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PENSÉE1, subst. fém.
I. − [La pensée comme faculté]
A. − Principe de la vie psychique.
1. HIST. DE LA PHILOS. [Chez Descartes et ses continuateurs] Activité psychique dans son ensemble. Aussi bien, les exemples de pensée que Descartes aime à rappeler sont-ils tous des actes. Concevoir, affirmer, vouloir, imaginer, sentir, ce sont là des opérations comme il le note dans l'Exposé «géométrique», aussitôt après la définition de la pensée (R. Verneaux, Les Sources cartésiennes et kantiennes de l'idéalisme fr., Paris, Beauchesne, 1936, p.123).L'affectivité est encore [dans l'acte du cogito] un mode de la pensée au sens le plus large; sentir est encore penser (Ricoeur, Philos. volonté, 1949, p.83).V. attendre ex. 17 et penser1I A ex. de Condillac:
1. ... le point de vue systématique où Descartes a employé le mot pensée [it. ds le texte] pour exprimer l'attribut essentiel et l'essence même de l'âme, par opposition au corps qui a l'étendue pour essence... Maine de Biran, Journal, 1823, p.402.
2. Lang. cour.
a) Ensemble des facultés psychologiques tant affectives qu'intellectuelles. Synon. âme, coeur, esprit (v. ce mot 2esection I B 1).C'était un de ces jours tristes qui oppressent, écrasent la pensée, compriment le coeur, éteignent en nous toute force et toute énergie (Maupass., Contes et nouv., t.1, Épave, 1886, p.717).La force leur a été donnée [aux rois] par le Seigneur et la puissance par le Très-Haut, qui examinera leurs actes et sondera leur pensée (Théol. cath.t.4, 11920, p.1013):
2. Christine survint, appuya un bol de lait contre les lèvres de la malade, refit l'arrangement des oreillers, embrassa sa mère, partit. Les bouffissures blafardes s'élargissaient sur le visage et sur le cou, et sans doute sur tout le reste d'un corps qui se préparait à vivre tout seul de son côté, de quelque vie laide et monstrueuse. Sa pensée, sa tendresse, tout ce qui constituait sa mère, avait à s'arranger de cela, pendant que c'était encore possible. Malègue, Augustin, t.3, 1933, p.313.
PARAPSYCHOL. Transmission* de pensée.
b) Activité affective consciente. Loin de vous comme en votre présence, je ne puis m'occuper que du seul amour; les plus tristes objets n'en peuvent détacher ma pensée (Cottin, Mathilde, t.2, 1805, p.161).Ses yeux s'obscurcirent, sa pensée se voila, et il n'entendit plus que très vaguement geindre l'essieu des roues (A. Daudet, Tartarin de T., 1872, p.104).V. irrépressible ex.:
3. Elle rouvrit les yeux. Elle regarda sa mère, son père, d'un regard qui déjà n'était plus de ce monde. On lisait en elle une pensée intense, une suprême angoisse, une poignante supplication qu'elle ne pouvait plus exprimer. Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p.416.
B. − [P. oppos. à affectivité, sensibilité] Principe de la vie intellectuelle. Synon. entendement, esprit (v. ce mot 2esection I C), intelligence.
1. PHILOS., PSYCHOL.
a) Ensemble des fonctions psychiques et psycho-physiologiques ayant la connaissance pour objet; ensemble des phénomènes par lesquels ces fonctions se manifestent. Genèse, mécanismes, opérations, productions, troubles de la pensée. La pensée est-elle autre chose que la reproduction interne des phénomènes extérieurs, classés suivant la constance de leurs liaisons? (Boutroux, Contingence, 1874, p.99).Si la pensée ne mettait elle-même dans les choses ce qu'elle y trouvera ensuite, elle serait sans prises sur les choses (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p.425).V. abstrait ex. 14, analogie ex. 10, distinguer A 3 ex. de Vuillemin, homme ex. 2, intelligence I A 1 c ex. de Lamarck, intelligent ex. 2:
4. Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que, sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d'une façon claire et constante. Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n'est nécessairement délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue. Sauss.1916, p.155.
[Suivi d'un adj. indiquant la nature ou la forme, le degré ou le niveau de la pensée] Pensée abstraite, spéculative; pensée notionnelle, symbolique; pensée analytique, intuitive, discursive; pensée autistique, égocentrique. Tout nous engage à considérer le mécanisme de la pensée syncrétique comme intermédiaire entre celui de la pensée logique et celui de ce que les psychanalystes ont appelé d'un mot hardi le «symbolisme» des rêves (J. Piaget, Le Lang. et la pensée chez l'enfant, Neuchâtel, 1948 [1923], p.152):
5. La vie collective (...) ne peut exister que par la communication entre les hommes et cette communication suppose l'antériorité logique d'une pensée conceptuelle. Traité sociol., 1967, p.67.
b) Connaissance discursive. Synon. raison.Un être vivant est un être observable, tandis que le tout de l'univers est construit ou reconstruit par la pensée (Bergson, Évol. créatr., 1907, p.15).Il faut que la pudeur, la honte, l'indignation, l'euphorie des idéaux, la sensation du juste et de l'injuste, soient des seuils infranchissables à la pensée (Valéry, Suite, 1934, p.79):
6. L'arsenal des opérations de l'esprit est transfiniment illimité, mais grâce à lui, toute notion accessible peut être présentée en termes finis. La métamathématique de Cantor a ouvert à la pensée l'éblouissante perspective de son propre infini. Gds cour. pensée math., 1948, p.117.
2. Lang. cour.
a) Faculté de connaître, de raisonner, de juger; activité intellectuelle qui en est la source. La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté. Remplacer la pensée par la rêverie, c'est confondre un poison avec une nourriture (Hugo, Misér., t.2, 1862, p.51).Au fond de l'esprit de l'homme, il existe une puissance de pensée insoupçonnée et latente qui dépasse de beaucoup le peu que nous en connaissons (Barrès, Cahiers, t.12, 1919, p.222).V. harmonier II B ex. de Balzac:
7. L'exercice de la pensée, la recherche des idées, les contemplations tranquilles de la science nous prodiguent d'ineffables délices, indescriptibles comme tout ce qui participe de l'intelligence, dont les phénomènes sont invisibles à nos sens extérieurs. Balzac, Peau chagr., 1831, p.102.
b) En partic.
α) Ensemble des capacités intellectuelles d'une personne. Pensée active, claire, défaillante, faible, ferme, prompte, vive; altération, engourdissement, fléchissement de la pensée. Il regardait ces gens de ses yeux bleus, troubles et sans pensée, et il tournait un peu sa tête bouffie où semblait s'éveiller un commencement d'attention (Maupass., Contes et nouv., t.1, Hérit., 1884, p.528).Le petit Mouron, doux et modeste, toujours timide, toujours un peu lent de pensée (A. France, Vie fleur, 1922, p.366).Leur intelligence [des amorphes] est superficielle, leur pensée étroite; ils lisent peu, observent mal, n'ont aucune aptitude à l'abstraction, aucun sens de l'esprit ou de l'ironie (Mounier, Traité caract., 1946, p.248).
Loc. [À la forme nég.] La pensée ne l'encombre pas. Il n'est pas (très) intelligent; il est sot. Il jetait un regard singulièrement trouble et voilé, sans malice aucune. Comme la pensée ne l'encombrait pas, il pouvait sortir tout de go ce qui lui passait par la tête (Gide, Si le grain, 1924, p.533).
β) Mise en oeuvre de ces capacités; aptitude à réfléchir. Il est bien certain, reprit-il, après un silence de pensée, que c'est la Vierge qui agit dans ces cas-là sur nous (Huysmans, En route, t.1, 1895, p.33).Il percevait là une symétrie à laquelle sa pensée s'arrêta un instant sans pouvoir lui donner un sens précis (Aymé, Uranus, 1948, p.104):
8. En quinze ou seize ans et après son apprentissage, l'avoué, le notaire, le marchand, tous les travailleurs patentés ont gagné du pain pour leurs vieux jours. Je ne me suis senti propre à rien en ce genre. Je préfère la pensée à l'action, une idée à une affaire, la contemplation au mouvement. Balzac, L. Lambert, 1832, p.126.
[Avec la fonction de déterm.]
Homme de pensée (gén. p.oppos. à homme d'action). Celui qui met en oeuvre son goût pour la réflexion et, p.ext., pour les choses de l'esprit, la culture; en partic., celui dont la tâche principale est le travail de la réflexion. Il était réservé à notre temps de voir des hommes de pensée ou qui se disent tels faire profession de ne soumettre leur patriotisme à aucun contrôle de leur jugement (Benda, Trahis. clercs, 1927, p.65).Mon père, homme de pensée, de culture, de tradition, était imprégné du sentiment de la dignité de la France (de Gaulle, Mém. guerre, 1954, p.1).V. homme ex. 25:
9. Par un de ces contrastes fréquents chez les hommes de pensée, M. Weil, qui ne sortait pas de ses livres et vivait uniquement de la vie de l'esprit, était passionné de choses militaires. Rolland, J.-Chr., Maison, 1909, p.1049.
Travail, ouvrage de pensée. Qu'on ait à exécuter un travail de pensée ou un travail d'atelier ou d'industrie, il faut se tenir à sa pièce, la creuser, la façonner, la perfectionner tous les jours (Gambetta, 1876ds Fondateurs 3eRépubl., p.120).
c) P. méton.
α) L'esprit en tant que siège des facultés intellectuelles. Sinistre! c'est l'épithète qui vient à la pensée en le voyant (Goncourt, Journal, 1864, p.22).L'idée de tromper mon mari n'avait jamais effleuré ma pensée (Gide, École femmes, 1929, p.1296):
10. ... il se mit à l'insulter, à l'injurier, à l'appeler par tous les méchants noms et tous les mots impurs dont était pleine sa pensée. Bloy, Journal, 1899, p.306.
En partic. Attention, application mentale. Ne pas avoir la pensée à ce qu'on fait; détourner sa pensée de quelque chose. Il s'acharnait sur ses livres du matin au soir; mais il ne faisait rien de bon: sa pensée était ailleurs (Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p.896).
P. méton. Personne (qui pense). Deux regards, deux pensées qui se cherchent à travers l'univers finissent toujours par se retrouver (Lamart., Confid., 1849, p.39).
β) L'esprit en tant que faculté de se représenter ce qui n'existe pas en réalité. Dans sa pensée, il unissait les deux enfants. Il allait les unir, dans la réalité (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p.1566).
Loc. adv.
En pensée, par la pensée. Par l'imagination; en partic., par le souvenir. Remonter (jusqu'à), se reporter à, (faire) revivre par la/en pensée. Je songe vaguement à mon dernier voyage; je revois en pensée ma chère cathédrale, la via Cannobio, la maison du passé (Milosz, Amour. init., 1910, p.126).Il regardait cette demeure décrépite et mélancolique et, déjà, par la pensée, il la voyait comme elle allait être bientôt (Duhamel, Désert Bièvres, 1937, p.87).De manière imaginaire ou au moyen de l'abstraction. Se placer, se transporter quelque part par la/en pensée. Un astronome, habitué à vivre en pensée dans les espaces interplanétaires, doit avoir beaucoup moins de mal qu'un autre à mourir (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p.968).En déplissant par la pensée les chaînes de montagnes actuelles d'origine alpine, on étend considérablement les surfaces émergées (Combaluzier, Introd. géol., 1961, p.140).[P. oppos. à en fait, en réalité, par action, par omission] Pécher, commettre une faute, un crime par la/en pensée. Adultères par la pensée, êtes-vous moins souillées d'un péché du coeur que d'un péché du corps? (Péladan, Vice supr., 1884, p.225).Christophe se demandait (...) quelle étrange satisfaction elle pouvait trouver à troubler, à souiller, ne fût-ce qu'en pensée, la pureté de leur affection (Rolland, J.-Chr., Adolesc., 1905, p.357).
De pensée (rare). Si j'étais resté chaste, mon ami, si je l'étais resté de fait et aussi de pensée (Sainte-Beuve, Volupté, t.2, 1834, p.33).
[L'accent est mis sur une faculté partic.]
Mémoire, souvenir. (Être) cher, présent, vivant à la pensée; rester gravé dans la pensée; bannir, rayer de sa pensée; fouiller dans sa pensée. Malgré moi, à chaque arrêt, des enfants de l'école s'interposaient dans ma pensée; je les voyais avec les yeux de l'âme dans les attitudes ayant existé (Frapié, Maternelle, 1904, p.295):
11. L'autre jour, j'ai été au collège voir un gamin que l'on m'avait recommandé à Paris; tout le temps du collège m'est revenu à la pensée. Je t'ai revu battant la semelle contre le mur, par un temps de neige, dans la cour des grands... Flaub., Corresp., 1864, p.138.
Imagination, rêve, rêverie. Creuser de frais vallons que la pensée adore, Remonter, redescendre, et remonter encore (Lamart., Harm., 1830, p.393).Je me créai une femme, je la dessinai dans ma pensée, je la rêvai (Balzac, Peau chagr., 1831, p.113).On devine, par ce qu'on voit, ce qu'on ne voit pas. On sonde avec l'oeil et la pensée les dedans du corsage et les dessous de la robe (Maupass., Contes et nouv., t.1, Échec, 1885, p.999).
II. − Manière d'user de cette faculté; manière de penser et d'exprimer ce qu'on pense; attitude, détermination de l'esprit propre à une personne ou à un groupe de personnes.
A. − [La pensée est le fait d'une pers. individuelle]
1. Manière de juger. Synon. opinion, appréciation, avis, point de vue (v. point1).Parler contre sa pensée; aller au bout de sa pensée. Chacune de tes paroles sera une vérité que j'écouterai à genoux. Est-ce que jamais j'ai eu une pensée autre que la tienne? (Zola, Faute Abbé Mouret, 1875, p.1467).Je demande au sultan de m'indiquer, en toute confiance, quel est le fond de sa pensée quant aux rapports du Maroc et de la France (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p.224).V. s'arc-bouter ex. 2:
12. Il suffisait qu'une pensée fût extraordinaire, qu'elle choquât le sens commun, pour que je m'en fisse aussitôt le champion, au risque d'avancer les sentiments les plus blâmables. Musset, Confess. enf. s., 1836, p.124.
Loc. diverses
Dire sa pensée (à qqn). Donner son opinion, dire ce que l'on ressent (sur un point particulier). Elle est si dissimulée avec moi, sans doute parce qu'elle me craint, car je l'ai élevée sévèrement, qu'elle ne peut ou qu'elle n'ose me dire sa pensée (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p.16).Je crois, pour vous dire ma pensée, que ni moi ni un autre aujourd'hui ne saurait faire oeuvre qui dure (Courier, Lettres Fr. et Ital., 1810, p.840).Dire toute sa pensée. Dire franchement ce qu'on pense sans ménagement. Il parlait vivement et sans retenue, disant toute sa pensée avec ignorance des ménagements (Maupass., Contes et nouv., t.2, Ami Jos., 1883, p.1263).
Entrer dans la pensée de qqn. Envisager les choses de son point de vue; comprendre les motifs qui le font agir. [Être discipliné veut dire] qu'on entre franchement dans la pensée, dans les vues du chef qui a ordonné, et qu'on prend tous les moyens humainement praticables pour lui donner satisfaction (Foch, Princ. guerre, 1911, p.97).
Dans la pensée de qqn. Selon sa manière d'envisager les choses. Synon. dans l'esprit*, dans l'idée* de qqn.Dans notre pensée donc, si l'avenir amène ce que nous attendons, les chances de guerre et de révolution iront diminuant de jour en jour (Hugo, Rhin, 1842, p.480).En suivant son raisonnement, sa logique. Dans la pensée de Maxwell le déplacement de ce pôle dans un diélectrique produit aussi dans le diélectrique des forces électromotrices d'induction (H. Poincaré, Électr. et opt., 1901, p.418).
Liberté* de pensée.
SYNT. Cacher, communiquer, déguiser, développer, dissimuler, nuancer, préciser, systématiser sa pensée; confier sa pensée à qqn; conquérir qqn à sa pensée; comprendre, partager la pensée de qqn; émettre, soutenir une pensée; souscrire à une pensée.
2. Opinion raisonnée; position intellectuelle systématique ou non. Démarche, évolution d'une pensée; construire, orienter une pensée; accréditer, diffuser une pensée. Quelle douleur j'ai, quand il me faut délayer ma pensée, et l'affaiblir pour qu'elle soit intelligible, de suite, à une salle de spectateurs (Mallarmé, Corresp., 1865, p.168).Je verrai peut-être se réaliser ma seule ambition, celle d'avoir une revue bien à nous, où je puisse écrire librement toute ma pensée (Bourget, Actes suivent, 1926, p.148):
13. Il n'y a de pensée que dans un homme libre; dans un homme qui n'a rien promis, qui se retire, qui se fait solitaire, qui ne s'occupe point de plaire ni de déplaire. Alain, Propos, 1925, p.667.
Libre(-)pensée. V. libre(-)penseur rem.
3. Ensemble des idées autour desquelles une personne organise sa vie. Synon. morale, philosophie.Les grandes causes demandent des hommes supérieurs, de nobles coeurs, de grandes âmes. L'élévation de pensée et de caractère, voilà ce qu'il nous faudrait et ce qui nous manque (Amiel, Journal, 1866, p.276).Je comprenais qu'il avait sa carrière, sa pensée, sa vie publique, que ne devait pas se permettre d'encombrer mon amour (Gide, École femmes, 1929, p.1254):
14. D'assez bonne heure (...), sans accepter aucun dogme religieux ou philosophique, j'étais assez bien arrivé à concilier toutes mes tendances, à me confectionner un cadre solide de vie, de pensée; une façon de morale. Martin du G., Thib., Épil., 1940, p.947.
B. − [La pensée est le fait d'un penseur ou d'un groupe soc.]
1. [Le plus souvent suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminatif de]
a) Ensemble des idées, des façons de penser, propre à une personne ou à une école, à un peuple, à une race ou à une époque. Synon. philosophie.Le rayonnement d'une pensée. Tu le regardes [Barrès] comme un simple écrivain, moi comme un maître; tu apprécies son talent, moi sa pensée (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1905, p.177).La théorie platonicienne des idées a dominé toute la pensée antique, en attendant qu'elle pénétrât dans la philosophie moderne (Bergson, Deux sources, 1932, p.256):
15. Chacun dans des domaines variés, un Spinoza, un Bayle, un Locke, par exemple, a légué à la pensée européenne et spécialement à la pensée française une attitude critique que l'évolution historique et en particulier les transformations économiques contribueront largement à accentuer. Vedel, Dr. constit., 1949, p.15.
SYNT. Pensée cartésienne, hégélienne, marxiste, socratique, stoïcienne; pensée de Marc Aurèle, de Montaigne, de Rousseau; pensée de Husserl, de Nietzsche, de Sartre; pensée de Valéry, de Gide; pensée allemande, chinoise, chrétienne, hindoue, judaïque, musulmane, occidentale; pensée classique, contemporaine, médiévale, moderne.
b) Ensemble des idées, système doctrinal qui est à la base d'un style de société, qui sert de norme à une action collective. Synon. idéologie, idée (v. ce mot I A 4 b).Pensée démocratique, prolétarienne, républicaine, révolutionnaire. J'admire comment la pensée populaire tient ferme depuis tant de siècles (Alain, Propos, 1929, p.901):
16. Les «chiens de garde» [réf. à l'oeuvre de P. Nizan] étaient si bien arrivés, après huit ans de lycée et les années de faculté, à nous convaincre de l'identité de la raison et de la pensée bourgeoise que nous avions aussi jeté la raison par dessus bord et avec elle les sciences exactes... Vailland, Drôle de jeu, 1945, p.18.
c) Ensemble des réflexions qui caractérisent un domaine particulier de l'activité collective. Pensée juridique, littéraire, politique, scientifique, sociale, sociologique. Le contact avec l'Europe, et notamment avec la poésie anglaise, a provoqué un grand renouvellement de la pensée religieuse, philosophique et artistique (Arts et litt., 1936, p.56-4).Toujours la pensée économique s'est attachée à la société; elle a surgi de l'expérience économique de la société, mais les dominantes de cette expérience ont varié (Univ. écon. et soc., 1960, p.4-3).
2. La pensée (humaine). Mouvement général des idées, des philosophies, des sciences au cours des périodes historiques. Progrès de la pensée; monument, grand nom de la pensée. La métropole même de la sociabilité humaine, la patrie de la pensée, la terre de la poésie, de la philosophie et de l'art, la Grèce (Hugo, Rhin, 1842, p.428).Ces trusts qui ont porté l'industrie américaine à cet état de perfection et de concentration, qui est le grand fait des cinquante dernières années de la pensée humaine (Aragon, Beaux quart., 1936, p.196):
17. Sans évoquer les nombreux exemples que nous fournirait l'histoire de la pensée, rappelons seulement combien les systèmes de philosophie eurent d'influence sur le développement du savoir en général et, particulièrement, du savoir occidental. Marin, Ét. ethn., 1954, p.12.
3. P. méton.
a) Ensemble des personnes concernées par une activité intellectuelle. Synon. les penseurs.Lorsque Bonaparte saisit le pouvoir, que la pensée fut bâillonnée (...), la vérité disparut (Chateaubr., Mém., t.2, 1848, p.645).À votre majorité de parlementaires, oppressive et incompétente, nous opposerons l'élite française, la pensée française (Barrès, Cahiers, t.8, 1910, p.162):
18. ... cette éducation au tambour des lycées impériaux, où Bonaparte, empereur, voulait mettre la pensée de toute la France en uniforme et faire un peuple de soldats au lieu d'un peuple de citoyens. Lamart., Confid., 1849, p.312.
b) Groupe de personnes auxquelles on prête ou on reconnaît un pouvoir lié à leur activité intellectuelle. Moulin avait créé, aussi, le «Bureau d'information et de presse», dirigé par Georges Bidault, qui nous tenait au courant de l'état des esprits, notamment dans les milieux de la pensée, de l'action sociale et de la politique (De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p.236):
19. Lucien fut en un moment séduit par les réflexions du gentilhomme, et charmé de voir s'ouvrir devant lui les portes des salons d'où il se croyait à jamais banni quelques mois auparavant. Il admira le pouvoir de la pensée. La presse, l'intelligence étaient donc le moyen de la société présente. Balzac, Illus. perdues, 1839, p.431.
4. Dans le domaine des beaux-arts et de la litt.
a) Manière dont un auteur, un artiste s'exprime dans son oeuvre; sens de cette oeuvre; les idées qu'elle exprime. L'écrivain altérant sa pensée, tourmentant son style, pour conquérir le public (L. Blanc, Organ. trav., 1845, p.197).La banalité de sa pensée se cachait sous un flot d'images (Gide, Faux-monn., 1925, p.1166).C'est le rôle du chef de choeur (...) de donner confiance au chanteur pour retrouver la pensée du compositeur et la traduire avec exactitude dans ses notes et dans son esprit (Arts et litt., 1935, p.36-13).V. entrer A 2 a ex. de Bergson:
20. L'oeuvre d'art reflète d'abord une part d'organisation lucide où trouvent à s'appliquer les convictions intellectuelles, l'échelle des valeurs dont est constituée la pensée de l'artiste. Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p.435.
SYNT. Affaiblir, déformer, dénaturer, rendre (bien/mal), résumer, traduire, trahir la pensée de qqn; pensée académique, compliquée, délicate, fade, forte, insuffisante, médiocre; audace, fraîcheur, indigence, nullité, originalité, pauvreté, puissance, vigueur de pensée.
b) En partic.
[Dans une oeuvre littér.]
Fond (p.oppos. à forme). Comme pensée, le livre est fort ingénieux dans les détails. Comme forme, très irrégulier, −du haut et du bas (Barbey d'Aurev., Memor. 1, 1837, p.109).Hier, il m'a lu l'allocution qu'il a préparée pour sa réception de doctor honoris causa à l'université d'Oxford. Texte d'une forme raffinée, mais, hélas, d'une banalité de pensée manifeste (Martin du G., Notes Gide, 1951, p.1419).
Sens profond; idée directrice. Ce fier personnage à la figure basanée exprime la pensée de toute la composition (Barrès, Greco, 1911, p.22):
21. [E. Quinet] affirme que la Révolution pouvait se sauver par la justice. À l'honneur de Robespierre, il préfère l'honneur de la liberté. Voilà la pensée du livre; elle s'y répand en flots d'éloquence; elle donne à tout l'ouvrage une unité majestueuse et convaincante. Ferry, 1866ds Fondateurs 3eRépubl., p.112.
P. méton., rare. Idée originale; génie. Le Poussin, en peignant les danses des bergères, place dans le paysage le tombeau d'une jeune fille, sur lequel est écrit: Et moi aussi je vécus en Arcadie. Il y a de la pensée dans cette manière de concevoir les arts, comme dans les combinaisons ingénieuses de Gluck (Staël, Allemagne, t.3, 1810, p.377).
III. − Avec un indéf. ou au plur. Produit de cette faculté.
A. − Toute représentation dans la conscience (laquelle inclut notamment celle d'un sentiment, d'une sensation, d'un état d'âme). Tourner toutes ses pensées vers qqn; être le confident des pensées de qqn; se faire une place dans les pensées de qqn; toutes mes pensées vous appartiennent. Son âme s'exhale en pensées, en rêves d'amour, en élans impuissants vers une insaisissable félicité (Karr, Sous tilleuls, 1832, p.234).Elle était toute vivacité; la moindre pensée se lisait sur ses traits; elle s'émouvait du moindre incident (Arland, Ordre, 1929, p.518).Que de fois, considérant un homme avancé en âge, j'imagine ce tissu serré d'actes et de pensées que représente un seul destin (Mauriac, Journal 1, 1934, p.56).V. coeur ex. 56:
22. −Êtes-vous certaine (...) que vous n'auriez pas été aussi bien aimée, mieux aimée par un homme simple, qui n'aurait pas été un grand homme, qui vous aurait offert toute sa vie, tout son coeur, toutes ses pensées, toutes ses heures, tout son être (...)? Maupass., Contes et nouv., t.1, J. Romain, 1886, p.1295.
[Dans un style archaïsant ou plais.] Objet des pensées de qqn (la reine, la dame de ses pensées). Personne qui est l'objet d'un amour romanesque. Synon. dulcinée.Ce paladin qui s'en va dans la campagne cherchant des torts à redresser, et prêt à se faire tuer pour la dame de ses pensées (Janin, Âne mort, 1829, p.14).Nous irons au cirque ce soir, dit l'avoué. Vous ne m'écoutez plus, vous songez à l'objet de vos pensées; malgré vos amours, j'espère que vous viendrez dîner à la maison? (Champfl., Bourgeois Molinch., 1855, p.166).
En partic. Témoignage de sollicitude. Synon. attention.Une pensée amicale, charitable; une charmante, une gentille, une touchante pensée; avoir une pensée émue, une pensée toute particulière pour qqn. Remerciez pour moi M. de Mirecourt de sa bonne pensée (Hugo, Corresp., 1853, p.170).C'est une très délicate pensée que vous avez là (Druon, Gdes fam., t.1, 1948, p.52).
Au plur. [Dans la corresp.; avec un sens atténué] Meilleures pensées. J'ai grand besoin de toi. Mes affaires vont mal. Affectueuses pensées. Ton Laurent (Duhamel, Combat ombres, 1939, p. 210).
B. −
1. [P. oppos. à sentiment, sensation] Toute représentation mentale à caractère objectif (laquelle comprend également l'image). Un homme ne vit que par le milieu extérieur où il baigne; et les sensations qu'il en reçoit, se transforment chez lui en mouvement, en pensées et en actes (Zola, Dr Pascal, 1893, p.256).La danse excelle à nous vider (...) de nos pensées, de façon que nous répondions au signe seulement par le signe (Alain, Beaux-arts, 1920, p.203):
23. Le corps n'est (...) pas un objet. Pour la même raison, la conscience que j'en ai n'est pas une pensée, c'est-à-dire que je ne peux le décomposer et le recomposer pour en former une idée claire. Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p.231.
[En assoc. syntagm.]
[La pensée du point de vue de son origine, de sa vie, de son mouvement] Il sentait la terre se dérober sous ses pieds et ses pensées tourbillonner dans son cerveau comme dans un songe (Sand, Lélia, 1839, p.443).Une pensée lui venait, qu'il repoussait avec violence (Malègue, Augustin, t.2, 1933, p.16).
SYNT. a) Pensée errante, lancinante, obsédante. b) Une pensée effleure, illumine, occupe, traverse, visite qqn, l'esprit; une pensée habite, hante, obsède, poursuit, remplit, saisit, suit, travaille qqn; une pensée vient à qqn, à l'esprit, s'impose à l'esprit; une pensée jaillit, survient, éclot/germe (dans le cerveau); chasser, écarter, rejeter une pensée; se débattre contre une pensée. Au plur. Les pensées s'agitent, se bousculent, couvent, se dispersent, se pressent, remuent, tournoient, trottent, vagabondent, virevoltent (dans la tête, dans le cerveau, dans l'esprit); les pensées foisonnent, fourmillent; le tumulte, la multitude des pensées; un flot de pensées; le fil, la trame des pensées; mettre de l'ordre dans ses pensées; aérer, rassembler ses pensées; être prisonnier, être la proie de pensées.
[La pensée ou son expression du point de vue de sa qualité, de sa forme] Pensée cohérente, contradictoire, décousue, floue, juste, nette, obscure, vague; pensée banale, bizarre, extravagante, féconde, folle, forte, frivole, légère, originale, profonde, puérile, subtile, superficielle. Je n'eus que la force de me traîner à mon lit avec l'aide de Larive. Toutes mes pensées étaient si confuses que j'avais à peine le souvenir de ce qui s'était passé (Musset, Confess. enf. s., 1836, p.188).Sorbier songea qu'il aurait plaisir à casser sa canne sur l'échine de l'épouse mais ce fut une pensée fugitive qu'il n'eut pas le courage d'exprimer (Aymé, Nain, 1934, p.49):
24. ... elle aimait la poésie, les rêves, les pensées capricieuses, brumeuses et vagabondes; et son mari commence par lui dire que Lamartine est incompréhensible, que les rêveurs sont des fous, qu'il n'y a de vrai que l'argent et la géométrie. Flaub., Smarh, 1839, p.72.
[La pensée du point de vue de sa résonance affective] Les maux d'estomac encouragent la rumination, les pensées moroses et l'opposition (Mounier, Traité caract., 1946, p.609).V. oreiller A ex. de Michelet:
25. Je m'en allais dans la campagne, je marchais des journées entières, dans l'espérance de fuir deux pensées déchirantes qui m'assiégeaient tour à tour: l'une, que je ne posséderais jamais celle que j'aimais; l'autre, que je manquais à l'honneur en restant chez M. le maréchal d'Olonne. Duras, Édouard, 1825, p.175.
SYNT. Pensée accablante, affligeante, amère, apaisante, atroce, consolante, désagréable, douce, douloureuse, effrayante, enivrante, exaspérante, grisante, inquiétante, insupportable, pénible, terrible. Souvent au plur. Pensées ardentes, chagrines, lugubres, sinistres, suaves, tristes, voluptueuses; noires pensées; (être plein de) sombres pensées.
[La pensée du point de vue de sa réf. à la morale] Un naïf (...) incapable d'une pensée basse et d'un mensonge même dans la colère (Goncourt, Journal, 1895, p.753):
26. Une étrange contradiction subsistait toujours malgré lui entre ses pensées et ses paroles; jamais pensées plus magnifiques et élevées; jamais paroles plus sardoniques et basses. Jouhandeau, M. Godeau, 1926, p.268.
Le plus souvent au plur., vieilli. Basses, mauvaises pensées; pensées déshonnêtes; pensées vilaines et impures. Pensées contraires à la morale, à la chasteté; désirs érotiques. Moi aussi je suis honnête, pour moi aussi dans certains cas un homme peut être dessexué, si bien que je n'ai aucun mérite à ne pas avoir de «pensées coupables» (Triolet, Prem. accroc, 1945, p.249).V. déshonnête ex. et iman ex. 2:
27. Ils en arrivaient à voir le mal dans leurs actes les plus innocents: un regard, un serrement de main; ils rougissaient, ils avaient de mauvaises pensées. Leurs rapports devenaient intolérables. Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p.173.
[Allus. littér. à Vauvenargues] Les grandes pensées viennent du coeur. V. coeur II A 3.
SYNT. Pensée généreuse, innocente, noble, pure; pensée avilissante, dégoûtante, dégradante, déloyale, honteuse, indigne, inconvenante, monstrueuse, répréhensible, vile; souvent au plur. pensées immondes, interdites, libidineuses, lubriques.
[La pensée du point de vue de son objet, de sa nature] Broudier, qui, le ventre en saillie, et les doigts dans la barbe, roulait des pensées de gouvernement (Romains, Copains, 1913, p.187):
28. Hier, à sept heures et demie, j'eus une funeste pensée. Une pensée de mort, une lugubre, une apocalyptique pensée; je ne sais ce qui put me l'inspirer à dîner. Mussetds Le Temps, 1831, p.127.
[La pensée du point de vue de son expression] Déguiser ses pensées, dire sa pensée, lire une pensée dans les yeux de qqn. Ils parlotèrent d'abord de politique, échangeant des pensées, non pas sur les idées, mais sur des hommes: les personnalités, en cette matière, primant toujours la Raison (Maupass., Contes et nouv., t.2, Fils, 1882, p.315).Son interlocuteur, qui devinait ses pensées, fronça légèrement les sourcils, marqua une impatience à peine perceptible (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p.52):
29. Pour le Chinois, l'idéogramme et le mot parlé sont au même titre des signes de l'idée: pour lui l'écriture est une seconde langue, et dans la conversation, quand deux mots parlés ont le même son, il lui arrive de recourir au mot écrit pour expliquer sa pensée. Sauss.1916, p.48.
RHÉT. Figure de pensée. V. figure I B 3 b.
2. En partic.
a) Au plur.
[Dans certaines loc. figées usuelles; sert à désigner un état de méditation, de réflexion profonde, intense ou de rêverie] Être absorbé, abîmé, plongé, se réfugier dans ses pensées; (être) tout à ses pensées; s'entretenir avec ses pensées; tirer qqn de ses pensées. Vers la fin du repas je rompis le silence; car les Alibert, voyant mon air soucieux, par discrétion me laissaient à mes pensées (Bosco, Mas Théot., 1945, p.234):
30. Souvent, quand il était auprès d'elle, elle ne l'écoutait plus, elle le laissait parler seul, regardant vaguement devant elle, perdue dans de secrètes pensées... Zola, M. Férat, 1868, p.79.
Vieilli. Espérances, espoirs. Pauvre fille. Point jolie, mais intéressante, piquée au coeur du ver de l'ennui, des vaines pensées (Michelet, Journal, 1842, p.448):
31. [Durant le développement de l'ivresse] les lèvres se rétrécissent et vont rentrant dans la bouche, avec ce mouvement d'anhélation qui caractérise l'ambition d'un homme en proie à de grands projets, oppressé par de vastes pensées, ou rassemblant sa respiration pour prendre son élan. Baudel., Paradis artif., 1860, p.361.
b) Rare
Synon. de image, souvenir.Tant que je vivrai, tu demeureras dans le coeur que tu as réjoui, (...) je serai heureuse par le souvenir de mon bonheur, et (...) ta chère pensée subsistera dans cette chambre (Balzac, Méd. camp., 1833, p.83).Certains jours la pensée de Chloé ne me quitte pas, elle m'accompagne partout et si je me réveille au milieu de la nuit, je vois au pied du lit son fantôme qui rigole (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p.82).
P. anal., vieilli. Être imaginaire, irréel, idéal; chimère. Elle a quelque chose d'idéal et de charmant qui force à s'en occuper. On dirait, à la voir si délicate, si svelte, que c'est une pensée (Krüdener, Valérie, 1803, p.16):
32. Cédar et Daïdha, ravis d'étonnement, Ne comprenaient plus rien à cet apaisement; Ils se croyaient, voyant ces choses renversées, Transportés par un songe au monde des pensées. Lamart., Chute, 1838, p.924.
3. P. méton.
a) Expression concise, orale ou écrite, d'une réflexion ou d'un sentiment personnels. Synon. aphorisme, maxime, sentence, trait.Pensée brillante, bien frappée, d'un goût douteux. Il y a pour le connaisseur des pensées remarquables partout, même dans la conversation des sots et dans les écrits les plus médiocres (Joubert, Pensées, t.2, 1824, p.107).Les réflexions que j'écris ici m'ont été suggérées par cette pensée de Montesquieu (...) à savoir qu'au moment où l'esprit de l'homme a atteint sa maturité, son corps s'affaiblit (Delacroix, Journal, 1849, p.314).Il avait sur lui un portefeuille; le même qui avait contenu le cahier où il avait écrit tant de pensées d'amour pour Cosette (Hugo, Misér., t.2, 1862, p.381):
33. Le carnet noir avait cinquante feuillets: vingt seulement étaient utilisés. L'auteur inconnu y avait noté, d'une écriture saccadée, nerveuse, de brefs fragments qui ressemblaient à des pensées. Daniel-Rops, Mort, 1934, p.92.
b) LITT., PHILOS., le plus souvent au plur.
α) Ensemble de réflexions réunies en recueil par un auteur. Des genres littéraires qui se proposent formellement d'énoncer des idées: l'essai, le recueil de pensées, la critique (Benda, Fr. byz., 1945, p.88).V. supra III B 3 a ex. de Joubert:
34. Des maximes et pensées détachées. −Ce genre d'ouvrages est le plus trompeur de tous parce qu'il singe la pensée sans la pensée même. Rien de plus prétentieux, sententieux et en réalité de plus facétieux que ce genre d'écrits. Vigny, Journal poète, 1852, p.1302.
β) Ensemble de réflexions constitué soit de fragments d'un ouvrage inachevé, soit d'extraits d'une oeuvre complète. Augustin disserta sur une pensée de Pascal (Malègue, Augustin, t.1, 1933, p.185).V. apophtegme ex. 1.
C. −
1. [D'un point de vue subjectif] Synon. de but, dessein, intention, volonté.Loin de moi la pensée de, il n'entre pas dans ma pensée. Quand un assassin tue, il a une pensée, c'est de voler. Quand un brave homme, à coups de baïonnette, crève un autre honnête homme, père de famille ou grand artiste peut-être, à quelle pensée obéit-il? (Maupass., Contes et nouv., t.1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p.328).Je ne peux pas croire qu'il y ait une pensée de vengeance dans ton attitude (Montherl., Exil, 1929, ii, 8, p.71):
35. Elle mit une passion étrange à se charger: pour avoir agi ainsi en somnambule, il fallait, à l'entendre, que, depuis des mois, elle eût accueilli dans son coeur, qu'elle eût nourri des pensées criminelles. Mauriac, Th. Desqueyroux, 1927, p.280.
Arrière-pensée. Pensée de derrière la tête. V. derrière1I A 3 a.
Loc. prép.
Dans une pensée de + subst., dans une pensée + adj. Dans un esprit, une intention, une volonté, un but de..., avec une idée de..., d'un point de vue... Dans une pensée d'apaisement, de modération, d'équilibre, de bonne administration. Le maire, Hourdequin, qui, sans pratiquer, soutenait la religion par principe autoritaire, commit la faute politique de ne pas prendre parti, dans une pensée conciliante (Zola, Terre, 1887, p.347).Les formules démocratiques, énoncées d'abord dans une pensée de protestation, se sont ressenties de leurs origines (Bergson, Deux sources, 1932, p.301).
Dans la pensée de + inf., dans cette pensée, c'est dans cette pensée que. Dans le but, le dessein, en vue (de); (c'est) sous cet angle, dans cette perspective que... Quand on les considère [les banques] comme des leviers de commande, c'est généralement dans la pensée de les faire servir à la réalisation d'objectifs extra-économiques (Baudhuin, Crédit et banque, 1945, p.129):
36. Quant à eux [les anciens pouvoirs de l'Europe], ils savent bien que la Révolution française est un accident local et passager dont il s'agit seulement de tirer parti. Dans cette pensée, ils conçoivent des desseins, font des préparatifs, contractent des alliances secrètes... Tocqueville, Anc. Rég. et Révol., 1856, p.58.
2. [D'un point de vue objectif] Synon. de cause, projet.Au temps où subitement s'ouvrait, dans une nuit de 1815, le premier bourgeon d'un des rameaux de la Neuvième Symphonie, Beethoven semblait avoir laissé tomber la pensée de cette oeuvre projetée en 1812 (Rolland, Beethoven, t.1, 1937, p.211):
37. Dieu donc, ayant fait le monde par bonté, c'est-à-dire dans l'intention de lui communiquer ses biens, qui ne sont autres que la perfection et la béatitude, il nous faut maintenant connaître le plan qu'il a suivi dans la réalisation de cette généreuse pensée. Lacord., Conf. N.-D., 1848, p.94.
Grande pensée (qqf. p.iron.). Cause à laquelle on consacre son existence. L'argent fut donc, et avec raison, la grande pensée de mon père, et moi je n'y ai jamais pensé qu'avec dégoût (Stendhal, H. Brulard, t.1, 1836, p.86):
38. Aussi la liberté de penser a-t-elle été jusqu'ici peu favorable aux entreprises qui exigent que des masses d'individus renoncent à leur individualité pour s'atteler au joug d'une grande pensée et la traîner majestueusement par le monde. Renan, Avenir sc., 1890, p.68.
3. Dans le domaine de la création artist.(Première) pensée (d'un ouvrage). Première conception. Synon. ébauche, projet.Les premiers linéaments par lesquels un maître habile indique sa pensée contiennent le germe de tout ce que l'ouvrage présentera de saillant (Delacroix, Journal, 1857, p.34).
[P. méton. du déterminé] Cette étude est bien meilleure que la partie correspondante du tableau. Quelle différence entre cette première pensée si heureuse et la réalisation! (A. France, Vie fleur, 1922, p.460).
IV. − Action de penser à quelque chose ou à quelqu'un; résultat de cette action.
A. − Pensée de qqc.
1. Fait de se représenter mentalement quelque chose, d'en avoir conscience. Démuni de tout, isolé, sous le coup d'une mort affreuse, je demeurais calme, attentif, l'esprit en éveil. La pensée de ma triste vie ne m'accablait pas (Mauriac, Noeud vip., 1932, p.288).V. éclaircir II B 1 ex. de Lamartine:
39. Le véritable amour rend la pensée de la mort fréquente, aisée, sans terreurs, un simple objet de comparaison, le prix qu'on donnerait pour bien des choses. Stendhal, Amour, 1822, p.252.
2. Fait d'imaginer quelque chose. Il avait tant d'affection pour moi que la pensée de mes souffrances lui était insupportable (Proust, Fugit., 1922, p.437).
3. Fait d'envisager quelque chose. Sans la pensée d'un autre monde, je ne comprendrais pas celui-ci (E. de Guérin, Lettres, 1835, p.99).Sans la pensée de la revoir [une personne], ce voyage aurait eu pour Christophe peu de charme (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p.1441).
B. − Pensée de qqn.Fait d'avoir toujours présente à l'esprit l'image d'une personne aimée ou de laquelle on est épris; p.méton., cette image elle-même. Vous êtes mon unique pensée et la somme totale de mon bonheur (Balzac, Corresp., 1822, p.183).La valeur des objets importait peu. Elle était heureuse d'être la pensée constante de son amant. Elle acceptait les bijoux comme de simples souvenirs (Zola, M. Férat, 1868, p.78).Nous écrivons pour toutes les familles qui vivent dans la pensée de leurs fils et maris à l'armée (Barrès, Cahiers, t.11, 1916, p.187):
40. Je peux bien dire que je n'avais pas encore perçu vraiment ce qu'avait été ton amour. Mais parce que je sais maintenant quelle «possession» ce peut être que la pensée de quelqu'un, parce que je sais cela, je devine ce que tu portes en toi. Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1908, p.365.
C. − Loc. diverses
1. La (seule) pensée, à la pensée de + subst. ou + inf., que + prop. complét. ou à valeur de complét. Le fait de se représenter mentalement quelque chose ou quelqu'un; le fait d'envisager quelque chose. Il était déchiré de remords, à la pensée de son père. Il voulait lui avouer tout, lui demander pardon (Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p.138).Il s'approcha de moi. Je reculai. La seule pensée qu'il pût me toucher m'était odieuse (Daniel-Rops, Mort, 1934, p.230):
41. Si je n'ai pas l'autorité nécessaire pour parler de la plupart des travaux que je viens d'énumérer, je me console à la pensée du jugement que va porter sur eux l'homme éminent par qui j'ai l'honneur d'être reçu dans votre illustre compagnie. Pasteurds Travaux, 1882, p.423.
2. Rare. Dans la pensée que + prop. complét. En croyant, en imaginant que. La vue du billet lui déplut, dans la pensée que c'était encore quelque demande de secours (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p.284).
3. Avoir la pensée de + inf. Synon. de songer à, avoir l'idée* de.Votre alliance seroit pour nous un honneur auquel nous n'aurions jamais eu la pensée de prétendre (Balzac, Annette, t.2, 1824, p.111).Cette demande ne laissa pas que d'étonner beaucoup la comtesse, qui d'abord eut la pensée de refuser (Ponson du Terr., Rocambole, t.5, 1859, p.353).V. former ex. 12.
Prononc. et Orth.: [pɑ ̃se]. Homon. panser. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) 1176 pansée «ce qu'on pense» (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 5246); b) 1621 [éd.] jetter ses premières pensées sur la toile (E. Binet, Essai des merveilles de Nature, chap.X, La Platte Peinture, p.201); 1669 pensée «courte réflexion ayant un sens profond et exprimé sous une forme littéraire» (Pensées de M. Pascal sur la religion); 1713 «ce qu'un auteur veut exprimer» (Hamilton, Grammont, 9 ds Littré); 2. a) fin xiies. bone pansée «sage réflexion» (Orson de Beauvais, 33 ds T.-L.); ca 1274 (home) de très bonne pensée (Adenet Le Roi, Berte, éd. A. Henry, 3446); 1216 rentrer en sa pensée «méditer» (Guillaume Le Clerc, Fergus, éd. W. Frescoln, 3093); 1278 entrer en une pensée «se mettre à méditer» (Sarrazin, Hem., éd. A. Henry, 4502); mil. ou fin xiiies. [date du ms.] «activité psychique volontaire qui se porte sur un être ou une chose déterminée (ici Dieu)» (Romances et Pastourelles, éd. K. Bartsch, I, 9, 26); ca 1260 «réflexion, méditation» (Ménestrel Reims, éd. N. de Wailly, § 80); b) ca 1200 «attachement amoureux» (Chatelain de Coucy, Chansons, éd. A. Lerond, XXIII, 8); 1380-87 «témoignage de l'attention, de l'amour portés à quelqu'un» (Jean Cuvelier, Chronique de Bertrand Du Guesclin, éd. E. Charrière, 9519); c) ca 1200 [ms. de la 1remoitié du xives.] «l'esprit considéré comme le siège de ce qui est pensé» (Mon. Renouart, B. N. 368, fo246f ds Gdf. Compl.); d) ca 1215 «manière de penser» (Aymeri de Narbonne, 1330 ds T.-L.); e) 1erquart xiiies. «dispositions morales» (Reclus de Molliens, Charité, 138, 3, ibid.); f) ca 1220 «idée qui se présente à l'esprit» (Anseïs de Carthage, 332, ibid.); g) ca 1223 li oel de la pensée (Gautier de Coinci, Vie de Ste Christine, 1749, ibid.); h) ca 1274 «ce qu'on a décidé, ce qu'on veut» (Adenet Le Roi, Berte, éd. citée, 1644); 3. a) 1remoitié du xiiies. estre en molt grief pensée, estre en mout grant pensée de (aucun) «se faire du souci» (La fille du Comte de Ponthieu, éd. C. Brunel, 288-289 et 379); xives. [date du ms.] estre en pensée (por) «être en souci (pour)» (Eneas, éd. J. J. Salverda de Grave, 1reéd., 3332, var. ms. E; le ms. A (fin xiies.) porte à cet endroit estre en pensé por, v. 2eéd.); b) 1636 pensée «opération de l'intelligence, faculté de penser» (Monet). Part. passé fém. subst. de penser1*. A remplacé l'a. fr. pense subst. fém. «pensée» (1remoitié du xiies., Psautier Oxford, 30, 28 ds T.-L.), pans subst. masc. «id.» (1176, Chrétien de Troyes, Cligès, éd. citée, 3817). Bbg. Mombello (G.). Les Avatars de talentum... Torino, 1976, p.102, 103, 104, 340, 346. _Ronsjö (E.). Le Mode du verbe ds les prop. compl. introd. par l'idée que, la pensée que. Moderna Språk. 1967, t.61, pp.19-36. _ Sckommodau (H.). Das Frühe neufrz. Wort- und Begriffsfeld des Denkens. Z. fr. Spr. Lit. 1978, t.88, pp.313-325.