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IGNORANCE, subst. fém.
I. − [Correspond à ignorer I]
A. − État de celui qui ignore quelque chose. Laisser, tenir, entretenir qqn dans l'ignorance (de qqc.); être dans l'ignorance (de qqc.). (Faire qqc.) par ignorance.
1.
a) État de celui qui ne connaît pas l'existence de quelque chose. Le matériel ethnographique, comme le genre de vie, varient d'archipels en archipels. À côté de spécimens perfectionnés d'art nautique, on constate l'ignorance de la navigation (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 127).Il m'a toujours paru odieux qu'on bourrât le cerveau de l'écolier de notions souvent inutiles et qu'on le laissât grandir dans l'ignorance des maladies vénériennes (Green, Journal,1935-39, p. 190).
b) État de celui qui n'a pas de connaissances sur quelque chose (dont il connaît l'existence, mais qui excède la faculté humaine de connaître ou qui excède une science, un savoir à un moment donné).
[Avec un compl. prép. de, sur] Ignorance des causes, de la nature de quelque chose. Nous sommes dans une ignorance invincible sur ce qui fait l'essence de la matière tangible et pondérable (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 185).Nous sommes dans une ignorance infinie de ce qui s'accomplit autour de nous, invisiblement (Bloy, Femme pauvre,1897, p. 278).Il est assez probable que c'est cette ignorance presque complète de la structure cellulaire qui fait le mystère de l'hérédité (Ruyer, Esq. philos. struct.,1930, p. 92).
En partic. [Le compl. désigne une pers. en tant qu'elle est objet de connaissance] C'est notre ignorance de nous-mêmes qui a donné à la mécanique, à la physique et à la chimie le pouvoir de modifier au hasard les formes anciennes de la vie (Carrel, L'Homme,1935, p. 31).Peut-on concevoir un savoir qui serait ignorance de soi? Savoir, c'est savoir qu'on sait, disait Alain. Disons plutôt : tout savoir est conscience de savoir (Sartre, Être et Néant,1943, p. 91).
Absol. Dresser un constat d'ignorance. Si le médecin empirique possède le sens ou l'esprit scientifique, il aura conscience de son ignorance, il ne considèrera plus l'empirisme que comme un état transitoire de la science (C. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 48) :
1. ... après avoir déclaré qu'il [Dieu] est la cause sans cause de toutes les causes, la triple ténèbre dans la contemplation de laquelle toute connaissance se résout en ignorance (...) elles [les philosophies innombrables] arrivent toutes à reconnaître qu'il est le principe inconnu de tout. Maeterlinck, Vie espace,1928, p. 206.
c) État de celui qui ne connaît pas (ou très peu) quelque chose, parce qu'il ne l'a pas étudié, pratiqué, expérimenté.
[Constr. avec un compl. prép. de, en, sur désignant l'objet ignoré ou un domaine de savoir, d'expérience] Ignorance d'une langue étrangère, de l'histoire; ignorance (des choses, des réalités) de l'amour, du monde, de la vie. Mon ignorance en arithmétique l'a désagréablement surpris (J.-J. Ampère, Corresp.,1816, p. 131).J'admirai subitement ce verbiage spécial caractérisé par la suppression du ne avec pas et (...) par l'ignorance des élisions ordinaires (Frapié, Maternelle,1904, p. 18).Bourget insiste sur l'ignorance première de Taine sur le catholicisme (Barrès, Cahiers, t. 10, 1913, p. 146) :
2. ... la fille, avec une ignorance de nos conventions françaises qui faisait d'elle « une grande diablesse » originale et fort mal élevée, crevait des chevaux à la course, montrait ses bas sales et ses bottines éculées sur les trottoirs les jours de pluie, cherchait un mari avec des sourires hardis de femme faite. Zola, E. Rougon,1876, p. 22.
Rem. On relève qq. autres constr. prép. : ignorance au sujet de, pour, quant à, relativement à qqc. Je m'aperçois que ma radicale ignorance pour tout ce qui touche aux sciences naturelles pourrait les inclure toutes (Du Bos, Journal, 1927, p. 295).
[Constr. avec un adj. désignant un domaine de savoir, d'expérience] Ignorance historique, musicale. De prétendus poètes se glorifiant systématiquement de leur ignorance scientifique et philosophique (Comte, Philos. posit., t. 5, 1839-42, p. 110).J'ai parlé de mon extraordinaire ignorance sexuelle à cet âge (Gide, Et nunc manet,1951, p. 1130).
[P. ell. du compl. prép. ou de l'adj.] Il me posa diverses questions de métier et ne me poussa pas longtemps qu'il ne m'eût acculé à mon ignorance (Aymé, Vaurien,1931, p. 67).Mon ignorance était telle que je me suis longtemps représenté le sexe féminin, non pas dans le sens vertical, mais dans le sens horizontal (H. Bazin, Vipère,1948, p. 243) :
3. Vous lirez cela, Monsieur, et, sans être particulièrement compétent, vous verrez que cet article sur l'Afrique romaine est un prodige d'inconscience, un monument d'ignorance. Et c'est signé, savez-vous de qui c'est signé? Benoit, Atlant.,1919, p. 268.
d) État de celui qui n'est pas informé, au courant de quelque chose, qui n'a pas entendu parler de quelque chose.
[Constr. avec un compl. prép. de, sur (rare)] (Être dans) l'ignorance d'une affaire. Milord, dans l'ignorance de celui de vos collègues auquel je devais avoir recours, j'ai l'honneur de m'adresser à vous (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 494).Il était resté dans une ignorance volontaire sur les assiduités de Fauchery auprès de la comtesse (Zola, Nana,1880, p. 1337) :
4. Il avait entendu parler surtout (...) du Mystère de la chambre jaune et du Parfum de la Dame en noir... Ici, Rouletabille regarda en-dessous la générale et conçut une grande mortification de ce que celle-ci exprimât, à ne s'y point tromper, sur sa bonne franche physionomie, l'ignorance absolue où elle était de ce mystère jaune et de ce parfum noir. G. Leroux, Roul. tsar,1912, p. 7.
[Constr. avec un inf.] Rare. Il allumait des colères qu'il amortissait ensuite par l'égalité de son humeur et par une entière ignorance d'avoir pu mécontenter personne (A. France, Orme,1897, p. 198).
[P. ell. du compl. prép.] Jouer, feindre, simuler l'ignorance. L'Italien s'exclama contre de tels soupçons, protesta de son ignorance (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 150).Il savait pertinemment, en dépit de l'air d'ignorance affecté par les domestiques, que son histoire faisait plusieurs fois le tour de la cuisine (Châteaubriant, Lourdines,1911, p. 246) :
5. Ils n'allègueront pas l'incompréhension, l'ignorance. Ils sont de tous côtés avertis. Ils voient la conspiration clérico-militaire en plein jour. Ils connaissent ses moyens d'action. Ils savent qu'elle est prête à tout (...). Ils ont vu le prétendant d'Orléans se mettre ouvertement à sa tête. Ils savent que le Gesu tire les ficelles dans l'ombre. Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 231.
Geste (ou un terme appartenant au même paradigme) d'ignorance. Geste signifiant l'ignorance. Weiss eut un geste d'ignorance, que les deux soldats imitèrent, ne pouvant répondre, puisque les généraux eux-mêmes ne savaient pas quels ennemis ils avaient devant eux (Zola, Débâcle,1892, p. 197).
e) En partic.
État de celui qui n'a pas conscience (d'un trait psychologique ou de caractère, d'une aptitude). Personne n'a vécu, n'a souffert, n'est mort aussi simplement et dans une ignorance aussi profonde de sa propre dignité (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1193) :
6. Méfiez-vous de l'homme mûr qui répète sans cesse : « Je puis marcher la tête haute... je n'ai rien à me reprocher. » (...) devant sa conscience intime, il ment, ou du moins, il révèle, avec une pitoyable ignorance de lui-même, une âme dépourvue de scrupules, un cœur sans délicatesse et sans vraie bonté. Coppée, Bonne souffr.,1898, p. 155.
État de celui qui n'a pas fait l'expérience, qui n'éprouve pas (une émotion, un sentiment). Elles ont épousé une bonne cruche de mari dont la réserve conjugale les laisse aller jusqu'à la mort dans l'ignorance de toute sensualité raffinée et de tout sentiment élégant (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Échec, 1885, p. 1002).
2.
a) En partic., absol.
État de celui qui n'a pas reçu d'instruction, qui a peu ou qui n'a pas de connaissances intellectuelles, de culture générale. L'imposture des chefs et l'ignorance des peuples (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 467).Bien vite à court d'arguments, il en inventait quand même, dans lesquels se déployait toute l'étendue de son ignorance et de sa bêtise (Proust, Sodome,1922, p. 1063) :
7. Une dame me disait hier, à propos de l'ignorance des jeunes : « Figurez-vous qu'ils ne savent même pas ce que c'est que la mythologie. L'autre jour, la petite une telle m'a demandé ce que c'était que l'Éden... » Green, Journal,1949, p. 274.
SYNT. Être plein, rempli d'ignorance; être d'une ignorance crasse; ignorance épaisse, grossière, honteuse, incroyable; ignorance et aveuglement, incapacité, grossièreté, maladresse, paresse, sottise.
État social où manquent l'instruction, la culture et, p. ext. les lumières de la raison liées à la civilisation, au progrès des connaissances. Siècles d'ignorance et de misère. Les privilèges de naissance et de dignité, créations illégitimes de l'ignorance et de la force brutale (Proudhon, Propriété,1840, p. 184).Accablés par la mort, la maladie, l'ignorance, ils [les hommes] ressemblent à des bêtes traquées (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 349) :
8. On nous parle souvent (...) d'un cercle prétendu (...) qui, dit-on, ramène, par une fatalité inévitable, l'ignorance après les lumières, la barbarie après la civilisation. Mais, par malheur pour ce système, le despotisme s'est toujours glissé entre ces époques, de manière qu'il est difficile de ne pas l'accuser d'entrer pour quelque chose dans cette révolution. Constant, Esprit conq.,1813, p. 231.
[Personnifié] Briser la faux meurtrière de l'ignorance qui moissonne encore chaque année tant de mères et d'enfans (Baudelocque, Accouch.,1812, p. iv).Ici l'armée et là le peuple; c'est la France Qui saigne; et l'ignorance égorge l'ignorance (Hugo, Année terr.,1872, p. 278).
SYNT. Croupir, être plongé, vivre dans l'ignorance; les nuages, les ténèbres de l'ignorance; ignorance et bassesse, corruption, crédulité, erreur, illusion, méchanceté, préjugés, servitude, superstition; ignorance complète, absolue; ignorance dogmatique, superstitieuse.
b) Vieilli
En partic. État de celui qui n'est pas souillé par le mal, qui ne l'a pas commis. Synon. innocence.Bienheureuse, chaste ignorance; ignorance de l'enfant, de la jeune fille. Je vous en dirois davantage, madame, si je ne respectois la pure et sainte ignorance de la Vierge dont les jours sont voués au Seigneur (Cottin, Mathilde, t. 1, 1805, p. 180).Ô mon Adèle, je conserverai comme toi, sois-en sûre, jusqu'à la nuit enchanteresse de nos noces, mon heureuse ignorance (Hugo, Lettres fiancée,1822, p. 243).
État de l'homme avant qu'il ne goûte au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. [Ils] veulent ramener des nations qui ont goûté le don céleste à l'ignorance et à l'infirmité du premier âge (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 190) :
9. Dans le beau mythe par lequel s'ouvre le livre des Hébreux, c'est le génie du mal qui pousse l'homme à sortir de son innocente ignorance, pour devenir semblable à Dieu par la science distincte et antithétique du bien et du mal. Renan, Avenir sc.,1890, p. 19.
P. anal. État de l'homme avant le développement de la science, des savoirs rationnels. L'homme, dans sa première ignorance, supposa des divinités attachées à chaque phénomène (C. Bernard, Introd. ét. méd. exp.,1865, p. 77).Plus l'homme se développe par la tête, plus il rêve le pôle contraire, c'est-à-dire l'irrationnel, le repos dans la complète ignorance, la femme qui n'est que femme, l'être instinctif qui n'agit que par l'impulsion d'une conscience obscure (Renan, Souv. enf.,1883, p. vii).
3. THÉOL. ,,Absence de connaissance telle qu'elle cause l'involontaire, et par conséquent peut excuser du péché`` (Foi t. 1 1968). Pécher par ignorance. Il [l'auteur] espère n'avoir rien écrit qui offense la divine vérité. Mais s'il l'a fait c'est par ignorance, et il ne s'obstine pas dans son sens (Maritain, Primauté spirit.,1927, p. 5).
Ignorance antécédente, concomitante, conséquente, crasse, invincible, vincible. Si M. Ortègue ne voit pas la vérité religieuse à travers cette grande âme, c'est qu'il ne peut pas la voir, c'est qu'il a, comme nous disons, nous autres théologiens, l'ignorance invincible (Bourget, Sens mort,1915, p. 258).L'ignorance vincible est celle dont il est possible de sortir (...). L'ignorance vincible (...) est gravement coupable quand l'ignorant a manqué de la diligence habituellement mise dans les affaires de semblable nature. Elle est crasse (...) quand l'ignorant n'a rien fait pour s'informer. Tel celui qui ignore l'heure parce qu'il ne veut pas regarder sa montre (Traité de dr. canonique, sous la dir. de R. Naz, Paris, Letouzet et Ané, t. 1, 1954, pp. 118-119).
B. − P. méton., gén. au plur. Manifestation, preuve d'ignorance (dans les accept. supra). Son histoire (...) est semée d'inconséquences et d'ignorances sur les caractères (Barb. d'Aurev., Memor. 2,1838, p. 236).Je n'aime guère le mot influence, qui ne désigne qu'une ignorance ou une hypothèse (Valéry, Variété III,1936, p. 241).Les ignorances, erreurs et oublis des hommes leur appartiennent bien en propre (Billy, Introïbo,1939, p. 225).
C. − [Sans idée de connaissance] Rare. État de celui qui n'a pas une qualité donnée. Notre incapacité de tirer d'un mot toutes ses conséquences, et notre ignorance profonde de l'esprit de synthèse et d'analogie (Artaud, Théâtre et son double,1938, p. 57).
II. − [Correspond à ignorer II] Rare
A. − Connaissance, savoir que le locuteur juge inadéquat ou faux. L'âme passe indifféremment des animaux en nous, de nous dans les animaux (...) etc. voilà l'ignorance et la déclamation; voilà la fausse interprétation du pythagorisme (P. Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 422). 23 mars − Commencé la lecture d'En route, le récent livre de Huysmans, dont l'art pénible me harasse, et dont l'ignorance documentée me lève le cœur (Bloy, Journal,1895, p. 174).
B. −
1. Action délibérée de ne pas prendre en compte les connaissances acquises pour aborder un sujet. J'ai voulu jusqu'ici ignorer la vraie génération des coquilles; et j'ai raisonné, ou déraisonné, en essayant de me tenir au plus près de cette ignorance factice (Valéry, Variété V,1944, p. 24).
2. Action de ne pas reconnaître la nature, la valeur de quelque chose. Synon. méconnaissance.C'est (...) grâce à son ignorance de l'individu que la société moderne atrophie les adultes (Carrel, L'Homme,1935, p. 327).Si nous nourrissions des sentiments assez bas pour chercher à escroquer le peuple français de sa liberté future, nous ferions preuve d'une ignorance singulière de notre propre peuple (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 383).
C. − PHILOS. Ignorance (consciencieuse, docte, savante). Position philosophique ou spirituelle posant que toute connaissance se résout en conscience de la finitude des savoirs humains et de l'impossibilité d'une connaissance du monde ou de Dieu. Charron, après Montaigne, s'était appliqué à montrer que par « les seules forces de la raison », l'homme ne peut pas connaître Dieu, et que, même quand on le connaissait par la foi, on restait dans une « ignorance consciencieuse », à savoir dans l'agnosticisme (Théol. cath.,t. 4, 1, 1920, p. 802).Cette ignorance que Nicolas de Cusa, ce grand esprit, nommait, il y a bien des siècles déjà, la docte ignorance (Civilis. écr.,1939, p. 24-11) :
10. Que lui oppose-t-on et qu'avons-nous à mettre à sa place si nous la rejetons [l'hypothèse du transformisme]? Le grand aveu de l'ignorance savante qui se connaît, mais qui pour l'ordinaire est inactive et décourage la curiosité, plus nécessaire à l'homme que la sagesse même, ou bien l'hypothèse de la fixité des espèces et de la création divine qui est moins démontrée que la nôtre... Maeterlinck, Vie abeilles,1901, p. 275.
Prononc. et Orth. : [iɳ ɔ ʀ ɑ ̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1remoitié xiies. « faute commise par manque de connaissance » (Psautier Oxford, 24, 7 ds T.-L. : e mes ignorances ne remembrer [ignorantias meas ne memineris; cf. Psautier Cambridge : felunies]); 2. ca 1165 « état de celui qui ignore » (G. d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 3079); 3. 1611 « manque d'instruction, insuffisance du savoir » (Cotgr.). Empr. au lat.ignorantia « état d'ignorance (en gén. volontaire et blamâble) » à l'époque class. et spéc. dans la lang. chrétienne « ignorance de la loi morale, de la religion, de Dieu; faute, erreur ». Fréq. abs. littér. : 2 711. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 858, b) 3 365; xxes. : a) 4 071, b) 3 131.