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CREVER, verbe.
I.− Emploi trans.
A.− [Le compl. d'obj. désigne une chose]
1. Percer violemment un objet gonflé ou tendu ou une surface continue :
1. Il se fit tout à coup un grand tumulte parmi les spectateurs du cirque, qui goûtaient une scène comique imprévue. Une bande de gamins avaient crevé la toile avec un couteau, et s'était introduite économiquement dans le cirque en passant sous les gradins. Champfleury, Les Bourgeois de Molinchart,1855, p. 177.
2. Derrière une brume bleue, le groupe des gratte-ciel se lève, grandit peu à peu, crève de la tête la brume, offre au soleil des fronts dont aucun édifice humain n'égale la hardiesse. Colette, En pays connu,1949, p. 197.
SYNT. Crever un pneu. ou absol. (en emploi quasi intrans.) crever. Avoir un pneu de son véhicule percé accidentellement. Crever le riz. Faire gonfler et ramollir le riz à l'eau bouillante, au point d'en faire ouvrir les grains. Vous passerez votre bouillon au tamis et vous y ferez crever votre riz (Viard, Cuis. royal, 1831, p. 16). Crever la peau (à qqn). Trouer la peau à quelqu'un avec une arme tranchante ou par balle, absol. tuer. Pour elle, à l'ombre du drapeau, Nous nous ferons crever la peau! (A. Bruant ds France 1907). Crever les yeux (à qqn). α) Rendre quelqu'un aveugle en lui perçant les globes oculaires. Il ne s'est pas crevé les yeux. Pourtant, plus qu'Œdipe nous le jugeons malheureux entre tous les mortels (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 142). β) Au fig. S'imposer à l'esprit par son caractère d'évidence. Ceux qui les payent [les tueurs] obéissent à de bons gros motifs, qui crèvent les yeux tant ils sont énormes (Id., Nouv. Bloc-notes, 1961, p. 160) :
3. ... cet argent, il irait, l'insensé, s'exposer bêtement à le perdre? Allons donc! L'invraisemblance d'une telle hypothèse crèverait les yeux à un enfant de dix-huit mois, et il faut, pour que vous-même vous n'en soyez pas aveuglé, qu'un furieux amour vous possède, du sophisme et du paradoxe. Courteline, Messieurs-les-Ronds-de-cuir,1893, 4etabl., 3, p. 158.
P. métaph. Réduire à néant. J'ai crevé honnêtement les notions qui m'embarbouillaient l'esprit (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1894, p. 218):
4. Il faudra détruire un à un, patiemment, leurs espoirs, crever leurs illusions, leur faire voir à nu leur condition épouvantable, les dégoûter de tout, de tous et, pour commencer, d'eux-mêmes. Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 213.
SYNT. Crever le cœur. Causer un violent chagrin. De passer si près de Phalsbourg sans voir ceux que j'aimais me crevait le cœur (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 133).
2. P. anal. Former un contraste violent avec quelque chose. Cinquante coups de fusil crevèrent le silence glacé des champs (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Souvenir, 1882, p. 170):
5. ... elle avait l'air très jeune, (...) un peu honteuse et embarrassée du luxe débordant de ses cheveux, qui crevaient la nudité de son chapeau. Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 522.
SYNT. Crever l'écran. Au fig. [En parlant d'un acteur de cin.] Manifester dans un jeu une grande intensité d'expression (attesté ds Lar. encyclop.). Crever le plafond. Faire œuvre originale. Je disais à un jeune écrivain qu'en littérature il fallait crever le plafond, autrement cela ne valait pas la peine de songer à écrire (Green, Journal, 1950-54, p. 169).
B.− Pop. [Le compl. d'obj. désigne un être animé] Tuer :
6. Un jour ils ont voulu me mettre de semaine aux prisonniers de guerre. J'ai dit au doublard : « Si vous me foutez avec les Fritz, j'en crève un... Je ne veux plus voir leurs sales gueules... » Dorgelès, Les Croix de bois,1919, p. 275.
P. hyperb. et affaiblissement de sens conjoints. Épuiser de fatigue. Crever de travail des hommes pauvres, cela est très honteux (Malraux, Conquér.,1928, p. 107).
SYNT. Crever un cheval. Exténuer un cheval en lui imposant des efforts excessifs. Mais dussé-je crever mon cheval; je suivrai la chasse (Ponson du Terr., Rocambole, t. 5, 1859, p. 455).
II.− Emploi pronom.
A.− Emploi pronom. réfl. Se ruiner la santé; se fatiguer à l'extrême; s'éreinter. Tu travailles comme un cheval, tu te crèves (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1101).
B.− Emploi pronom. non réfl. (le pron. agglutiné n'a pas de valeur pers.). S'ouvrir sous l'effet d'une pression excessive. À chaque heure du jour ton cœur se crevait de dégoût (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 203):
7. ... l'eau se gonfle, se crève en quelques bulles dont les cercles blanchâtres tournoient comme des anneaux d'argent... Du Camp, En Hollande,1859, p. 183.
III.− Emploi intrans.
A.− [Le suj. désigne une chose]
1. S'ouvrir brusquement sous l'effet d'une pression ou d'une tension excessive :
8. ... Mais les captifs furent sérieusement incommodés par les miasmes exhalés des fissures du sol et les bulles qui crevaient sous la tension des gaz intérieurs. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 3, 1868, p. 112.
9. Ah! Je voudrais qu'une nuit toutes les digues du Rhône crèvent, et que le fleuve emporte la ville d'Arles, avec celles qui y sont. A. Daudet, L'Arlésienne,1872, II, tabl. 2, 2, p. 387.
P. métaph. Disparaître subitement. La simplicité de ces innocents fera crever l'orgueil du serpent qui est logé dans ces démoniaques (Barrès, Colline insp.,1913, p. 211).
2. P. anal.
a) Regorger de quelque chose au point de paraître prêt à en éclater. Son front me parut près de crever sous l'effort du génie (Balzac, L. Lambert,1832, p. 81).Un hôtel qui crevait d'hommes et de meubles (Zola, Nana,1880, p. 1356).
b) Se manifester subitement au grand jour. Une haine de vingt années crève à présent comme un abcès (Bernanos, MmeDargent,1922, p. 12).
B.− [Le suj. désigne un animal ou, p. ext. péj., une pers.] Mourir. Le charlatanisme (...) s'est glissé dans toute profession (...) il n'y a si petit homme qu'il n'ait gonflé. − Le nombre est incalculable des grenouilles qui crèvent (Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 148):
10. Parce que je n'aurai songé qu'à moi, qu'à moi seul, (...) il faudra que tout un pays périsse! Il faudra qu'une pauvre femme crève à l'hôpital! Qu'une pauvre petite fille crève sur le pavé! Comme des chiens! Ah! Mais c'est abominable! Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 283.
SYNT. Chaleur à crever. Chaleur étouffante. Dans l'exaltation générale et la chaleur à crever (Malraux, Espoir, 1937, p. 514). Crever d'ennui. S'ennuyer à mourir. Personne ne fait attention aux vieux libertins blasés qui crèvent d'ennui et dont Parïs est pavé (Stendhal, Amour, 1822, p. 239). Crever d'envie. Maintenant que mon chapitre est fini, je crève d'envie de dormir (Flaub., Corresp., 1868, p. 157). Crever de faim, crever la faim ou absol. la crever. α) Dépérir de faim. Dites donc, père, nous crevons de faim. Vous nous donnerez bien du pain et du fromage (Zola, Débâcle, 1892, p. 159). β) P. ext. Vivre dans la misère. Il n'avait pas envie de crever la faim, en s'échinant pour les autres (Zola, Assommoir, 1877, p. 598). Crever de jalousie. Nourrir une jalousie maladive. Je lui ai dit [à Colleville] que Thuillier crèverait de jalousie en lui voyant sa rosette (Balzac, Pts bourg., 1850, p. 120). Crever d'orgueil. Les dreyfusards devenus combistes crevaient déjà d'orgueil (Péguy, Notre jeun., 1910, p. 96). Crever de rage. MmeRebondin, véritablement asthmatique, pensa crever de rage (Aymé, Brûlebois, 1926, p. 80). Crever de rire. Rire à en éclater. Un portrait de Joseph, avec des cils comme une star de cinéma... non, c'est à crever de rire! (Green, Moïra, 1950, p. 80).
Rem. 1. Crever s'emploie à la forme subst. dans la lang. pop. : attraper la crève « prendre froid ». Il a un accent lourd et traînant qu'un enrouement aggrave. Il tousse. − J'ai attrapé la crève, c'coup-ci (Barbusse, Feu, 1916, p. 12). 2. On rencontre ds la docum. le subst. masc. creveur. Celui qui crève. La misère de ce creveur d'yeux, parricide et sacrilège, est si profonde et sa solitude si parfaite, qu'on croirait vraiment qu'il assume, à la façon d'un rédempteur, l'abomination de la multitude qui le déchire (Bloy, Femme pauvre, 1897, p. 147).
Prononc. et Orth. : [kʀ əve], (je) crève [kʀ ε:v]. Fait partie des verbes qui changent [ə] muet du rad. en [ε] ouvert, écrit è accent grave devant syll. muette. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 2emoitié du xes. trans. lis ols crever (Vie de Saint Léger, éd. J. Linskill, 154); 2. 1130-40 intrans. « éclater, mourir » (Wace, Sainte Marguerite, 336 ds Keller, p. 38b); 1613 faire crever (un cheval, par l'effort) (Regnier, Sat. V, éd. G. Raibaud, 223); 1867 petit crevé ou subst. crevé (ds Larch. 1880); 3. 1155 intrans. « éclater » (Wace, Brut, 12694 ds Keller, p. 352a); ca 1223 d'ire crever (G. de Coinci, éd. F. Kœnig, 1 mir 10, 201); av. 1630 crever d'en rire (A. d'Aubigné, Confession du Sieur de Sancy, VI, éd. Réaume et Caussade, II, 342); 1880 crevant « drôle » (Zola, Nana, p. 1177); 4. 1160-70 trans. « faire mourir, tuer » (Wace, Rou, 8828 ds Keller, p. 276b); 1680 se crever « se fatiguer » (Rich.); 1876 crevant « épuisant » (Zola, E. Rougon, p. 32); 5. 1554 « gaver » aussi pronom. « se gaver » (Calvin, Serm. sur le Ps. 119, p. 121). Du lat. class. crepare « rendre un son sec, éclater », attesté en b. lat. aux sens 2 et 3. Fréq. abs. littér. : 2 476. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 996, b) 4 247; xxes. : a) 5 505, b) 4 092. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, passim.Mat. Louis-Philippe 1951, p. 58, 254. − Pauli 1921, p. 44. − Quem. 2es. t. 2 1971 (s.v. crève).