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ÉPREUVE, subst. fém.
I.− [Correspond à éprouver A; l'idée est celle de faire subir qqc. à qqn ou à qqc.]
A.−
1. Expérience à laquelle on soumet une (ou la) qualité d'une personne ou d'une chose et qui est susceptible d'établir la valeur positive de cette qualité.
[La qualité est celle d'une chose concr. ou abstr.] Faire l'épreuve de résistance d'un pont, l'épreuve au choc d'un métal, l'épreuve d'une arme à feu. Pour s'assurer de la qualité des tôles et des barres d'acier, [dans la marine militaire], on fait trois sortes d'épreuves (Croneau, Constr. nav. guerre,t. 1, 1892, p. 52):
1. ... quand Leibnitz soumet à l'épreuve critique, tirée de son principe de la raison suffisante, les deux idées de l'espace et du temps, le résultat de l'épreuve est le même pour l'une et pour l'autre. Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 216.
[La qualité est celle d'une pers.] À quoi reconnaît-on qu'une femme qui vit seule n'est pas une « grue »? On ne peut pourtant pas, à titre d'épreuve, lui proposer de l'argent (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 271).Les souffrances physiques (et les privations) sont souvent pour les hommes courageux une épreuve d'endurance et de force d'âme (Weil, Pesanteur,1943, p. 44).
En partic. [Dans un contexte de combat] Épreuve de force. Confrontation réunissant deux adversaires entre lesquels s'engagera un combat. Deux jours après l'échange des messages, l'épreuve de force s'engagera (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 189):
2. En septembre 1938, raconte Marat, la CGT donna l'ordre d'une grève générale de 24 heures que les patrons et le gouvernement décidèrent de briser : ce fut une épreuve de force. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 173.
2. Loc. [Le subst. est le plus couramment employé sous cette forme]
a) Loc. verbales
Mettre à l'épreuve. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose concr. ou abstr., une pers.] Soumettre à l'expérience. Il pesait sur le bout de sa botte, tel un bretteur met à l'épreuve la solidité de sa lame (Courteline, Train 8 h 47,1888, 3epart., 3, p. 240).Il connaissait Davis de réputation, et il n'éprouvait aucune appréhension à être mis à l'épreuve par lui (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 51).Je soupçonne une invention du chevalier étranger, pour mettre à l'épreuve mes sentiments (Camus, Chev. Olmedo,1957, 1rejournée, 9, p. 735):
3. ... des thèses générales que nous voudrions mettre à l'épreuve dans cet ouvrage ainsi que dans quelques autres que nous nous leurrons de l'espoir d'écrire encore. Bachelard, Poét. espace,1957, p. 17.
Rem. On rencontre aussi la loc. nom. mise à l'épreuve de. La mise à l'épreuve de mon affection pour eux (Gide, Journal, 1940, p. 40).
Faire l'épreuve d'une chose. L'expérimenter et/ou en vérifier les qualités, l'efficacité. Celle [l'activité] des machines tient du prodige. Je viens d'en faire l'épreuve sur le railway qui mène à Liverpool (Michelet, Chemins Europe,1874, p. 145):
4. Cette prière (...) il suffit, dans les douleurs, de se l'appliquer comme un emplâtre (...) et elle opère de la sorte aussi bien (...) que si on la récitait. J'en ai fait l'épreuve (...) lors de la naissance de mon fils... France, Rôtisserie,1893, p. 12.
Rare et littér. [Le compl. d'obj. indir. désigne un homme] Faire une épreuve de. Éprouver les qualités physiques et morales :
5. ... avant que l'escadre de M. de Ternay mît à la voile, M. de La Marche pensa qu'il aurait le temps de faire une épreuve suffisante de son nouvel écuyer. Sand, Mauprat,1837, p. 218.
b) Loc. prép. À l'épreuve de. [En parlant d'une pers., d'une chose] . Qui peut être soumis à l'expérience, qui est capable d'y résister, de la supporter. Nous autres militaires, nous sommes à l'épreuve d'un bain froid (Mérimée, Théâtre C. Gazul,1825, p. 63).Tu montres ainsi une âme à l'épreuve de la crainte (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 201).Une large porte, cloutée, solide, à l'épreuve de la hache et de la balle (Bernanos, Joie,1929, p. 649).
Vieilli et absol.
Qui est capable de résister à tout :
6. Mr Buloz m'a porté votre nouvelle qui avait un peu effarouché sa pudeur. La mienne est plus à l'épreuve et je ne crois pas que la moyenne des lecteurs fût plus scrupuleuse. Mérimée, Lettres Delessert,1870, p. 44.
Soumis à quelque chose de pénible, dangereux... et en sortir vainqueur. [Camille :] − ... En voyage, dans une circonstance, je l'ai vu [Conti] à l'épreuve : il a su risquer une vie qu'il aime (Balzac, Béatrix,1839-45, p. 104).
Acheter un cheval à l'épreuve. Après l'avoir essayé. (Cf. DG, Rob.).
c) Loc. à tournure adj. À toute épreuve (cf. Dupré1972).[En parlant d'une pers. ou d'une chose.] Capable de résister à tout, de surmonter toutes les expériences. Il [Tartarin] se dit qu'avec de bons guides, un compagnon à toute épreuve comme Bompard (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 241).Le tsar Nicolas II était un souverain d'une droiture à toute épreuve (Foch, Mém.,t. 1, 1929, p. XXVI):
7. ... ces frondaisons s'offrirent d'elles-mêmes pour former par leur assemblage des nattes souples et résistantes, des récipients à toute épreuve, ... Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 122.
3. En partic. [L'expérience porte sur la valeur religieuse d'une pers.] Les plaies, morales ou physiques, sont autant d'épreuves bénies qui doivent nous rapprocher de Dieu (A. Daudet, Évangéliste,1883, p. 83).Et après tout, quand je considère l'état des âmes à Vaux-le-Devers, je ne suis pas autrement surpris que Dieu leur ait envoyé cette épreuve (Aymé, Vouivre,1943, p. 81).
4. P. méton. et spéc. [En parlant de choses] Résultat d'un essai, d'une expérience, pouvant être soumis à des corrections ou des retouches.
a) IMPR. ,,Feuille de papier très ordinaire sur laquelle on a imprimé une composition, avant le tirage définitif, et qui sert à la vérification et à l'inscription des corrections`` (Comte-Pern. 1963). Corriger les épreuves; épreuve au taquoir, à la brosse, au rouleau :
8. M. Didot fils nous renvoie la première épreuve de la seconde édition de Marie-Antoinette, en appelant notre attention sur les corrections de son correcteur. Goncourt, Journal,1858, p. 561.
b) GRAV. ,,Feuille d'essai imprimée sur une planche gravée, sur une pierre lithographique, qui permet à l'artiste de juger du degré d'achèvement de son travail et des retouches qui pourraient être nécessaires; (...) toute estampe imprimée d'une planche gravée ou d'une lithographie`` (Adeline, Lex. termes art, 1884). J'attendais les épreuves des gravures retouchées. Vous me répondez que les aciers sont dans les mains des graveurs de lettres (Hugo, Corresp.,1862, p. 421):
9. La gravure sur pierre (...) offre (...) l'avantage de fournir des épreuves plus pures et plus nettes que par exemple celles d'eau-forte. Chelet, Lithogr.,1933, p. 73.
Épreuve avant la lettre. ,,Celle d'une gravure terminée, mais n'ayant pas encore reçu les inscriptions qui doivent l'accompagner (titre, date, dédicace, noms de l'auteur, de l'imprimeur, etc.)`` (Dacier 1944) :
10. On a trouvé (...) dans de vieux meubles et même jusque dans l'épaisseur de ses planchers des épreuves de ses gravures avant la lettre et en grand nombre, ... Delécluze, Journal,1825, p. 134.
P. métaph. :
11. ... beaucoup de nos contemporains à nous, qui reconnaissent dans l'auteur des Mémoires d'un Touriste et de la Chartreuse de Parme comme une épreuve avant la lettre de plusieurs traits de la sensibilité la plus moderne. Bourget, Essais de psychol. contemp.,1883, p. 212.
c) SCULPT. Moulage. Le masque de Napoléon rapporté de Sainte-Hélène par le docteur Antomarchi, et dont une épreuve en plâtre (...) a terrifié mon enfance (France, P. Nozière,1899, p. 28).
d) PHOT. ,,Image photographique positive généralement tirée sur papier, obtenue d'après un négatif transparent`` (Photo 1973). Épreuve positive, négative. Il ouvrit le registre. Je rougis violemment en y apercevant l'épreuve à peine virée d'une photographie que je connaissais bien (Benoit, Atlant.,1919, p. 45):
12. Pour retoucher des épreuves de photographie, mouiller le papier et l'appliquer sur un verre; il adhérera au moins pendant deux heures; retoucher dans l'humide avec aquarelle et rehaut de gouache. Delacroix, Journal,1850, p. 422.
P. métaph. :
13. ... je sais une fenêtre où on voit après un premier, un second et même un troisième plan fait des toits amoncelés de plusieurs rues, une cloche violette, parfois rougeâtre, parfois aussi, dans les plus nobles « épreuves » qu'en tire l'atmosphère, d'un noir décanté de cendres, laquelle n'est autre que le dôme de Saint-Augustin... Proust, Swann,1913, p. 66.
B.− [L'expérience subie a un caractère pénible] L'épreuve débilitante d'une longue maladie (Nélaton, Pathol. chir.,t. 1, 1844, p. 5).Cette petite épreuve météorologique m'a fait songer aux horreurs des climats brûlants, à l'enfer de la poussière et de la soif (Amiel, Journal,1866, p. 371).On a souvent recours à ce délassement après un voyage ou une épreuve fatigante (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 192).
1. En partic. [L'expérience est physiquement et moralement très pénible, très douloureuse] Enfin vint la terrible épreuve de l'ensevelissement (Michelet, Journal,1839, p. 309).La France, tandis qu'elle subissait les épreuves de l'invasion, n'avait jamais oublié les braves Français et Indochinois (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 488):
14. Personne n'éprouve un désarroi pareil à celui des sujets de cette famille devant l'épreuve du deuil; ils n'arrivent pas à s'arracher aux liens qu'ils avaient contractés avec l'objet aimé... Mounier, Traité caract.,1946, p. 447.
Absol. Les douces amitiés de l'enfance disparurent derrière moi. J'entrai dans une vie d'épreuve et d'isolement (Michelet, Oiseau,1856, p. XXXI).« Stuart Mill dans l'épreuve et dans l'accablement trouva le repos et le calme, à l'ombre de la poésie de Wordsworth » (Darmesteter ds Barrès, Cahiers,t. 7, 1908-09, p. 313).
2. Spéc. Expérience, examen, test, imposé à une personne afin d'apprécier ses qualités physiques, morales, intellectuelles, dans le but de la juger ou de lui conférer un grade, un titre, une dignité... À peine un petit frisson à fleur de peau du franc-maçon novice auquel on fait subir les premières épreuves (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 189).Il avait dû, à l'âge de la croissance, subir cette épreuve de la préparation à l'École polytechnique, meurtrière aux meilleures santés (Bourget, Disciple,1889, p. 67):
15. ... elles [les jeunes femmes] entrent dans la mer, d'un petit pas rapide qu'arrête parfois un frisson de froid délicieux, une courte suffocation. Bien peu résistent à cette épreuve du bain. C'est là qu'on les juge, depuis le mollet jusqu'à la gorge. Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Adieu, 1884, p. 945.
a) HIST. ANTIQUE, et FÉOD. Épreuves judiciaires. Expériences physiques auxquelles on soumettait un accusé en faisant appel au jugement de Dieu pour désigner le coupable (cf. ordalie). Épreuve de l'eau bouillante, du feu, du fer chaud. Les contemporains (...) voyaient dans le martyre une épreuve judiciaire constituant un témoignage en l'honneur du Christ (Sorel, Réflex. violence,1908, p. 277).
b) SCOLARITÉ. Exercice pratique écrit ou oral que subit un élève en classe ou lors d'un examen afin d'être jugé selon ses capacités. Subir les épreuves du baccalauréat, une épreuve de chimie. « Épreuve d'orthographe, mesdemoiselles, veuillez écrire : je ne répète qu'une seule fois la phrase que je dicte » (Colette, Cl. école,1900, p. 195).Piano, violon, violoncelle. Première épreuve éliminatoire : un morceau au choix et le morceau imposé. Deuxième épreuve : morceau imposé, gammes ou exercices à la demande du jury, lecture à vue (Enseign. mus.,t. 1, 1950, p. 14).
Rem. Certains dict. enregistrent un emploi méton. La copie écrite de l'élève. Corriger les épreuves d'un examen (Lar. Lang. fr.).
c) SPORTS
[Dans les courses de chevaux] Distance à parcourir dans une partie liée. Gagner la première épreuve (DG) :
16. ... il ramenait sa jument au sec en la faisant tourner lentement en cercle autour de l'escadron rassemblé comme s'il se fût agi des suites d'une épreuve de haies. Céline, Voyage,1932, p. 41.
Mod. Exercice physique, compétition sportive. Les épreuves d'automobiles sur piste se courent à Brooklands (Morand, Londres,1933, p. 140):
17. Ajoutons que toutes ces épreuves devaient être passées au cours d'une même demi-journée et, en principe, dans l'ordre suivant : lancer (3 essais), saut en hauteur ou longueur... R. Vuillemin, Éduc. phys.,1941, p. 114.
d) En partic. Épreuve par assis et levé. Moyen rapide de recueillir les votes dans une assemblée, consistant à faire se lever successivement ceux qui votent pour et ceux qui votent contre.
II.− Plus rarement, vieilli. [Correspond à éprouver B]
A.− [Dans un domaine concr.] Loc. verbale. Faire l'épreuve de. Faire l'expérience de. Nous avions nous-mêmes fait l'épreuve de cette inconstance des vents, et ceux de l'ouest ne nous avaient quittés que par les 12 degrés (Voy. La Pérouse,t. 3, 1797, p. 185):
18. Là [à Lindaw] Montaigne regretta (...) de n'avoir point emmené avec lui un cuisinier pour s'instruire des recettes allemandes et en pouvoir faire un jour l'épreuve chez lui... Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 2, 1863-69, p. 164.
B.− [Sur le plan moral] Expérience d'un sentiment, d'un état moral. Il n'avait pas non plus cette pénétration qu'une longue méfiance et l'épreuve du mal finissent par donner aux plus simples (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 42):
19. ... il s'agit ici en effet non pas même des choses (...) impossibles, mais du chantier infini des possibilités, du domaine des difficultés usuelles qui se résolvent par le travail et à longueur de temps, dans l'épreuve de la douleur et de la médiation; ... Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 231.
Prononc. et Orth. : [epʀ œ:v]. Enq. : /epʀøv/. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1175 esprove « action d'éprouver (quelque chose ou quelqu'un) » (B. de Ste-Maure, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 34722); 2. av. 1615 typogr. (Pasquier, Lettres, t. 1, p. 662 ds Littré). Déverbal de éprouver*. Fréq. abs. littér. : 4 426. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 671, b) 6 882; xxes. : a) 5 202, b) 7 168. Bbg. Interphotothèque. Commission terminol. Paris, p. 9. − Lipka (L.). Kugelsicher- à l'épreuve des balles. In : [Mél. Marchand (H.)]. The Hague, 1968, pp. 127-143. − Quem. DDL t. 9. − Sournia (J.-Ch.). Les Anglicismes méd. Banque Mots. 1972, no4, p. 215. − Termes techn. fr. Paris, 1972, p. 34, 139.