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ANÉANTIR, verbe trans.
I.− Emploi trans.
A.− [Le suj. ou l'agent − parfois implicite − désigne une force capable d'exercer une grande violence] Réduire à néant, détruire.
1. [Le néant atteint l'être dans sa totalité]
a) PHILOSOPHIE :
1. Sylvius nous a dit : je crois à la transmigration des âmes; soit, la thèse est bonne; mais il aurait pu ajouter : et je crois aussi à la transformation de la matière; la matière est, comme l'esprit, indestructible et éternelle; il eût pu dire : je ne crois pas à la résurrection de la chair, parce qu'elle ne meurt jamais! Les machines les plus formidables ne pourront pas anéantir un grain de sable. Dieu lui-même n'annihile rien, car il est éminemment créateur; il transforme, mais il ne détruit jamais. M. Du Camp, Mémoires d'un suicidé,1853, p. 239.
b) RELIG., MYSTIQUE. Absorber l'être particulier dans le Tout universel :
2. ... le nirwana ou l'anéantissement au sein de l'être infini était le but promis au sage parvenu à la vertu suprême et à la science de l'absolu. Les sages ainsi sauvés, c'est-à-dire anéantis, les autres hommes restaient soumis à la renaissance dans la vie, conformément au sentiment naturel qui avait inspiré aux Indiens leur idée de la vie éternelle. P. Leroux, De l'Humanité,t. 1, 1840, p. 299.
2. Lang. cour. [Le néant atteint la nature ou l'essence d'un être]
a) [Le suj., parfois implicite, désigne un agent naturel, phys., chim. ou une manifestation du psychisme hum.; l'obj. désigne une chose ou une pers., ou un aspect de la pers. hum.] Altérer jusqu'à faire disparaître complètement. Anton. préserver, conserver, maintenir :
3. Il résolut alors de vouloir plus, de vouloir tout. Embarrassé comme un amant jeune encore qui n'ose pas croire à l'abaissement de son idole, il hésita longtemps, et connut ces terribles réactions de cœur, ces volontés bien arrêtées qu'un mot anéantit, ces décisions prises qui expirent au seuil d'une porte. H. de Balzac, La Duchesse de Langeais,1834, p. 275.
4. Vous avez vu mille fois sur le bord de la mer des rochers énormes, d'une masse imposante, d'une carrure massive, des rochers de granit ou de basalte lavés par les flots débiles. Vous les avez vus, malgré leur grosseur, troués en mille endroits, perforés, minés, menaçant de choir, et n'en doutez pas, un jour arrive, ils tombent, ils sont réduits en sable, ils sont anéantis, et comment voulez-vous que le flot persistant des pensées malsaines auxquelles vous vous donnez en proie ne finisse pas par amener à votre égard un résultat tout pareil? H. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 351.
b) [Le suj. ou l'agent − parfois implicite − désigne un engin ou un ensemble d'engins dont la fonction est de détruire; l'obj. désigne une pers. ou des collectivités] Faire mourir :
5. Un duel, et il n'avait pas vingt ans. Voilà qui était digne de lui. « C'est dommage que les duels ne jouissent plus de leur ancienne faveur ». Et s'il était tué? La gorge contractée, il se voyait anéanti, corps et âme, lui qui avait à peine vécu. Il sentait dans la vie une douceur inépuisable, et se maudissait de n'avoir pas su la goûter. M. Arland, L'Ordre,1929, p. 169.
En partic., dans un cont. guerrier :
6. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l'instruction la plus solide, la discipline et l'application les plus sérieuses, adaptés à d'épouvantables desseins. Tant d'horreurs n'auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d'hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps; mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et devoir, vous êtes donc suspects? P. Valéry, Variété 1,1924, p. 13.
7. ... la veille, quatre corps d'armée allemands avaient livré bataille à nos alliés, et dans la soirée, vers 18 heures, ceux-ci avaient subi une coûteuse défaite : deux divisions sur cinq étaient presque anéanties, et les autres étaient en assez médiocre état. J. Joffre, Mémoires,t. 1, 1931, p. 324.
c) [Le suj. désigne une force soc.; l'obj. désigne la pers. hum.] Faire disparaître la personnalité d'un être :
8. ... l'individu n'est pas facilement extrait et séparé du tout social pour une pensée rigoureuse et une totalité cesse d'être humaine si elle absorbe et anéantit l'individu. F. Perroux, L'Écon. du XXes.,1964, p. 590.
B.− Emplois hyperboliques.
1. MYSTIQUE. Compter pour rien sa propre personne devant l'être infini de Dieu (supra abaisser*) :
9. On pourra me demander maintenant pourquoi le soleil abaisse vers nous sa partie supérieure, plutôt qu'il n'élève son inférieure : à cela je répondrai sans doute, comme Newton, que la raison en est dans la volonté suprême de Dieu; mais sa volonté n'est pas sans raison, puisque, suivant le newtonien Clarke, elle est la raison même. Au reste, j'anéantis la mienne devant sa sagesse infinie, à l'exemple de Newton, de Clarke, de Leibnitz, et de tous les hommes qui ont tant soit peu médité sur ces sublimes ouvrages. J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 342.
2. Lang. cour. [Le suj. désigne une force phys. ou psychique] Priver quelqu'un de la capacité d'agir ou de réagir, comme s'il avait cessé de vivre.
a) [Sous l'effet d'un choc émotionnel] :
10. Il répéta, de sa voix haute, inexorable : − Écris, écris. Puis, les yeux dans les siens, sans colère, sans gros mots, mais avec une obstination dont elle sentait le poids l'écraser, l'anéantir : − Ce que je vais faire, tu le verras bien ... Et, entends-tu, ce que je vais faire, je veux que tu le fasses avec moi ... Comme ça, nous resterons ensemble, il y aura quelque chose de solide entre nous. É. Zola, La Bête humaine,1890, p. 25.
b) [Sous l'effet de la fatigue, etc.] :
11. Plus troublantes assurément sont ces expériences où la conscience, prise de vertige, s'aveugle et s'éteint; la fatigue extrême me « vide » et m' « anéantit »; l'évanouissement est une « absence », et le sommeil, une extinction de la conscience de veille. P. Ricœur, Philos. de la volonté,1949, p. 430.
II.− Emploi pronom.
A.− Emploi passif.
1. Être détruit par l'effet d'une force violemment négative.
a) [La force est de nature phys.; le suj. désigne une chose ou une pers.] S'écrouler, se perdre :
12. ... le vacarme des voix se perdait, s'évaporait à son tour dans la torpeur brûlante où semblait s'anéantir toute vie. J. et J. Tharaud, La Fête arabe,1912, p. 13.
En partic., dans un cont. guerrier :
13. Parfois, des renflements allongés − car tous ces morts sans sépulture finissent tout de même par entrer dans le sol − un bout d'étoffe seulement sort, − indiquent qu'un être humain s'est anéanti en ce point du monde. H. Barbusse, Le Feu,1916, p. 291.
b) [La force est de nature morale] :
14. Et le pis était que s'anéantissait avec lui cette fortune des Beauvilliers, autrefois colossale, assise sur des terres immenses, des domaines royaux, que la révolution avait déjà trouvée amoindrie, et que son père et lui venaient d'achever. De ces vastes biens fonciers, une seule ferme demeurait, ... É. Zola, L'Argent,1891, p. 71.
2. Au fig. [Le suj. désigne la pers. morale; la force est elle-même de nature morale]
Rare. [Avec une idée de réciprocité] :
15. Les natures vraiment belles et riches ne sont pas celles où des éléments opposés se neutralisent et s'anéantissent; ce sont celles où les extrêmes se réunissent, non pas simultanément, mais successivement, et selon la face des choses qu'il s'agit d'esquisser. L'homme parfait serait celui qui serait tour à tour inflexible comme le philosophe, faible comme une femme, rude comme un paysan breton, naïf et doux comme un enfant. E. Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 408.
P. hyperb. :
16. ... Ducret fourre des cailloux dans sa poche, à la récréation, puis, dans la classe, dissimulé par les élèves assis devant lui, il lime furtivement des entailles à sa table. Pris en faute, il s'anéantit, sans ressort. Et pourtant il a été placé à la crèche dès sa naissance et, depuis quatre ans, il vit à l'école maternelle. L. Frapié, La Maternelle,1904, p. 89.
B.− Emploi réfl. [Le suj., parfois implicite, désigne toujours une pers.; le cont. a gén. une coloration relig. ou mystique]
1. S'anéantir dans ou en qqc. ou qqn.
a) Rare. [Avec une idée de mort, de suicide] :
17. Gervaise ne pouvait pleurer. Elle étouffait, les reins appuyés contre son baquet, le visage toujours entre les mains. De courts frissons la secouaient. Par moments, un long soupir passait, tandis qu'elle s'enfonçait davantage les poings sur les yeux, comme pour s'anéantir dans le noir de son abandon. C'était un trou de ténèbres au fond duquel il lui semblait tomber. É. Zola, L'Assommoir,1877, p. 394.
b) Abandonner son être propre (phys. ou moral) de manière à le confondre avec celui d'un être plus grand que soi.
[Cet être est Dieu ou la nature] :
18. Sainte Catherine expose aussi que Jésus n'interdit le ciel à personne, que c'est l'âme même qui, s'estimant indigne d'y pénétrer, se précipite, de son propre mouvement, dans le purgatoire, pour s'y modifier, car elle n'a plus qu'un but, se rétablir dans sa pureté primitive; qu'un désir, atteindre à ses fins dernières, en s'anéantissant, en s'annihilant, en s'écoulant en Dieu. J.-K. Huysmans, En Route,t. 1, 1895, p. 262.
19. ... il existait un accord si profond entre moi-même et ce paysage que je me suis demandé, comme autrefois, s'il ne serait pas délicieux de s'anéantir en tout cela, comme une goutte d'eau dans la mer, de n'avoir plus de corps, mais juste assez de conscience pour pouvoir penser : « Je suis une parcelle de l'univers. L'univers est heureux en moi. Je suis le ciel, le soleil, les arbres, la Seine et les maisons qui la bordent ... » J. Green, Journal,1932, p. 118.
P. anal. [Cet être est une pers. aimée] :
20. Ce dégoût de moi, ce désir de m'anéantir en vous comme en un cher amour, de ne plus penser que par vous, je m'en veux de les éprouver, ... J. Rivière, Correspondance[avec Alain-Fournier], 1906, p. 320.
Rem. Plus rarement, le compl. en + subst. désigne l'aboutissement d'une transformation de la chose désignée par le suj. :
21. ... et surtout ce magnifique jardin de rêve et de silence, formé au bord de l'oued de dix à douze petits vergers dont on avait abattu les murailles, et dans lequel la sagesse la plus septentrionale devait, j'en avais fait l'expérience, se dissoudre en rêveries folles, se déchirer, s'anéantir en parfums? J. et J. Tharaud, La Fête arabe,1912, p. 86.
2. S'anéantir devant Dieu. S'humilier profondément, par la conscience que l'on a de son « néant ». Qu'il put s'anéantir soi-même devant Dieu (titre du chap. VIII, 1. III de L'Imitation de Jésus-Christ, trad. F. de Lamennais).
P. anal. S'anéantir devant qqn :
22. Une plus douce mélopée accompagnait l'âme de M. Godeau : « Était-il nécessaire que tu valusses mieux que moi pour que je t'aime? Était-ce te préférer à moi que de t'aimer? Y avait-il en toi une force qui m'obligeait de m'anéantir devant toi ou trouvais-je en moi le jugement de cette préférence de toi à moi? Mon amour pour toi procédait-il d'un absolu que tu enveloppais ou d'un rapport qui était dans mon esprit, d'un « nombre » mystique inscrit dans ton être ou d'une algèbre dont tu avais la clé pour moi seul et qui enfermait le monde? M. Jouhandeau, M. Godeau intime,1926, p. 89.
23. Il la vit ardente, candide, entendue, délicate, pleine de Dieu, belle à en mourir. Il s'agenouilla, il se prosterna, il s'anéantit devant elle, une fois de plus, dans l'incognito de son cœur. J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 179.
Emploi abs. Faire le vide (spirituel) en soi :
24. C'est qu'aussi bien, après la terrible expérience de ces deux années, M. Olier se trouvait tout préparé à réaliser avec plus de clarté, à accepter avec moins d'effroi, la doctrine essentielle de Condren sur le devoir où nous sommes de nous effacer, de nous sacrifier et de nous anéantir nous-mêmes, pour faire place en nous à l'esprit de Dieu. H. Bremond, Hist. littér. du sentiment relig. en France, t. 3, 1921, p. 452.
Rem. P. oppos. à l'emploi A, les emplois B supposent toujours que l'action est plus ou moins conduite par le sujet.
Prononc. : [aneɑ ̃ti:ʀ], j'anéantis [ʒaneɑ ̃ti]. Passy 1914 note une durée mi-longue pour le [ɑ ̃] de la 3esyllabe du mot (cf. aussi Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 1 1787 qui précisent que la 3esyllabe est longue). Enq. : /aneɑ ̃ti, aneɑ ̃tis/.
Étymol. ET HIST. − 1. 1170-80/1200 anientir « revenir, retomber au néant (des créatures) » (Roman d'Alexandre ds Rom., XI, 238, 357 ds T.-L. : Mais tous anientirez après le definer); ca 1236 anoiantir « réduire au néant, détruire (obj. inanimé concret) » (Rose, 349 ds Gdf. Compl.); 1190-1200 fig. relig. aniantir intrans. « s'humilier en prenant conscience de son néant devant Dieu » (S. Bernard, Serm., fr. mss, p. 322 ds La Curne t. 1 1875 : Jhesu-Crist aniantit luy mismes, prenant la forme del serf. Et vos, chier frere, aniantiz vos assi); 2. p. ext. a) av. 1188 anientir « réduire au néant (obj. inanimé abstr.) » (Partonop., 6714 ds Gdf. Compl. : Mais je metrai tot mon pooir De faire les ent repentir Et de lor fais anientir); b) 1731-1741 « plonger qqn dans un état d'abattement complet » (Marivaux, Vie de Marianne, viiiepart. ds Dict. hist. Ac. fr. t. 3 1888 s.v. : Ce que je venois de dire le mit hors d'état de résister davantage, ma générosité le terrassa, l'anéantit devant moi). Dér. de néant; préf. a-1*; dés. -ir. Forme anéantir dep. ca 1260, Ph. de Novare ds T.-L. (L'indication 1120, Ps. Oxford, Dauzat 1968 est erronée; aniantir est en réalité attesté dans un Ps. du xiiies., publ. par F. Michel à la suite de l'éd. du Ps. d'Oxford).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 997. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 2 028, b) 1 063; xxes. : a) 1 392, b) 1 101.
BBG. − Éd. 1913. − Laf. 1878. − Laf. Suppl. 1878. − Noter-Léc. 1912.