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OUBLIER, verbe trans.
I. − Empl. trans. Perdre, de façon volontaire ou non, définitive ou momentanée, normale ou pathologique, le souvenir d'une personne ou d'une chose.
A. − [Oublier implique un acte plus ou moins involontaire]
1. [Oublier procède d'un défaut de mémoire]
a) Empl. abs. Ne rien garder en mémoire, laisser s'effacer de son souvenir. Oui, madame... Mais une eau délicieuse, l'eau du fleuve Léthé... Oui, c'est pour oublier que je bois, pour oublier la triste condition où je suis tombé!... (Crémieux, Orphée,1858, ii, 2, p.59):
1. Je me suis souvent demandé si tenir un journal n'était pas contraire à cet instinct qui veut que nous oublions, car oublier, c'est s'alléger d'un poids, et le souvenir nous tire en arrière, nous empêche d'avancer. Green, Journal,1943-46, p.28.
b) Oublier qqn/qqc.
[Le phénomène est individuel]
Ne plus avoir le souvenir de quelqu'un ou de quelque chose. Oublier le temps, le jour où, une date, les événements, une aventure, un visage, cette histoire. Je n'ai pas oublié un mot de notre entretien (Jouy, Hermite,t.4, 1813, p.41).Eh bien! Oubliez-nous, maison, jardin, ombrages! (...) Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas (Hugo, Rayons et ombres,1840, p.1097).J'ai oublié son nom, mais non l'aspect imposant du château tel qu'il a été encore plusieurs années après cette époque (Sand, Hist. vie,t.2, 1855, p.280):
2. Mon amour pour Dina n'a fait que s'accroître par une intimité chaste et délicieuse, comblant de soins et de tous égards possibles le vieux Judas qui me chérissait, et sa Léa qui me fait oublier ma mère que je perdis enfant. Borel, Champavert,1833, p.129.
Oublier l'heure. Laisser passer l'heure, s'attarder. (Dict. xixeet xxes.).
Ne plus se rappeler ce que l'on a su, appris. Les premiers vers qui soient entrés dans ma mémoire sont ceux de Louis Racine, dans son poëme de la religion: (...) Ma mère me les apprit, lorsque je ne savois point encore lire; et je me vois toujours sur ses genoux répétant cette belle tirade que je n'oublierai de ma vie (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb.,t.1, 1821, p.210).On oublie émouvoir et l'on abuse d'émotionner (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p.159).
[Le phénomène est coll.] Ne pas conserver la notion, la mémoire, l'usage, la pratique de. Oublier les traditions, les valeurs ancestrales, ses grands hommes, son histoire. Loin des yeux de leurs concitoyens, bientôt les soldats ne songeront plus à leurs droits, et finiront par oublier la patrie (Marat, Pamphlets,C'est un beau rêve, 1790, p.234).Se réconcilier, pardonner! quels mots hypocrites. On oublie c'est tout. Oublier les morts, ce n'était pas encore assez. Maintenant, nous oublions les meurtres, nous oublions les meurtriers (Beauvoir, Mandarins,1954, p.401).
Se faire oublier.Faire en sorte que les autres ne pensent plus à vous, à ce que vous avez fait. Dans ces soirées, François n'aspirait qu'à se faire oublier de tous, comme il oubliait tout le monde, à l'exception de Mahaut (Radiguet, Bal,1923, p.162).Il alla s'enfermer, pour se faire oublier, dans le petit château qu'il avait en Normandie (Billy, Introïbo,1939, p.162):
3. Si le mot est donné comme intermédiaire signifiant une réalité transcendante, par essence, au langage, rien de mieux: il se fait oublier, il décharge la conscience sur l'objet. Sartre, Sit. II,1948, p.200.
Au passif. Être oublié.[En parlant d'un écrivain, d'un penseur, d'un ouvrage] Quand on pense que Charcot et d'autres ont fait des travaux mille fois plus remarquables (...) et qu'ils sont presque oubliés! (Proust, Sodome,1922, p.1051).
HIST. Ils n'ont rien appris, rien oublié. V. apprendre A 1 b.
2. [Oublier relève d'une négligence, d'un manque d'attention] Ne pas penser à prendre avec soi. Je suis sûre que tu as encore oublié ton mouchoir... (Coppée, Bonne souffr.,1898, p.92).−Honoré, tu as oublié ton chapeau. Par ces chaleurs, oublier son chapeau... (Aymé, Jument,1933, p.48):
4. C'était un des violateurs de tombeaux qui avait oublié son parapluie et qui revenait le prendre, accompagné du gardien. Coppée, Bonne souffr.,1898p.131.
3. [Oublier présuppose un défaut de lucidité, de conscience] Ne plus avoir présent à l'esprit. Il ajouta même que le comte de Richemont, n'ayant pas combattu depuis Azincourt, avait pu oublier la guerre (Barante, Hist. ducs de Bourg.,t.4, 1824, p.427):
5. Oui, maintenant ta vie est à ce prix. Il te faudrait, pour la supporter, non seulement oublier l'amour, mais désapprendre qu'il existe... Musset, Confess. enf. s.,1836, p.362.
Arg., pop. Oublier le goût du pain. Mourir. Sans moi, cette petite fillette qui fait là ses mines, aurait oublié le goût du pain (Larchey, Dict. hist. arg.,2esuppl.,1883, p.112).
Rem. Dans le même sens v. l'expr. arg. oublier de respirer (Car. Argot 1977).
B. − [Oublier implique un acte volontaire]
1. Omettre, exclure, ne pas prendre en compte. Monsieur et Madame Lebas, dit César. Puis monsieur le président du tribunal de commerce, sa femme et ses deux filles. Je les oubliais dans les autorités (Balzac, C. Birotteau, 1837, p.191):
6. À cette époque elle écrivit à sa mère pour lui demander pardon. Sa mère lui répondit qu'elle lui pardonnait et lui conseillait de revenir et qu'elle ne l'oublierait pas dans son testament. Nerval, Filles feu,Angélique, 1854, p.559.
Sans oublier, n'oublions pas (pour insister sur un terme d'une énumération). Il emporta ses colifichets de dandy, sans oublier une ravissante petite écritoire donnée par la plus aimable des femmes (Balzac, E. Grandet,1834, p.52).Providentielle réunion de grands caractères et de talents... sans oublier les dames incomparables musiciennes, ces ornements du bord!... (Céline, Voyage,1932, p.151).
2. Écarter de sa pensée un objet de préoccupation ou de ressentiment; vouloir ignorer. Oublier son âge, sa fatigue; oublier les injures; oublie-moi! [La religion] mène au bonheur par les austérités et fait oublier toutes les misères de la vie dans l'espérance céleste que sur mille réprouvés il pourra y avoir un élu (Senancour, Rêveries,1799, p.130).Tu n'es même pas sûr d'avoir tué Hoederer. Eh bien, tu es dans le bon chemin; il faut aller plus loin, voilà tout. Oublie-le; c'était un cauchemar (Sartre, Mains sales,1948, 7etabl., p.253):
7. Je ne voudrais pas cependant qu'on leur refusât la permission de voir leurs femmes pendant la nuit, et à quelques époques combinées. Il en naîtrait des enfans qui pourraient faire oublier les crimes de leurs pères. Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p.331.
Arg. des sports, p.iron. ,,Lâcher un concurrent sans peine, le «semer»`` (Petiot 1982).
C. − [Oublier suivi d'une complétive (implique tous les mécanismes aberrants de la mémoire relevés supra A et B)]
Oublier + de + inf.C'était l'amour-propre blessé de ceux qu'on avait oublié d'y nommer, et qui y avaient ou croyaient y avoir des droits (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.453).Elle ne regardait plus ses casseroles; elle oubliait de boire et de manger (A. France, Vie fleur,1922, p.313).Seulement y avait la distraction: la révolution est distraite. Alors les gars ont oublié de blinder la locomotive (Malraux, Espoir,1937, p.490).
Rem. Oublier à + inf. Constr. correcte auj. uniquement dans l'empl. pronom. (v. infra) mais à l'époque class. tout à fait cour. dans le sens actuel de oublier de.
Oublier + que, comment, si, etc.En faisant dans un cercle étroit le bien de quelques hommes, je parviendrais à oublier combien je suis inutile aux hommes (Senancour, Obermann,t.2, 1840, p.112).On oubliait trop qu'une industrie est une industrie, qu'une spéculation est une spéculation (Reybaud, J. Paturot,1842, p.415).Il n'avait jamais oublié quelle distance séparait encore le paysan parvenu de la grande dame ruinée (Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p.71).Didace Beauchemin prit le papier et le retourna en tous sens. Le curé Lebrun se mordit la lèvre. Il avait oublié que son paroissien ne savait pas lire (Guèvremont, Survenant, 1945, p.277).
Rem. Oublier que dans sa forme affirmative peut être suivi du subj. Ce mode exprime alors non plus la réalité du fait mais sa potentialité.
II. − Empl. pronom.
A. − réfl. [Le suj. est un être vivant]
1. Perdre la conscience de soi; se distraire de son attention, de son effort. C'était, pour la soeur Philomène, la belle heure de sa journée. Elle s'y oubliait, elle se retrempait à la joie et aux enchantements de cette fatigue si douce (Goncourt, Soeur Philom.,1861, p.132).Pour nous autres c'est assez de voir l'arbre ou la maison; tout absorbés à les contempler, nous nous oublions nous-mêmes. Baudelaire est l'homme qui ne s'oublie jamais (Sartre, Baudelaire,1947, p.25).Miracle des femmes! Leur faculté de s'oublier et de renaître ne cessera jamais de provoquer notre admiration (Arnoux, Roi,1956, p.56).
S'oublier en, dans.Tous, [les novices] vers la seizième année, au lieu de quitter le collège, y étaient restés, s'oubliant en Dieu (Estaunié, Empreinte,1896, p.40).Il ne s'oublie jamais dans ce qu'il éprouve, de sorte qu'il n'éprouve jamais rien de grand (Gide, Faux-monn.,1925, p.1184).
S'oublier à + inf.M. le marquis s'oubliait à parler l'argot, cette langue des voleurs (Ponson du Terr., Rocambole,t.3, 1859, p.441).Mais je m'oublie à écouter ces voix... (Pesquidoux, Livre raison,1928, p.34).
Rem. En ce sens, le suj. peut ne pas être un être vivant quand il y a personnification ou méton. Et la science étonnée de ses propres développemens, s'oubliait dans la contemplation d'elle-même (Ozanam, Philos. Dante, 1838, p.260). Tu me livres ta main d'un geste familier, Et je vois aussitôt tes grands yeux s'oublier En un songe lointain (Régnier, Apaisement, 1886, p.52).
2. Considérer l'intérêt d'autrui avant le sien propre; faire preuve d'abnégation. C'est qu'il s'entête alors, car il a son nègre, M. Targu, que c'est une adoration d'homme, quoi! de voir comme il s'oublie pour son maître (Sue, Atar-Gull,1831, p.34).Ce qui les enivre alors, c'est de s'oublier pour ne penser qu'à l'autre (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p.120).
Par antiphrase. Ne pas s'oublier. Penser à soi, veiller à ses intérêts. En mentionnant une petite boîte de liqueur, il observait que l'empereur ne s'oubliait pas et ne se laissait manquer de rien (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.412).
3. Ne pas prêter attention au sentiment que l'on a de sa dignité, manquer aux convenances, à ses devoirs. Eh! tant mieux, morbleu! dit le préfet s'oubliant tout à fait (Stendhal, L. Leuwen,t.3, 1835, p.80).Vous vous oubliez, madame. Je ne suis pas une femme de chambre (H. Bazin, Vipère,1948, p.54):
8. Le commissaire passa vivement entre les deux et, les écartant avec ses mains: −Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de dignité. Maupass., Bel-Ami,1885, p.361.
P. euphém. Se laisser aller à faire ses besoins naturels. Depuis la veille, elle avait cette gifle dans la main; ça lui démangeait les doigts, comme aux jours lointains où la petite s'oubliait encore en dormant (Zola, Pot-Bouille,1882, p.335).Il s'éveilla penaud et la mine déconfite: le petit Wilhem s'était oublié dans son lit (Lorrain, Contes chandelle,1897, p.107).
B. − à sens passif. [Le suj. est une chose] Être effacé ou s'effacer du souvenir. Concluons: puisque tout s'oublie, ne vaut-il pas mieux s'habituer à l'oubli immédiat? (Villiers de l'I.-A., Contes cruels,1883, p.242).Quand vous serez marié, tant de choses s'oublieront! (R. Bazin, Blé,1907, p.144):
9. Toute tradition de guerre et d'amour s'oublie, et mes fables n'auraient pas même le sort de la complainte de Geneviève de Brabant, dont le colporteur d'images ne sait plus le commencement et n'a jamais su la fin. Bertrand, Gaspard,1841, p.159.
Prononc. et Orth.: [ublije], (il) oublie [ubli]. Homon. oublie. Att. ds Ac. dep.1694. Étymol. et Hist. A. Trans. 1. fin xes. «ne pas garder dans sa mémoire» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 410); 2. a) ca 1050 «ne pas garder présent à l'esprit, négliger» (Alexis, éd. Chr. Storey, 619: La dreite vide nus funt tres-oblïer); b) ca 1050 (ibid., 157: Mais la dolur ne pothent ublïer); c) ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 3195: Ne pot oblïer por nul plait Le damage qu'il li ont fait De son pere e de sa lignee); d) 1456-67 oublier son courroux (Cent nouvelles nouvelles, éd. F. P. Sweester, 30, 220). B. Pronom. 1. a) ca 1100 «se relâcher, manquer à ses devoirs» (Roland, éd. J. Bédier, 1258) encore à l'époque class.; b) ca 1120 «négliger de (faire quelque chose)» (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 305); c) 1176-81 «cesser d'avoir conscience de soi (en partic. dans le vocab. amoureux: entrer dans une sorte de transe)» (Chrétien de Troyes, Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 715), sur les sens propres à l'a. fr. développés dans la litt. épique et courtoise, v. M. Pelan ds Rom. Jahrb. t.10, pp.59-77; 2. a) ca 1200 «perdre de vue sa dignité» (Jean Bodel, Saxons, éd. F. Menzel et E. Stengel, 1563); b) 1588 «faire passer l'intérêt d'autrui avant le sien propre par abnégation» (Montaigne, Essais, III, X, éd. P. Villey, t.1, p.1006); c) 1882 «faire ses besoins là où il ne faut pas» (Zola, loc. cit.). Du lat. pop. *oblitare (v. REW3, no6015), dér. de oblitus part. passé du class. oblivisci «ne plus penser à; perdre de vue»; au sens de B 1 c cf. antérieurement l'a. prov. s'oblidar (Marcabru, 1130-50 cité par M. Pelan, ibid., p.75, v. aussi Levy (E.) Prov.). Fréq. abs. littér.: 12979. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 17889, b) 22028; xxes.: a) 16602, b) 18148.
DÉR. 1.
Oubliable, adj.Qui peut être oublié. L'injustice énorme que j'endure et dont pâtissent deux innocentes, me semblerait oubliable si j'obtenais seulement un peu de ce qui m'est dû (Bloy, Journal,1904, p.195). [ublijabl̥]. 1resattest. fin du xives. [dans un jeu de mots avec oublieux] (Eustache Deschamps, Balade, 73 ds OEuvres, éd. Queux de Saint-Hilaire, t.1, p.174), ca 1470 «qui peut être oublié» (Georges Chastellain, Chronique, éd. Kervyn de Lettenhove, t.4, p.210), une autre attest. au xvies. (v. Hug.), à nouv. au xixes. (Littré Suppl. 1877); de oublier, suff. -able*.
2.
Oubliance, subst. fém.,vx ou région. Faculté d'oublier. Mettre en oubliance. V. mettre en oubli (s.v. oubli II B).La Fontaine, avec son caractère naturel d'oubliance et de paresse, s'accoutuma insensiblement à vivre comme s'il n'avait eu ni charge ni femme (Sainte-Beuve, Portr. littér.,t.1, 1829, p.55).Elle avait comme mis le champi depuis longtemps en oubliance entière (Sand, F. le Champi,1848, p.128). [ublijɑ ̃:s]. 1reattest.1remoitié xiies. ubliance «oubli, omission» (Psautier d'Oxford, éd. Fr. Michel, IX, 19); de oublier, suff. -ance*.
3.
Oublieur, -euse, subst.Personne distraite, sur la parole de qui il ne faut pas trop compter. Aussi ce grand artiste inconnu [le maître de musique] tenait-il à la classe aimable des oublieurs, qui donnent leur temps et leur âme à autrui comme ils laissent leurs gants sur toutes les tables et leur parapluie à toutes les portes (Balzac, Fille Ève,1839, p.73). [ublijae:ʀ], fém. [-ø:z]. Ac. 1694: oublieux; 1718: oublieux ,,quelques-uns écrivent oublieur``; 1740-1835: oublieur ,,on prononce oublieux``; 1878: oublieur [-oe:ʀ]. [ʀ] final est muet du xvieau xviiies. dans certaines catégories de mots dont ceux en -eur (leur fém. en -euse est anal. de honteux, -euse, etc.). [ʀ] ne commence à être rétabli qu'à partir du milieu du xviiies. Littré prononce encore [-ø] et DG propose encore cette prononc. comme var. de [-oe:ʀ]. 1resattest. a) 1487 adj. «qui oublie facilement» (Loys Garbin, Voc. latin-françoys, s.v. obliviosus), b) 1552 subst. (Denis Sauvage, Hist. de Paolo Jovio, II, 139 ds Gdf.), attest. isolées, à nouv. au xixes. 1801 (Mercier Néol.); de oublier, suff. -eur2*.
BBG.Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.96-97. _ Pelan (M.). Rom. Jahrb. 1959, t.10, p.59.