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* Dans l'article "GÉMIR,, verbe"
GÉMIR, verbe
I. − Emploi intrans.
A. −
1. Qqn gémit.Pousser un, des cri(s) étouffé(s) et plaintif(s) exprimant une douleur ou un malaise physique. On me mena coucher, et toute la nuit je ne fis que gémir et soupirer dans mon sommeil (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 299).Elle gémissait à petits coups, comme ça... Heu... heu... c'était de douleur, non, de l'essoufflement plutôt (Bernanos, Crime,1935, p. 779) :
1. Nous entendîmes soudain mon oncle s'agiter et gémir, sa respiration était oppressée et sifflante, on eût dit par moments un râle saccadé et plaintif. Je sautai du lit et m'approchai : son front, ses mains étaient brûlants. Abellio, Pacifiques,1946, p. 336.
P. anal.
a) [Le suj. désigne un oiseau] Émettre un cri plaintif. La tourterelle, la colombe gémit. Le loriot siffle, le ramier gémit, l'hirondelle gazouille (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 170).Les oiseaux émettaient leurs cris, tandis que, faiblement, noirs dans le haut azur, des charognards gémissaient, en planant (Maran, Batouala,1925, p. 34).
b) [Le suj. désigne une chose] Émettre un son continu ou discontinu, assourdi et rappelant une plainte humaine. Les ressorts, les arbres gémissent. Le vent du soir gémit sous ces saules pleureurs (Michaud, Printemps proscrit,1803, p. 104).La poulie gémit comme gémit une vieille girouette quand le vent a longtemps dormi (Saint-Exup., Pt Prince,1943, p. 482) :
2. « Enfin, à la mer. Là seulement on est un peu tranquille. » (...) c'est le bruit des lames qui tapent contre les tôles et les font vibrer. Les chaînes des ancres, dans le puits, se tassent peu à peu avec des heurts sourds, et le navire neuf s'étire, craque, gémit, les cloisons de bois se fendent, la peinture s'écaille. Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 38.
Vieilli, loc. fig. Faire gémir la presse. Faire beaucoup imprimer. Il faut s'indépendantiser, et je n'ai que cet ignoble moyen-là : salir du papier et faire gémir la presse (Balzac, Corresp.,1821, p. 112).
[Le suj. désigne un instrument de mus., une production mus.] Retentir avec l'accent d'une plainte ou en évoquant une plainte humaine. Du matin au soir, retentit le tambour, gémit la flûte des sorciers jeteurs de sorts (Loti, Maroc,1889, p. 13).L'accompagnement gémit, le hautbois se lamente (Pirro, J.-S. Bach,1919, p. 112).
Au fig. Mais dans sa douce voix la plaine gémissait Et d'un regret profond l'accent se révélait (M. de Guérin, Poésies,1839, p. 54).En prononçant ces deux mots d'une tristesse sans bornes, il semble qu'on entende gémir le grand cri de désolation de l'humanité à travers les âges et son sanglot infini que jamais rien n'apaise (Bainville, Exilés,1874, p. 3).
2. Rare. Qqn gémit de qqc.[Le compl. prép. désigne un affect] Pousser un, des cri(s) étouffé(s) exprimant un affect très intense. Gémir de plaisir, de volupté. Des rappels brutaux le faisaient se jeter hors de sa couche, gémir de fureur et de douleur, crier, blasphémer (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 475) :
3. ... pendant une représentation du Chapeau de paille d'Italie, j'écoutais les réflexions de deux vieilles dames assises derrière moi. (...) elles étaient fort enthousiastes et gémissaient de bonheur à presque toutes les répliques. Green, Journal,1939, p. 168.
B. − P. ext. [Avec une valeur dépréc.]
1. Qqn gémit.Se plaindre sans cesse. Synon. se lamenter.On est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et (...) on n'a plus qu'à crier, − pas à gémir, non, pas à se plaindre, − à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire (Anouilh, Antig.,1946, p. 166) :
4. Zola (...) continue à gémir; et comme on lui dit qu'il n'a pas à se plaindre, qu'il a fait un assez beau chemin pour un homme qui n'a pas encore ses trente-cinq ans : « Eh bien, voulez-vous que je vous parle, là, du fond du cœur? » s'exclame Zola (...). Je ne serai jamais décoré, je ne serai jamais de l'Académie, je n'aurai jamais une de ces distinctions qui affirment mon talent. Près du public, je serai toujours un paria, oui, un paria! » Goncourt, Journal,1875, p. 1033.
2. [Construit avec un compl. prép.] Se plaindre à propos de (quelque chose).
Gémir de qqc.Elle (...) gémissait du velours qu'elle n'avait pas, du bonheur qui lui manquait, de ses rêves trop hauts, de sa maison trop étroite (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 124).Vous gémissez du moindre malaise, et vous vous moquez de moi s'il m'arrive de me plaindre de quoi que ce soit (Cocteau, Par. terr.,1938, I, 6, p. 214).
Gémir sur qqc.Le bon paysan ne gémit pas sur les chardons; il les coupe (Alain, Propos,1913, p. 158).Je propose quelque chose pour sortir du marasme, au lieu de continuer à gémir sur ce marasme et sur l'ennui, l'inertie et la sottise de tout (Artaud, Théâtre et double,1938, p. 100) :
5. Elle gémissait tout le jour sur le temps, les événements et les hommes : « On n'aurait rien à manger, si ça continuait comme ça. Il n'y avait presque plus de bon monde. Il n'y avait plus de saisons. Toujours trop d'eau, trop de sécheresse, trop de soleil et trop de vent. » Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 104.
Gémir de ce que + prop.Il me rappela Kean lorsqu'il jouait cette scène de Shakespeare où Richard III gémit de ce qu'une sorcière a jeté un sort sur son bras (Vigny, Journ. poète,1842, p. 1167).Elle, si dure aux plus rudes souffrances, gémissait de ce qu'elle avait dû renifler, assurant que cela lui « plumait le nez », et qu'on ne savait plus où vivre (Proust, Guermantes 1,1920, p. 66).
C. − Vieilli, littér. [Sans valeur dépréc.]
1. Qqn gémit.Éprouver une douleur morale (présentée comme intense). Synon. souffrir.Tel mari semble heureux, qui dans le fond de l'ame, gémit (Collin d'Harl., Vieux célib.,1792, I, 8, p. 25).Il [le philanthrope] gémit en voyant que l'ouvrier, non-seulement ne prévoit pas la vieillesse, mais qu'il ne prévoit pas même les accidens, la maladie, les infirmités (Say, Écon. pol.,1832, p. 377) :
6. ... les décrets de l'Assemblée Nationale seront anéantis, et il ne restera à la nation d'autre fruit de ses longs et pénibles efforts, de ses combats, de ses victoires, que la cruelle nécessité d'obéir en esclave, de gémir en silence, et d'être livrée à ses tyrans. Marat, Pamphlets, Dénonc. Necker, 1790, p. 114.
En partic. [Avec un compl. locatif fig.] Gémir sous le poids de qqc. Le peuple gémissait sous la triple tyrannie des rois, des chefs guerriers et des prêtres (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 95).La source unique de tous les maux dont nous cherchons le remède, c'est la servitude dans laquelle le catholicisme gémit (Lamennais, L'Avenir,1830-31, p. 223).
2. [Construit avec un compl. prép.] Ressentir avec douleur.
Gémir de qqc.L'homme moral, l'homme dont la raison est éclairée, gémit de la nécessité de vivre (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 164).
Gémir de + inf., de ce que + prop.Il faut que tu sois bien peu sensible à sa sublimité [de la vertu], pour ne pas gémir de la voir professer par des bouches aussi mensongeres! (Saint-Martin, Homme désir,1790, p. 171) :
7. ... Richard et Lusignan se précipitent à leur rencontre, Philippe-Auguste les suit; Bérengère gémit de ce que la dignité de son sexe et de son rang ne lui permet pas de les accompagner, et de savoir un moment plus tôt si elle va retrouver sa sœur. Cottin, Mathilde, t. 2, 1805, p. 28.
II. − Emploi trans.
A. − [Le compl. d'obj. désigne une production langagière] Prononcer en se plaignant, d'une manière gémissante. L'une sort du matin et chante avec l'aurore, L'autre gémit le soir un triste et long adieu (Lamart., Harm.,1830, p. 359).On lui passa vivement une guitare, et il gémit une romance intitulée Le Frère de l'Albanaise (Flaub., Éduc. sent., t. 1, 1869, p. 94) :
8. Il gémissait tout haut des bribes de phrases : « Gnia plus de respect! Plus de reconnaissance! À quoi bon se décarcasser. Toujours l'ingratitude... » Le paquet bouclé, tant bien que mal, il vint se placer dans l'ouverture de la porte et s'écria d'une voix larmoyante : − Mon cher monsieur, vous me direz quand même au revoir. Duhamel, Combat ombres,1939, p. 95.
P. métaph. Une phrase plaintive (largo sostenuto), est gémie par les violoncelles (Prod'homme, Cycle Berlioz,1896, p. 78).
Rem. On relève une attest. d'emploi pronom. passif. Ce qui se murmure ou se gémit dans les extrêmes de la passion (...), ce sont paroles qui ne se peuvent résoudre en idées claires (Valéry, Variété III, 1936, p. 16).
B. − Rare. [Construit avec une prop. complétive] Dire en se plaignant, d'une manière gémissante. L'été il est là à gémir qu'il va mourir (Giono, Regain,1930, p. 229).Les femmes commencèrent à gémir qu'elles avaient mal aux pieds (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 62).
[Empl. pour introd. un discours direct ou en incise] La voix recommença à gémir : − Grâce! Sire! Je vous jure que c'est Monsieur le cardinal d'Angers qui a fait la trahison, et non pas moi (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 495).Je manque de courage, gémit-il. Je devrais te parler, mais je ne peux pas. J'ai peur de toi (Green, Moïra,1950, p. 82).
Rem. 1. On relève dans la docum. a) Qq. emplois du sens class. Retentir, résonner. Sous les coups redoublés nos cuirasses gémissent; De nos casques d'airain mille flammes jaillissent (Baour-Lormian, Ossian, 1827, p. 106). Écoutons la plage gémir, Le flot qui bat, le ciel qui tonne (Sainte-Beuve, Poésies, 1829, p. 53). b) Diverses constr. prép. α) [Prép. indiquant un but] Je ne forme plus (...) les images douces vers lesquelles j'aurais pu gémir. Le soleil a séché en moi la source des larmes (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p. 240). Nos deux peuples cherchent passionnément à se rejoindre, gémissent après la paix (Mauriac, Nouv. Bloc-notes, 1961, p. 393). β) [Prép. contre] S'il y avait autant de générosité et de noblesse au monde que de bouches pour gémir contre l'égoïsme et la dépravation! (Mounier, Traité caract., 1946, p. 502). c) Un emploi subst. masc. de gémir. Je pensais (...) de temps en temps à ce gémir de marmouset qu'il m'avait semblé entendre de nuit (Giono, Baumugnes, 1929, p. 106). 2. Les accept. I A et I B supra sont proches des accept. I A et I B de geindre. V. ce mot et la rem. en fin d'article.
Prononc. et Orth. : [ʒemi:ʀ], (il) gémit [zemi]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1170 « exprimer sa peine d'une voix plaintive » (Vie d'Edouard le Confesseur, 1792 ds DEAF, s. v. gemir, 453, 22). Empr. au lat. class.gemere « gémir, se plaindre; déplorer » (d'où l'a. fr. giembre, v. geindre) avec changement de conjugaison. Fréq. abs. littér. : 2 184. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 562, b) 2 356; xxes. : a) 3 590, b) 2 823.
DÉR.
Gémisseur, -euse, adj. et subst.(Celui, celle) qui gémit, se plaint sans cesse. Des estropiés, des gémisseurs, des crieurs (Barbusse, Feu,1916, p. 303).Adj. Qui se manifeste par des gémissements. L'adjointe s'approcha des bancs, harcelée par ce mot crié sur tous les tons, archi-aigus, gémisseurs, rageurs : − Madame! Madame! (Frapié, Maternelle,1904, p. 19).[ʒemisœ:ʀ], fém. [-ø:z]. 1reattest. 1464 (J. Lagadeuc, Catholicon, éd. Auffret de Quoetqueueran, Bibl. de Quimper ds Gdf. : gémisseur, gemosus), ex. isolé; 1775-76 (Restif de La Bretonne, Paysan perverti d'apr. S. Mercier, Néol., t. 1, 1801, p. 295 : ceux qui prennent le rôle de gémisseur sur les abus), rare, devenu terme de méd. au xixes. (délire des gémisseurs, Littré); du part. prés. de gémir, suff. -eur2*.