! Ne pas connaître l'impossible, rouler à l'ennui sans borne de la toute puissance, lorsqu'on voudrait lutter, et se passionner, et vivre! (Zola,Violaine, 1902, ii, 4, p. 566).
b) P. méton.
α) [Le suj. désigne un objet muni de roues, un véhicule] Se déplacer, circuler. Auto qui roule vite, à sa vitesse de croisière. Le cabriolet a tourné à gauche. Il roule dans l'avenue, sur une herbe épaisse, au seul bruit des ressorts (Châteaubriant,Lourdines, 1911, p. 114).Depuis que le vent souffle de l'est, on entend des trains rouler toute la journée dans la forêt de Spincourt (Romains,Hommes bonne vol., 1938, p. 6).
Faire rouler.V. hareng ex.
En partic. [En parlant d'un trottoir, d'un tapis roulant] Faire avancer grâce à des rouleaux qui tournent. J'ai passé (...) avec la Commission de l'Exposition, un contrat m'autorisant à faire rouler mon trottoir du Champ-de-Mars aux Invalides en passant par l'avenue de la Motte-Piquet (Courteline,Article 330, 1900, p. 272).
P. anal. Avancer rapidement, régulièrement, comme sur des roues. Les chevaux avaient voulu lutter avec leur compagne, et peu à peu, malgré les cavaliers, la horde avait accéléré l'allure. Elle roulait aux trousses d'Alban, par la plaine aromatique et chaude, dans le claquement des fers, le grondement des sabots (Montherl.,Bestiaires, 1926, p. 501).V. roulette A 1 a ex. de Barbusse.
β) [Le suj. désigne une pers., parfois une chose] Se déplacer, être transporté dans un véhicule. Rouler à cent à l'heure, à fond (de train). En dépit de son aversion pour les chemins de fer (...), le vieux gentilhomme aurait voulu être au fond d'un wagon et rouler vers Paris (Theuriet,Mariage Gérard, 1875, p. 186).Une heure après nous roulions au trot un peu sec du cheval du voiturier (Lorrain,Sens. et souv., 1895, p. 55).Les femmes au battoir, les gros paquets de linge bien gonflés roulant dans les brouettes (Péguy,V.-M., comte Hugo, 1910, p. 668).
Rouler à tombeau ouvert. Rouler très vite, au risque d'un grave accident. Je roulais à tombeau ouvert par des petits chemins pour éviter l'encombrement des grandes routes (Cendrars,Lotiss. ciel, 1949, p. 73).
[P. méton.] Vu des pavés dans une carrière de la forêt, ces grès de la forêt de Fontainebleau, sur lesquels roulent le luxe et les plaisirs de la capitale (Goncourt,Journal, 1865, p. 210).
[Avec compl. prép. désignant le type de véhicule] Rouler sur une bicyclette; rouler à bicyclette, en fiacre, en voiture. Elle en valait bien d'autres, qu'on voit rouler en carrosse avec de grands flandrins derrière (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 43).Les plus surprenantes intrigues enrichissaient en huit jours de petits aventuriers à peine démobilisés dont les femmes roulaient bientôt dans des Mercédès et des Rolls (Nizan,Conspir., 1938, p. 70).
[Avec subst. ou adj., ou n. propre à valeur adv.] Rouler carrosse; rouler moto. Les routes sont impossibles le dimanche, dit MmePlessis. À présent que tout le monde roule voiture! (Nizan,Conspir., 1938, p. 149).Rouler Bleu, c'est rouler Saviem car, depuis l'origine, tous les camions Saviem, de 3,5 à 38 T, sont livrés en Bleu (L'Express, 28 févr. 1977, p. 22, col. 1).
Au fig., fam.
Rouler carrosse. V. carrosse A 2.
Rouler sur l'or. V. or I C 1.Donne-moi seulement vingt-quatre heures de députation, et je vous fais tous rouler sur l'or, les diamants et les topazes! (Reybaud,J. Paturot, 1842, p. 400).
Rouler pour qqn.[P. allus. au slogan utilisé par les routiers: Je roule pour vous] Agir en faveur de, travailler pour quelqu'un, pour servir ses intérêts. Debré lui-même (...) s'est toujours défendu à bon droit de « rouler pour Giscard » (Le Point, 2 mars 1981, p. 49, col. 2).
2. [L'idée de rotation prédomine] Être animé d'un mouvement de rotation ou, par extension, d'un mouvement d'oscillation, de balancement.
a) Tourner sur soi-même, autour d'un axe. Du côté du bois R à travailler, est l'outil S qui n'est autre qu'une scie circulaire qui est mue par une poulie P. La scie S roule avec une grande vitesse et avance lentement (Nosban,Manuel menuisier, t. 2, 1857, p. 234).
P. méton.
[Le suj. désigne une machine comportant des rouleaux, en partic. une presse] Être en marche; imprimer. Pour la première fois depuis la retraite du vieux Séchard, on vit alors deux presses roulant dans ce vieil atelier (Balzac,Illus. perdues, 1843, p. 563).Le journaliste nous mène un soir à l'imprimerie (...). La machine roule, avale les feuilles, et les vomit, les courroies ronflent (Vallès,J. Vingtras, Enf., 1879, p. 358).
Faire rouler qqc.Le cours perpétuel des fleuves entretient notre commerce et fait rouler nos machines (Proudhon,Propriété, 1840, p. 226).
[Le suj. désigne une pers.] Faire marcher une presse. Rouler dur, c'est travailler fort (Momoro,Impr., 1793, p. 298).Nous pouvons rouler [pour la publication de l'Otage]. La réponse de mon ami Berthelot lève mes inquiétudes (Claudel,Corresp.[avec Gide], 1911, p. 167).
[Le suj. désigne les caractères d'impr.] Être utilisé. Si l'on a employé du caractère qui ne soit pas rigoureusement neuf, du caractère ayant roulé... (Valotaire,Typogr., 1930, p. 38).
En partic. Se mouvoir autour d'un axe, pivoter. L'un après l'autre, les contrevents roulaient sur leurs gonds (Estaunié,Vie secrète, 1908, p. 56).
b) [Le suj. désigne un navire] S'incliner alternativement d'un bord et de l'autre sous l'effet de la houle, du vent. Rouler bord sur bord, panne sur panne, terriblement. L'Étoile-des-Mers peu à peu s'était mis en travers de la houle et roulait assez durement (Peisson,Parti Liverpool, 1932, p. 189).[P. méton.; le suj. désigne les pers. embarquées] Le pauvre gamin durant des mois allait donc rouler sur les flots! (Flaub.,Cœur simple, 1877, p. 34).
P. anal.
[Le suj. désigne un véhicule] Être animé d'un balancement latéral. Voiture, wagon qui roule. Un aviateur, s'il se sent dévié en direction ou si l'avion « roule », (consulte l'horizon artificiel ou le conservateur de cap...) (Ruyer,Cybern., 1954, p. 87).
[Le suj. désigne une pers. (ivre), le corps] C'est encore le clubman (...) qui débarque dans la loge (...) le chapeau en arrière et roulant un peu pour avoir bu à dîner une bouteille de Léoville en trop (Bourget,Physiol. amour mod., 1890, p. 238).Nous continuons de marcher... Bien que son corps tangue et roule, comme un vieux bateau sur une forte mer, MlleRose semble, maintenant, respirer avec plus de facilité (Mirbeau,Journal femme ch., 1900, p. 59).
c) [Le suj. désigne une pers., certaines parties du corps, certains organes] Avoir un mouvement plus ou moins circulaire; aller de côté et d'autre, se balancer, balloter. Il se remit à la besogne, roulant sur ses hanches, abattant l'andain à chaque coup de faux (Zola,Terre, 1887, p. 243).L'autre crispe un maigre visage bilieux et torturé de tics, où roulent deux yeux jaunes (Vercel,Cap. Conan, 1934, p. 26).Ses yeux sont vitreux, je vois rouler, dans sa bouche, une masse sombre et rose (Sartre,Nausée, 1938, p. 149).
Faire rouler qqc.Il est couvert de sang. Il fait rouler son épaule; ça va, juste la peau écorchée (Giono,Gd troupeau, 1931, p. 253).
[Le suj. désigne un cavalier] Ne pas être stable sur sa selle. Fabrice se sentait tout à fait enivré (...) il roulait un peu sur sa selle (Stendhal,Chartreuse, 1839, p. 45).
3. [Sans idée de rotation; avec l'idée d'un mouvement continu, sans à-coups]
a) [Le suj. désigne une chose]
Rare. Circuler, passer de mains en mains. Après avoir roulé du Café de la Paix chez tous les fonctionnaires, le Constitutionnel, principal organe du libéralisme, revenait à Rigou le septième jour, car l'abonnement (...) était supporté par vingt personnes (Balzac,Paysans, 1844, p. 151).
Au fig. Être colporté. Je me doutais bien de l'exagération des rapports sur Issoudun qui nous étaient parvenus. Il en est ainsi de toutes les nouvelles, véritables cancans politiques, qui grossissent en roulant par le monde (Sand,Corresp., t. 1, 1830, p. 110).
Cour. [Le suj. désigne de l'argent] Circuler, être employé sans cesse. Anton. dormir.N'ai-je pas entendu dire ce soir à ce jeune écervelé que si l'argent était rond c'était pour rouler! S'il est rond pour les gens prodigues, il est plat pour les gens économes qui l'empilent (Balzac,Mais. chat, 1830, p. 43).Les diverses pièces d'or n'étaient pas habituellement utilisées dans les mêmes zones du monde. La livre sterling roulait partout (Perroux,Écon. XXes., 1964, p. 133).
b) [Le suj. désigne une pers.] Aller d'un lieu à l'autre, errer sans but; voyager continuellement et, p. ext., connaître de nombreuses expériences. Rouler de café en café; rouler à travers le monde, dans les provinces. Les gens qui ont beaucoup roulé dans la vie et dans des positions subalternes sont effacés et comme usés d'aspect et de manières (Goncourt,Journal, 1960, p. 855).V. désert ex. 15:
1. Ses études achevées, déprisées, reconnues presque vaines (...), il [Descartes] roule çà et là par l'Europe, se lavant l'esprit dans les voyages, dans les mouvements d'une guerre de ce temps-là... Valéry,Variété II, 1929, p. 15.
En partic. Changer sans cesse de lieu de travail, d'employeur. Ivrogne incapable d'une besogne suivie, il avait ainsi roulé d'atelier en atelier (...) se faisant chasser de partout, s'en allant lui-même en des coups de tête imbéciles (Zola,Travail, t. 2, 1901, p. 248).
Proverbe. Pierre qui roule n'amasse pas mousse. V. supra I A 1 a α.
Au fig. [Le suj. désigne une femme] Changer sans cesse de partenaire amoureux. Rouler d'amant en amant. Mais, c'est qu'elle m'irait comme un gant, cette jolie femme-là; c'est fin, c'est distingué, c'est jeune, ça n'a pas roulé (Bourget,Physiol. amour mod., 1890, p. 151).Les autres femmes qu'il a connues avaient « beaucoup roulé », comme on dit, mais de ce passé pesant, leur amour pour Marcel les avait délivrées (Mauriac,Ce qui était perdu, 1930, p. 55).
c) [Le suj. désigne une période de la vie] Se passer dans tel(s) lieu(x). Cette période de ma vie (1815-1825) (...) a roulé dans un rayon étroit, entre le Marais et le Jardin des Plantes, Bicêtre, Vincennes, le Père-Lachaise (Michelet,Journal, 1834, p. 120).Cette pauvre masure de bois (...) où avait roulé son enfance (Hugo,Homme qui rit, t. 3, 1869, p. 196).
B. − [P. réf. au bruit produit par ce qui roule]
1. [Le suj. désigne un son sourd, continu, caractérisé par des vibrations, des oscillations] Se faire entendre, se prolonger dans l'espace. Clameur, cri, grondement, canonnade, bombardement, rire qui roule; rouler d'écho en écho, de salle en salle. La foule, à ce mot de justice, secouée d'un long frisson, éclata en applaudissements, qui roulaient avec un bruit de feuilles sèches (Zola,Germinal, 1885, p. 1378).Soudain, sur la route, un bourdonnement s'éveilla, grossit, roula vers nous, et les murs se mirent à trembler... Les camions (Dorgelès,Croix de bois, 1919, p. 21).
Faire rouler qqc.[Dans une métaph.] Les fleurs et les fruits et le cristal répandus sur les nappes, les peaux nacrées (...) et les harmonies aériennes, tout joue ensemble et se répond, fait rouler des accords et des gammes qui montent sans cesse et redescendent d'un bout à l'autre du clavier (Faure,Hist. art, 1914, p. 454).
[Le suj. désigne le tonnerre (p. méton. l'orage)] Orage qui roule au loin. Chaque fois les éclairs étaient plus vifs; le tonnerre roulait mieux (Romains,Hommes bonne vol., 1932, p. 166).Le tonnerre s'est remis en train. Il met tout son magasin de tôles à feu et à sang. Ça roule comme un express (Giono,Gds chemins, 1951, p. 242).
[Le suj. désigne des sons émis par une pers., un animal] Vibrer. Tartarin de Tarascon (...), la narine frémissante, disait par trois fois d'une voix formidable, qui roulait comme un coup de tonnerre dans les entrailles du piano: « Non!... non!... non!... » (A. Daudet,Tartarin de T., 1872, p. 11).Ce ballet des chats dure depuis ce matin, sous mes fenêtres. Aucun cri, sauf le « rrr... » dur et harmonieux qui roule par moments dans la gorge des matous (Colette,Mais. Cl., 1922, p. 247).
En partic. R qui roule. R prononcé en faisant battre la langue. Les r, dans sa bouche, roulaient comme des chariots (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Marroca, 1882, p. 788).[P. méton.] Elle appela: − Aurore! Sa voix roula comme un cri de pigeon (Giono,Que ma joie demeure, 1935, p. 454).
2. [Le suj. désigne une chose] Produire un tel son. Entendre le canon rouler. Chaque bataillon se mit à défiler l'un après l'autre dans la nuit, (...) on entendit les pas rouler sur les deux ponts (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 26).Une grosse pluie mêlée de grêle (...) fouettait les carreaux et roulait sur les toits comme un bruit de torrent (Carco,Vérotchka, 1923, p. 89).
[Le suj. désigne le tambour (frappé à coups de baguettes rapides et réguliers)] Dehors, les tambours roulaient continûment, et on entendait, au-dessus de leur trame sombre et lourde, ce bruit qui chavire une jeune âme impériale: les sabots des chevaux sur le pavé des villes (Montherl.,Bestiaires, 1926, p. 478).
C. − P. métaph. ou au fig. (supra I A 1 a α et b β)
1. [Idée de mouvement circulaire]
a) [Le suj. désigne des pensées, ou leur expression] Rouler dans la tête, dans l'esprit de qqn; lui rouler dans la tête. Être présent à l'esprit d'une manière obsédante et parfois confuse. L'air du Comte Ory me roule sans cesse dans la tête. Je l'ai entendu l'autre jour au piano; maintenant je ne puis m'en distraire (Delacroix,Journal, 1854, p. 301).Ses idées roulaient dans sa tête, informes, en un désordre où sonnaient encore les phrases juridiques du conseiller (Châteaubriant,Lourdines, 1911, p. 107).
Rouler dans le/un cercle + déterm. Ne pas sortir de certains sujets. La conversation, qui jusqu'alors avait roulé dans le cercle vicieux des courses et des chevaux (...) menaçait de devenir intime (Balzac,Cous. Bette, 1846, p. 372).
[P. méton.] La conséquence (...) serait de se tuer. Mais Oberman (...) ne se tue pas non plus; il continue de rouler indéfiniment dans le même cercle aride et désenchanté (Sainte-Beuve,Chateaubr., t. 1, 1860, p. 342).Parlant du cercle étroit où roulent toutes ces cervelles du Jockey, « les vins, les danseuses d'Opéra et les chevaux » (Goncourt,Journal, 1861, p. 900).
b) Rouler sur (ce qui représente un centre, un pivot)
α) Rouler sur qqc.Avoir quelque chose pour base, reposer sur quelque chose. Ils n'étaient pas revenus de leur voyage de noces (...) que leur existence roulait déjà sur cette convention de silence qui fait la base des ménages posés à faux (Bourget,Cosmopolis, 1893, p. 280):
2. ... nous allons examiner cette question du paiement de Defraisse, et, si je n'avais pas retrouvé mon papier, tout aurait roulé sur onze mille que j'aurais en poche, quand c'est six mille! Comme si c'était la même chose, de débourser cinq mille francs quand on en a onze mille, ou quand on en a six! Montherl.,Célibataires, 1934, p. 793.
[Le suj. désigne des idées, une conversation, une étude] Avoir pour thème, pour centre d'intérêt. Sur quoi roule ce sixième livre de l'épopée nationale [l'Éneide]? Sur la religion, sur Dieu, sur la vie future (P. Leroux,Humanité, 1840, p. 304).La conversation roulait maintenant sur l'Antigone d'Anouilh (Vailland,Drôle de jeu, 1945, p. 111).
[P. méton.] Grandville a roulé pendant une grande partie de son existence sur l'idée générale de l'Analogie (Baudel.,Curios. esthét., 1857, p. 197).
β) Rouler sur qqn.Dépendre de quelqu'un, reposer entièrement sur quelqu'un. L'Almanach des Bergers devait être bien fini avant le premier janvier; mais Cérizet, sur qui roulait toute la composition, y mettait une lenteur (...) désespérante (Balzac,Illus. perdues, 1843, p. 558).Joubert, avec sa division, a été comme le centre et le noyau de Rivoli, (...) il a porté le premier poids de l'affaire, (...) elle a roulé longtemps sur lui (Sainte-Beuve,Caus. lundi, t. 15, 1861, p. 170).
c) Assurer un service à tour de rôle. (Dict. xixeet xxes.).
2. [Idée de mouvement continu]
a) Se suivre, s'enchaîner, continuer sans arrêt, sans temps mort.
[Le suj. désigne des actes, des événements] − Ce pauvre Léon! disait Charles, comment va-t-il vivre à Paris! (...) − Allons donc! dit le pharmacien (...) les parties fines chez le traiteur, les bals masqués! le champagne! tout cela va rouler, je vous assure. − Je ne crois pas qu'il se dérange, objecta Bovary (Flaub.,MmeBovary, t. 1, 1857, p. 139).
[Le suj. désigne une intrigue] Le Chœur: Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul. C'est cela qui est commode dans la tragédie, on donne le petit coup de pouce pour que cela démarre (...). Après, on n'a plus qu'à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul (Anouilh,Antig., 1946, p. 165).
[Le suj. désigne des paroles, un discours] Par exemple, une fois deux rimes désembourbées, ma chanson roule toute seule jusqu'au bout de son chemin (Fabre,Barnabé, 1875, p. 97).Monsieur le curé est dans ses bons jours. Ça marche. Il parle bien, possède tous ses moyens et les mots huilés roulent, sans accrocs (Renard,Lanterne sourde, 1893, p. 270).
Rouler de qqc. en qqc.La conversation, partie sur le chapitre femmes, roula d'anecdotes en souvenirs et de souvenirs en vanteries jusqu'aux confidences indiscrètes (Maupass.,Fort comme la mort, 1889, p. 109).
b) Arg. Parler beaucoup (de quelque chose); parler (en telle langue). Le seul [des deux Algériens] qui roulait en rital ne lui avait encore [à l'Italien] rien expliqué (Le Breton,Rififi, 1953, p. 88).Le vieux La Glisse (...) passait des heures (...) à lui tenir la jactance, à rouler sur des trucs qui n'intéressaient qu'eux (Simonin,Touchez pas au grisbi, 1953, p. 178).
c) Fam. [Le suj. désigne des affaires, des entreprises hum.] Aller bien, réussir. Synon. marcher, aller comme sur des roulettes (v. roulette).Il m'a dit (...) qu'il avait vu dans l'écurie deux animaux, d'où je conclus que le métier roule. Tant mieux, mes chers enfants (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 8).
[Avec compl. prép.] Aller, être mené (de telle façon). La considération qui s'attache à un client dont la maison roule sur un joli train de dépense (Reybaud,J. Paturot, 1842, p. 160).
Ça roule, tout roule (sur des billes, dans l'huile). Synon. ça marche, ça baigne.En douce je manœuvre; ça roule; je possède ma majorité au Conseil; le vieux saute (Arnoux,Paris, 1939, p. 41).Tiens, mais c'est Maillard! Sacré Maillard! Ça roule toujours? (Aymé,Tête autres, 1952, p. 228).
II. − Empl. trans.
A. − [Corresp. à supra I A, le compl. d'obj. peut corresp. au suj. de l'empl. intrans., le verbe a alors une valeur factitive]
1. Faire avancer par un mouvement de rotation.
a)
α) Déplacer quelque chose en le faisant tourner sur lui-même, lancer, pousser quelque chose pour qu'il roule. Rouler un tonneau. Le souffle des vents roule les débris des roses « sur les gazons qui en sont un moment embellis » (Chênedollé,Journal, 1811, p. 63).
[P. réf. au mythe de Sisyphe] La conscience tenace de son génie lui laissait un espoir indestructible, même pendant les plus longues crises d'abattement. Il souffrait comme un damné roulant l'éternelle roche qui retombait et l'écrasait; mais l'avenir lui restait, la certitude de la soulever de ses deux poings, un jour, et de la lancer dans les étoiles (Zola,L'Œuvre, 1886, p. 256).
Rouler les dés. Lancer les dés. Parfois, les cornets de passe-dix roulaient des dés sur des enjeux capables d'affamer des provinces (Villiers de L'I.-A.,Contes cruels, 1883, p. 260).Absol. Jouer aux dés. La partie [aux dés] était chaude, les hommes roulaient à dix sacs, départ! (Pt Simonin ill., 1957, p. 255).[P. méton.] Jouer (à tel jeu de dés). Suzanne et Marco qui [dans le bar] roulaient un 421 (Simonin,Touchez pas au grisbi, 1953, p. 48).
En partic.
Littér. Rouler des larmes. Pleurer. J'ai le pressentiment de quelque malheur pour toi dans cette maison, dit la mère d'une voix altérée et en roulant des larmes (Balzac,Béatrix, 1839, p. 63).Levant au plafond ses beaux yeux qui roulaient une larme (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 77).
Rouler qqc. entre ses doigts; doigts qui roulent qqc. Faire aller et venir en tournant entre les doigts; p. ext., faire passer dans un mouvement circulaire. Leurs doigts roulaient de gros chapelets, ils récitaient des litanies (Vogüé,Morts, 1899, p. 392).MrsÉdith passait dans la Cour du Téméraire, (...) roulant entre ses jolis doigts fuselés une rose éclatante (G. Leroux,Parfum, 1908, p. 79).V. ambre2ex. 4.
Rouler qqc. dans sa bouche, sur sa langue. Faire aller et venir. Rouler la nourriture dans sa bouche. Quand on lui apporta le verre pour goûter le moût, il ne fit que le sentir (...). Autrefois (...), il en prenait une lampée, la roulait longuement sur sa langue, et se plaisait à en prédire la qualité (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p. 103).P. métaph. Puissant, oui, c'était le mot que sans cesse, je roulais sur ma langue, je rêvais du pouvoir absolu (Camus,Exil et Roy., 1957, p. 1579).
[Le suj. désigne de l'eau en mouvement] Entraîner quelque chose en faisant tourner, tournoyer. Blocs de roches roulés par des torrents. Le retrait de la vague énorme qui m'avait vomi sur le sable roulait le sable avec moi (Valéry,Variété III, 1936, p. 240).[Dans une métaph.] Alors commença une existence trouble qui le roula au hasard, dans un flot d'aventures à la fois étranges et vulgaires (Zola,J. Damour, 1884, p. 332).V. coulage ex. 2.
[Le suj. désigne une pers., le compl. d'obj. désigne une partie de la pers.]
[Équivaut à se rouler] Les quatre chiens de Sabine y bâillaient au soleil [sur une prairie], attendant peut-être qu'elle y vînt rouler avec eux l'impudence de son corps fantasque (Toulet,J. fille verte, 1918, p. 126).
Rouler sa tête. La faire rouler. Un instant, il dut avoir le désir brutal de la prendre, de rouler sa tête entre les deux seins qu'elle étalait (Zola,Germinal, 1885, p. 1304).Empl. pronom. réfl. indir. La tante Olympe dénouait sa chevelure, s'agenouillait devant le canapé, s'y roulait la tête jusqu'à devenir chauve (Cocteau,Crit. indir., 1932, p. 6).
Loc. fig., fam. Rouler sa bosse. Voyager beaucoup; p. méton., connaître de nombreuses expériences. Quand je pense d'où nous sommes partis, tous les métiers à travers lesquels on a roulé sa bosse (A. Daudet,Nabab, 1877, p. 110).Douze ans j'ai roulé ma bosse et risqué ma peau là-bas, dans des pays que je ne puis oublier (Mille,Barnavaux, 1908, p. 296).Var. Rouler sa misère, sa déchéance. Et partout, à présent, le Pança sur le monde A si soigneusement roulé sa panse ronde Qu'à présent, partout, tout est plat! (Rostand,Musardises, 1890, p. 287).Il avait quitté la robe, roulé par les chemins la tare du religieux défroqué (Zola,Vérité, 1902, p. 258).
Rare, vulg. Rouler ses fesses. Connaître de nombreuses aventures amoureuses. Soudain une expression vulgaire, amère, comme un mégot craché: « Ah! dit-elle, les hommes, vous ne savez pas ce que c'est que d'avoir roulé ses fesses... » (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 311).
β) P. anal.
[Le compl. d'obj. désigne un astre] V. ambassadeur ex. 16.
[Le compl. d'obj. désigne un élément fluide (nuages, vagues)] Un vent impétueux sorti du couchant, roule les nuages sur les nuages (Chateaubr., Œuvres compl., t. 16, Atala, Paris, Ladvocat, 1826 [1805], p. 68).
[Le suj. désigne la mer, un cours d'eau, etc., le compl. d'obj. un composant de celui-ci] Qu'elle est sinistre, la mer qui roule dans ce golfe ses lames vertes et brouillées! (Bourget,Ét. angl., 1888, p. 170).[Dans une métaph.] La campagne silencieuse Roulait ses vagues de blé mûr (Lorrain,Modern., 1885, p. 75).
Rouler ses eaux, ses flots , des eaux + déterm. S'écouler, écouler. Le Vésuve était en pleine éruption. Pendant le jour, la lave roulait ses flots noirs du côté de l'Annonziata et de Pompéie (Quinet,All. et Ital., 1836, p. 198).Certaines nuits d'été la Seine roule à Paris pour moitié des eaux d'égouts (Belorgey,Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 384).[Dans une métaph.] Sa colère creva, roula son flot comme à la brèche d'une digue rompue (Genevoix,Raboliot, 1925, p. 154).
[Le suj. désigne un contenant] Charrier. Ses veines, à cette seule idée, lui paraissaient rouler une liqueur enivrante et brûlante (Bourget,Crime am., 1886, p. 91).
[Le suj. désigne une pers. petite et ronde; le compl. d'obj. désigne le corps] Madame de Chalais (...) arrive en roulant vers nous son petit corps gras (Gyp,Souv. pte fille, 1928, p. 171).
γ) [Le compl. d'obj. désigne un animé] Faire tomber quelqu'un, jeter quelqu'un à terre et le faire tourner sur lui-même. Le désolé catholique avait eu souvent de ces pensées qui le roulaient par terre, rugissant, épileptique (Bloy,Désesp., 1886, p. 75).Je n'avais pas fait cent mètres vers la crête, que j'ai été roulé par un obus qui a éclaté tout près (Romains,Hommes bonne vol., 1938, p. 17).[Dans une lutte] Deux hommes noirs s'étaient acharnés après Jean. − Lui était plus fort qu'eux; il les roulait et les chavirait avec rage (Loti,Spahi, 1881, p. 358).
P. ext., vieilli. Battre, rosser. Le blessé remua (...). Alors s'éparpilla comme un concert où des voix de colère se mêlaient à des voix compatissantes (...) « (...) Tâche de parler, de nous dire qui t'a roulé ainsi? » (L. Hennique,Soir. Médan, Affaire Gd 7, 1880, p. 237).
Au fig., vieilli. L'emporter sur quelqu'un. Paul [Vallagnosc] (...) était un fort en thème, toujours premier (...) tandis qu'Octave [Mouret] pourrissait parmi les cancres (...). − Voyons, demanda Mouret, que deviens-tu? (...) Et qu'est-ce que tu gagnes? (...) − Trois mille francs. − Mais c'est une pitié! (...) Comment! un garçon si fort, qui nous roulait tous! (Zola,Bonh. dames, 1883, p. 449).
CHASSE. Tuer net un animal qui alors culbute. Un lièvre (...) court vite. Mais si votre chien garde bien la voie, qu'est-ce que ça peut vous fiche? Vous fumez tranquillement votre pipe à l'endroit précis où vous n'aurez qu'à serrer la détente, le moment venu, pour rouler votre bête (Bernanos,Crime, 1935, p. 846).
Au fig. Rouler dans la boue. Faire tomber dans un état de déchéance. Un beau soir, la faim la roula dans la boue des priapées; elle s'y étendit de tout son long (Huysmans,Marthe, 1876, p. 28).
Loc. Rouler la pente. Tomber dans un état de déchéance. Abjection congénitale du cœur qui s'obstine à être comme perdu parmi les choses. À chaque instant, de mon plein gré, rouler la pente qui conduit à être n'importe quoi (J. Bousquet,Trad. du sil., 1936, p. 111).
δ) Rouler qqn/qqc. dans qqc. (pour obtenir un certain résultat).
CUIS. Tourner et retourner, faire rouler un aliment dans une substance poudreuse pour l'en recouvrir complètement. Rouler des croquettes, des sardines dans la farine. Table chargée de cerfs, de sangliers, de grues, d'oies sauvages et de paons roulés dans le poivre (A. France,Contes Tournebroche, Gab Olivier, 1908, p. 4).Pané: roulé dans de la chapelure (ou râpure de pain) ou dans toutes autres substances réduites en poudre (Gdes heures cuis. fr.,Éluard-Valette,1964,p. 245).
Au fig.
Rouler qqn dans la farine (de qqc.). Essayer de tromper quelqu'un (de telle façon), de le mener à sa guise, user de finesse. Cependant qu'il me roulait dans la farine grise de ses protestations et de ses mensonges, je l'imaginais dans le rôle de Tartufe (L. Daudet,Temps Judas, 1920, p. 127).Var. Si j'avais seulement cent mille francs nets pour me présenter à la députation dans mon beau pays de Rouen, pour rouler dans la pâte de leur grosse malice mes braves Normands, finauds et lourdauds, quel homme d'État je ferais (Maupass.,Bel-Ami, 1885, p. 293).Robert d'Artois (...) eut vite fait de rouler comme poisson en pâte ce compétiteur possible (Druon,Lis et lion, 1960, p. 90).
Absol., fam. Rouler qqn.Tromper, voler. Synon. fam. avoir, posséder, berner.Je déteste qu'on me roule; mais ce que je dois, je le paie (Mauriac,Nœud vip., 1932, p. 99).On chuchotait qu'il y avait eu une femme dans sa vie, une femme qui l'avait roulé, grugé, trahi, une créature de police qui l'avait donné et fait épingler (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 69).V. enfariner A 3 ex. de Druon.[Avec compl. prép. indiquant le domaine d'action, la nature du profit] Il paraît que Crès a aussi essayé de la rouler un peu quant aux droits d'auteur (Léautaud,Journal littér., 3, 1915, p. 213).Le fermier qui nous avait sous-loué ces deux hectares n'avait pas le droit de le faire sans le consentement du propriétaire. Lequel n'était pas au courant des tractations (...). Nous voilà donc roulés de deux hectares (Debatisse,Révol. silenc., 1963, p. 57).
Se faire, se laisser rouler (par qqn).[Le Nabab] se serait quand même montré d'une rude bonhomie (...), seulement, il aurait conservé des reins solides, et ne se serait pas laissé « rouler » comme un petit garçon (Zola,Romanc. natur., A. Daudet, 1881, p. 260).Si tu ne m'avais pas eue, tu te serais fait rouler par tout le monde (Queneau,Pierrot, 1942, p. 33).
Rouler qqn dans la boue, la fange. Couvrir d'opprobre, calomnier. Après avoir pris le ministre en flagrant délit de mauvaise foi, il le renversa (...) et le roula dans la fange (Balzac,Z. Marcas, 1840, p. 420).Les deux colonels ennemis lavaient tranquillement leur linge sale, vidaient une ancienne rancune, on ne sait quelle affaire de femme, (...) l'abbé Bredouille, directeur de la Voix de Saint-Mihiel (...), sous couleur de dire leur fait aux institutions qui nous régissent, roula les deux colonels dans la boue en un Premier Saint-Mihiel qui fit sensation (Courteline,Train 8 h 47, 1888, p. 227).
b) P. méton.
α) Faire avancer un véhicule, un objet muni de roues; dans les mines, pousser un wagon de minerai. Rouler un canon, une berline; rouler une brouette. Sa venue me causait une vive joie, parce qu'elle apportait des changements dans la maison (...). On roulait mon lit dans le petit cabinet des roses, et j'exultais (A. France,Pt Pierre, 1918, p. 124).Le minerai est chargé à la pelle dans des wagonnets. Ceux-ci sont roulés à la main jusqu'à la gare la plus proche (Stocker,Sel, 1949, p. 49).Absol. Voilà qu'il perdait une de ses herscheuses (...). S'ils n'avaient plus que Catherine pour rouler, la besogne allait souffrir (Zola,Germinal, 1885, p. 1156).V. galibot ex. de Zola.
Expr., CYCL. Rouler la caisse, la rouler. ,,Faire tourner la machine, pédaler, avancer à vive allure en entraînant le peloton derrière soi`` (Esn. 1966). Oui, c'est sur les incomparables routes de France, en « roulant la caisse, » que nos as ont tous démontré leur valeur (L'Auto, 5 déc. 1933, p. 4 ds Grubb Sports 1937, p. 65).Les coureurs avaient quitté le camp de la Celle-Saint-Cloud et « la » roulaient comme il convient (Match,12 mars 1935,ds Grubb Sports 1937, p. 65).Rouler le train. ,,Suivre les concurrents`` (Carabelli, [Lang. sportif], s.d.).
β) Transporter quelqu'un, quelque chose dans un véhicule, un objet muni de roues. Le boulanger cuisant la nuit, roulant le jour ses pains dans sa camionnette (Genevoix,Raboliot, 1925, p. 316).[Le suj. désigne le véhicule] Ils n'avaient qu'à monter dans le wagon dont on leur avait désigné le numéro. Et, en cinq minutes, le régiment disparut dans ces petites cases noires et brunes qui allaient rouler deux mille hommes jusqu'à la frontière (Benjamin,Gaspard, 1915, p. 20).
Se faire rouler.Dès le matin il se faisait rouler entre la cheminée de sa chambre et la porte de son cabinet, sans doute plein d'or (Balzac,E. Grandet, 1834, p. 222).
c) P. méton., AGRIC. [L'obj. désigne ce sur quoi on roule qqc.] Passer le rouleau sur un champ, sur des semis, etc. Rouler les avoines, les pâturages, une prairie, le gazon. Quand on est obligé de rouler ses terres avant l'hiver, (...) on risque de laisser une terre trop unie en surface et plus sujette aux soulèvements par les gelées (Ballu,Mach. agric., 1933, p. 174).Absol. Je te voyais herser, rouler, faucher parfois (Verlaine, Œuvres compl., t. 2, Amour, 1888, p. 97).
2. Donner un mouvement de rotation, de balancement à quelque chose.
a) Faire tourner un objet. Gloire soit à la sainte mère de Dieu! ajouta en roulant son fuseau une vieille (Hugo,Han d'Isl., 1823, p. 227).
b) [Le suj. désigne un bateau, un objet flottant, le compl. d'obj. un composant ou un contenu de ceux-ci] Donner un mouvement de roulis. La nuit, lorsqu'on l'avait remis aux fers, et que le gros temps le roulait entre ses deux voisins, il se sentait lâche, il pleurait (Zola,Ventre Paris, 1873, p. 685).L'eau morte clapotait. Les dos arrondis des chalands, les coffres ventrus des pontons (...) roulaient lourdement leur masse plongeante (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 253).
c) Donner un mouvement plus ou moins circulaire, un mouvement de balancement à une partie du corps, à un organe. Rouler les hanches, les reins, la taille, le torse; rouler des yeux furibonds, terribles, tendres, d'épouvante; rouler la prunelle. Il marcha d'abord de long en large, à grands pas, gardant le volume ouvert entre ses doigts, roulant les yeux, suffoqué, tuméfié, apoplectique (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 96).Il roulait doucement l'une dans l'autre ses mains grassouillettes, comme s'il les eût savonnées (Martin du G.,Thib., Pénitenc., 1922, p. 689).
Rouler les/des épaules (souvent pour chercher à impressionner quelqu'un). Synon. rouler les/des mécaniques (v. mécanique II C 3).C'était (...) le départ des charbonniers pour le travail, roulant des épaules, embarrassés de leurs bras (Zola,Germinal, 1885, p. 1151).Il serre la boucle de son pantalon en roulant les épaules, du geste canaille dont il affronte un rival, au seuil de l'estaminet (Bernanos,M. Ouine, 1943, p. 1456).
Loc. pop. Rouler un patin*, une pelle*, une saucisse*.
3. [Avec l'idée de mouvement continu]
a) [Le compl. d'obj. désigne un lieu] Se déplacer sans cesse d'un lieu à l'autre, parcourir un lieu en tous sens, voyager sans cesse. Synon. courir.Rouler le monde, la province, la campagne; rouler les cabarets, les cafés. Au fond de chaque homme, il y a toujours un sauvage caché qui veille, − chez nous surtout qui avons roulé la mer (Loti,Mon frère Yves, 1883, p. 204).Ce qui m'a surtout servi (...) ce sont mes souvenirs du siège et de la garde nationale, le bataillon ouvrier avec lequel j'ai roulé Paris et la banlieue quatre mois durant (A. Daudet,Trente ans Paris, 1888, p. 276).
[Le suj. désigne un bateau] Toucher successivement de nombreux ports. Embarqué d'urgence sur le transport la Moselle qui va rouler les ports du Nord (Loti,Journal, 1878-81, p. 25).
[Le suj. désigne une chose] Au fig. Être colporté. Connu, tout ça! (...) Des trucs usés qui roulent tous les bureaux de Paris depuis trois semaines (Duhamel,Confess. min., 1920, p. 131).
b) Rouler sa vie/une vie + déterm.Passer sa vie de telle façon. Rouler doucement sa vie, passer sa vie dans une fortune médiocre. Rouler sa vie comme on peut, mener une vie assez pauvre, assez malheureuse (Littré). Brauwer, Van Ostade, les premiers peintres vagabonds (...) roulaient une vie candide dans les mauvais lieux et les auberges où ils payaient l'écot en peignant une enseigne (Faure,Hist. art, 1921, p. 55).
B. − [Corresp. à supra I B]
1. Produire des sons sourds, vibrants, prolongés. Rouler des plaintes; l'orgue, l'ouragan roule son tonnerre. Tantôt sa voix grave et sévère Gourmande le torrent des esprits révoltés, Ou, bruyante comme un tonnerre, Roule une Marseillaise aux faubourgs irrités (Barbier,Ïambes, 1840, p. 7):
3. Puis tombent brusquement, de l'église toute proche, les rafales de l'Angélus. Quand le dernier coup finit de rouler à travers la vallée son tonnerre, le ciel tremble encore et met longtemps à s'apaiser. Bernanos,Crime, 1935, p. 795.
En partic. [Le suj. désigne un instrument de mus.] Faire entendre des notes liées; faire entendre une note de manière continue. Pendant 25 mesures (...) [la timbale] roule obstinément, sempre pp la note si bémol (...) [Adagio IVeSymphonie] (Prod'homme,Symph. Beethoven, 1921, p. 151).Le violoncelle roule sourdement les premières notes du thème principal (Marliave,Quat. Beethoven, 1925, p. 115).
Rouler les r. Articuler les r en faisant vibrer la pointe de la langue contre les dents, les alvéoles. V. la lettre R A 2 b ex. de Audiberti et Sauss. 1916.
P. anal. C'est moi qui m'occupe des moutons (...) C'est moi qui roule les « prrr... ma guéline [jeune brebis]! » pour les empêcher de toucher à l'avoine (Colette,Cl. école, 1900, p. 245).
2. Fam. Rouler la caisse/de la caisse. Jouer du tambour. Il y a toujours eu, place d'Italie et sur les terres-pleins avoisinants des chanteurs ambulants et des hercules tatoués qui roulent la caisse (Arnoux,Paris, 1939, p. 202).La musique, moi (...) je m'en tamponne. Pas plus capable de sonner de la trompe que de rouler de la caisse (Arnoux,Solde, 1958, p. 53).
C. − [Corresp. à supra I C] Au fig. Examiner longuement des idées, des pensées, tourner et retourner dans son esprit. Rouler un projet (dans son esprit, dans son crâne, en soi-même). Je roulais dans ma tête une foule de phrases, de protestations, d'apostrophes passionnées, qui formaient un cauchemar pénible (Toepffer,Nouv. genev., 1839, p. 156).(Léon envisageait, sans réagir, les hypothèses les plus humiliantes.) Il roulait tout cela, quand un malaise se forma en lui (Montherl.,Célibataires, 1934, p. 887).
[P. méton.] Je n'étais pas loin d'admettre, tant mon cerveau roulait de scrupules, de curiosités et d'inquiétudes, que ma tante et Olivier avaient raison en me supposant amoureux, mais de qui? (Fromentin,Dominique, 1863, p. 82).
D. − P. méton.
1. Donner une forme sphérique ou cylindrique à quelque chose en le faisant rouler et en le modelant, en le comprimant. Rouler son mouchoir dans ses mains. Il tira de sa poche une cigarette, l'ouvrit, souffla la feuille légère, roula le tabac blond entre ses paumes, et du bout des doigts, le glissa soigneusement sous sa langue (Bernanos,Joie, 1929, p. 650).
Rouler qqc. en (forme de) + subst. D'un geste nerveux Maria ramassa les papiers qui traînaient sur la table et les roula en boule (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 324).
[Le compl. d'obj. désigne la forme, l'objet obtenu(e)] Rouler des boulettes de mie de pain, des boules de neige. Roulant sur la table des boudins de terre, il [Rodin] s'en servit pour façonner rapidement une maquette (P. Gsell ds Rodin, Art, 1911, p. 256).On roule des flambeaux avec la neuve cire (Jammes,De tout temps, 1935, p. 109).
TECHNOL. Former (un métal) par roulage; imprimer des filets (sur les vis). Une machine à rouler les vis a un débit de 3 000 à 4 000 vis [à l'heure] (Champly,Nouv. encyclop. prat., t. 13, 1927, p. 95).
2. Synon. de enrouler.
a) Replier une chose mince et souple sur elle-même en formant un cylindre, un rouleau. Rouler une carte, un tapis, une voile, un écheveau de corde, un ruban; rouler ses cheveux, sa moustache; rouler un ourlet. Les sœurs Jaubert ont également consigné une foule de renseignements sur des bandes de papiers minces qu'elles roulent dans le tuyau de leurs porte-plumes (Colette,Cl. école, 1900, p. 190).Il ôta son veston, roula ses manches (Van der Meersch,Invas. 14, 1935, p. 159).
Rouler qqc. en (forme de) + subst. J'avais roulé un morceau de papier en forme de lunette, et j'observais l'astre, tantôt avec l'œil seulement, tantôt au moyen de cet instrument digne de l'âge de pierre (Alain,Propos, 1921, p. 253).Le Rhynchite du bouleau découpe le limbe de la feuille de façon à la rouler ensuite en une sorte de cigare au centre duquel il déposera ses œufs (V.-B. Wigglesworth, La Vie des insectes, trad. par P. Pesson, 1972 [1970], p. 124).
[Le compl. d'obj. désigne un composant du suj. ou la forme prise par le suj.] S'enrouler, prendre telle forme en s'enroulant. Un escalier roule ses spirales. Sa rousse chevelure (...) lui pendait, inerte, par mèches molles, sur la nuque, au lieu de rouler mille anneaux (Cladel,Ompdrailles, 1879, p. 190).
TECHNOL. Courber des tôles pour former des tubes. Machines à cintrer et rouler les tôles et fers plats. Ces machines comportent trois rouleaux (Champly,Nouv. encyclop. prat., t. 13, 1927, p. 110).
P. méton., COIFF. Rouler une mise en plis, une permanente. Rouler les mèches de cheveux sur des bigoudis. Il est donc indispensable de mettre toujours des gants pour rouler une permanente (Technol. Coiff. Dames et Messieurs, Paris, Delachaux Niestlé Spes, t. 1, 1979, p. 75).
b) Rouler qqc. à/autour de/sur qqc./qqn.Appliquer une chose souple sur un support en faisant des tours. Rouler une bande sur un membre, une écharpe autour de son cou, une couverture, un châle autour de qqn. Il mit deux jours de vivres dans un sac, prit ses crampons d'acier, roula autour de sa taille une corde longue, mince et forte (Maupass.,Contes et nouv., t. 2, Aub., 1886, p. 1079).Luce vient me trouver, roule complaisamment mes boucles sur son doigt (Colette,Cl. école, 1900, p. 234).Au fig. Mais, vous savez, Jacqueline le roulerait autour de son petit doigt. Il l'aime trop pour lui refuser rien (Toulet,Demois. La Mortagne, 1920, p. 164).
[Le compl. d'obj. désigne un composant du suj.] S'enrouler. Un tourbillon de fumée (...) roula quelque temps ses plis autour des murs (Hugo,Bug-Jargal, 1826, p. 82).Un serpent à la gueule impure avait roulé ses anneaux au tronc d'un chêne (Quinet,All. et Ital., 1836, p. 110).
c) Rouler qqc./qqn (dans qqc.).Envelopper quelque chose/quelqu'un dans une chose souple. − Cours chercher un drap, dit Gallet à sa femme. On y roula MlleMalorthy, désormais inerte (Bernanos,Soleil Satan, 1926, p. 115).Le jeune homme en mangea une partie crue [de la viande]. Et il roula le reste dans un papier (Van der Meersch,Invas. 14, 1935, p. 188).[Dans une métaph.] Être roulé dans la tendresse. Qu'on me laisse! Je suis roulé dans la paresse. J'ai noué sur moi les cornes de l'édredon (Renard,Journal, 1900, p. 600).
En partic. Envelopper du tabac dans une feuille de papier ou de tabac pour former une cigarette, un cigare. Tabac à rouler. L'impudent, ayant tiré de son caleçon de combat une feuille de « papel de hilo », lentement y roula quelques bribes de tabac belge (Cladel,Ompdrailles, 1879, p. 337).
[P. méton.] Rouler une cigarette, un cigare; en rouler une (fam., pop.). Il y a bien quatre à cinq cents femmes occupées dans la manufacture. Ce sont elles qui roulent les cigares dans une grande salle (Mérimée,Carmen, 1845, p. 30).V. cigarette ex. 1.Empl. pronom. réfl. indir. De tes doigts rosés Tu te roulais des cigarettes (Cros,Coffret santal, 1873, p. 46).
III. − Empl. pronom.
A. − [Corresp. à supra II A; le suj. désigne une pers., un animal] Faire un ou plusieurs tours sur soi-même, en étant allongé sur le sol, sur quelque chose. Se rouler par terre, dans l'herbe, sur un lit. Les cochons et les truies, suivis d'une ribambelle de marcassins (...) jubilaient à se rouler dans la mare (Cladel,Ompdrailles, 1879, p. 135).Là-dessus il se roule sur le parquet, en proie à une véritable crise nerveuse (Martin du G.,Thib., Cah. gr., 1922, p. 586).[Dans une métaph.] Et à ce désir irrésistible de savoir s'ajoutait aussi un étrange besoin de souffrir plus fort, de se rouler sur son malheur comme on se roulerait sur des ronces (Maupass.,Mt-Oriol, 1887, p. 273).
Au fig. Se rouler (dans la débauche, dans le vice). Mener une vie de débauche. La culbute des gens chic dans la crapule du vice surprenait encore Nana, (...) il n'y avait donc plus de vertu? Du haut en bas, on se roulait (Zola,Nana, 1880, p. 1314).Un jeune homme! On sait trop ce que c'est, et comment ça s'est formé, et tous les endroits où ça s'est roulé. Ça n'a plus aucune innocence, c'est entendu. C'est plein de vice et de pensées malsaines et ça n'éprouve aucun respect pour les femmes, au contraire (Miomandre,Écrit sur eau, 1908, p. 8).
Le plus souvent, p. exagér., fam.
Se rouler aux pieds de qqn (pour le supplier, obtenir quelque chose). Toujours serez-vous de rocher?... Dans nos dernières entrevues, vous m'avez laissé me rouler à vos pieds, plutôt que d'accorder la plus basse faveur à ce malheureux amant (Borel,Champavert, 1833, p. 53).Var. Le monde entier pourrait bien se rouler sur le paillasson Et gémir Et pleurer Et supplier Demander à boire À boire ou à manger Qu'il n'ouvrirait pas (Prévert,Paroles, 1946, p. 61).
Se rouler (de rire). Synon. se tordre (de rire).Le rire recommença, cette fois accablant (...). On bondissait, on criait bis, on se roulait. On battait du pied. On s'empoignait au rabat (Hugo,Homme qui rit, t. 3, 1869, p. 165).Il aurait suffi (...) de la voir ce jour-là renversée sur le divan du petit salon se tordre, se rouler de rire (A. Daudet,Rois en exil, 1879, p. 251).Loc. adj. À se rouler (par terre). Synon. à se tordre, roulant, tordant.C'était assez spirituel, comme vous pouvez voir! Oh! je ne dis pas que ce fût à se rouler, naturellement (Courteline,Vie mén., Ma femme est en voy., 1890, p. 239).
Vieilli. Se rouler avec qqn/avec un animal. Rouler sur soi-même, sur le sol, au cours d'une lutte, d'un jeu. Déjà, sur le seuil des portes, nous voyions des marmots barbouillés se rouler fraternellement avec de gros chiens (Zola,Contes Ninon, 1864, p. 117).Raboliot, sur le sable du chemin, se roulait avec un garde du Bois-Sabot. Poitrine contre poitrine, tantôt dessus, tantôt dessous (Genevoix,Raboliot, 1925, p. 272).Empl. pronom. réciproque. L'histoire romaine entière présente le spectacle de deux athlètes vigoureux qui s'étreignent et se roulent, tour à tour écrasants et écrasés (J. de Maistre,Souveraineté, 1821, p. 371).
Empl. pronom. réfl. indir. Se rouler la tête (supra II A 1 a α).
B. − [Corresp. à supra II D]
1. Prendre une forme arrondie en se repliant, en se ramassant sur soi-même, en étant replié sur soi-même. Anguille, serpent qui se roule sur lui/elle-même. Oui, madame. La bonne Vierge est restée un bon moment, puis elle s'est roulée comme une toile. Et puis je n'ai plus rien vu (A. France,Anneau améth., 1899, p. 52).Dieu l'avait doué d'une voix grotesque: on eût dit que sa langue, pressée de nuire, se roulait dans sa bouche. Il prononçait: − Vous yèdes miobiliyabe! (Benjamin,Gaspard, 1915, p. 110).
Se rouler en + subst.Chat qui se roule en pelote. Cette disposition du corps, formé d'anneaux articulés et pouvant jouer les uns sur les autres, permettait à certains Trilobites de se rouler en boules comme les Cloportes (Boule,Conf. géol., 1907, p. 83).Khuai ou San. − Cheveux communément très courts, qui se roulent en petites boules séparées (Haddon,Races hum., trad. par A. Van Gennep, 1930, p. 34).P. anal. Quelques petits nuages se roulaient en boule dans le ciel (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 334).Une foule d'une intensité primitive et terrible, se roulait en pelote, se gonflant sous son propre progrès (Morand,Fin siècle, 1957, p. 153).
2. Se rouler autour de/sur qqc.Être/pouvoir être enroulé sur un support; entourer quelque chose. De longues murailles démantelées, se roulant en ceinture autour d'un roc (Hugo,Han d'Isl., 1823, p. 253).Cette tente se roulait sur un cylindre en bois, et, au moyen d'une crémaillère, se déployait à volonté (Reybaud,J. Paturot, 1842, p. 212).
3. Se rouler dans qqc.S'envelopper dans quelque chose. Se rouler dans une couverture. Elle sortit de l'eau avec regret pour se rouler dans un peignoir chaud (Maupass.,Mt-Oriol, 1887, p. 69).
4. Empl. pronom. réfl. indir. Se rouler une cigarette (supra II D 2 c), s'en rouler une (fam.).
C. − Loc. pop., empl. pronom. réfl. indir. Se les rouler. Ne rien faire, paresser. Synon. se tourner les pouces (v. pouce I B 2).Je fais mon boulot de chauffeur à la manque pendant deux ou trois mois. Ce n'est pas sorcier. À part le voyage à D. tous les matins, le reste du temps je me les roule (Giono,Gds chemins, 1951, p. 219).
Rem. Les représente les pouces selon les dict. gén. Noter aussi l'expr. arg.: ,,Les rouler (se), [les Pelotes; « une dans le son, l'autre dans la farine », ajoute-ton parfois (...)] Fainéanter`` (Esn. Poilu 1919, p. 318).
REM. 1.
Roule-, élém. de compos. issu d'une forme du verbe rouler.a)
Roule-bandes, subst. masc.,,Dispositif pouvant se fixer à une table pour rouler les bandes de gaze, tarlatane, etc.`` (Méd. Biol. t. 3 1972).
b)
Roule-conteneur, subst. masc.,transp. ,,Système de déplacement des conteneurs consistant en l'adaptation de quatre roulettes à une platine horizontale`` (Termes nouv. Sc. Techn. 1983).
c)
Roule-partout, subst. masc.,pop. Vagabond. Un vieux roule-partout, tanné à courir les chemins (Arène,Calanque, 1896, p. 164).
d)
Roule-ta-bosse, rouletabosse, subst. masc. α) Personne qui voyage sans cesse, vagabond. Les mille et un métiers (...) qui permettent aux éternels rouletabosse de viv' (...) en marge del société (M. Stéphane,Ceux du trimard, 1928, p. 8). β) Text. Cylindre d'une machine à carder la laine, destiné à la débarrasser des chardons. La laine est ensuite prise [après l'étirage] par des cylindres à aiguilles (...) et happée par le « roule-ta-bosse » (...) cylindre garni de dents de scie inclinées suivant l'axe de rotation (R. Thiébaut,Textiles, t. 1, 1959, p. 215).
e)
Roule toujours, subst. masc.,presse. ,,Cycliste spécialisé dans la livraison rapide des journaux`` (cfpj Presse 1982).
2.
Rouler, subst. masc.a) Hipp. ,,Accompagnement corporel par le cavalier, des mouvements naturels du cheval en allure`` (St-Riquier-Delp. 1975). Rouler d'arrêt, d'impulsion, des jambes, de l'assiette (St-Riquier-Delp.1975).b) Basket. ,,Action de faire rouler de la main le ballon au sol`` (Petiot 1982). V. roulé III A 1 a.Les joueurs, par des dribblings, des roulers, des passes (...) essaient de marquer des points (Boucher, Cagnon,Basket-ball, p. 9 ds Grubb Sports 1937, p. 65).
3.
Roulerie, subst. fém.,hapax. Rapports amoureux. Bonne chère, bon feu, le va te promener la honte (...), la roulerie sur le canapé avec les femmes (...). Voilà ce qui sied aux mœurs modernes, aux hommes d'action (...), ou même aux artistes qui veulent penser à autre chose (à leur ouvrage actuel) tout en caressant leur maîtresse! (Barb. D'Aurev.,Memor. 2, 1839, p. 392).
4.
Rouli-rouler, verbe intrans.Se déplacer en paraissant rouler, avec un mouvement de balancement, de roulis. Il y avait de tout (...) des petits serpents prestigieux et d'horribles batraciens dans des bocaux et, rouli-roulant et tanguant sur le plancher, des tortues de toutes les dimensions (Cendrars,Lotiss. ciel, 1949, p. 21).
Prononc. et Orth.: [ʀule], (il) roule [ʀul]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Intrans. 1. ca 1160 rëoller « effectuer un mouvement en tournant sur soi-même » (Eneas, 5446 ds T.-L.); 1176-78 roeler (Chrétien de Troyes, Chevalier Lyon, éd. M. Roques, 3264); 1180 roueler (Fierabras, 58 ds T.-L.); 1561 roulant part. prés. adj. « qui roule » ces cercles roulans (J. Grévin, La Gélodacrye, p. 344 ds IGLF); 2. 1585 « (d'un véhicule) se déplacer sur une surface grâce à des roues » la charrette ... roule et chemine (N. Du Fail, Contes et Discours d'Eutrapel ds Œuvres facétieuses, éd. J. Assézat, t. 2, p. 321); d'où a) 1694 roulant part. prés. adj. chaise roulante (Ac.), chemin roulant (ibid.); 1900 Trottoir Roulant (Courteline, Article 330, p. 266); b) 1847 id. part. prés. subst. « nomade possédant une roulotte » roulants ou chineurs (Féval, Fils diable, t. 1, p. 235); 1847 le roulant vif « le chemin de fer » (Balzac, Splend. et mis., p. 527); 1939 « mécanicien de chemin de fer » (d'apr. Esn. 1966); c) 1859 fam. ça roule « ça va bien, ça marche » (Goncourt, Journal, p. 669); 3. 1604 « produire un bruit sourd et prolongé » (Montchrestien, Hector, p. 37 ds IGLF: le bruit d'un tonnerre sembloit [...] rouler par la terre); 4. 1611 « (d'une personne) se déplacer au moyen d'un véhicule » il fait beau rouler en esté (Cotgr.); 1690 se rouler sur l'or « être très riche » (Fur.); 1736 rouler sur l'or (Volt., Enfant prod., III, 2 ds Littré); 5. a) déb. xviies. « mener une existence aventureuse » (D'Aubigné, Tragiques, livre VI ds Œuvres compl., éd. Réaume de Caussade, t. 4, p. 271); b) 1640 « subvenir à ses besoins, vivre » (Oudin Curiositez); c) 1690 faire rouler un carrosse « avoir les moyens d'entretenir un carrosse » (Fur.); 1709 rouler carrosse (Lesage, Turcadet, IV, 12 ds Littré); 1807 id. « être dans l'aisance » (Courier, Lettres Fr. et Ital., p. 75); 6. 1633 impr. la presse roule (S. Petit, in Les Correspondants de Peiresc, II, 251 [161] [Slatkine] ds Quem. DDL t. 18); 7. a) 1656 « être tourné retourné dans l'esprit » (Molière, Dépit amoureux, II, V); b) 1660 rouler sur « avoir pour objet » (G. de Brebeuf, Entretiens solitaires, éd. R. Harmand, p. II); c) ca 1678 id. « reposer sur, dépendre de » (La Fontaine, Achille, II, IV, 508 ds Œuvres, éd. H. Régnier, t. 7, p. 624); 8. 1678 mar. navire qui roule (Guillet, 3epart., p. 291); 9. a) 1685 l'argent roule « l'argent est en abondance » (Mmede Maintenon, Lett. à d'Aubigné, 7 avril ds Littré); b) 1690 « avoir une circulation active » (Fur.); 1770 fonds roulant (Raynal, Hist. phil., V, 3 ds Littré); 10. 1839 « (d'un cavalier) éprouver des déplacements de selle » il roulait un peu sur sa selle (Stendhal, Chartreuse, p. 45). II. Trans. et pronom. 1. ca 1170 trans. rueler « déplacer un objet en le faisant tourner sur lui-même » (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 51, ligne 30); 1409 roller (Compte du pont à l'Arche, 12eSomme de mises, A. Tournai ds Gdf. Compl.); 1642 fig. (Corneille, Pompée, I, 1, 190); 2. a) ca 1225 id. « imprimer au corps ou à une de ses parties un mouvement de rotation » les iex va rouelant (Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, 1317); 1561 roullant les yeux (J. Grévin, Les Esbahis, p. 131 ds IGLF); 1834 rouler sa bosse (Balzac, Gaudissart, p. 14); 1876 rouler les épaules (A. Daudet, Jack, t. 2, p. 47); b) 1538 pronom. (Est.); c) 1901 se les rouler (Bruant, p. 217 qui cite P. Paillette); 3. 1553 id. « faire tourner une chose autour d'une tige, d'un axe ou sur elle-même pour lui donner la forme d'un rouleau » (La Bible, s.l. impr. J. Gérard, Apoc. VI, 14); cf. 1575 bande ... roulée estroittement (Paré, Anat., XII, II ds Œuvres compl., éd. J. F. Malgaigne, t. 2, p. 279); 1854 rouler sa cigarette (About, Grèce, p. 39); 1848 crêpe roulée (Chateaubr., Mém., t. 1, p. 409); 4. a) 1611 id. « déplacer en le roulant un objet » (Cotgr.); b) 1831 « déplacer une personne installée dans un véhicule roulant (ici un fauteuil) » (Sue, Atar-Gull, p. 35); 5. a) 1636 id. rouler un dessein an sa pansée (Monet); b) 1836 rouler qqc. dans la boue (Chateaubr., Litt. angl., t. 2, p. 213); 6. 1666 id. rouler sa voix (Boileau, Satires, éd. A. Cohen, VI, 8); 1873 rouler les r en parlant (A. Daudet, Contes lundi, p. 131); 7. 1680 id. « aplanir avec un rouleau » rouler les aveines (Rich.); 8. a) 1808 id. « se moquer de quelqu'un » (Hautel); b) 1834 « abuser quelqu'un pour en tirer profit ou avantage » (Balzac, Gaudissart, p. 21); c) 1837 pronom. se rouler par terre « être pris d'une crise de fou-rire » (Flaub., Corresp., p. 25) [1812 j'ai ri à me rouler sur mon fauteuil (Jouy, Hermite, t. 2, p. 36)]; 1883 roulant part. prés. adj. « qui fait rire à se tordre » dessin roulant et goguenard (Huysmans, Art mod., p. 231); 9. a) 1834 « envelopper entièrement » ici pronom. (Balzac, E. Grandet, p. 368); b) 1869 mignonne, bien roulée « bien faite » (A. Daudet, Lettres moulin, p. 17); 10. 1865 chasse (E. Parent, Le Livre de toutes les chasses..., Paris, C. Tanera, t. 2, p. 299); 11. 1877 « parcourir en tous sens » rouler les boulevards (Zola, Assommoir, p. 637); 12. chaudronnerie machine à rouler (Nouv. Lar. ill.); 13. 1933 rouler un cheval (Lar. 20e). Dér. de l'a. fr. ruele, roele « petite roue », v. rouelle et de rôle*, le rad. des deux aboutissant souvent au même résultat; dés. -er. Fréq. abs. littér.: 7 270. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 9 253, b) 13 391; xxes.: a) 11 866, b) 8 708.
DÉR.
Roulable, adj.a) Qui peut être roulé en cornet, en entonnoir. (Dict. xixes.). b) Où l'on roule aisément. Synon. roulant.Deux heures après, on a retrouvé l'hiver sec. L'herbe est rousse (...). La route est redevenue roulable (Giono,Gds chemins, 1951, p. 193).[ʀulabl̥]. 1resattest. a) 1842 bot. « susceptible de se rouler en cornet » (Ac. Compl.), b) 1951 « où l'on peut rouler » (Giono, loc. cit.); de rouler, suff. -able*.
BBG.Dauzat Ling. fr. 1946, p. 326. − Gougenheim (G.). Une Catégorie lexico-gramm.: les loc. verbales. Ét. Ling. appl. 1971, n o2, pp. 59-60. − Quem. DDL t. 5, 6, 9, 15, 18, 27, 30, 32. − Tafel (C. E.). Beiträge zur frz. Etymologie. Bonn, 1976, p. 21, 42.