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ABÊTIR, verbe trans.
A.− Emploi trans. Rendre bête, de manière à faire subir une diminution des facultés humaines les plus nobles :
1. − Descendu chez René. L'ai surpris au lit, narcotisé et abêti de son indigne vapeur de tabac. A trente-six degrés au-dessous du zéro de son intelligence ordinaire. J. Barbey d'Aurevilly, Deuxième memorandum,1839, p. 243.
2. L'isolement grandissait l'esprit de Gavarni; la société de la femme bête le rapetisse, le diminue, l'abêtit. E. et J. de Goncourt, Journal,janv. 1863, p. 1211.
3. L'étonnement de se voir attaché, la vue de tout ce monde qui le regardait, l'ahurissaient, l'abêtissaient davantage. Comme il ne parlait et n'entendait que le patois, il ne put deviner ce que voulait le gendarme. Il levait vers lui sa face épaisse, faisait effort; ... É. Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 308.
4. ... c'était Madame Voblat, un gabion de suif, une bombance de chairs mal retenue par les douves d'un corset, un tendron abêti et béat qui riait et tâchait de se tenir la taille à propos de tout, pour un miaulement de chat, pour un vol de mouche; ... J.-K. Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 16.
5. Il est déjà moins bête depuis qu'il n'est plus malheureux. Le malheur abêtit, je le sais bien. A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 495.
6. Le collège ne me valait rien décidément, et encore moins les pensums; tout cela, qui m'avait pris trop tard et à rebours, me diminuait, m'éteignait, m'abêtissait. Même au point de vue du frottement avec mes pareils, le but qu'on avait cru atteindre était manqué aussi complètement que possible. P. Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 211.
7. − Le peuple, fit des Hermies, en versant de l'eau dans la cafetière, au lieu de l'améliorer, les siècles l'avarient, le prostrent, l'abêtissent! Rappelez-vous le siège, la commune, les engouements irraisonnés, les haines tumultuaires et sans cause, toute la démence d'une populace mal nourrie, trop désaltérée et en armes! J.-K. Huysmans, Là-bas,1891, p. 231.
8. Aveuglés, abêtis par de bas intérêts, les prétendus continuateurs de notre révolution n'ont abouti qu'à recommencer avec plus de vulgarité les dirigeants de l'ancien régime, dont les fautes inexpiables nous jetèrent dans la frénésie des révoltes passées. G. Clemenceau, L'iniquité,1899, p. 344.
9. La même discipline qu'on impose aux petits grimauds d'école devient pénible et humiliante quand des jeunes gens de dix-sept à dix-huit ans y sont soumis. L'uniformité des exercices les rend insipides. L'esprit en est abêti. A. France, La Vie en fleur,1922, p. 428.
10. Froide, elle veut m'émasculer, par jalousie. Engourdie, elle veut m'engourdir. Ensuite ce sont les magasins, les achats de choses inutiles, c'est le cinéma, le théâtre, n'importe quoi pourvu que ce soit idiot, car il ne s'agit que de m'abêtir ici, comme de m'émasculer là. H. de Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1410.
11. Je ne dis pas que la mariage abêtit. Il rend les gens à leur vie intérieure. M. Choisy, Qu'est-ce que la psychanalyse?,1950, p. 90.
Rem. 1. Abêtir est associé à des termes synon. dir. tels que : ahurir (ex. 3), éteindre (ex. 6), ou, et fréquemment, à des synon. par métaph. comme avarier (ex. 7), émasculer (ex. 10). Il s'associe en outre à rapetisser (ex. 2), diminuer (ex. 2, 6) (l'idée d'esprit ou d'intelligence est gén. implicite), ou à un anton. (améliorer, ex. 7). 2. Contrairement aux indications de certains dict., les ex. où abêtir est en constr. absolue semblent plutôt se ranger sous l'emploi A : cf. le malheur abêtit (ex. 5 et 11). 3. Le part. passé exprime la forme passive du verbe ou le résultat de l'action de « rendre bête » (ex. 4); il est gén. suivi du compl. d'agent; dans l'ex. 4, en l'absence de compl., il exprime l'état pur et simple. On le trouve aux côtés de part. passés ou d'épithètes dépréc. : aveuglé (ex. 8), insipide (ex. 9), narcotisé (ex. 1).
B.− Emploi pronom. Devenir bête :
12. Le cœur cessait de battre, la tête se vidait, le moribond s'abêtissait. É. Zola, Nouveaux contes à Ninon,1874, p. 98.
13. ... il [Adolphe] était menuisier, en même temps que puddleur, ayant appris plusieurs métiers, comme tous les jeunes gens de son âge, pour ne pas s'abêtir dans une spécialité étroite. É. Zola, Travail,t. 2, 1901, p. 219.
14. Si je pouvais, je m'abêtirais encore, jusqu'à ne pouvoir que t'aimer, t'aimer sans pensée, sans ces crises de fine souffrance que ton dédain [de Minne], ou ta seule dissimulation sont si puissants à m'infliger... Colette, L'Ingénue libertine,1909, p. 234.
15. Heureux? Si tu l'étais, ce serait une honte! Toi! Non, mon petit, non, je ne peux pas croire que tu te plaises à croupir là-dedans. Tu te dégrades, tu t'abêtis; ça n'a que trop duré. R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Pénitencier, 1922, p. 715.
16. ... lisant un livre sur Port-Royal, elle avait été frappée par un mot de Nicole, suggérant que l'obéissance aussi peut être un piège du démon. En acceptant de se diminuer, de s'abêtir, ne contrariait-elle pas la volonté de Dieu? S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 274.
Rem. 1. Comme dans l'emploi actif, s'abêtir est en série avec des synon. tels que se dégrader (ex. 15) ou se diminuer (ex. 16). 2. Les dict. signalent un emploi absolu, synon. de l'emploi pronom., absent de la docum.
Stylistique − Dans son emploi trans. abêtir appartient à la lang. commune et fam. Souvent concurrencé dans ses emplois par le verbe abrutir, il jouit d'une vitalité égale, mais exprime une action plus lente, moins brutale et qui affecte surtout l'intelligence. Nuance nettement dépréc. (cf. sém., ex.) sauf dans la description d'une passion (cf. sém., ex. 14), ou par allus. à l'emploi de abêtir chez Pascal, (Pensées, éd. Br. 233 (...) en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. Pour les controverses auxquelles a donné lieu ce texte célèbre, cf. inf. bbg. Il ne semble pas qu'on puisse retenir la leçon alestir « préparer », terme auv. ou norm.; abêtir vient vraisemblablement d'un passage de Montaigne, Apologie, éd. Gallimard, p. 546, où il signifie « humilier, abaisser [la sapience de ce monde] »).
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abεti:ʀ] ou [-be-]. D'apr. Warn. 1968, la prononc. en [ε] ouvert relève du lang. soutenu, la prononc. en [e] fermé, du lang. cour. (cf. Fouché Prononc. 1959, p. 71 : [abeti:ʀ] dans le parler cour., par harmonisation vocalique). Passy 1914 note [abε'-] et [abe'-]; Pt Lar. 1968 transcrit le mot avec [ε], Dub. et Pt Rob. avec [e]. 2. Dér. et composés : abêtifier, abêtissant, abêtissement, abêtissoir, rabêtir. Cf. bête.
Étymol. − Corresp. rom. : cat. abestiar. 1330-32 abestir « rendre semblable à la bête » (en parlant d'un homme) (G. de Diguleville, Pèl. Vie hum., éd. Sturzinger, 886 ds T.-L. : Et (je) les [hommes] avugle et abestis [dist Ire]); 1420, « id. » apparition d'une forme concurrente abester (Quinze joyes, VII ds Gdf. : Mais est abesté le bonhomme et paist l'herbe, et est transformé en une beste, sans enchantement). Dér. de bête *1, au sens propre; préf. a-1* et suff. -ir*; à distinguer de ca 1320 abester « mettre les chiens sur la trace du gibier » terme cynégétique (Perceforest, I, fol. 125c ds Gdf. : Il leur tourna l'escu vers le visaige, aussi fierement que fait le sanglier aux chiens quand ils sont abesté). HIST. − Apparu au xives. dans le vocab. cynégétique (1 ex. isolé ds étymol.) et dans la lang. commune (cf. étymol.), seul domaine où il garde une grande stab. sém. jusqu'à l'époque contemp. (cf. sém.). Usité d'abord seulement à la forme trans. (Cf. Pascal, Pensées, cf. sup. styl.), et pronom., il est empl. à partir du xviiies. à la forme absolue : Ce verbe est quelquefois neutre. On dit, cet enfant abêtit tous les jours. Fur. 1701. Dès Ac. 1798 il est considéré comme fam. − Rem. 1. Un emploi fig. s'abêtir de « s'engouer stupidement de » est attesté ds Ronsard (seul ex. de notre docum.) : Le plus souvent les Princes s'abestissent De deux ou trois que mignons ils choisissent, Vrais ignorans qui font les suffisans. Ronsard, La Franciade, L. IV, (Hug.) 2. Le part. présent pris comme adj. a une rubrique spéciale ds Besch. 1845, Lar. 19e(ex. de Nodier) et autres Lar., Pt Rob.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 102.
BBG. − Bart (B. F.). Abêtir in Pascal und Montaigne. Rom. Philol. 1955-56, t. 9, pp. 1-6. − Camproux (C.). Faut-il vraiment nous abêtir avec Pascal? Fr. mod. 1957, t. 25, pp. 95-100. − Foster (B.). Pascal's use of abêtir. Fr. St. 1963, t. 17, no1, pp. 1-13. − Foster (B.). Pascal's abêtir : a postcript. Fr. St. 1964, t. 18, pp. 244-246. − Haig (S.). A Further note on Pascal's abêtir. Fr. St. 1964, t. 18, pp. 29-32. − Moles (E.). Pascal's use of abêtir. Fr. St. 1965, t. 19, pp. 379-384.