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ÉGARER, verbe trans.
I.− Emploi trans.
A.− [Le compl. d'obj. désigne en gén. une pers.]
1. [L'idée principale est le mouvement]
a) Mettre (quelqu'un) hors du chemin qu'il doit suivre. Synon. fourvoyer :
1. Un épais brouillard égare le navire. On a perdu le point. On tâtonne et la sonde plonge et replonge. Gide, Voyage au Congo,1927, p. 685.
Rem. On rencontre ds la docum. quelques attest. du part. prés. égarant employé comme adj. Des flaques de lumière égarantes (Gracq, Syrtes, 1951, p. 353).
Rare. [Construit avec un compl. désignant le point de départ, introduit par de, hors de, loin de...] La mer tient l'homme et l'isole, Et l'égare loin du port (Hugo, Chans. rues et bois,1865, p. 258).
b) [Avec un compl. désignant la direction]
Poét. Conduire sans but défini. Quel parfum trop subtil m'égare vers les bois? (Valéry, Cantate du Narcisse,1939, p. 264).
Conduire dans un lieu condamnable moralement ou insolite. Un faux libertin qu'un désespoir d'amour égare en un festin (Sully Prudh., Justice,1878, p. 210).
c) Poét. [Le compl. d'obj. désigne une partie du corps, référant au suj.] Égarer ses pas. Les porter sans but défini. Sur les grèves des flots en égarant leurs pas Ils entendent des voix que nous n'entendons pas (Lamartine, Chute,1838, p. 952).
P. anal. Égarer ses mains, ses yeux. Les laisser, les faire errer. Abigaïl rouvrit les yeux et les égara autour d'elle (Borel, Champavert,1833, p. 95):
2. Et sur un peigne d'écaille Égarant ses vagues doigts, Du songe encore prochaine, La paresseuse l'enchaîne Aux prémisses de sa voix. Valéry, Charmes,1922, p. 112.
P. métaph. Égarer ses rêves, ses pensées. On ne la voyait point sur l'émail des prairies, Au printemps, égarer ses molles rêveries (Baour-Lormian, Veillées,1827, p. 308).
2. Au fig. [Le compl. d'obj. désigne une pers. ou une faculté psychique; l'accent est mis sur le fait de détourner, de tromper]
a) Vieilli. Détourner (quelqu'un) des voies de la morale et de la religion. Synon. dévoyer.Je voudrais maintenant que tout Nemours pût m'entendre vous avouant qu'une fatale passion a égaré ma tête et m'a suggéré des crimes punissables par le blâme des honnêtes gens (Balzac, U. Mirouët,1841, p. 228).La bonne chère, qui égare les prélats eux-mêmes (Faral, Vie St Louis,1942, p. 250).
b) Dans le domaine intellectuel.Tromper, porter à l'erreur. Synon. fourvoyer.Un plan bien conçu, un coup d'œil que n'égare pas l'esprit de système, que ne limite pas l'esprit de parti (Jouy, Hermite,t. 4, 1813, p. 133).Presque toujours l'objet fournit trop; les détails égarent l'attention (Alain, Beaux-arts,1920, p. 210):
3. ... en vous disant de diriger vos regards vers la médecine de l'avenir, je ne vous nuis en aucune façon et je ne vous égare d'aucune manière. Ce sont ceux qui, au contraire, vous disent que le microscope et les sciences auxiliaires ne servent à rien qui vous nuisent et vous égarent, parce qu'ils vous détournent d'acquérir des connaissances qui vous seront plus utiles au cours de l'avenir que dans le présent. C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878, p. 109.
Spéc. dans le domaine pol.Abuser, détourner de son devoir. Égarer le peuple, une nation, l'opinion. Les fauteurs de désordre, toujours prêts à égarer une population d'elle-même inoffensive et respectueuse (Guéhenno, Journal homme 40 ans,1934, p. 46).Ramener dans le devoir ces pauvres troupes égarées par la propagande de l'ennemi (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 169).
Égarer des soupçons, une enquête. Mettre sur une fausse piste. Après avoir cisaillé les barbelés vers l'extérieur du camp et poussé le souci de la mise en scène jusqu'à y suspendre des fils kakis pour mieux égarer les soupçons, ils se glissèrent adroitement dans notre bloc (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 346).
c) Troubler, faire perdre le contrôle de soi. La douleur, l'amour égare l'esprit, la raison. Ne puis-je demander un secours contre ces passions qui m'égarent, et, en retrouvant mes esprits, retrouver ma clef par cela même? (Alain, Propos,1929, p. 851).Au milieu de mon déséquilibre nerveux (...) je justifie avec des pensées les impressions qui m'égarent (Bousquet, Trad. du silence,1935-36, p. 187).
Absol. Telles sont les chimères qui charment et égarent au matin de la vie (Nerval ds Durry, Nerval,1956, p. 159).
Poét. [Le compl. d'obj. désigne une partie du corps] Égarer la tête (de qqn). Ô beauté des regards que le désir égare (Noailles, Ombre jours,1902, p. 164).
3. P. métaph. [Avec un compl. de lieu; dans les mêmes domaines que 2 a et b]
a) [Avec un compl. désignant le point de départ, introduit par de, hors de, loin de...] Une affreuse pensée empoisonneroit ma vie si l'homme que je prendrois pour guide m'abandonnoit un jour, ou que, par ses maximes et sa conduite, il cherchât à m'égarer du chemin étroit que suit un vrai chrétien (Balzac, Annette,t. 2, 1824, p. 132).
b) [Avec un compl. désignant la direction; introduit par dans, vers] On a peur d'égarer une âme aux blanches ailes Dans les sentiers souillés par tant d'âmes cruelles (Desb.-Valm., Fragm.,1859, p. 247).Égarer les critiques vers un ordre de recherches si visiblement superficiel (Gracq, Argol,1938, p. 8).
B.− [Le compl. d'obj. désigne un objet, gén. de petite taille] Mettre (quelque chose) en un endroit qu'on oublie et où on ne peut (le) retrouver par la suite; perdre momentanément. J'ai toujours l'air, quand j'égare mon dé, d'avoir perdu un parent bien-aimé (Colette, Sido,1929, p. 59):
4. Louise a beaucoup d'ordre et de soin. Jamais elle n'égare son mouchoir, ni ses rubans. C'est une grande qualité que l'ordre et tous les enfants devraient ressembler à Louise. Frapié, La Maternelle,1904, p. 119.
P. jeu [En parlant d'une pers.] J'ai eu raison, toutes ces nuits où je veillais au-dessus de toi, de prendre tous mes repères pour te reconnaître, si un jour je t'égarais (Giraudoux, Sodome,1943, II, 8, p. 143).
II.− Emploi pronom.
A.− [Le suj. désigne une pers., un être vivant ou leurs caractéristiques, leurs actions]
1. [L'idée dominante est celle de mouvement; le verbe est construit avec un compl. désignant le lieu ou la direction]
a) S'écarter du chemin que l'on doit suivre et ne pouvoir le retrouver. S'égarer dans un bois. Synon. se perdre.Si un voyageur inexpérimenté s'égare de quelques pas, le sable trompeur le saisit (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 79):
5. Je me trompai, comme il m'arrive trop souvent, et m'égarai dans les cuisines. Instruit de mon erreur et remis dans la bonne voie, je pris place un instant plus tard dans une petite salle déserte. Green, Journal,1938, p. 125.
b) [Souvent dans un cont. poét.] S'écarter intentionnellement de tout chemin et aller au hasard. Synon. errer, flâner.Les couples, de jour, ne pouvaient pas s'égarer dans les grèves, − de terre ou de mer ils risquaient d'être aperçus (Queffélec, Recteur,1944, p. 152).
c) Aller dans un lieu jugé condamnable moralement, ou insolite. Synon. se fourvoyer.L'abbé Klein causait avec divers universitaires chez qui il s'égare et on le poussait sur l'idée de Dieu (Barrès, Cahiers,t. 8, 1910, p. 101).Un uniforme français était un événement dans ces quartiers excentriques où nous ne nous égarions guère (Vercel, Capit. Conan,1934, p. 72).
d) [Le suj. désigne une partie du corps; gén. dans un cont. poét.] Se porter au hasard. Les pas s'égarent. Les libres horizons où s'égarait ta course (Lamart., Chute,1838, p. 1025).
P. anal. S'égarer sur (en parlant des mains, des gestes, des yeux, du regard).Errer sur, se porter avec trop de liberté sur. Sa main s'égarait sur moi plus hardiment que sur Madame, et à des endroits de mon corps plus précis (Mirbeau, Journal femme,1900, p. 117).Elle laissa quelques instants ses doigts s'égarer sur l'ivoire, esquissant des lambeaux de phrases musicales (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 79).
P. métaph. J'ai dans mon cœur un parc où s'égarent mes maux (Noailles, Cœur innombr.,1901, p. 71).
2. Au fig. [Le suj. désigne une pers. ou une faculté psychique]
a) Dans le domaine moral ou relig.S'écarter du droit chemin, du devoir. Celui-là ne sait pas à quel point il s'égare qui, par des dépenses excessives, réduit ses enfants à la gêne (Camus, Dév. croix,1953, 1rejournée, p. 530).
b) Dans le domaine intellectuel.Se tromper, s'écarter de la vérité. Le jugement instinctif s'égare encore ici; et les braves gens comme Déroulède trouvent leur plaisir à être dupes (Alain, Propos,1913, p. 147):
6. À quoi sert au savant cette vérité générale que ce phénomène, comme tous les autres est une forme? (...). Elle peut empêcher le savant de s'égarer en réalisant des abstractions et des symboles qui ne peuvent servir que d'étapes. Ruyer, Esquisse d'une philos. de la struct.,1930, p. 233.
Spéc. [Dans une discussion, un raisonnement] S'écarter de son propos. Leurs affaires! un bureau au rez-de-chaussée, un téléphone, une dactylo... derrière ce décor, l'argent disparaît par paquets de cent mille. Mais je m'égare (...) nous sommes en 1883 (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 44).
P. méton. La discussion, le débat s'égare.
c) S'écarter du bon sens, du raisonnable. Synon. divaguer.Je me recouche, pardonnez-moi. Je crains de m'être exalté; je ne pleure pas, pourtant. On s'égare parfois, on doute de l'évidence, même quand on a découvert les secrets d'une bonne vie (Camus, Chute,1956, p. 1548).
Être frappé d'égarement, d'un trouble psychique proche de la folie (cf. égarement C 2).Fernand sentit sa raison s'égarer et la folie arriver à grands pas (Ponson du Terr., Rocambole,t. 1, 1859, p. 700):
7. Il m'arrivait de me dire avec fierté et avec crainte que j'étais folle : la distance n'est pas très grande entre une solitude tenace et la folie. J'avais bien des raisons de m'égarer. Depuis deux ans je me débattais dans un traquenard, sans trouver d'issue; je me cognais sans cesse à d'invisibles obstacles : ça finissait par me donner le vertige. Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 258.
La tête s'égare. La tête de Luizzi s'égarait de plus en plus; il sentait ses idées errer dans son cerveau comme une foule prise de vertige (Soulié, Mém. diable,t. 2, 1837, p. 355).
3. P. métaph. [Dans les mêmes domaines que 2 a et b; avec un compl. prép. désignant ce qui cause ou constitue l'égarement moral ou intellectuel]
a) [Avec un compl. désignant le lieu, introduit souvent par dans] Il n'étoit pas dans son caractère de s'égarer longtemps dans des conjectures inutiles sur des choses qui la touchoient si légèrement (Nodier, J. Sbogar,1818, p. 135).Ma vie s'est concentrée dans cette seule idée : (...) te faire une position quand tu t'égarais dans mille expériences ou dangereuses ou folles (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 149):
8. Ils en étaient tout de suite arrivés aux grands thèmes; il n'y a qu'avec les femmes qu'on va ainsi directement à l'essentiel; les conversations des hommes s'égarent d'abord du côté des gazogènes, des poulets à la crème et de la tactique politique. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 137.
b) [Avec un compl. désignant la direction, introduit par vers, sur, ...] Thomas d'Aquin n'ignore pas que l'amour humain s'égare trop souvent vers des objets indignes de sa nature (Gilson, Espr. philos. médiév.,1932, p. 78).Le metteur en scène a tort de s'égarer sur des effets de décors plus ou moins savamment éclairés (Artaud, Théâtre et double,1938, p. 128).
c) [Avec un compl. introduit par en] S'égarer en vains discours, en raisonnements. Je m'embarque, je m'embrouille, je patauge, je m'égare en un tissu d'inepties (Renan, Souv. enf.,1883, p. 152).
B.− [Le suj. désigne une chose]
1. Être momentanément perdu. Je ne me permets pas dans une feuille volante, apte à s'égarer, de vous en dire davantage (Lautréamont, Chants Maldoror,1869, p. 338):
9. Elles avaient fait à la mairie leur demande pour être évacuées. Leur demande s'égara, disparut, elles n'en curent plus de nouvelles. Van der Meersch, L'Invasion 14,1935, p. 381.
2. Rare. Être en un endroit insolite, interdit. Ici [dans les tableaux d'Ingres] nous trouverons un nombril qui s'égare vers les côtes (Baudel., Curios. esthét.,1867, p. 155).
Prononc. et Orth. : [egaʀe], (j')égare [ega:ʀ]. Enq. : /egaʀ/ (il) égare. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 esguarethe adj. fém. « troublée, inquiétée » (Alexis, éd. Chr. Storey, 134); 2. ca 1120 esguarer intrans. « perdre le bon chemin » (Benedeit, Voyage de Saint Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1642); 3. ca 1200 esgaré de « privé de » (Jourdain de Blaye, éd. P. F. Dembowski, 2244), uniquement en a. fr. et en m. fr., cf. T.-L., Gdf.; 4. 1397-98 « mettre (un objet) à une place qu'on oublie, le perdre momentanément » (Comptes de l'hôtel des rois de France, éd. L.-C. Douët d'Arcq, p. 300). Du germ. *warôn « faire attention à », cf. all. wahren, bewahren; préf. é-*. Égarer est entré en fr. indépendamment de garer*, plus tardif, v. FEW t. 17, p. 538 a-b. Fréq. abs. littér. : 1 556. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 512, b) 1 476; xxes. : a) 1 886, b) 1 692. Bbg. Brüch 1913, p. 165. − Gottsch. Redens. 1930, p. 67. − Guiraud (P.). Le Champ morpho-sém. du mot tromper. B. Soc. Ling. 1968, t. 63, pp. 96-109.