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LANGUE, subst. fém.
I. − [La langue comme organe]
A. −
1. Organe musculeux, mobile, généralement allongé, situé dans la cavité buccale. Les Batraciens ont la langue fixée en avant à l'arc du menton, et libre en arrière (Cuvier, Anat. comp., t. 3, 1805, p. 276).Il [un serpent] faisait bruire ses anneaux sur les dalles, gonflait sa gorge, dardait sa langue fourchue (Gautier, Rom. momie,1858, p. 323).Une sorte de glace dont la pulpe feuilletée crisse sous la langue (Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 116).Il se mit à rouler sa cigarette, la lécha d'un coup de langue (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 179).Elle s'est réveillée tristement, avec le bruit de la pluie dans les vitres et cette vague angoisse sous la langue qui donne à la salive un goût fade et miellé (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1427).V. bouche ex. 22 :
1. Ce baiser ne finira plus. Il semble qu'il y ait sous la langue de Chrysis, non pas du miel et du lait comme il est dit dans l'Écriture, mais une eau vivante, mobile, enchantée. Et cette langue elle-même, multiforme, qui se creuse et qui s'enroule, qui se retire et qui s'étire, plus caressante que la main, plus expressive que les yeux, fleur qui s'arrondit en pistil ou s'amincit en pétale, chair qui se raidit pour frémir ou s'amollit pour lécher, Chrysis l'anime de toute sa tendresse et de sa fantaisie passionnée... Louÿs, Aphrodite,1896, p. 182.
SYNT. Bords, base, faces, pointe, sommet de la langue; muscles, muqueuse, papilles de la langue; cancer, inflammation, tumeur, ulcération de la langue; claquement de langue; avoir la langue pâteuse, rouge, sèche, la langue pendante; passer sa langue sur les/ses lèvres; humecter, mouiller ses lèvres de (avec) sa langue.
Loc. ou expr.
a) Langue + adj.
Langue chargée* (v. ce mot II A 2 a).Langue mauvaise* ou mauvaise langue. Langue blanche. La langue est blanche, un peu rouge à la pointe et aux bords (Cadet de Gassicourt, Mal. enf., t. 1, 1880, p. 87).
b) [Langue en fonction de compl. du nom]
Tractions* de la langue.
CHASSE, MAN. Aide de la langue (v. aide1II B 6).Appel de la langue (v. appel B 1 a rem.)
c) Verbe + langue
Avaler sa langue. Mourir. Trois mille francs! Qu'est-ce que vous voulez qu'on fiche avec ça? Il n'y aurait pas six jours de pain, et si l'on comptait sur des étrangers, des gens qui habitaient l'Angleterre, on pouvait tout de suite se coucher et avaler sa langue (Zola, Germinal,1885, p. 1285).
Avoir soif à avaler sa langue. Avoir très soif.
Ennuyeux à avaler sa langue; s'ennuyer à avaler sa langue; avaler sa langue; s'avaler la langue d'embêtement, d'ennui. [En parlant d'une chose] Qui provoque un grand ennui; s'ennuyer extrêmement. Deux créatures qui ne se conviennent pas, pourraient aller chacune de son côté; eh! bien, faute de quelques pistoles, il faut qu'elles restent là en face l'une de l'autre à se bouder, à se maugréer, à s'aigrir l'humeur, à s'avaler la langue d'ennui (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 31).Je m'ennuie ici [à Paris] à avaler trois langues, si je les avais (Sand, Corresp., t. 3, 1863, p. 367).Ils blaguaient les camarades, les convaincus, qui allaient avaler leur langue d'embêtement (Zola, Germinal,1885p. 1344).
Tirer la langue (à qqn). Faire sortir sa langue de la bouche en direction de quelqu'un pour se moquer, pour narguer. Quand elle était assurée de ne plus figurer aux yeux de la gouvernante qu'une quille bleuâtre au bout de la longue allée, elle lui adressait un pied de nez ou lui tirait la langue (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 74).
P. méton. Narguer. Il faut bien s'amuser un peu et tirer la langue à la mort qui nous surveille et nous recommande de ne prendre ni froid ni chaud. Quelle gouvernante! Quelle colle! (Cocteau, Appogiatures,1953, p. 95).
Tirer la langue. Avoir très soif. On tire la langue dans la grange, et les Maloret tirent la langue dans le plein soleil à finir de moissonner (Aymé, Jument,1933, p. 178).
Au fig. Désirer ardemment quelque chose; être dans le besoin. Il n'a rien pour lui. Je ne le voudrais pas dans ma chambre en peinture. Et tu te ruines pour un oiseau pareil; oui, tu te ruines, ma chérie, tu tires la langue (Zola, Nana,1880, p. 1309).
CHASSE, MAN. Donner de la langue. Appeler, exciter (un chien, un cheval) par des claquements de langue.
d) En partic. [La langue de certains animaux utilisée comme aliment] Langue fumée; langue de bœuf, langues de mouton braisées, langue de veau à la vinaigrette. Sa voisine de droite se trouva à demi étouffée, d'une langue de mouton, que sottement elle s'était mis dans la tête d'avaler (Michaux, Plume,1930, p. 172).
Langue fourrée (v. fourré II B 1).
Langue à l'écarlate (v. écarlate II B 2 b).
2. [P. anal. de forme] Elles [les vagues] en jaillissaient en un torrent d'écume nouvelle qui se dressait comme des langues furieuses jusqu'au sommet du rocher (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 94).Une autre porte (...) recula soudain (...) et presque aussitôt de maigres langues de lumière se répandirent dans une chaude salle à plafond bas (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 358).La cheminée trop large où le bois siffle et crache avant de pousser vers le haut une mince langue de flamme, fourchue comme celle d'une vipère (Bernanos, Crime,1935, p. 848).Le petit garçon à côté de vous mord violemment dans un morceau de pain coupé en deux d'où dépasse une langue de jambon (Butor, Modif.,1957, p. 90).
Langue de feu. Flamme allongée. Venez, Rome à vos yeux va brûler, − Rome entière! (...) Déjà l'incendie, hydre immense, Lève son aile sombre et ses langues de feu (Hugo, Odes ball.,1828, p. 324).Déjà ses langues de feu s'allongeaient en tournoyant jusqu'au clocher (Feuillet, Bellah,1850, p. 319).
THÉOL. Langue de feu (de la Pentecôte). ,,Manifestation théophanique de la descente de l'Esprit-Saint sur les Apôtres le jour de la Pentecôte`` (Foi t. 1 1968). Dans nos mains, sur nos fronts, fais resplendir, ô Dieu! Tes glaives flamboyants et tes langues de feu! (Hugo, Cromw.,1827, p. 331).Et quelque mille ans plus tard, c'est toi qui retombais en langues de feu sur les Apôtres rassemblés dans ton église (Cendrars, Du monde entier,1919, p. 82).Pourquoi ne pas éteindre aussi les « langues de feu » de la Pentecôte? C'est d'ailleurs peine perdue. Nous ne pouvons naturellement pas décrire ce feu (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 367).
Langue de terre, de sable. Bande de terre allongée et étroite. Le hardi montagnard défrichant quelques langues de terre entre les fentes des roches inclinées (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 55).Entre la mer et le ciel (...) s'avance une mince langue de terre couronnée d'un monastère en ruine (Artaud, Théâtre et son double,1938, p. 43).La langue de terre qui joignait au gros de l'île la pointe des parcelles (Queffélec, Recteur,1944, p. 33):
2. Sans même que j'eusse pris conscience du chemin parcouru, j'étais parvenu sur la mince langue de sable qui barrait la lagune et longeait le front de mer. Au milieu de ces eaux toutes vernissées de lune, et hérissée de ses joncs, elle s'allongeait devant moi comme un long liséré de fourrure sombre, et courait se perdre dans un horizon rapproché par la nuit. Gracq, Syrtes,1951, p. 44.
GÉOMORPHOL. Langue glaciaire. Partie inférieure, de forme allongée, d'un glacier. La langue glaciaire (...) présente à la fois de la glace de structure très évoluée (...) et d'abondantes moraines superficielles; elle est le siège des mouvements les plus rapides du glacier et (...) responsable des formes de la vallée glaciaire (George1970).
Langue de glacier. Extension d'un glacier flottant sur la mer. Dans l'Antarctique, les langues de glacier peuvent atteindre plusieurs dizaines de kilomètres (Villen. 1974).
En partic. [Suivi d'un compl. prép. de désignant un animal]
a) [Désigne des plantes, dans la langue courante] Langue d'agneau (plantain); langue de cerf (scolopendre); langue de cheval (dragon); langue de chien (cynoglosse).
b) [Désigne des outils] Langue-de-bœuf, langue-de-carpe, langue-de-vache (v. ces mots).
c) [Désigne un gâteau] . Langue-de-chat (v. ce mot).
B. −
1. [La langue comme organe de la parole] On peut considérer la langue de l'homme, dans le mécanisme de la parole, comme la corde qui lance d'elle-même la flèche qu'on y a ajustée (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 148).Il était étonné de sa manière singulière de remuer la langue en prononçant les mots (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 268).À la moindre phrase qu'il avait à prononcer, sa langue s'embarrassait dans sa bouche, sa pensée s'obscurcissait (Billy, Introïbo,1939, p. 243):
3. La conversation devint générale. De temps en temps, madame Rabourdin y mit la langue comme une chatte bien apprise met la patte sur les dentelles de sa maîtresse, en veloutant ses griffes. Balzac, Employés,1837, p. 210.
a) Loc. et expr.
Verbe + langue
Avaler sa langue. Garder obstinément le silence. La petite avalerait sa langue plutôt que de révéler à Michel... (Cocteau, Par. terr.,1938, I, 8, p. 219).
Avoir bien de la langue (vx) (Ac.); avoir la langue bien (trop) longue. Parler trop, ne pas se taire à propos. Ne te fâche pas : tu as eu la langue trop longue, mais de toutes les obsessions, celle du suicide est la plus facile à dépister... (...) chacun de vos muscles nous fait ses confidences, malgré vous, à votre insu (Bernanos, Joie,1929, p. 651).
N'avoir pas (point, plus) de langue. Ne pas (plus) parler. Il est flambé, le nôtre [un lutteur], s'il s'obstine à louvoyer ainsi contre ce félon! Et Blas, ne pouvant admettre cette éventualité, répondait, toujours confiant : − Il gagnera! Le public, lui, n'avait plus de langue et fixait l'œil sur les forcenés (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 284).
Ne pas avoir la langue dans sa poche. Avoir la répartie vive. Avoir la langue dans sa poche. Ne pas avoir de répartie. En tout cas s'il ne trouve pas cela (une plaisanterie) trop fort de café, c'est peut-être qu'il a sa langue dans sa poche et du jus de navet dans les veines (Avenel, Calicots,1866, p. 43).
Avoir la langue acérée, (bien) affilée (v. ce mot II A 2 a), bien pendue. Parler beaucoup, facilement; avoir la parole facile et vive. Il avait la langue bien pendue, la réponse facile, et il était enclin aux longs récits (Genevoix, Raboliot,1925, p. 119).Tu as la langue bien pendue, tu peux discuter des heures avec Cazau au sujet de la volaille ou du potager. Avec les enfants, même les plus petits, tu jacasses et bêtifies des journées entières (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 17).
Avoir la langue dorée (vieilli). Parler facilement, élégamment, de façon habile et ornée, généralement trompeuse. Il m'avait entièrement ensorcelé (...). Les mots : honneur, vertu, comtesse, femme honnête, malheur, s'étaient, grâce à sa langue dorée, placés comme par magie dans ses discours (Balzac, Gobseck,1830, p. 407).Le joyeux Marius était bien l'amoureux qui devait plaire à cette ingénue. Intrépide danseur et bon vivant, ayant la mine fleurie et la barbe touffue, l'œil hardi et la langue dorée (Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 191).
P. méton. Une langue dorée. Personne qui parle facilement, élégamment, généralement de façon trompeuse. Est-ce à dire que je vais prendre au pied de la lettre et louer pour leur générosité (...) les plumes de cygne ou les langues dorées qui me prodiguent et me versent ces merveilles morales et sonores? (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 3, 1862, p. 29).
Avoir la langue grasse (vx). ,,Avoir la langue épaisse (...) mal prononcer certaines consonnes, et notamment les R`` (Ac.).
Brûler la langue (à qqn). [Le suj. désigne un acte de parole que le locuteur a envie de réaliser] Ça lui brûle la langue (Rey-Chantr.Expr.1979).
Délier, dénouer la langue (à, de qqn). Faire parler quelqu'un. Il avait fallu la mort pour délier les langues, tant Albertine gardait dans sa conduite, comme cette jeune femme même, de prudente circonspection (Proust, Fugit.,1922, p. 650).Nul n'ignorait à Mégère que l'alcool déliait la langue de Mathurin pour des heures, mais il buvait presque toujours seul, et ne parlait guère qu'à un cheval (Bernanos, Crime,1935, p. 779).
Emploi pronom. passif. La mort laisse le mort sans défense contre ce qu'il parut être. Les craintes révérentielles s'évanouissent. Les langues se délient. Les souvenirs (et vous pensez bien que ce ne sont pas toujours les souvenirs les plus dignes) sortent des mémoires malicieuses (Valéry, Variété IV,1938, p. 22).
Donner, jeter sa langue au(x) chat(s), au(x) chien(s). Renoncer à deviner quelque chose. Je donne ma langue aux chiens, j'avoue mon insuffisance et je m'obstine à ne pas pénétrer pourquoi le baron de Storch (...) n'a plus la confiance du pays (Gobineau, Pléiades,1874, p. 106).Je croyais avoir un certain flair, et quand je m'étais dit : sûrement non, n'avoir pas pu me tromper. Hé bien, j'en donne ma langue aux chats (Proust, Prisonn.,1922, p. 306).Lucciana : C'est un rébus? Silvio : Écoute : des navigateurs sont partis du sud de l'Espagne vers le soleil couchant. Ils fileront toutes voiles dehors, toujours droit devant eux, et, un matin, leurs voiles apparaîtront entre les îles grecques. Lucciana : Je donne ma langue au chat (Salacrou, Terre ronde,1938, I, 4, p. 162).
Donner du plat* de la langue à qqn. Faire merveille du plat* de la langue.
Garder, tenir sa langue. Se taire à propos. Gavard n'avait pu tenir sa langue, contant peu à peu toute l'histoire de Cayenne (Zola, Ventre Paris,1873, p. 746).Elle le supplia de dire quelque chose pour elle. Le prêtre s'était levé. Pas de singeries dans le presbytère. Thomas ferait mieux de garder sa langue, il en aurait besoin plus tard... (Queffélec, Recteur,1944, p. 209).
Se mordre la langue. Se retenir de parler (généralement par crainte de dire quelque chose qu'il vaut mieux éviter de dire dans les circonstances données). Un coup d'œil jeté sur le fermier, la rassura : il ne savait rien, le vieux s'était mordu la langue (Zola, Terre,1887, p. 102).
Se repentir vivement d'avoir parlé. Je n'ai pas eu plutôt lâché cette parole que je m'en suis mordu la langue (Ac.1935).
Prendre langue (avec qqn). Prendre contact avec quelqu'un, entrer en pourparlers. Ludovic connaissait à Bologne deux ou trois domestiques de grandes maisons; il fut convenu qu'il irait prendre langue auprès d'eux (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 194).L'amiral chargea cet homme banni [un forçat irréductible] d'aller prendre langue avec les anthropophages (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 181).
Langue + verbe
La langue lui démange. Il a envie de parler, de dire quelque chose. Il avait appris en se levant l'aventure du bal des saules, et il aurait aimé à en régaler le chevalier (...). La langue lui démangeait fort, mais d'un autre côté il était retenu par la crainte des orageuses colères de M. de Seigneulles (Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 21).Le sabotier s'émerveillait de la curiosité de Thomas pour ce qui concernait l'Église. Une fois la langue lui démangeait trop, il interrogea son élève : « Tu veux être prêtre? » L'autre nia (Queffélec, Recteur,1944p. 142).
Avoir la langue qui fourche. Dire un mot pour un autre. Une mère!... La langue m'a fourché... Gendarme, vous êtes une mère! (Courteline, Gend. sans pitié,1899, 3, p. 180).
Sa langue va comme un claquet* de moulin
Avoir qqc. sur la langue
Avoir un bœuf sur la langue (v. bœuf C 2).Ne pas parler, ne pas donner son opinion. Il ne pensait point par ordre, n'avait pas de bœuf sur la langue comme les autres officiers d'active qui s'asseyaient autour de cette table. En toute circonstance, il prenait position. On sentait chez lui l'habitude de dire à peu près ce que bon lui semblait (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 41).
Avoir un cheveu sur la langue. Zézayer légèrement.
Avoir un mot (une phrase, une question) sur (le bout de) la langue, au bout de la langue. Être sur le point de dire quelque chose et se retenir de le dire. Au fait, nous dévions. J'avais une question sur le bout de la langue : Vous êtes un peu amoureux de Maria, n'est-ce pas? (Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 177):
4. On avait vu cet homme, à cinquante ans passés, rougir comme une jeune fille au moment où il disait à une certaine personne que, dans la difficulté, elle pourrait compter sur lui. Encore, pour lui dire cela, avait-il dû se vaincre; il était venu la voir deux fois déjà dans le but de le lui dire, mais chaque fois, les mots sur la langue, n'avait pas osé, avec la même gêne et la même honte, exactement, que s'il s'était agi pour lui non d'offrir cet argent, mais de le demander. Montherl., Célibataires,1934, p. 804.
Avoir le sentiment qu'on est prêt à trouver un mot qui échappe. J'ai son nom au bout de la langue (A. Daudet, Jack, t. 1, 1876, p. 9).Le nom lui trotte dans la tête, elle l'a sur le bout de la langue − mais elle ne peut pas mettre la main dessus (P. Daninos, Un certain Monsieur Blot,p. 62 ds Rey-Chantr. Expr. 1979).
b) Proverbes
Beau parler n'écorche point la langue (vx). ,,Il est toujours bon de parler honnêtement et civilement`` (Ac.).
(Il faut) tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, de répondre, de dire qqc. Il faut réfléchir longuement avant de parler. Personne ne comprit goutte à mon exposé et je me vis, pour finir, reprocher aigrement de ne pas avoir protesté avec vigueur au moment où notre cellule avait été critiquée. Sur ce point, je n'aurais pas eu besoin de tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de répliquer que le blâme n'était que trop juste (M. Leiris, Fibrilles,p. 67 ds Rey-Chantr. Expr. 1979).
Qui langue a, à Rome va (vx). ,,Quand on sait parler, on peut aller partout`` (Ac.).
2. En partic. [P. réf. au contenu du discours] Malitourne croyait avoir enfin, une fois en sa vie, eu la langue heureuse. Mais, quand le propos heurta Madame de Matefelon et la Marquise, le maladroit reprit conscience de son destin (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 115).T'es un salaud. Ma femme s'est pendue dans la grange (...). C'est toi qui as fait cela. Pas avec tes mains, sûr, avec ta langue, ta pute de langue. T'as dans la bouche tout le jus sucré du mal... (Giono, Colline,1929, p. 138).La justice devra fermer la bouche de certaines personnes dont la langue distille un venin pire que celui de la vipère (Bernanos, Crime,1935, p. 831):
5. Elle ne causait que des autres, racontait leur vie, jusqu'à dire le nombre de chemises qu'ils faisaient blanchir par mois, poussait le besoin de pénétrer dans l'existence des voisins, au point d'écouter aux portes et de décacheter les lettres. Sa langue était redoutée, de la rue Saint-Denis à la rue Jean-Jacques-Rousseau, et de la rue Saint-Honoré à la rue Mauconseil. Zola, Ventre Paris,1873, p. 668.
Avoir une mauvaise, méchante langue; avoir une langue d'aspic, de serpent, de vipère. Tenir des propos calomniateurs, médisants. Cette petite fille a une langue de vipère, et elle a sans doute déjà bavardé... (Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 204).Les foudres qu'échangeaient leurs regards, le choc de leurs caprices, leurs langues méchantes (Cocteau, Enf. terr.,1929, p. 33).
P. méton. Personne qui aime à calomnier, à médire. La police avait un jour surpris, au dire des méchantes langues, le sieur Schmidt au milieu d'une bande de ses partisans (...), gambadant et chantant autour d'un amas de livres d'école auxquels ils avaient mis le feu (Gobineau, Pléiades,1874, p. 117).Entre nous, confidentiellement, je pense qu'il y aura une autopsie... par précaution, vous comprenez?... plutôt pour faire taire les mauvaises langues... (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 36):
6. Laisse dire la calomnie Qui ment, dément, nie et renie Et la médisance bien pire Qui ne donne que pour reprendre Et n'emprunte que pour revendre... Ah! laisse faire, laisse dire! Faire et dire lâches et sottes Faux gens de bien, feintes mascottes, Langues d'aspic et de vipère. Verlaine, Œuvres compl., t. 1, Odes en son honn., 1893, p. 11.
P. iron. Une bonne langue. Je ne dis pas qu'elle ne soit pas volage, et Swann lui-même ne se fait pas faute de l'être, à en croire les bonnes langues qui, comme vous pouvez le penser, vont leur train (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 467).
SYNT. Langue double, envenimée, fausse, flatteuse, médisante, venimeuse, vipérine; langue de traître.
Coup de langue. Médisance, calomnie, raillerie cruelle. Assassiner qqn à coups de langue. Hélas! Marie, il m'a fait pitié. Vous autres grandes dames, vous poignardez un homme à coups de langue (Balzac, Chouans,1829, p. 303).D'Aubigné était de cette race cassante qui ne se refuse jamais un coup de langue, et qui pour un bon mot va perdre vingt amis ou compromettre une utile carrière (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 10, 1851-62, p. 339).
II. − [La langue comme système]
A. −
1. Système de signes vocaux et/ou graphiques, conventionnels, utilisé par un groupe d'individus pour l'expression du mental et la communication. Le plus grand des crimes, c'est de tuer la langue d'une nation avec tout ce qu'elle renferme d'espérance et de génie (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 139).La langue est le signe principal d'une nationalité (Michelet, Tabl. Fr.,1833, p. 3).Elle parla tout à coup dans une langue que je n'avais pas encore entendue. C'était des syllabes sonores, gutturales, des gazouillements pleins de charme, une langue primitive sans doute; de l'hébreu, du syriaque, je ne sais (Nerval, Filles feu, Octavie, 1854, p. 644).Elle disait : « Mamma! Oh! Mamma, mamma! » C'est un mot qui est le même dans presque toutes les langues de la terre (Mille, Barnavaux,1908, p. 206).Aventuriers pas très forts sur la grammaire, chancelant sur l'orthographe d'une langue encore instable, mais qui écrivaient comme ils parlaient, les bougres, parce qu'ils étaient des grands vivants, ne faisaient de rhétorique, mais avaient quelque chose à dire et le monde entier à raconter (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 15):
7. On ne distingue les sensations, qu'en leur attachant des signes qui les représentent et les caractérisent : on ne les compare, qu'en représentant et caractérisant également par des signes, ou leurs rapports, ou leurs différences. Voilà ce qui fait dire à Condillac qu'on ne pense point sans le secours des langues, et que les langues sont des méthodes analytiques : mais il faut ici donner au mot langue [it. ds le texte], le sens le plus étendu. Pour que la proposition de Condillac soit parfaitement juste, ce mot doit exprimer le système méthodique des signes par lesquels on fixe ses propres sensations. Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 61.
Loc. et expr.
Langues anciennes, mortes. Langues qui ne sont plus en usage. Il consacre [Roger Bacon] la troisième partie de l'opus majus à l'utilité de l'étude des langues anciennes (grec, arabe, hébreu) (Renan, Avenir sc.,1890, p. 504):
8. On sait un latin, ou, plutôt, on fait semblant de savoir un latin, dont la version du baccalauréat est la fin dernière et définitive. J'estime, pour ma part, que mieux vaudrait rendre l'enseignement des langues mortes entièrement facultatif (...) et dresser seulement quelques élèves à les connaître assez solidement, plutôt que de les contraindre en masse à absorber des parcelles inassimilables de langages qui n'ont jamais existé... Valéry, Variété III,1936, p. 278.
Langue artificielle (v. ce mot ex. 7).
Langues classiques. Langues latine et grecque. Il ne parlait que l'anglais − et peut-être les langues classiques : car un petit Platon en grec (...) sortait de la poche (...) de son blazer (Malraux, Espoir,1937, p. 479).
Langues étrangères, ou p. ell. du déterm., les langues. Langues vivantes étrangères. Cours, école de langues; enseignement des langues; maître (vieilli), professeur de langues; apprendre, étudier les langues; avoir le don des langues, être doué pour les langues. Il est permis de profiter des idées et des images exprimées dans une langue étrangère, pour en enrichir la sienne (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 515).La fille du colonel Jean savait un peu de français et d'anglais (...). J'ai su plus tard que sa famille comptait sur nous pour la perfectionner dans les langues étrangères (About, Roi mont.,1857, p. 36).
Langue internationale. Langue utilisée ou créée pour permettre la communication entre des personnes de langues différentes. Le latin du Moyen Age était encore bien vivant : on pouvait traiter des affaires, bavarder, plaisanter, se disputer, jurer en latin! Il restait en outre la langue littéraire la plus pratiquée de l'Occident, et sa langue internationale la plus utile (P. Burney, Les Langues internationales, Paris, P.U.F., 1962, p. 12).
Langue maternelle. Première langue apprise par une personne (généralement celle de la mère). Il suffit (...) à un enfant d'apprendre sa langue maternelle par l'usage, et la lecture des bons écrivains; il en étudiera les règles quand son jugement sera formé (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 306).L'idée lui vint de forcer tous les élèves de son étude à ne lui répondre qu'en latin; et il persista dans cette résolution, jusqu'au moment où ils furent capables de soutenir avec lui une conversation entière comme ils l'eussent fait dans leur langue maternelle (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Quest. du lat., 1886, p. 566).
Langue nationale. Langue d'un groupe ethnique dont l'usage est reconnu légalement dans et par l'État auquel ce groupe appartient. Les dialectes, (...) les patois viennent se résoudre en une seule et même langue nationale (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 163).
Langue officielle. Langue dont l'emploi est reconnu dans un État ou un organisme pour la rédaction des textes officiels. Les langues officielles de la cour sont le français et l'anglais (Charte Nations Unies,1946, p. 123).En Hongrie, l'effervescence demeura très vive en 1790. Des centaines de pamphlets réclamaient, au nom du « peuple », le rétablissement du régime représentatif et l'adoption du magyar comme langue officielle (Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 205).
Langue sacrée, liturgique, religieuse. Langue utilisée pour l'exercice d'un culte religieux. Les religions, qui durent plus que les races humaines, conservent leur langue sacrée quand les peuples ont perdu les leurs (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 107).
Langue seconde (p. oppos. à langue maternelle). Un élève apprendra d'autant mieux un type de structure ou d'emploi en langue seconde qu'il en aura préalablement compris les principes en langue maternelle (E. Roulet, Lang. maternelle et lang. secondes, Paris, Hatier-Credif, 1980, p. 10).
Langue vivante. Langue actuellement en usage. La plainte timorée de Lamennais : « On ne sait presque plus le français, on ne l'écrit plus, on ne le parle plus », − plainte qui ne veut rien dire, sinon : le français étant une langue vivante se modifie périodiquement (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 120).Que faut-il donc penser de l'évanouissement de vertu, puisque telle est la tendance irréfutable de la langue vivante et que telle est la misérable condition où je trouve réduit un mot qui fut des plus puissants et des plus beaux d'entre les mots (...)? (Valéry, Variété IV,1938, p. 166).
[La langue envisagée du point de vue esthétique, de ses qualités d'expression] Langue pauvre, riche; langue agréable, chantante, dure, gutturale; clarté, élégance d'une langue. La langue française n'est pas la plus abondante, mais elle est la plus riche des langues. L'abondance consiste dans le nombre des mots, la richesse dans la facilité de tout exprimer (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 346).Langue fluide, voltigeante et rythmée, qui donne à l'idée des chocs sonores, et fait du vocabulaire italien un livre de musique (Fromentin, Dominique,1863, p. 237).Esthétique de la langue française, cela veut dire : examen des conditions dans lesquelles la langue française doit évoluer pour maintenir sa beauté, c'est-à-dire sa pureté originelle (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899p. 7).Les cavaliers zézayaient à l'andalouse, langue molle, coulante et imprononcée, où on supprime les consonnes parce qu'elles demandent un peu d'effort (Montherl., Bestiaires,1926, p. 414).
En partic. Ensemble des règles de la grammaire, des règles concernant le lexique d'un système linguistique donné. Bien connaître sa langue. Je voudrais voir son figure, dit l'Anglais qui, par quelques fautes de langue, donnait parfois, sans le savoir, un tour assez plaisant à ses discours ordinairement graves (Sand, Jeanne,1844, p. 21).
LING. Système abstrait de signes (par opposition au discours, à l'énoncé ou à la parole, qui en sont l'actualisation). La langue est un système de pures valeurs que rien ne détermine en dehors de l'état momentané de ses termes (Saussure, Ling. gén.,1916, p. 116).La conception de la langue comme système, conduit à l'affirmation que « dans la langue il n'y a que des différences » et que « la langue est une forme et non une substance » (F. de Saussure) (Perrot, Ling.,1953, p. 116):
9. L'étude du langage comporte donc deux parties : l'une, essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale dans son essence et indépendante de l'individu (...); l'autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du langage, c'est-à-dire la parole (...). Sans doute, ces deux objets sont étroitement liés et se supposent l'un l'autre : la langue est nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s'établisse; historiquement, le fait de parole précède toujours. Saussure, Ling. gén.,1916p. 37.
Langue commune (v. ce mot B 1).
Langue spéciale. [P. oppos. à langue courante] Langue dont le vocabulaire est propre à une activité, à un milieu. L'argot donc est la langue spéciale de la pègre, c'est-à-dire l'ensemble des mots propres aux truands, et des malfaiteurs, créés par eux et employés par eux à l'exclusion des autres groupes sociaux qui les ignorent ou ne les utilisent pas en dehors de circonstances exceptionnelles (P. Guiraud, L'Argot, Paris, P.U.F., 1958, p. 7).
Langue véhiculaire*.
Langue vernaculaire*.
Langue vulgaire. [P. oppos. à langue savante, le latin du Haut Moyen Âge jusqu'au xviies.] Langue du peuple, du quotidien. Les clercs (...) gardèrent l'usage du latin (...). Dédaignés des gens instruits, les écrits en langue vulgaire ne s'adressaient guère qu'aux ignorants (France, Vie littér.,1890, p. 270).Descartes revient (...) à chaque instant sur cette idée que ses preuves de l'existence de Dieu dans le Discours ne valent rien parce qu'en un ouvrage écrit en langue vulgaire, où il a voulu que les femmes mêmes pussent entendre quelque chose, il n'a pas osé pousser assez loin les raisons des sceptiques (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 90).
[Les langues classées d'après leurs caractères distinctifs apparents] Langues analytiques*, synthétiques*; langues analogues*, transpositives*, inversives*; langues isolantes*, incorporantes*, agglutinantes*; langues formatives*, flexionnelles*.
[Les langues classées d'après leur parenté] Langues indo-européennes, germaniques, néo-latines, romanes, slaves; langues orientales, dravidiennes, tibéto-birmanes :
10. ... une langue qui a évolué dans la discontinuité géographique présente vis-à-vis des langues parentes un ensemble de traits qui n'appartiennent qu'à elle, et quand à son tour cette langue s'est fractionnée, les divers dialectes qui en sont sortis attestent par des traits communs la parenté plus étroite qui les relie entre eux à l'exclusion des dialectes de l'autre territoire. Saussure, Ling. gén.,1916, p. 289.
Langue mère, primitive, source. Langue qui est à l'origine d'autres langues (qui en sont dérivées). Langue fille, dérivée. Langue issue d'une autre langue. Langues sœurs. Langues dérivées d'une même langue mère. Nos langues européennes, qui ne sont que des dialectes de langues primitives (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 338).Il n'en est pas du langage comme de l'humanité : la continuité absolue de son développement empêche d'y distinguer des générations, et Gaston Paris s'élevait avec raison contre la conception de langues filles et de langues mères, parce qu'elle suppose des interruptions (Saussure, Ling. gén.,1916p. 296):
11. Appliqué aux choses linguistiques, le terme de parenté est ambigu et a souvent induit en erreur des gens peu avertis des faits du langage. Certains linguistes même, ce qui est moins excusable, ont parfois pris au sérieux un simple terme métaphorique et ont dressé pour les langues des tableaux généalogiques (...). On s'est cru dès lors autorisé à dire que le français par exemple ou l'italien étaient nés du latin, et à parler de langues mères, et de langues filles, et de langues sœurs. Terminologie fâcheuse, parce qu'elle donne une idée fausse du rapport des langues entre elles. Il n'y a rien de commun entre la « parenté » des langues et la filiation ou la génération, au sens physiologique de ces termes. Vendryes, Langage,1921, p. 349.
2. [Constr. avec un compl. prép. de ou un adj.]
a) [Désignant un domaine, une matière, une science ou une technique] Système de signes spécialisés appartenant à une langue donnée. Langue juridique, mathématique, scientifique; langue de la biologie, du droit, de l'économie, de la médecine. J'ai tâché d'expliquer, mieux qu'on ne l'avait encore fait suivant moi, les raisons spéciales de l'imperfection inévitable de la langue philosophique (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. vi).Voici deux lignes de vraie langue marine; « on cargue la brigantine, on assure les écoutes de gui; une caliourne venant du capelage d'artimon est frappée sur une herse en filin... » (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 90).Vouivre, en patois de Franche-Comté, est l'équivalent du vieux mot français « guivre » qui signifie serpent et qui est resté dans la langue du blason (Aymé, Vouivre,1943, p. 10).
b) [Désignant une activité, un usage, un groupe social, professionnel ou culturel] Système d'expression spécifique, particulier à un groupe de la communauté linguistique; aspect que peut prendre une langue donnée. Langue diplomatique, poétique; langue écrite, parlée; langue populaire; langue de la conversation; langue du barreau, du commerce, du théâtre. La langue du berger, du marinier, du charretier qui passe, est bien la nôtre, à quelques élisions près, avec des tournures douteuses, des mots hasardés, des terminaisons et des liaisons de fantaisie (Nerval, Filles feu,1854, p. 627).De l'emploi des grands mots dans la langue bourgeoise, par exemple cœur, − mon cœur de mère, ton cœur de fils, − appliqué à un baiser donné le soir ou à un ravaudage de chaussettes. Une langue toujours sur les échasses; à propos de rien, la solennité des mots et la solennité dramatique (Goncourt, Journal,1860, p. 842).C'est ce système que, dans la langue courante, on désigne sous le nom d'état (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 198):
12. ... le langage donné acquis dès notre enfance, étant l'origine statistique et commune, est généralement peu propre à exprimer les états d'une pensée éloignée de la pratique (...). De là naissent les langages techniques, − et parmi eux, la langue littéraire. On voit dans toutes les littératures apparaître, plus ou moins tard, une langue [it. ds le texte] mandarine, parfois très éloignée de la langue usuelle; mais, en général, cette langue littéraire est déduite de l'autre, dont elle tire les mots, les figures, les tours les plus propices aux effets que recherche l'artiste en belles-lettres. Valéry, Variété III,1936, p. 26.
Littér. La langue des dieux. La poésie. Les métaphysiciens d'Élée et Empédocle d'Agrigente chantèrent les mystères de la nature dans la langue des dieux (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 56).
c) En partic. Langue verte. Argot. Avec eux la chanson (...) parle l'argot des faubourgs. Au xviiiesiècle, elle parlait avec Vadé, le langage poissard (...). Nos nouveaux Vadé chantent en langue verte. La langue verte est expressive (France, Vie littér.,1891, p. 393).
3. En partic. Ensemble des moyens linguistiques utilisés par une personne pour exprimer une opinion, un sentiment, un état d'âme. Cette douloureuse aventure du père (...) était jetée à la face du fils avec une abondance fangeuse de détails faux, d'imaginations atroces, en une langue qui roulait l'outrage et l'ordure (Zola, Vérité,1902, p. 120).
a) [En parlant d'un écrivain] Façon particulière d'écrire. Synon. style.La langue de Corneille, de Stendhal; image propre à la langue d'un auteur; fixer des impressions dans une langue exacte, rigoureuse. Zola (...) voyait partout le diable et (...) maudissait la corruption de son temps dans une langue obscène et hyperbolique (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 266).Exprimer, dans une langue à la fois élégante et précise, qu'un reflet de soleil échappé à une glace s'était venu loger dans son œil, lui devenait une tâche au-dessus de ses forces (Courteline, Train 8 h. 47,1888, 1repart., 3, p. 32):
13. Elle [l'Académie française] a semblé accueillir et reconnaître à son tour cette vérité, que les grands poëtes ont chacun une langue à part, une langue originale qui, en même temps qu'elle est ou qu'elle devient celle de tous, est la leur aussi en particulier. Qu'on appelle cela style ou langue [it. ds le texte] peu importe, car qui dit langue dit aussi tours et locutions. Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 7, 1864, p. 200.
b) [Constr. avec un compl. prép. de désignant un affect] Façon particulière de s'exprimer, inspirée par cet affect. Langue de l'amour, du dépit, de la haine, de l'envie; parler la langue de la raison. Au point où j'en étais, c'est-à-dire osant à peine épeler sans émoi le mot le plus innocent et le plus usuel de la langue du cœur, mes prévisions les plus hardies n'auraient jamais dépassé toutes seules l'idée d'un sentiment désintéressé et muet (Fromentin, Dominique,1863, p. 92).
B. − P. anal.
1. Système de signes conventionnels quelconques utilisé pour communiquer. Langue chiffrée, langue des signes.
2. Ensemble des moyens d'expression utilisés par un artiste pour créer une œuvre. Langue musicale. Il [Jean Van Dyck] a créé un art vivant, inventé ou perfectionné son mécanisme, fixé une langue et produit des œuvres impérissables (Fromentin, Maîtres autrefois,1876, p. 393).La musique étant une sorte de vague langue universelle est l'organe de la fraternité universelle, non de la domination d'une race (Saint-Saëns, Harm. et mélod.,1885, pp. 314-315).La langue de César Franck est rigoureusement individuelle (D'Indy, C. Franck,1906, p. 64).
C. − Au fig. Manifestation du réel ou de l'imaginaire considérée comme un signe ou un ensemble de signes interprétables, porteurs de signification. Chaque pays a ses harmonies, ses plaintes, ses cris, ses chuchotements mystérieux, et cette langue matérielle des choses n'est pas un des moindres signes caractéristiques dont le voyageur est frappé (Sand, Hiver à Majorque,1842, p. 43).Les lumières du ciel s'éteignent dans l'ombre du soir, la nature s'enveloppe de silence, ses oracles sont muets pour nous. (...) nous ne pouvons entrevoir le secret de notre destinée qu'en interrogeant la langue des symboles, cette langue mystérieuse que parlaient nos pères et que nous ne comprenons plus (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 129):
14. Le langage du rêve n'est pas composé de signes abstraits, conventionnellement adoptés par les humains pour la commodité de leurs rapports sociaux; il est fait d'images, qui sont avec la réalité exprimée dans un rapport de participation réelle. De cette attitude fondamentale découlent tous les caractères de cette langue onirique (...). Elle se sert (...) d'images qui sont les mêmes que celles de la langue courante : un chemin épineux ou verglassé y désigne une période difficile de l'existence; les ténèbres parlent de mélancolie; la mort ou la séparation s'annoncent par un voyage ou une traversée. Béguin, Âme romant.,1939, p. 109.
REM. 1.
Languard, -arde, adj.,vx. Médisant. Mon petit, cela t'apprendra à te méfier... de fille oiseuse et languarde (Rolland, J.-Chr., Maison, 1909, p. 1024).
2.
Langué, -ée, adj.,hérald. [En parlant d'un oiseau] Dont la langue est d'un autre émail que le corps. Langué. Se dit des aigles dont la langue est d'un émail particulier (L'Hist. et ses méth.,1961, p. 762).
3.
Languée, subst. fém.,hapax. Elle [la vache] troussait une dernière languée de germen et de fleurs et rentrait à l'étable dont l'ouverture contenait juste ses flancs (Arnoux, Écoute,1923, p. 34).
Prononc. et Orth. : [lɑ ̃:g]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 2emoitié xes. anat. lingua (St Léger, éd. J. Linskill, 158); 1erquart xiies. langue(t) (Cantique des cantiques, 26 ds Foerster-Koschwitz, p. 165a); 2. 2emoitié xes. lingu' « cet organe, considéré comme principal agent de la parole » (St Léger, 169); ca 1210 (Guiot de Provins, Bible, éd. J. Orr, 2431 : il ferait une fort glose Es lengues fauses deslïées, Qui devroient estre lïées De ceu que j'oi dire es decreiz); 1424 longue langue « langue bavarde » (A. Chartier, Belle Dame sans mercy, éd. A. Piaget, 736); 1606 avoir la langue longue, avoir la langue bien pendue « être très bavard » (Nicot); ca 1260 mauvaises laingues « mauvais propos » (Ménestrel Reims, éd. N. de Wailly; § 281); 1528 mauvaises langues « médisants » (Percef., V, fol. 85b ds La Curne); 1549 l'avoir sur le bout de la langue « être sur le point de le dire » (Est.); 1574 prendre langue « entrer en contact » (E. Ph. Cosmopolite, Deuxième Dialogue du Réveille-Matin des Français d'apr. FEW t. 5, p. 358b); 1676 jeter sa langue aux chiens « renoncer à deviner » (Sév., Lettre, éd. Monmerqué, t. 4, p. 354, no500), cf. l'expr. bon à jeter aux chiens, s.v. chien; 1842 donner sa langue aux chiens « id. » (Sue, Myst. Paris, t. 1, p. 333); 1845-46 jeter sa langue aux chats « id. » (Besch.); 1860 donner sa langue aux chats « id. » (Goncourt, Ch. Demailly, p. 227); pour l'explication v. Rey-Chantr. Expr.; 3. fin xes. lingue « système d'expression de la pensée commun à un groupe » (Passion, éd. D'A. S. Avalle, 459); spéc. langue verte 1820-40 (Ms. Jacquinot ds Larch. Suppl. 1883, XI : Professeur de langue verte : Joueur ruiné s'offrant comme conseil et empruntant aux gagnants), d'où l'accept. « argot des joueurs » donnée par Michel en 1856 et reprise par Delvau; 1864 désigne prob. les mots crus (Delvau, Dict. érotique mod., par un professeur de langue verte ds Larch. Nouv. Suppl. 1889); 1866 « argot » (Delvau, v. introd., pp. X-Xij); 4. p. anal. de forme ca 1165 lengue « languettes d'une banderole » (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 2481); 1347-48 langue de terre « pièce étroite de terre enclavée dans d'autres terres » (Compte des eaux et forêts du douaire de la reine Jeanne d'Evreux, 402 H ds C. A. Bevans, The Old French Vocabulary of Champagne, p. 23); 1636 langue de terre « péninsule » (Monet). Du lat. lingua terme d'anat., « organe de la parole », « système d'expression commun à un groupe » et dans des sens métaph. comme « péninsule », v. aussi TLL s.v., 1446, 62-67. L'expr. langue verte peut s'expliquer p. réf. au tapis vert des joueurs, ou par la hardiesse et crudité de ce vocab. (cf. Esn., s.v. vert et FEW t. 14, p. 507b et notes 3 et 4). Fréq. abs. littér. : 9 687. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 19 778, b) 12 526; xxes. : a) 12 955, b) 9 814. Bbg. Bresson (F.). Langue écrite et langue parlée. Fr. auj. 1977, no39, pp. 67-75. - Dinneen (F.P.) Analogy, langue and parole. In : [Mél. Reichling (A.)]. Lingua. 1968, t. 21, pp. 98-10 - Geschiere (M.L.). Plaidoyer pour la langue. Neophilologus. 1961, t. 45, pp. 21-37. - Gill (A.). La Distinction entre langue et parole. In : [Mél. Orr (J.)]. Manchester, 1953, pp. 90-103. - Jourjon (A.). Rem. lexicogr. R. Philol. fr. 1929, t. 41, pp. 136-137. - Koll (H.-G.). Die Französischen Wörter langue und langage im Mittelalter. Genève-Paris, 1958, 192 p. - Malmberg (B.). Langue-forme-valeur. Semiotica. 1976, t. 18, pp. 195-200. - Mańczak (W.). Les Termes langue et parole désignent-ils qq. ch. de réel? B. Soc. Ling. 1968, t. 63, pp. XXIV-XXVII. - Nique (C.). Notes et déf. pour une approche des ouvrages de ling. Fr. auj. 1972, no19, p. 58. - Pollak (W.). Reflexionen über langue und parole. Moderne Sprachen. 1965, t. 9, pp. 122-133. - Quem. DDL t. 10, 14. - Spence (N.C.W.). A Hardy perennial : the problem of la langue and la parole. Archivum Linguisticum. 1957, t. IX, pp. 1-27; Langue and parole yet again. Neophilologus. 1962, t. 46, pp. 197-200.