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ABUSER, verbe trans.
I.− Emploi intrans.
A.− Abuser de qqc.User mal ou avec excès d'un bien.
1. [Le bien est un bien concret de consommation ou d'utilisation] :
1. On ne jette point l'ancre dans le fleuve de la vie; il emporte également celui qui lutte contre son cours et celui qui s'y abandonne, le sage comme l'insensé; et tous deux arrivent à la fin de leurs jours, l'un après en avoir abusé, et l'autre sans en avoir joui. J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, La Chaumière indienne,1791, p. 127.
2. S'il se roule convulsivement et souffre une sorte d'agonie après avoir abusé du tabac, le fumeur n'a-t-il par assisté, je ne sais en quelles régions, à de délicieuses fêtes? H. de Balzac, La Peau de Chagrin,1831, p. 178.
2. [Le bien est une chose abstr. : chance, temps, bonnes dispositions d'autrui] :
3. On avait exploité la vie de cet être, on l'avait usé, épuisé; on avait abusé de sa patience et de son dévouement; et, en retour, il s'était rendu nécessaire. G. Sand, Histoire de ma vie,t. 2, 1855, p. 440.
4. Le goût de vaincre, le goût de convaincre est sain comme un instinct. Il tend toujours à outrepasser ses droits et à abuser du succès. Mais il n'est pas en lui-même, comme le veulent les débiles, une sorte d'inconvenance. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 425.
3. [Le bien appartient au domaine du lang. ou de l'expr. litt.] :
5. Je voudrais monnayer la sagesse, c'est-à-dire la frapper en maximes, en proverbes, en sentences faciles à retenir et à transmettre. Que ne puis-je décrier et bannir du langage des hommes, comme une monnaie altérée, les mots dont ils abusent et qui les trompent! J. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 95.
6. « ... Il en faut (j'entends de l'impertinence) dans certains ouvrages, comme du poivre dans les ragoûts. » Ici il a certes abusé du procédé, et il a excédé la dose. On n'a qu'à se bien tenir, au sortir de ces passages, pour ne pas imiter le provoquant écrivain. Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 180.
7. Tout genre littéraire naissant de quelque usage particulier du discours, le roman sait abuser du pouvoir immédiat et significatif de la parole, pour nous communiquer une ou plusieurs « vies » imaginaires, dont il institue les personnages, fixe le temps et le lieu, énonce les incidents, qu'il enchaîne par une ombre de causalité plus ou moins suffisante. P. Valéry, Variété 1,1924, p. 168.
4. [Le bien appartient au domaine du dr.] :
8. De son côté, Montriveau, tout heureux d'obtenir la plus vague des promesses, et d'écarter à jamais les objections qu'une épouse puise dans la foi conjugale pour se refuser à l'amour, s'applaudissait d'avoir conquis encore un peu plus de terrain. Aussi, pendant quelque temps, abusa-t-il des droits d'usufruit qui lui avaient été si difficilement octroyés. A. de Balzac.La Duchesse de Langeais,1834, p. 265.
Rem. gén. Les ex. 4 et 7 montrent que abuser + de peut avoir pour suj., au lieu d'un animé, un inanimé personnifié.
B.− Abuser de qqn
1. [Dérive de A 2] Abuser de la bonté ou de la patience de qqn :
9. Du coup, Nana perdit la tête, étranglée elle-même par des sanglots nerveux. On abusait d'elle, à la fin! Est-ce que ces histoires la regardaient? Certes, elle avait mis tous les ménagements possibles pour l'instruire, par gentillesse. É. Zola, Nana,1880, p. 1284.
10. ... nous attendions tous ensemble dans le hall que le maître d'hôtel vînt nous dire que nous étions servis. C'était encore l'occasion pour nous d'écouter Mmede Villeparisis. − Nous abusons de vous, disait ma grand'mère. − Mais comment, je suis ravie, cela m'enchante, répondait son amie avec un sourire câlin, en filant les sons, sur un ton mélodieux qui contrastait avec sa simplicité coutumière. M. Proust, À la recherche du temps perdu,À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 723.
2. Rare, vieilli. Tromper la bonne foi de qqn (ds ce sens, on préfère auj. la constr. dir. inf. II) :
11. Le pauvre poète fut fêté si grandement que tout autre qu'un jeune homme de vingt-deux ans aurait véhémentement soupçonné de mystification les louanges au moyen desquelles on abusa de lui. H. de Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 63.
12. − Tu ne m'as pas compris, reprit-il. Je ne te propose pas d'emmener Glaucos à sa place, mais bien de feindre de l'emmener, d'abuser d'Ariane et de lui laisser croire, et à tous, que Phèdre que tu emmèneras, c'est Glaucos. A. Gide, Thésée,1946, p. 1442.
3. Par euphémisme. Violer :
13. ... si un artiste exalte son désir sur Cléopâtre ou Rosalinde, cette femme évoquée sera le succube qui abusera de lui. Le péché peut s'aggraver encore si une femme a un désir succube, un homme un désir incube. J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 66.
14. À la voir ainsi, renversée, s'abandonnant, le sang de ses veines battait à grands coups. Il n'avait point calculé cette rencontre, il résistait, dans son idée que ce serait mal d'abuser de cette enfant. Mais le bruit de son cœur l'étourdissait, il l'avait tant désirée! Et l'image de la possession l'affolait, comme dans ses nuits de fièvre. É. Zola, La Terre,1887, p. 247.
C.− Emploi abs.
1. Lang. cour. Exagérer dans l'usage d'une possibilité, d'une liberté :
15. ... si leur fraîcheur porte à la peau une légère atteinte, réparez cet effet par un cosmétique doux, effacez ensuite, par un parfum léger, l'odeur fade ou aromatique qu'ils laissent après eux; usez mais n'abusez pas, on soupçonne volontiers la femme qui se parfume trop d'y être portée par quelque raison secrète... P.-A.-F. de Laclos, De l'Éducation des femmes,1803, p. 470.
En partic., lang. de la conversation. Forme réduite d'une expr. qui selon le cont. et l'intonation peut être :
a) Une formule de politesse (fréquemment négative) [(ne pas) abuser de la bonté de qqn] :
16. « Que dois-je faire, Monsieur Fogg? dit-elle. − C'est très-simple, répondit le gentleman. Revenir en Europe. − Mais je ne puis abuser... − Vous n'abusez pas, et votre présence ne gêne en rien mon programme. J. Verne, Le Tour du monde en quatre-vingts jours,1873, p. 99.
b) Un moyen de traduire l'impatience ou l'irritation [abuser de la patience de qqn] :
17. − Oui, oui, interrompit le colonel, toutes sortes de passe-droits, d'injustices, d'absurdités... Il abuse, il abuse, vraiment. É. Zola, Son Excellence Eugène Rougon,1876, p. 305.
2. DR. ROMAIN ET FR. ,,Se prend pour consommer, détruire. La propriété consiste dans le droit d'user et d'abuser.`` (Ac. 1835) :
18. ... car le droit de propriété, ainsi que le définissent les jurisconsultes, est le droit d'user, et même d'abuser. Ainsi, c'est violer la propriété territoriale que de prescrire à un propriétaire ce qu'il doit semer ou planter, que de lui interdire telle culture ou tel mode de culture. J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 134.
19. L'individu n'a vraiment en toute propriété, avec droit absolu d'user, d'abuser, de disposer, que le sixième ou le dixième de son avoir, et encore ne peut-il faire servir cette portion disponible à détruire « la sainte égalité » entre les successeurs... J. Jaurès, Études socialistes,1901, p. 209.
II.− Emploi trans. Induire en erreur, tromper :
20. Elle est, à son gré, sensible, touchante ou passionnée, et, avec une adresse inimitable, car elle fait mieux qu'emprunter toutes les formes, elle les prend réellement, elle s'abuse elle-même, afin d'abuser plus sûrement ceux qu'elle veut séduire. Mme de Genlis, Les Chevaliers du Cygne,t. 1, 1795, p. 64.
21. Les témoins de cette scène douloureuse finirent par comprendre que les deux enfants du capitaine avaient été le jouet d'une hallucination. Mais comment détromper leurs sens, si violemment abusés? J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 3, 1868, p. 230.
22. − Je ne vous ai pas abusée, je ne vous ai pas jouée, je ne vous ai pas trahie! Je ne me suis pas fait un amusement de paroles qui pourtant eussent pu être à demi vraies... J.-A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 304.
23. Nous ne souffrirons pas, à aucun prix nous n'endurerons qu'un Jaurès, qu'un Lavisse recommence sur la génération suivante les mêmes abusements. − Nous serons plus courageux pour nos enfants que nous ne l'avons été pour nous-mêmes et nous nous porterons aux extrémités plutôt que de laisser décevoir et tromper et trahir et abuser nos enfants par les mêmes hommes comme nous l'avons été nous-mêmes. Ch. Péguy, L'Argent,1913, p. 1295.
Rem. Dans l'ex. 21, le suj. est un inanimé.
III.− Emploi pronom. S'abuser.Faire erreur, se tromper :
24. ... j'avois le tremblement et le battement de cœur inégal et convulsif du désespoir; et je me répétois qu'elle s'abusoit sur son état... On s'exagère souvent de légers chagrins; mais dans des maux extrêmes, on cherche à se tromper... Mme de Genlis, Les Chevaliers du Cygne,t. 1, 1795, p. 279.
25. Il est donc vraiment impossible d'avoir une connaissance, même approximative, de la valeur des marchandises exportées ou importées par le commerce; et c'est s'abuser absolument que d'accorder quelque confiance, à cet égard, à des déclarations grossières et à des relevés de registres, nécessairement imparfaits et incomplets. A.-L.-C. Destutt de Tracy, Commentaire sur l'Esprit des lois de Montesquieu,1807, p. 351.
26. Excusez-moi, Monsieur, mais pardonnez à ma curiosité cette lettre, et attribuez-la au désir que j'ai de savoir si nous ne nous abusons pas et ne nous trompons pas nous-mêmes. H. de Balzac, Correspondance,1832, p. 694.
27. ... Je ne suis pas dupe, et j'ai bien deviné que vous préfériez le nom de Seigneulles à celui de Finoël; ... mais, si je me suis fait illusion, prenez garde de vous abuser cruellement à votre tour. Le beau Gérard vous compromettra, c'est tout ce que savent faire les gens de ce monde-là. A. Theuriet, Le Mariage de Gérard,1875, p. 105.
Rem. 1. Emploi des prép. en et sur : s'abuser en ceci (en, fréq. avec le pron. dém.); s'abuser sur (ex. 24). 2. La lang. de la conversation distinguée emploie fréquemment en incise l'expr. si je ne m'abuse.
Prononc. − 1. Forme phon. : [abyze], j'abuse [ʒaby:z]. Enq. : /abyz/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : abus, abusant (-ante), abusement, abuseur, abusif (-ive), abusivement.
Étymol. − Corresp. rom. : ital. abusare; esp., port., cat. abusar; sarde abbusare; roum. abuza. 1. 1312 trans. « user mal (d'une chose) » (Cart. de l'église Saint-Pierre de Lille, 2, 601, Delb. ds Quem. t. 1 1959) : Quant li dit eschevin de Seclin faisoient ban contre cheaus Ki n'ont droit ou dit marès, et Ki n'avoient droit d'avoir le dit usage et Ki en abusoient...); spéc. 1370, id. « violenter (une femme) » (Oresme, Eth., 104 ds Littré : Comme Phalaris qui tenoit une enfant et avoit concupiscence de abuser en par delettation de luxure); ca 1350 intrans. « en user mal, faire abus » (Gilles li Muisis, éd. Kervyn de Lettenhove II, 165 ds T.-L. : On voit hommes et femmes, comment chascuns abuse); 2. 1341 trans. « tromper (qqn) » (Mir. de Notre-Dame par personnages, éd. Paris et Robert, 20, 1016 ds Cohn, Bemerk. zu T.-L. ds Arch. St. n. Spr., CXXXIX, 69 : Je tien et croy que par raison Nous leur mousterrons clerement Qu'il sont abusé laidement Par ce Jhesu); ca 1350 intrans. « se tromper » (Gilles li Muisis, Poes., I, 98 ds Gdf. Compl. : On m'en tenra pour escuset, Se Dieus plaist, se riens abuset Avoye de droite science); 1454 réfl. « se tromper » (Cligès en Prose ds Cohn, loc. cit., ibid. : et aussi il ne s'abuseroit mie s'il me nonmoit amie). 1 dér. de abus* 1; 2 dér. de 1; suff. -er*. HIST. − Remarquable stab. des 2 sens de abuser dep. le xives., date de leur apparition dans la lang. Pour le sens 1 toutefois, si, dep. l'orig., l'idée de « user avec excès » est sous-jacente à l'idée princ. « user mal », elle n'est clairement exprimée que dep. la fin du xixes. (Lar. 19e, DG) et semble avoir actuell. une place prépondérante, particulièrement dans l'emploi absolu du verbe. Cet emploi absolu, attesté isolément au xives. (cf. étymol. 1), disparaît de la docum. pour ne reparaître qu'au xixes., simultanément dans la lang. cour. (cf. ex. 15 et les dict. dep. Besch. 1845) où il connaît une assez grande vitalité, et dans la lang. jur. (cf. sém. et Ac. 1835). Aux xviieet xviiies., on note p. ext. du sens 1, l'emploi de abuser au sens de « interpréter mal » : Vous abusez de quelques paroles ambiguës qui sont dans ses lettres. Pascal (Trév.). Cet emploi n'est plus signalé apr. Besch. 1845. Enfin, les dict. des xviiieet xixes. signalent, à côté de la forme intrans. abuser d'une fille, une forme trans. : On dit, abuser une fille, pour dire, la séduire. Fur.; Ac. 1718 à 1878.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 937. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 4 160, b) 2 413; xxes. : a) 2 664, b) 1 790.
BBG. − Maurer (K.) Etymologica. Rom. Jahrb. 1957, t. 8, pp. 30-32.