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ABSTRACTEUR, adj. et subst. masc.
I.− Emploi adj., rare. [Dans le domaine intellectuel, en parlant d'une pers. ou des facultés d'une pers.] Qui abstrait (ou se plaît à abstraire) :
1. ... la morale des philosophes grecs, on l'a dit, est nationalitaire; leur métaphysique est universelle; l'église elle-même si souvent favorable aux intérêts de classe ou de nation dans sa morale, ne connaît plus que Dieu et l'homme dans sa métaphysique. Il était réservé à notre âge de voir des métaphysiciens, et de la plus haute lignée, faire tourner leurs spéculations à l'exaltation de leur patrie et à l'abaissement des autres, et venir fortifier, de toute la puissance du génie abstracteur, la volonté de domination de leurs compatriotes : on sait que Fichte et Hegel donnent pour terme suprême et nécessaire au développement de l'être le triomphe du monde germanique et l'histoire a montré si l'acte de ces clercs a produit des effets dans le cœur de leurs laïcs. J. Benda, La Trahison des clercs,1927, p. 94.
2. L'idole invisible des juifs, des puritains, des arabes, des savants, n'a pu s'imposer aux multitudes que par le moyen d'une littérature ou d'une musique grandioses, d'une architecture accumulant la fraîcheur, le repos et l'ombre à l'extrémité des déserts sans eau où la flamme interdit la vie, ou d'un système utilitaire capable de satisfaire, au moins provisoirement, les besoins de bien-être du corps et de conquête de l'esprit, − idoles, encore idoles, non moins décevantes que l'idole visible à la longue, et moins loyales je le crains, puisqu'elles promettent des solutions morales définitives qu'elles ne peuvent apporter. Incroyable misère des moralistes abstracteurs qui, des siècles durant, imposent par le glaive l'idole verbale biblique ou coranique à l'exclusion des autres et croient détenir l'esprit pur! E. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 244.
II.− Emploi subst., parfois péj.
A.− Personne dont l'esprit est porté aux abstractions :
3. Vous voulez parler (...) des mots Dieu et âme (...). Avant la métaphysique, ils étaient déjà parfaitement métaphysiciés. Jugez vous-même si l'abstracteur de profession peut laisser échapper ces sortes de mots... A. France, Le Jardin d'Épicure,1895, p. 254.
4. À écouter Roemerspacher on est vite assuré qu'il joint aux fortes intuitions d'un abstracteur la vision concrète d'un esprit positif. M. Barrès, Les Déracinés,1897, p. 350.
5. − (...) Religion et instinct se sont affaiblis chez vous. Vous n'êtes plus qu'intelligence. Casse-cou! La mort vient. − Elle vient pour tous les peuples : c'est une affaire de siècles. − Vas-tu faire fi des siècles? La vie tout entière est une affaire de jours. Il faut être de sacrés diables d'abstracteurs, pour se placer dans l'absolu, au lieu d'étreindre l'instant qui passe. R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 1071.
6. Faut-il déduire du peu de sensualité et d'intimité de la nature que présentent les œuvres des primitifs florentins que ces abstracteurs n'aimaient guère le monde extérieur... G. de La Tourette, Léonard de Vinci,1932, p. 16.
B.− Abstracteur de quintessence
1. ALCHIM., vx lang. Alchimiste qui extrait la 5eessence ou partie subtile d'un corps (avec allus. à Rabelais, chez qui le sens propre était encore sensible sous l'emploi fig.) :
7. Il y a certaines analyses de l'entité bourgeoise qui pourront te faire jubiler, surtout maintenant que ton ami Lamens est au pouvoir. − Mais il y a d'autres choses aussi... C'est compliqué. Et Reichel?... Dire que je ne lui ai pas écrit. C'est ingrat, tout de même, mais le temps, c'est difficile. − Et Mallarmé?... Oh? Celui-là sait bien à quoi s'en tenir et que je l'aime, cet Alcofribas abstracteur de quinte-essence. Et Roujon? Est-il content, ce brave enfant-là ... Ph.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Correspondance générale,1879, p. 263.
2. Péj. [Dans le domaine intellectuel] Philosophe, critique, écrivain, etc. qui se complaît jusqu'à l'excès aux abstractions, aux raisonnements subtils :
8. Les coloristes dessinent comme la nature; leurs figures sont naturellement délimitées par la lutte harmonieuse des masses colorées. Les purs dessinateurs sont des philosophes et des abstracteurs de quintessence. Les coloristes sont des poètes épiques. Ch. Baudelaire, Salon de 1846,1846, p. 110.
9. ... le philosophe avait demandé simplement au concierge une femme de charge pour ranger son appartement et un restaurant d'où il fît venir ses repas. Ces deux demandes risquaient d'aboutir aux pires conséquences : un service fait à la diable et une nourriture de poison. Elles eurent ce résultat inattendu d'introduire dans l'intérieur d'Adrien Sixte précisément la personne que rêvaient ses vœux les plus chimériques, si toutefois un abstracteur de quintessences, comme Rabelais appelle cette sorte de songeurs, garde le loisir de former des vœux. P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 15.
10. Des gens, beaucoup de gens me définissent peu ou point sentimental, peu philosophe, mais un petit abstracteur de quintessences esthétiques. Je les admire de me si bien connaître. Je passe pour doux, je suis violent, − mais distrait! Je passe pour léger d'âme; joyeux − je suis l'ennui et la navrance en personne! Mais je souris inéluctablement. A. Gide, P. Valéry, Correspondance,Lettre de P. V. à A. G., sept. 1891, p. 125.
11. Pour Heredia, je suis un paresseux. (Tu parles!). Pour mille autres, très clairvoyants mais jusqu'à la ceinture, je suis le monsieur qui ne fera jamais rien, ou l'abstracteur de quintessence, ou un poète mort jeune, ou un, fumiste, ou le raseur (ceux-là sont exacts). Pour divers, esprit très original, compliqué, etc. Par ailleurs, j'ai été qualifié de bon et de méchant. J'ai l'estime de M. Ubu. Il y a aussi les opinions féminines, non moins diverses. Enfin, je suis le lieu géométrique de toutes les contradictions. A. Gide, P. Valéry, Correspondance,Lettre de P. V. à A. G., nov. 1899, p. 366.
12. ... et c'est tout abstracteur De la cinquième essence et tout contrefacteur Qui sera poursuivi... Ch. Péguy, La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc,1913, p. 647.
13. ... le poème, tel que je l'entends, serait d'autant plus parfait que la raison aurait plus de peine à y trouver sa nourriture habituelle, des idées, des raisonnements; bref, je renverrais à la prose le De natura rerum, la Divine Comédie, les Méditations. À quoi il sera répondu excellemment qu'il ne faut pas confondre l'analyse métaphysique avec l'analyse chimique. Nous sommes ici des abstracteurs, non des fabricateurs de quintessences. Notre sujet − la poésie pure − le veut ainsi. Dans le concret, poésie, raison, sensibilité, etc., etc., tout cela ne fait qu'un seul être vivant : le poème. H. Bremond, La Poésie pure,1926, p. 95.
14. On peut trouver dans le moindre croquis d'un maître − ou peut-être bien d'un petit garçon qui dessine en tirant la langue − de quoi ruiner l'édifice que j'ai tenté de bâtir et qui représente trente années de méditation. Dieu est un enfant qui s'amuse, passe du rire aux larmes sans motifs et invente chaque jour le monde pour le tourment des abstracteurs de quintessence, des cuistres et des prédicants qui prétendent lui apprendre son métier de créateur. E. Faure, L'Esprit des formes,introd., 1927, p. 16.
15. Nul abstracteur de quintessence, réfugié dans son atelier matelassé de mépris pour le monde des apparences, n'a atteint à l'invention plastique de Van Gogh, peignant exclusivement sur nature; nul surréaliste n'a inventé un monde plus chimérique; nul poète enfin, n'a rendu plus sensible à notre imagination cette fugue que composent, au sein des fourmillantes nuits provençales, le chant des grillons et la musique des sphères. A. Lhote, Peinture d'abord,1942, p. 136.
Rem. 1. Dans l'ex. 13, où abstracteur de quintessence s'oppose à fabricateur de quintessence, le 1ersyntagme devient laud. du fait de cette oppos. 2. Dans les ex. suiv., abstracteur est un quasi-synon. de auteur ou inventeur :
16. Le curé de Champrond dans son Histoire des perruques et dans son traité de la Sauce-Robert justifiée, était aussi savant, aussi joyeux, aussi spirituel que le curé de Meudon, abstracteur de la vie inestimable du grand Gargantua. Mon choix serait bientôt fait, à moi, si l'on me proposait d'être Rabelais ou roi de France. F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 4, 1848, p. 529.
17. « ... et tu as fait répondre par la Chancellerie de tes Simoniaques, par tes représentants de commerce, par tes Papes, des excuses dilatoires, des promesses évasives, Basochien de sacristie, Dieu d'affaires! « Monstre, dont l'inconcevable férocité engendra la vie et l'infligea à des innocents que tu oses condamner, au nom d'on ne sait quel péché originel, que tu oses punir, en vertu d'on ne sait quelles clauses, nous voudrions taper sur tes clous, appuyer sur tes épines, t'amener le sang douloureux au bord de tes plaies sèches! « Et cela, nous le pouvons et nous allons le faire, en violant la quiétude de ton Corps, Profanateur des amples vices, Abstracteur des puretés stupides, Nazaréen maudit, Roi fainéant, Dieu lâche! » − Amen, crièrent les voix cristallines des enfants de chœur. J.-K. Huysmans, Là-bas,t. 2, 1891, p. 165.
Prononc. : [ab̭stʀaktœ:ʀ].
Étymol. ET HIST. − 1532 terme d'alchimie « celui qui extrait la partie la plus subtile d'une substance » (Rabelais, L. II, Pantagruel, Roy des Dipsodes, restituée à son naturel, avec ses faictz et prouesses espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur de quinte essence); qualifié de vieux ds Ac. Compl. 1842; 1585 « qui se plaît dans les Abstractions (domaine intellectuel) » (N. du Fail, Contes d'Eutrapel (des bons larrecins), 1o, 50 vo, [éd. 1603] ds Littré : cet abstracteur d'idées... ou essences...); l'emploi adj. semble dér. de l'emploi subst. Dér. de abstraction*, suff. -eur*; ou bien empr. au lat. médiév. abstractor (Dauzat 1968, Bl.-W.5DG) bien qu'il ne soit attesté ds aucun dict.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 20.