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AGUET, subst. masc.
A.− Vieilli
1. Au sing. Action de guetter, d'épier; p. ext. embuscade :
1. La mère, l'épouse, la fille, la sœur possèdent un sens divinatoire pour démêler la réticence dans nos discours le plus naturellement débités, et, dans l'arrière-fond de notre regard le plus ouvert, la brisure. Alors elles n'interrogent plus directement, elles observent, elles épient. Un duel s'engage entre vous et leur aguet. Pas un de vos gestes, par une de vos intonations, pas un pli de votre visage qu'elles n'étudient et que leur inquiétude n'interprète précisément dans le sens dont vous voudriez les détourner. P. Bourget, Le Sens de la mort,1915, pp. 78-79.
2. Son visage, à moitié caché par l'ombre de son chapeau de feutre, se tournait de-ci de-là, dans un aguet fiévreux : − « Si elle épiait ma venue avec cette impatience, à cause de moi! » pensa Patrick. P. Bourget, Nos actes nous suivent,1926, p. 89.
3. Qu'elle tournât seulement la tête, et elle voyait Patrick, immobile, à quelques pas d'elle et stupéfait par ce mystérieux aguet dont il eut bientôt le secret. P. Bourget, Nos actes nous suivent,1926p. 132.
Spéc., région. Mis pour guet (cf. aguetter) :
4. ... Ah! si seul'ment j'avais point eç'te panse enflée! mais peu m' chaut! faut que j'tienne bongré maugré ma carcasse ed'bout, et que j'fass' mine ed'rien, pour faire l'aguet. Si j'peux seul'ment durer'core deux jours, ej' ls aurai ben grippés n'au vif, tous deusse, − et foutus dehors!... plus personne! ni valet, ni serviteuse! R. Martin du Gard, La Gonfle,1928, I, 2, p. 1179.
2. Au plur., rare :
5. Il y contracta [dans la guerre de Vendée] ces vertus d'aguets, d'endurance et de résistance [que sa campagne d'Irlande utilisa.] G. D'Esparbès, Le Briseur de fers,1908, p. 39.
Rem. Le subst. aguet est cité comme vieilli ds DG, Ac. t. 1 1932, Quillet 1965.
B.− Loc. adv. Aux aguets; être, se mettre, rester, se tenir aux aguets.
1. [En parlant d'une posture physique]
a) [D'une ou de plusieurs pers.] (Être, etc.) en embuscade; à l'affût, dans la posture du guetteur qui se dissimule pour surprendre ou éviter d'être surpris.
− Domaine milit. :
6. ... il avait à sa droite la barricade assez basse qui fermait la Petite-Truanderie; enjamber cet obstacle paraissait facile, mais on voyait au-dessus de la crête du barrage une rangée de pointes de bayonnettes. C'était la troupe de ligne, postée au delà de cette barricade, et aux aguets. Il était évident que franchir la barricade c'était aller chercher un feu de peloton, et que toute tête qui se risquerait à dépasser le haut de la muraille de pavés servirait de cible à soixante coups de fusil. V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 503.
7. Nous longeâmes le bas des fortifications externes, comme des chacals nocturnes; nous évitâmes la rencontre des sentinelles aux aguets; et nous parvînmes à nous éloigner, par la porte opposée, de cette réunion solennelle d'animaux raisonnables, civilisés comme les castors. Lautréamont, Les Chants de Maldoror,1869, pp. 317-318.
8. Siècles de ceux d'Albi scellés vifs dans les murs, Et des milliers de harts d'où les pendus trop mûrs, Quand le vent de l'hiver les heurte et les fracasse, Encombrent les chemins de quartiers de carcasse, Avec force corbeaux battant de l'aile autour! Siècles du noble sire aux aguets sur sa tour, Éperonné, casqué, prêt à sauter en selle Pour couper au marchand la gorge et l'escarcelle, Et rendant grâce aux Saints si les ballots sont lourds De brocarts d'Orient, de soie et de velours! Ch.-M. Leconte de Lisle.Poèmes tragiques,Les Siècles maudits, 1886, pp. 59-60.
9. Et l'aviation, qui avait peut-être gagné la bataille, tournait au lieu de partir, non aux aguets de l'ennemi, mais à l'affût d'une victoire, oubliant ses champs sans balisage, fascinée dans la nuit qui venait. A. Malraux, L'Espoir,1937, p. 846.
En gén. :
10. Alors, les deux sociétés convinrent de veiller un soir, jusqu'à minuit, s'il le fallait, pour avoir le cœur net de cette aventure. La nuit suivante, elles se tinrent aux aguets dans les deux jardins; mais Mouret ne parut pas. Trois soirées furent ainsi perdues. É. Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 1128.
11. Elles se mirent donc à épier, à rôder de la salle de travail à la chambre, aux aguets pour savoir si les grands yeux élargis et fixes de la jeune femme ne se fermaient pas enfin. Toujours, il y en avait une qui allait voir, tandis que l'autre s'impatientait dans la salle, où charbonnait une lampe. Cela dura jusqu'à près de minuit, de quart d'heure, en quart d'heure. É. Zola, Le Docteur Pascal,1893, p. 316.
12. − Dis... tu es sûr que Georges ne nous a pas entendus? chuchote Bernard à l'oreille d'Olivier. Ils restent un moment aux aguets. − Non, il dort, reprend Olivier de sa voix naturelle; et puis il n'aurait pas compris. Sais-tu ce qu'il a demandé, l'autre jour, à papa?... Pourquoi les... A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 956.
b) [Appliqué au domaine des sens et plus spéc. à l'ouïe et à la vue] Aux écoutes, attentif, dans un dessein de surveillance ou de dissimulation, grâce à une sensibilité toujours en éveil. L'oreille aux aguets, l'œil aux aguets.
− Domaine milit. :
13. ... elle sortit, emprunta le chemin qui montait vers le haut du mont. Elle n'avait pas pris de lanterne, pour n'être pas vue des Allemands, car l'heure de la retraite était passée. Elle allait l'oreille aux aguets, prête à se jeter dans un fossé au premier bruit qu'elle entendrait, à la première silhouette d'Allemand entrevue sur le chemin. Mais il faisait paisible. Personne dans la campagne. M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 271.
14. Le ciel d'orage, le ciel bleu d'azur est traversé de mille éclairs, et quel est ce feu dont il s'embrase? L'oreille tendue, l'œil aux aguets, des milliers d'êtres attendent. Ceux qui se battent, ceux qui aident à se battre, ceux qui tremblent, tous, on attend. E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 384.
En gén. :
15. Alors il revint sur ses pas, et s'orientant et furetant, le nez au vent et l'oreille aux aguets, il s'efforça de retrouver la bienheureuse paillasse. Mais en vain. V. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 93.
16. Gérard poussa un grand soupir et remonta brusquement vers les musiciens. Un quart d'heure il se promena la tête baissée, mais l'œil aux aguets, cherchant à tout voir et à ne pas être reconnu. Champfleury, Les Aventures de Mademoiselle Mariette,1853, p. 19.
17. Accoutumés durant l'été à la solitude de leurs pacages, aux veilles des nuits lactées, propices aux troupeaux errants, ils ont instinctivement les sens aux aguets. Le silence ne leur pèse point. Installés à leur alambic, ils se relayent de douze en douze heures, attentifs à leur besogne, l'œil sur la flamme, l'ouïe tendue au bruit du vin. Comme des soldats en faction, mangeant et buvant sur place, ils ne se mêlent pas à la vie ambiante. J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 1, 1921, p. 56.
2. P. anal. [Attitude morale] Sur ses gardes, dans une attitude de méfiance et de vigilance. Aux aguets; être aux aguets, se tenir aux aguets :
18. La mère de la jeune femme qui se vante fort plaisamment d'avoir fait arrêter Pichegru a des soupçons sur ce qui se passe. Elle a entendu quelques mots, et cela lui a suffi pour se tenir aux aguets. É.-J. Delécluze, Journal,1825, p. 153.
19. − Qu'est-ce qu'ils font donc? murmura Madame Boche, qui sortit de la loge pour voir, toujours méfiante et aux aguets. É. Zola, L'Assommoir,1877, p. 520.
20. ... O nuit sans pitié! Ne pouvoir Lui prendre un peu de calme, et l'avoir sur moi Toute! Englouti dans l'oubli, n'en pas boire une goutte! Toujours être aux aguets! toujours être en éveil! O vous tous, êtres! fils de l'ombre ou du soleil, Qui que vous soyez, morts, vivants, oiseaux des Grèves, Esprits de l'air, esprits du jour, larves des rêves, Faces de l'invisible, anges, spectres, venez, Vous trouverez Satan les yeux ouverts. V. Hugo, La Fin de Satan,Hors de la terre, 1885, p. 909.
21. Pour les femmes qui ne nous aiment pas, comme pour les « disparus », savoir qu'on n'a plus rien à espérer n'empêche pas de continuer à attendre. On vit aux aguets, aux écoutes; des mères dont le fils est parti en mer pour une exploration dangereuse se figurent à toute minute, et alors que la certitude qu'il a péri est acquise depuis longtemps, qu'il va entrer, miraculeusement sauvé, et bien portant. M. Proust, À la recherche du temps perdu,À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 591.
22. Plusieurs jours avant la date, entre toutes glorieuse, que je connaissais bien, j'étais aux aguets, attentif à ne rien laisser échapper qui puisse éveiller l'attention et la mémoire de ceux dont j'escomptais la défaillance... A. Camus, La Chute,1956, p. 1517.
23. Le langage de mes compagnons avait des tours mystérieux dont je comprenais le sens, les objets sans forme et sans vie se prêtaient eux-mêmes aux calculs de mon esprit... etc. » très mystérieuse splendeur de ce passage où l'être aux aguets épie l'invisible à travers le visible et croit percevoir et déchiffrer le message sans mots. M.-J. Durry, Gérard de Nerval et le mythe,1956, p. 57.
Aux aguets de + inanimé abstr. À l'affût de :
24. Prends garde à lui, baron, c'est un de ces êtres insupportables qui passent dans l'existence des autres comme un chien dans un jeu de quilles, en renversant de leur patte tous les arrangements de votre joie, de votre tristesse. Plus insupportables que le chien, et plus difficiles à chasser, ils sont aux aguets de tous les sentiments que vous pouvez avoir, de tous les projets que vous pouvez faire pour les déconcerter par un mot ou une plaisanterie... F. Soulié, Les Mémoires du diable,t. 2, 1837, p. 38.
25. ... l'homme Caffiaux était louche, aux aguets de la victoire du plus fort, continuellement prêt à une trahison, se retournant avec l'aisance d'un gaillard qui n'aime point la défaite. É. Zola, Travail,t. 2, 1901, p. 62.
26. Perchée dans son observatoire suspendu comme une sentinelle aux aguets du renouveau, elle les entendait maintenant revenir, les migrateurs, et passer sur sa forêt en grands froufrous d'ailes, en longue rumeur de marée montante, en tempête de cris d'appel, d'amour et d'espérance. L. Pergaud, De Goupil à Margot,1910, pp. 104-105.
Rem. Bénac 1956 fait la distinction suiv. entre les 2 termes : ,,On est à l'affût pour épier l'occasion de faire ou de saisir quelque chose (...). On est aux aguets pour observer afin de surprendre ou d'éviter d'être surpris.`` Dans ces 3 ex., c'est donc affût qui semblerait convenir le mieux (supra ex. 9 où la distinction apparaît nettement). La véritable différence tient au milieu auquel appartiennent les 2 expres. : à l'affût désigne proprement la posture des chasseurs, aux aguets celle du guerrier.
Spéc. [Gén. en parlant d'une femme] Attentif à plaire, à séduire :
27. Stépha rentra à Paris peu de jours après moi et vint souvent à la Nationale, lire Gœthe et Nietzsche. Les yeux et le sourire aux aguets, elle plaisait trop aux hommes et ils l'intéressaient trop pour qu'elle travaillât très assidûment. À peine installée, elle jetait son manteau sur ses épaules et s'en allait rejoindre dehors un de ses flirts : l'agrégatif d'allemand, l'étudiant prussien, le docteur roumain. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 284.
Rem. Sans doute y a-t-il rencontre paron. avec l'emploi corresp. du verbe aguicher*.
3. Au fig. [Appliqué à un inanimé abstr.]
a) En éveil, vigilant (emploi rare au sing. ex. 29) :
28. On priait Dieu, on se demandait avec anxiété ce qu'allait faire l'archevêque; on interrogeait les sorts, comme on faisait autrefois les sorts homériques ou les sorts virgiliens, ce qui ne manque presque jamais de fournir une réponse à des imaginations aux aguets. « Dans cet effroi et cette attente, dit la relation, ... etc. » Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 99.
29. Au fond, je perçois chez cet homme, sous une apparence de bonne enfance et de rondeur endormie, l'éveil d'une attention toujours à l'aguet et qui note les paroles et qui prend la mesure des gens. E. et J. de Goncourt, Journal,janv. 1877, p. 1167.
b) [En mauvaise part, avec intention de nuire ou d'attaquer] :
30. La contrariété qu'il éprouvait de la part des opinions intérieures et du mouvement des opinions extérieures le rendait irritable : de là la presse entravée, la garde nationale de Paris cassée, etc. Devais-je laisser périr la monarchie, afin d'acquérir le renom d'une modération hypocrite aux aguets? Je crus très sincèrement remplir un devoir en combattant à la tête de l'opposition, trop attentif au péril que je voyais d'un côté, pas assez frappé du danger contraire. F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 301.
31. Aidez-moi. C'est une marque d'affection que je vous demande. Dès que je croirai possible, et sans inconvénient, de vous communiquer les bonnes feuilles, vous les aurez. En attendant, aidez-moi et aimez-moi. La haine est plus aux aguets que jamais; il faut la déjouer. V. Hugo, Correspondance,1865, p. 507.
32. ... Mon Dieu! je donnerais mon souffle, Pour épargner à ces yeux Une laideur qu'ils doivent connaître, Pour préserver ce doux corps D'une maladie aux aguets; Pour sauver cette âme si forte D'une âpre nécessité, − Moi qui suis le faible enfant Que la douleur déconforte. P.-J. Jouve, Tragiques,Livre de la grâce, 1922, p. 79.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [agε]. Enq. : /age, D/. 2. Forme graph. − Ac. Compl. 1842 signale une forme agais, à côté de aguet, les 2 avec la mention ,,V. lang.``. Cf. guet.
Étymol. ET HIST. − 1. 1065 aguet « embuscade » dans un texte de lat. médiév. (Concile d'Elne, chap. 73 ds Du Cange s.v. aguayt, t. 1, 149 a : Si quis vero infra hanc trevam se miserit in Aguet, vel ipsum Aguet stabilitet pro morte vel apprehensione alicujus hominis, aut pro apprehensione alterius castelli, et tamen si hoc agere non potuerit, similiter emendet ad judicium Episcopi, etc.); ca 1090 agn. aweit « guet-apens, piège » (Lois de Guillaume le Conquérant, I, Chevallet ds Gdf. : De aweit prepensed [« en guet-apens, avec préméditation » selon FEW t. 17 s.v. *wahta]); 1160 agait « id. » (Rou, 2ep., 155, Andresen ds Gdf. : Dejuste la cité un agait establi); 2. 1160 id. « vigilance » (Ibid., II, 531, Andresen, ds T.-L. : li reis est en agait De destruire tun cors); d'où 3. a) dernier tiers du xiies. en agait « en train de guetter, en embuscade, en éveil » (J. Bodel, Chanson des Saxons, 3031, éd. Michel ds G. Cohn, Bemerkungen zu A. Toblers Altfr. Wörterbuch ds Arch. St. n. Spr. t. 142, p. 218 s.v. agait : estre en agait); b) 1636 être aux aguets « veiller » (P. Ph. Le Monet, Invantaire des deux lang., françoise et lat., p. 24 : Etre aus Aguets : Excubo... Prospeculor... Excubias, vigilias, agere). Aguet empl. isolément est usité jusqu'au xvies. inclus. Ds Fur. 1701 on lit : aguet. Ce mot vieillit. On ne le dit plus qu'au plur. De nos jours on ne l'emploie plus que dans la loc. adv. aux aguets. Déverbal de l'a. fr. agaitier « guetter, être aux aguets, en embuscade », (aguetter*).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 202. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 74, b) 293; xxes. : a) 395, b) 399.
BBG. − Canada 1930. − Dupin-Lab. 1846. − Le Roux 1752.