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AFFIRMER, verbe trans.
I.− Emploi trans. [Le suj. désigne normalement une pers. ou un groupe de pers.; l'obj. désigne une chose]
A.− [Le compl. d'obj. désigne une réalité matérielle ou morale]
1. [Le compl. désigne une réalité matérielle]
a) Vx, littér. Rendre ferme, consolider :
1. En conséquence, Thomas Pollock Nageoire plante le paquet de dollars sur la table et l'affirme au moyen de la brique qui servait à caler celle-ci. P. Claudel, L'Échange,2eversion, 1954, I, p. 749.
Au fig. :
2. ... trop de modestie dépare la maturité. Sois plus grave et plus ferme; tu ne peux plus impunément rester un petit jeune homme ni un petit garçon. Badine moins et ne te laisse pas traiter sans façon. Mesure ton droit et ton devoir, et maintiens les autres à leur place en affirmant nettement la tienne. Remplis ton rôle d'homme fait avec la dignité qui sied à ton âge et à ton caractère. Joue moins avec toi-même et fais moins bon marché des formes extérieures. Sois moins timide et moins défiant; prends de l'assurance et de la virilité. H.-F. Amiel, Journal intime,23 juin 1866, p. 335.
b) En partic., ARTS PLAST. [En parlant d'une forme, d'une couleur] Rendre (plus) précis ou plus tranché. ,,Affirmer une forme : dessiner avec précision.`` (Hugues, Expressions d'atelier) :
3. Le galet de Predmost (...) apporte le précieux témoignage d'un de ces transferts d'apparence de la réalité sur un objet qui s'en rapproche. De volume et de silhouette, il est la réduction approximative d'un mammouth. La tentation d'accentuer, d'affirmer ce rapport s'empara de la main qui avait ramassé la pierre. L'intervention d'instruments est manifeste dans les entailles qui ont souligné ou précisé le modelé de la tête, de l'épaule, dans les incisions qui ont dessiné la queue du pachyderme ... R. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 109.
P. anal. :
4. Presque jamais les métaphores ne se précisent, et jamais l'écrivain n'essaye de rivaliser de « rendu » avec la peinture ou la sculpture. S'il dessine un paysage, c'est d'un trait mince et qui dégage un caractère moral dont les couleurs et les lignes sont le transparent symbole. La période, un peu lente, mais souple, est adaptée au rythme de la parole intérieure qui sort du fond d'une conscience ramenée sur elle-même et se racontant son rêve. Les formules d'atténuation abondent, attestant, avec une certaine incapacité d'affirmer, un souci méticuleux de la nuance. P. Bourget, Essais de psychologie contemporaine,1883, p. 37.
Rem. Dans cet ex., affirmer est sans doute pris aussi au sens de « exprimer avec vigueur une vérité ».
2. [Le compl. d'obj. désigne une chose abstr., une entité morale ou spirituelle] Donner à quelque chose une forme consistante, nette, qui l'impose :
5. − Oui, Monsieur, me répondit en hésitant, avec un certain accent d'incrédulité et de doute, le père Litaud. Mais je voyais dans sa physionomie, dans son regard qui parcourait des pensées distraites, et dans l'attitude de sa tête qui se penchait comme pour chercher quelque chose sur l'herbe, que le vieillard n'affirmait pas assez intérieurement le oui qu'il m'avait dit de premier mouvement. A. de Lamartine, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,1851, p. 399.
6. La seule opinion importante, raisonnable, appuyée sur des faits incontestables, affirmée par l'expérience et méticuleusement étayée sur des preuves scientifiques, me paraît être celle de M. F. de Persigny. Selon lui, les pyramides n'ont servi de tombeaux que par occurrence et pour ainsi dire accidentellement; leur but véritable et réel était d'arrêter et de rompre les tourbillons de sable libyque, ... M. Du Camp, Le Nil, Égypte et Nubie,1854, p. 74.
7. Dans aucun temps ne s'est marqué, exprimé, affirmé, et même proclamé plus fortement, le mépris de ce qui assure la perfection propre des œuvres, leur donne par les liaisons de leurs parties l'unité et la consistance de la forme, et toutes les qualités que les coups les plus heureux ne peuvent leur conférer. P. Valéry, Variété 3,1936, p. 47.
8. Il est bien connu que ce qui fixe notre esprit à une certitude est indéfinissable. Je ne vais donc pas essayer de me figurer celle-ci, mais je risquerai toutefois une certaine analogie à titre de simple suggestion. Je songe donc à cette espèce de force et de consistance qui affirme ou confirme en nous une opinion ou une résolution toute conforme au besoin de notre sensibilité. P. Valéry, Variété 5,1944, p. 279.
3. [Le compl. d'obj. concerne la consistance ou la personnalité d'un être, d'un obj.] Poser (et parfois) imposer avec vigueur dans l'existence :
9. La musique du Moyen Âge exalte la personnalité humaine par opposition au panthéisme. Le héros tel que le conçoit Nietzsche est antipathique, inhumain. En outre ce héros, si fort qu'il affirme sa personnalité, accepte de s'anéantir, de disparaître, de se dissoudre dans la grande nature. Nietzsche prétend que cette affirmation de la nature n'est pas une méconnaissance complète de la personnalité parce que la nature continuera de vivre autour du héros. M. Barrès, Mes cahiers,t. 6, juill.-août 1907, pp. 6-7.
10. Peu à peu se sont dégagés les éléments visibles qui constituent une peinture : lignes et formes, matières et couleurs; mais il lui faut, scellant leur unité, affirmer son existence, se constituer en réalité autonome, irréductible à quoi que ce soit d'autre. Ce but premier de la création artistique ne sera atteint que par la composition. R. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 209.
11. Encore une fois, les images de la rondeur pleine nous aident à nous rassembler sur nous-mêmes, à nous donner à nous-mêmes une première constitution, à affirmer notre être intimement, par le dedans. G. Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 210.
B.− [Le compl. d'obj. désigne une réalité concr. ou abstr. posant une question et appelant un jugement de valeur ou d'existence, d'authenticité]
1. [Le jugement est un jugement de valeur] Présenter nettement une chose comme bonne :
12. Dans l'embarras où jette le particulier, on cherche une autorité : on crée une règle; on lui confère une valeur d'absolu; on affirme tout ce qu'elle affirme et rejette tout ce qu'elle nie. Ainsi, plus d'hésitations, de troubles ni d'inquiétudes. (...) M. Godeau allait choisir « sa règle »; tout ce qu'elle n'affirmerait pas serait erroné ou mal. Tout ce qu'elle affirmerait serait vrai ou bien. M. Jouhandeau, Monsieur Godeau intime,1926, p. 51.
2. [Le jugement est un jugement d'existence ou d'authenticité; le compl. est un n. de chose, un pron. neutre, une prop. sub.]
a) Lang. gén., philos., théol., etc. Présenter (énergiquement ou nettement) une chose, un fait, une déclaration, etc., comme vrai (conforme à la réalité) ou comme authentique (d'une réalité contrôlée). Oseriez-vous bien affirmer cela? (Ac. 1798-1932) :
13. ... entre la foi qui affirme la présence, dans le monde, de deux élémens constitutifs, la matière et l'esprit, et le rationalisme qui nie l'un ou l'autre, où se trouve, même humainement, la plus grande probabilité du vrai? H.-D. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame,1848, p. 108.
14. Juger. − C'est l'action de l'esprit par laquelle, joignant ensemble diverses idées, il affirme de l'une qu'elle est l'autre, ou le nie. Tel est le jugement, la proposition, qui suppose les mots et les parties du discours. La grammaire générale se retrouve ici à sa vraie racine. Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 475.
15. « Avant midi nous serons à bord, » répondit simplement l'impassible gentleman. Cela fut affirmé si nettement, que Passepartout ne put s'empêcher de se dire à lui-même : « Parbleu! Cela est certain! Avant midi nous serons à bord! » Mais il n'était pas rassuré du tout. J. Verne, Le Tour du monde en quatre-vingts jours,1873, p. 77.
16. Aux naïfs qui ont pris au sérieux leur conscience, (...) on objecte, au nom d'une expérience plus pleine et d'une science plus ouverte, que toute certitude absolue naît d'un défaut d'intelligence et d'une ignorance partielle, que toute rigidité pratique est la marque d'un cœur étroit ou d'une obtuse sensibilité. Pour affirmer avec assurance quelque réalité que ce soit, pour poser résolument le problème moral, il faut un degré d'inexpérience et de simplicité dont on s'amuse, entre esprits de bonne compagnie, comme d'une gaucherie de paysan; ... M. Blondel, L'Action,1893, pp. 10-11.
17. ... on affirmera que telle ou telle chose est, on n'affirmera jamais qu'une chose n'est pas. D'où vient donc qu'on s'obstine à mettre l'affirmation et la négation sur la même ligne et à les doter d'une égale objectivité? (...) La raison en est sans doute que négation et affirmation s'expriment, l'une et l'autre, par des propositions, (...). Que je dise « le sol est humide » ou « le sol n'est pas humide », dans les deux cas (...) ces concepts sont représentés par les mêmes mots conventionnels. Dans les deux cas on peut même dire, à la rigueur, que la proposition vise une fin sociale et pédagogique, puisque la première propagerait une vérité comme la seconde préviendrait une erreur. Si l'on se place à ce point de vue, qui est celui de la logique formelle, affirmer et nier sont bien en effet deux actes symétriques l'un de l'autre, dont le premier établit un rapport de convenance et le second un rapport de disconvenance entre un sujet et un attribut. − Mais comment ne pas voir que la symétrie est tout extérieure et la ressemblance superficielle? H. Bergson, L'Évolution créatrice,1907, pp. 290-291.
18. Renan avait enseigné à ces générations amollies qu'il est élégant de ne rien affirmer sans le nier aussitôt, ou du moins sans le mettre en doute. Il était de ceux dont parle saint Paul, « en qui il y a toujours oui, oui, et puis non, non ». Toute l'élite française s'était enthousiasmée pour ce credo amphibie. La paresse de l'esprit et la faiblesse du caractère y avaient trouvé leur compte. On ne disait plus d'une œuvre qu'elle était bonne ou mauvaise, vraie ou fausse, intelligente ou sotte. On disait : − Il se peut faire... Il n'y a pas d'impossibilité... Je n'en sais rien... Je m'en lave les mains. R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 721.
19. ... avant le concile du Vatican, tels ou tels, qui ne voulaient pas entendre parler de l'infaillibilité du Pape, restaient néanmoins persuadés que le Pape ne pouvait pas se tromper. Ils avaient ce dogme dans les moelles, pour ainsi dire; le mot seul contrariait leurs habitudes, et leur faisait peur. On sait du reste, que non seulement pour se répandre, mais aussi pour acquérir toute leur force, ces vérités presque muettes, ces convictions et ces émotions latentes, ont besoin d'être affirmées, répétées, amplifiées par la parole ou par la plume, tant qu'enfin elles paraissent aussi anciennes que l'Église, ce qu'elles sont en effet, et qu'elles deviennent des lieux communs. H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,t. 3, 1921, pp. 28-29.
20. Odile était un être qui avait besoin de domination. Elle voulait imposer sa volonté, sa vérité. Sa beauté lui avait donné confiance en elle et elle croyait, presque de bonne foi, que si elle affirmait une chose, celle-ci devenait vraie. A. Maurois, Climats,1928, p. 237.
21. David était grand, large, parlait haut, affirmait sa pensée du geste. Ingelby, petit, mince et droit, le teint très pâle, les yeux morts derrière un pince-nez sévère, avait l'air d'un professeur de grammaire, mais le geste court et sec de la main disait l'homme autoritaire. Le front tendu affirmait la volonté. Et la nervosité des doigts maigres, une certaine mobilité de la narine, en dépit d'une impassibilité voulue, décelaient l'émotivité, l'orgueil, les réactions intérieures profondes. M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 311.
22. Du doute cartésien nous avons montré qu'il implique un pouvoir de diriger son attention, de détacher le jugement de son contenu, de gouverner ses pensées. Douter c'est choisir parmi la multiplicité de nos croyances celles qui sont fermes et fixes et méritent d'être affirmées − c'est aussi, et par le même mouvement de pensée, nier les autres. Le doute est l'affirmation dans la croyance de la supériorité et de la liberté du sujet. Pour Spinoza au contraire il n'y a pas de différence entre la volonté et l'entendement, ou plutôt la volonté c'est l'entendement lui-même en tant qu'il affirme ou qu'il nie. J. Lacroix, Marxisme, existentialisme, personnalisme,1949, p. 97.
Rem. Dans les ex. suiv., le compl. est une prop. implicitement sub. :
23. Tout citoyen peut affirmer : ceci est vrai; cela est juste; mais sa conviction n'oblige que lui : pour que la vérité qu'il proclame devienne loi, il faut qu'elle soit reconnue. Or, qu'est-ce que reconnaître une loi? C'est vérifier une opération de mathématique ou de métaphysique; c'est répéter une expérience, observer un phénomène, constater un fait. P.-J. Proudhon, Qu'est-ce que la propriété?1840, p. 340.
24. ... je pris ainsi l'habitude de séparer chaque instant de ma vie, pour une totalité de joie, isolée; pour y concentrer subitement toute une particularité de bonheur; de sorte que je ne me reconnaissais plus dès le plus récent souvenir. Il y a un grand plaisir, Nathanaël, à déjà tout simplement affirmer : Le fruit du palmier s'appelle datte, et c'est un mets délicieux. Le vin du palmier s'appelle lagmy; c'en est la sève fermentée; ... A. Gide, Les Nourritures terrestres,1897, p. 172.
Spécialement
PHILOS. [Le compl. est un mot exprimant l'idée de vérité ou son contraire] Exprimer nettement :
25. ... et de toutes les sectes de philosophie, les plus considérées à Rome furent celle des stoïciens, qui parloient de la vertu, et celle de l'Académie, qui cherchoit de tous côtés, ne se fixoit que dans son incertitude, et n'affirmoit pas de vérité, de peur de soutenir une erreur. L.-G. A. de Bonald, Législation primitive,t. 1, 1802, p. 14.
26. Les actes de cette faculté, nos conceptions sont essentiellement affirmatives, sinon oralement, du moins mentalement. Nier même, c'est affirmer; car c'est affirmer le contraire de ce qu'on avait affirmé d'abord. Douter, c'est affirmer encore; c'est affirmer l'incertitude. D'ailleurs, nous ne débutons évidemment ni par le doute ni par la négation, mais par l'affirmation. Or, affirmer d'une manière quelconque, c'est juger. V. Cousin, Hist. de la philosophie du 18esiècle,t. 2, 1829, pp. 381-382.
Cf. également l'ex. 27 ci-dessous.
THÉOL. Affirmer Dieu. Anton. nier Dieu :
27. Poser l'existence de Dieu, c'est bien en réalité poser un rapport de Dieu à la conscience immédiate, mais c'est explicitement nier ce rapport. Mais comment une pensée peut-elle affirmer Dieu sans le poser comme existant? C'est-à-dire sans même l'affirmer comme vérité? Il est clair qu'elle ne le peut qu'à condition d'être une foi. G. Marcel, Journal métaphysique,1914, p. 33.
28. ... pour un philosophe chrétien tel que saint Anselme, se demander si Dieu est, c'est se demander si l'être existe, et nier qu'il soit c'est affirmer que l'être n'existe pas. Voilà pourquoi sa pensée fut longtemps obsédée par le désir de trouver une preuve directe de l'existence de Dieu, qui fût fondée sur le seul principe de contradiction. (...) Le tort de saint Anselme, et ses successeurs l'ont bien vu, fut de ne pas se rendre compte que la nécessité d'affirmer Dieu, au lieu de constituer en soi une preuve déductive de son existence, n'est qu'un point d'appui qui permet de l'induire. É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 1, 1931, pp. 63-64.
Emploi abs. [Fréq. en partic. dans la lang. philos. ou théol.] Formuler énergiquement ou nettement une vérité (positive ou négative) :
29. Le génie étendu voyant tout, ou du moins considérant également tout ce qu'il peut atteindre, est nécessairement impartial : il ne sauroit être toujours exempt d'erreurs; mais toujours il sera libre de préjugés : d'ailleurs trop vaste pour croire qu'il n'y a d'existant que ce qu'il connoît, il saura douter, et ne s'égarera pas sans s'avouer que sa route est incertaine. S'il affirme, il peut être cru; non que toujours il sache le vrai, mais parce qu'il n'affirme que ce qu'il sait certainement. É. de Senancour, Rêveries,1799, p. 211.
30. J'ai parlé de Dieu, et ce mot, signe de contradiction, divise les hommes en deux classes, de théistes, qui admettent l'existence de Dieu, et d'athées, qui la nient; car où le théiste affirme, l'athée ne fait que nier : c'est un conquérant qui ne laisse après lui que des ruines. L.-G. A. de Bonald, Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre social,1800, p. 39.
31. ... si d'ici à une heure il se dessine encore d'autres nuages dans la même couleur et avec des formes pareilles, je ne réponds de rien pour demain. − Très-bien, Jacques; mais tu doutes encore trop, il faut affirmer et ne jamais hésiter dans tes jugements; ne manque pas de dire : cela est positif, ou j'en suis sûr, ou je gage, ou je ne m'étais pas trompé, quand même les faits iraient contre tes paroles. C'est seulement avec ce langage que tu plairas ... Champfleury, Le Bourgeois de Molinchart,1855, p. 96.
32. À tout ce que je lui disais sur le néant, sur l'obsession du néant, sur l'angoisse du néant, Claudel ne répond même pas. Il ne résout pas mes doutes profonds; il se contente d'affirmer formidablement avec une tranquillité surhumaine. Et c'est ce qui me tue, ce qui m'attire et me repousse : l'énormité de cette certitude. Il a l'air de dire : laissez faire, tout cela ne compte pas; il n'y a que Jésus, il faut sentir Jésus. Après, tout le reste disparaîtra. J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,lettre de J. R. à A.-F., juin 1907, p. 150.
33. C'est faire de l'intelligence un usage contre nature que d'en user seulement pour détruire et pour nier. D'elle-même elle aspire à affirmer, c'est-à-dire à être. Elle nous est donnée pour connaître, pour agir, pour éclairer nos sentiments, et non point pour les obscurcir et nous éloigner du réel. H. Massis, Jugements,t. 1, 1923, p. 167.
34. ... je ne suspectais et ne suspecte nullement la sincérité des prêtres que j'ai connus, ni leur ferveur − ou plutôt leur besoin de ferveur... Mais ils avaient bien l'air, eux-mêmes, de se mouvoir avec gêne dans ces ténèbres, d'aller à l'aveuglette, de tourner avec un insconcient malaise autour de ces dogmes hermétiques. Ils affirmaient. Ils affirmaient quoi? Ce qu'on leur avait affirmé. Bien sûr, ils ne doutaient pas de ces vérités qu'ils transmettaient. Mais leur adhésion intérieure était-elle aussi forte, aussi assurée, que leurs affirmations? R. Martin du Gard, Les Thibault,La Mort du père, 1929, p. 1384.
GRAMM. Énoncer un jugement positif :
35. On affirme aussi très fortement avec un débris de phrase temporelle : Quand je te l'avais dit que le bourreau viendrait (V.H., Mar. de L., V, 7) (...) On insiste à l'aide d'une phrase principale. On introduit des verbes qui insistent sur l'affirmation : Je t'assure, nous vous certifions que : Tu penses bien que je ne l'ai pas oublié; − C'est très malin ce que vous faites là. − Je vous assure que c'est à mon insu (Lab., Poud. aux yeux, I, 9). La langue populaire a fait de je te crois une formule à cet usage : Je te crois qu'il a gagné de l'argent. Brunot, Pensée,1953, p. 500.
b) Lang. de la procédure judiciaire, du dr.
Emploi judiciaire (et lang. commune). Affirmer (sous serment) que, etc. Dire nettement d'une chose qu'elle existe :
36. C'est moi qui vais à mon tour poser la question et ca-té-go-ri-que-ment. Tenez-vous à cette rétractation au point de me tuer si je ne la fais pas, bien que je vous aie dit, bien que je vous répète, bien que je vous affirme sur l'honneur que je ne connaissais pas le fait, bien que je vous déclare enfin qu'il est impossible à tout autre qu'à un don Japhet comme vous de deviner M. le comte de Morcerf sous ce nom de Fernand? − J'y tiens absolument. A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 294.
37. Déjà la déposition du général Mercier nous avait procuré une déception analogue. Il suffisait, à ce moment, que l'ancien ministre de la Guerre affirmât sous serment qu'aucune pièce secrète n'avait été montrée aux juges de Dreyfus, pour qu'il ne restât plus rien des affirmations de Zola. Mais, le général Mercier refusant de faire cette déclaration, nous fûmes de nouveau livrés aux chances des débats contradictoires. G. Clemenceau, L'Iniquité,1899, p. 319.
38. ... Mademoiselle Célestine... vous devriez déposer contre Lanlaire... au parquet de Louviers... une plainte tapée pour outrages aux mœurs et attentat à la pudeur... (...) Déposez votre plainte et faites-nous citer, Rose et moi... Nous viendrons affirmer... certifier en justice que nous avons vu tout... tout... tout... La parole d'un soldat, en ce moment surtout, c'est quelque chose, tonnerre de Dieu!... O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 215.
Rem. 1. Dans l'ex. suiv., il s'agit d'une tournure abrégée pour affirmer sous serment :
39. ... elle devait avoir été assurément dans un état complet de démence. Sur cinq médecins appelés à constater quel avait pu être son état moral lors de son accouchement, un seul avait affirmé l'aliénation, et quatre l'avaient niée. Au moment où l'accusateur public, M. de l'Argentière, se leva et entonna sa déclamation, Apolline, frappée comme à un accent connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se renversa sans connaissance. P. Borel, Champavert,Monsieur de l'Argentière, l'accusateur, 1833, p. 35.
Rem. 2. Dans l'emploi judiciaire, affirmer n'implique pas nécessairement la prestation d'un serment :
40. ... on nous mène devant un grand drapeau américain et un officier nous explique qu'à partir de maintenant nous sommes tous soldats et que celui qui essaye de se sauver sera fusillé! Ensuite il faut prêter serment, mais si quelqu'un, par scrupule religieux, veut dire : J'affirme au lieu de : Je jure, il le peut. J. Green, Journal,1942, p. 250.
Rem. Il est cependant associé fréquemment à l'affirmation devant les tribunaux (cf. affirmation).
Rem. 3. La princ. différence entre l'usage judiciaire et l'usage philos. ou théol. est que dans celui des tribunaux, il s'agit d'attester des faits dont qqn a été témoin alors que dans celui des philosophes ou des théologiens, il s'agit aussi d'exprimer des jugements sur des réalités abstr. ou échappant au contrôle des sens.
Emploi jur. Affirmer une déclaration, etc. Établir la vérité d'un fait (ayant ou non déjà fait l'objet d'une déclaration moins formelle) par une déclaration faisant foi :
41. 1456. La femme survivante qui veut conserver la faculté de renoncer à la communauté, doit, dans les trois mois du jour du décès du mari, faire faire un inventaire fidèle et exact de tous les biens de la communauté, contradictoirement avec les héritiers du mari, ou eux dûment appelés. Cet inventaire doit être, par elle affirmé sincère et véritable, lors de sa clôture, devant l'officier public qui l'a reçu. Code civil,1804, p. 267.
42. − Faites le portrait de celui qui l'apporta. − Il étoit petit, gros, et avoit l'air étranger : j'affirme cette partie de ma déposition. − Comment étoit-il habillé? − Grossièrement; il portoit même des souliers ferrés. H. de Balzac, Annette et le criminel,t. 4, 1824, p. 33.
43. Aux termes de l'article 534 du Code de procédure, le rendant-compte doit aussi affirmer ce compte en personne, ou par procureur (mandataire) spécial. Le motif de cette formalité est, que le rendant-compte se fait à lui-même son titre, et que la loi a cherché une garantie dans son serment. Cela est en dehors des comptes usités dans le commerce. Comm.t. 1, 1837.
44. ... ne sachant que dire de lui-même, il prononça cette parole extravagante : « Comme tous les membres du Cabinet Méline, j'ai connu le faux, dont il aurait mieux valu ne rien dire ». Ces paroles affirmées authentiques ne furent pas démenties par lui pendant toute une semaine. Enfin, sur l'insistance de la République française, Rambaud se décida à rectifier et voici sa version qu'un député présent déclare d'ailleurs mensongère : « J'ai dit seulement que le Gouvernement précédent avait eu la sagesse de ne pas affirmer leur authenticité (des documents faux) dans une déclaration ministérielle ». Que faut-il de plus? Se vanter de n'avoir pas affirmé l'authenticité d'une pièce alléguée comme preuve décisive contre un condamné, n'est-ce pas reconnaître qu'on sait à quoi s'en tenir? G. Clemenceau, Vers la réparation,1899, p. 250.
45. Le serment supplétif ou supplétoire, toujours déféré d'office, est ordonné par jugement. Le tribunal n'est jamais tenu de le déférer; mais, lorsqu'il a déjà des éléments de preuve, qui cependant lui paraissent insuffisants pour asseoir pleinement sa conviction, il peut inviter l'une quelconque des parties, celle dont les déclarations lui paraissent devoir mériter le plus de confiance (en général celle qui a fourni la preuve insuffisante de sa prétention), à affirmer solennellement tel ou tel point jugé utile pour l'éclaircissement de l'affaire. Gde Encyclop.,t. 29, 1885-1902, p. 1064, s.v. serment III Droit civil et droit criminel.
46. 1286. Toute déclaration de mutation par décès, souscrite par les héritiers, donataires et légataires, leurs maris, tuteurs, curateurs ou administrateurs légaux, doit être terminée par une mention ainsi conçue : « Le déclarant affirme sincère et véritable la présente déclaration; il affirme, en outre, sous les peines édictées par l'article 1788 du Code général des impôts, que cette déclaration comprend l'argent comptant, les créances et toutes autres valeurs mobilières françaises et étrangères, qui, à sa connaissance, appartenaient au défunt, soit en totalité, soit en partie » (C. gén. imp., art. 751). Nouveau répertoire de droit, Paris, Dalloz, t. 4, 1965, p. 660, s.v. succession.
II.− Emploi pronom.
A.− Emploi réfl. dir.
1. [Le suj. est un n. de chose] Prendre une forme nette et la manifester.
a) [En parlant de l'aspect phys. d'une chose, d'un phénomène] :
47. Si l'on s'écarte de cette foule et que passant derrière les pyramides on les voit solitaires, reposant sur le ciel bleu, dans le ciel bleu qui les enveloppe, c'est un superbe reposoir, un abri du néant, un grandiose mémento puéril mais qui satisfait. Cette large base, cette plénitude qui s'affirme vers le ciel, qui respire largement. M. Barrès, Mes cahiers,t. 6, 1907-1908, p. 174.
48. ... cette concentration des formes autour de quelques axes privilégiés est indistincte et floue : simple accroissement, dans certains secteurs, du nombre ou de la densité des lignées. Et puis, graduellement, le mouvement s'affirme. De véritables nervures se dessinent, mais sans briser encore le limbe de la feuille où elles sont apparues. (...) Parvenues à un certain degré de liaison mutuelle, les lignées s'isolent en une gerbe close, impénétrable désormais aux gerbes voisines. P. Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain,1955, p. 121.
En partic., ARTS PLAST. :
49. Dans ces statues émouvantes, où le mâle dorien et la femelle ionienne s'observent, mais refusent de s'unir, le plan s'affirme, dès l'abord, comme une idée plus définie, un peu moins noyée dans l'ensemble, parcouru d'un large frisson. Il s'efforce de sortir d'une formule architectonique anonyme pour édifier, dans l'argile qu'il sculpte, une idole autonome (...). L'équilibre des masses s'ébauche, succédant à leur symétrie, et c'est au mouvement des puissances profondes parcourant la forme en dedans que les plans doivent leur vigueur. É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 22.
P. anal. :
50. Au loin, quelques îlots très bas flottent impondérablement sur une matière fluide... L'enchantement de ce paysage mystique ne dure que quelques instants; bientôt les contours s'affirment, les lignes se précisent; on est sur terre de nouveau. A. Gide, Voyage au Congo,1927, p. 700.
Par métaph. :
51. Autour de la terre obsédée Circule, au fond des nuits, au cœur des jours, Toujours, L'orage amoncelé des montantes idées. Elles roulent, passent et lentement s'agrègent. D'abord on les croirait vagues comme les rêves Qui s'envolent, dès le matin; Mais, tout à coup, leurs masses, Par étages, se tassent Et s'affirment en des contours certains. Voici leur ample et magnifique architecture. É. Verhaeren, La Multiple splendeur,1906, p. 55.
52. Et les signes de l'âge ne sont point beaux, dès qu'ils sont les signes d'événements accumulés, ou si l'on veut les sillons de l'expérience. Mais si le vieillissement se fait par durcissement intérieur, la forme vivante devenant statue et s'affirmant imperturbable, alors un vieillard peut être beau. Alain, Propos,1930, p. 919.
b) [En parlant d'un phénomène abstr., moral, intellectuel ou spirituel] :
53. La philosophie, au point de raffinement où elle est arrivée, s'accommode à merveille d'un mode d'exposition où rien ne s'affirme, où tout s'induit, se fond, s'oppose, se nuance. On n'en est plus à perfectionner les règles du syllogisme, ni à fortifier les preuves de l'existence de Dieu ou de l'immortalité de l'âme. E. Renan, Drames philosophiques,1888, p. 372.
54. ... la pensée ne peut s'affirmer, se constituer que par le mouvement par lequel elle transcende un donné existant qui peut et qui doit lui apparaître comme contingent. G. Marcel, Journal métaphysique,1914, p. 44.
55. Je suis parvenu en effet à un point où le besoin s'affirme absolu de mettre entièrement d'accord tous mes actes avec ces vues de l'existence en général qui vont s'affermissant, s'affirmant sans cesse comme les seules pour moi valables. Ch. Du Bos, Journal,déc. 1922, p. 212.
56. Celui qui n'obéit qu'à la raison ignorera la sagesse. Celui qui n'obéit qu'à l'impulsion sensuelle ignorera la liberté. Le lyrisme est la vie ascendante où les puissances passionnelles et les puissances spirituelles, s'affirmant et se fortifiant les unes par les autres, lui livrent la flamme de l'autel. C'est lui qui est chargé d'abolir les contradictions en cherchant leur point d'équilibre autour duquel il oscille tragiquement durant toute la vie conquérante de la race et qu'il n'atteint et ne fixe que pour la durée d'un éclair. É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 265.
57. ... maître et esclave sont vraiment dans la même histoire : la royauté temporaire de l'un est aussi relative que la soumission de l'autre. Les deux forces s'affirment alternativement, dans l'instant de la rébellion, jusqu'au moment où elles s'affronteront pour se détruire, l'une des deux disparaissant alors, provisoirement. A. Camus, L'Homme révolté,1951, pp. 40-41.
2. [Le suj. désigne une ou plusieurs pers. ou un aspect de leur personnalité] Se manifester et s'imposer avec vigueur :
58. Le gentleman est l'homme maître de lui-même qui se respecte et se fait respecter. Son essence est donc la souveraineté intérieure. C'est un caractère qui se possède, une force qui se gouverne, une liberté qui s'affirme et se montre et se règle sur le type de la dignité. Cet idéal est donc très voisin du type romain de l'ingenuus conscius et compos sui, et de la dignitas cum auctoritate. Cet idéal est plus moral qu'intellectuel. H.-F. Amiel, Journal intime,7 avr. 1866, p. 224.
59. On devient le roseau qui ondule à tous les souffles et qui ne se redresse que dans le calme incertain et fugitif des airs. On compromet sa liberté intérieure de volonté, par une trop grande flexibilité de pensée. Même pour la contemplation pure, il y a sagesse à ne pas se laisser distraire aussi facilement par les pensées d'autrui. − Tu voltiges et te disperses. − Tu te fais tout à tous, indifférent à toi-même, à ton œuvre, à tes espérances, à tes persuasions. C'est imprudent. Concentre-toi et affirme-toi. Sois enfin toi-même. H.-F. Amiel, Journal intime,25 nov. 1866, pp. 520-521.
60. Flamme superbe, la volonté visible. L'œil de l'homme est ainsi fait qu'on y aperçoit sa vertu. Notre prunelle dit quelle quantité d'homme il y a en nous. Nous nous affirmons par la lumière qui est sous notre sourcil. Les petites consciences clignent de l'œil, les grandes jettent des éclairs. Si rien ne brille sous la paupière, c'est que rien ne pense dans le cerveau, c'est que rien n'aime dans le cœur. Celui qui aime veut, et celui qui veut éclaire et éclate. La résolution met le feu au regard; feu admirable qui se compose de la combustion des pensées timides. V. Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, pp. 297-298.
61. Si originaux soient-ils, et quelque outrance qu'ils aient mise dans le déploiement de leur individualité, ils n'en appartiennent pas moins à une tradition. Ils relèvent directement de ce romantisme contre lequel leurs élèves ont pourtant levé le drapeau avec une si courageuse énergie. Mais n'en va-t-il pas ainsi toujours? La génération nouvelle a besoin, pour s'affirmer mieux, de nier celle qui la précède et dont elle dérive, en attendant qu'elle soit niée à son tour par les successeurs qu'elle aura formés. P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 190.
62. Je demeurais un adolescent à travers ces troubles, c'est-à-dire un être encore incertain, inachevé, en qui s'ébauchaient les linéaments de son âme à venir. Je ne m'affirmais ni dans mon mysticisme, puisque au fond, tout au fond, j'avais honte de croire, comme d'une infériorité; ni dans mes imaginations sentimentales, puisque je les considérais comme de simples jeux de littérature; ni dans ma sensualité, puisque j'avais la nausée, au sortir de la chambre de Marianne ... P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 94.
63. Point d'erreur, dit-on, qui n'ait une âme de vérité; point de vérité, semble-t-il, qui ne porte un poids d'erreur. S'arrêter à un jugement quelconque et y tenir serait pédantisme et naïveté. Garder une attitude nette et fixe, croire que « c'est arrivé », mettre les mains à la pâte, se frotter aux hommes, disputer sa place, faire cette vilaine chose qu'exprime ce vilain mot, s'affirmer, introduire consciencieusement une unité rigide dans l'organisme d'une pensée ou la conduite d'une vie, fi! la ridicule étroitesse et l'énorme grossièreté. M. Blondel, L'Action,1893, p. 3.
64. Pour la première fois, depuis l'origine de l'histoire, l'homme réclame son droit d'homme, tout son droit. L'ouvrier, le prolétaire, le sans-propriété, s'affirme pleinement comme une personne. Il réclame tout ce qui est de l'homme, le droit à la vie, le droit au travail, le droit à l'entier développement de ses facultés, à l'exercice continu de sa volonté libre et de sa raison. C'est sous la double action de la vie démocratique, qui a éveillé ou fortifié en lui la fierté humaine, et de la grande industrie, qui a donné aux prolétaires groupés la conscience de leur force, que le travailleur devient une personne et veut être, partout et toujours, traité comme telle. J. Jaurès, Études socialistes,1901, pp. 158-159.
65. C'est dans l'abnégation que chaque affirmation s'achève. Tout ce que tu résignes en toi prendra vie. Tout ce qui cherche à s'affirmer se nie; tout ce qui se renonce s'affirme. La possession parfaite ne se prouve que par le don. Tout ce que tu ne sais pas donner te possède. Sans sacrifice il n'est pas de résurrection. Rien ne s'épanouit que par offrande. Ce que tu prétends protéger en toi s'atrophie. (...) C'est en se renonçant que toute vertu se parachève. C'est à la germination que prétend l'extrême succulence du fruit. La vraie éloquence résigne l'éloquence; l'individu ne s'affirme jamais plus que lorsqu'il s'oublie. Qui songe à soi s'empêche. A. Gide, Les Nouvelles Nourritures,1935, p. 261.
66. Il est exact que, d'instinct, cet enfant dit : non. Mais ce n'est pas une mauvaise volonté : c'est un besoin de s'opposer. Je veux dire : un besoin de s'affirmer. Quelque chose comme le besoin de se prouver à lui-même qu'il existe... Et c'est, si manifestement, l'expression d'une force intérieure irrésistible, qu'on ne peut pas lui en vouloir... C'est un instinct qui est en lui, comme l'instinct de conservation!... R. Martin du Gard, Les Thibault,Épilogue, 1940, p. 840.
67. La maternité n'est pas toujours la généreuse offrande de soi que l'on chante; bien des mères n'y cherchent qu'un moyen de s'affirmer, de dominer, de poursuivre leur propre image, de compenser leurs complexes, etc.; le goût pour les enfants, l'affairement autour des enfants ne signent pas à eux seuls le sentiment maternel sain, celui qui enrichit l'enfant et enrichit la mère : il doit montrer aussi le sacrifice des aspirations égotistes à un autre voulu pour lui-même. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 99.
68. Nous n'avons pu parler que par une sorte d'abstraction de l'affirmation pure et simple du moi. S'affirmer, c'est déjà voter pour soi contre le néant ou contre la mort. Le mélancolique se dénigre jusqu'à l'absurde et finalement se tue. Le paranoïaque se surestime jusqu'au grotesque et finalement délire. La conscience du péché est pour le christianisme la base même de la connaissance de soi. Cette affirmation religieuse s'insère dans une vérité psychologique plus large. Je ne puis me saisir, dans l'acte de conscience le plus élémentaire, sans m'y attribuer une valeur laudative ou péjorative. E. Mounier, Traité du caractère,1946p. 590.
69. L'animal, selon Hegel, possède une conscience immédiate du monde extérieur, un sentiment de soi, mais non la conscience de soi-même, qui distingue l'homme. Celui-ci ne naît vraiment qu'à partir de l'instant où il prend conscience de lui-même en tant que sujet connaissant. Il est donc essentiellement conscience de soi. La conscience de soi pour s'affirmer doit se distinguer de ce qui n'est pas elle. L'homme est la créature qui, pour affirmer son être et sa différence, nie. A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 174.
P. anal. [En parlant d'un obj. personnifié] :
70. Le port de Londres se sait le premier port du monde et cela lui suffit; il ne s'affirme en aucune manière; il ne parade pas devant le public; il ne joue pas la comédie du nickel et du ciment armé. Vu du ciel, en avion, il est illisible : c'est un chapelet de petits bassins à motifs compliqués de vieilles serrures; il ne frappe pas, comme New-York, par l'évidence des grands docks rayonnants où les transatlantiques ont l'air de chevaux dans leur box. Vu de la Tamise, c'est un amas informe de masures sans âge et sans couleur. Tout y est confus, empirique. P. Morand, Londres,1933, p. 306.
71. Je fus donc effrayé, cette nuit-là, de ne pouvoir détacher mon regard qu'avec peine des objets sur lesquels se posaient mes yeux. Car tous s'offraient avec une netteté agressive; et chacun, isolé, offensait ce regard en voulant s'imposer à mon attention. Je ne trouvai pas d'amitié en ces présences matérielles; mais une sorte d'âpreté à se détacher de l'anonymat. Le moindre godet de métal, soudain prenait une importance inattendue, et plus il s'affirmait en s'imposant à moi, moins je le sentais sociable. H. Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 173.
B.− Emploi réfl. indir., vx, rare. S'affirmer (à soi-même) que.Se donner à soi-même la garantie que tel fait est authentique :
72. Henriette était restée incertaine sur ce qu'elle avait fait la veille, ne pouvant s'affirmer qu'elle avait eu raison. L.-É. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 198.
73. ... tout semblait mort. Je m'épouvantai de ce calme; et brusquement m'envahit de nouveau, comme pour protester, s'affirmer, se désoler dans le silence, le sentiment tragique de ma vie, si violent, douloureux presque, et si impétueux que j'en aurais crié, si j'avais pu crier comme les bêtes. Je pris ma main; je me souviens, ma main gauche dans ma main droite; je voulus la porter à ma tête et le fis. Pourquoi? Pour m'affirmer que je vivais et trouver cela admirable. A. Gide, L'Immoraliste,1902, p. 396.
Stylistique I.− Emploi trans. Rem. 1. Affirmer, terme fréq. du lang. cour., ne se spécialise pas moins en de nombreux domaines techn. où il garde toujours son sens fort habituel. Laf. 1861 a bien dégagé cette marque spécifique du verbe affirmer : ,,On affirme d'un ton ferme, et en donnant pour certain; on assure d'un ton de confiance, et en donnant pour sûr. Affirmer suppose quelque chose d'évident dont on est convaincu ou dont on veut convaincre. (...) Mais assurer suppose quelque chose de plausible ou de spécieux dont on est persuadé ou dont on veut persuader les autres. (...) Affirmer, affirmare est un terme de science : la logique n'en connaît pas d'autre pour exprimer l'idée signifiée par tous ces mots; elle définit le jugement une opération de l'esprit par laquelle il affirme ou il nie; la proposition est un discours qui affirme ou qui nie (Acad.) Assurer, au contraire, est le mot commun; il n'a ni le caractère de rigueur d'affirmer ni son caractère scientifique. Confirmer, c'est ajouter à ce qui a été affirmé ou assuré.`` 2. Sauf lorsqu'il est utilisé comme terme strictement techn. (et, par conséquent, demeure neutre), affirmer se caractérise par une assez nette tendance à la valorisation − soit péj. (quand il s'accompagne d'un ton déclamatoire, marque un excès d'assurance, le dogmatisme, la volonté d'imposer une vérité de parti-pris ou trahit le manque de modération, d'ouverture, de réflexion, d'expérience, l'ignorance des faits, l'incapacité de saisir les nuances : ex. 16, 20, 25, 31, 34), − soit méliorative (quand il s'oppose au goût exagéré du détail, de la réserve discrète, à la faiblesse de caractère, à l'immaturité, au nihilisme et quand il dénote la force, l'autorité, l'autonomie, l'originalité, l'authenticité, une attitude sereine et positive envers la vie : ex. 2, 4, 9, 10, 12, 18, 24, 29, 30, 32, 33). 3. Syntagmes fréq. − Adv. assurément, catégoriquement, certainement, dogmatiquement, fermement, formellement, fortement, indubitablement, nettement, résolument, solennellement, sûrement, vraiment. − Subst. accusation, assurance, authenticité, autorité, certitude, chose, compte, conscience, consistance, contraire, conviction, déclaration, déposition, dette, droit, existence, foi, force, honneur, indépendance, jugement, personnalité, personne, preuve, procès-verbal, proposition, raison, réalité, serment, supériorité, vérité, volonté, vrai. 4. Assoc. paradigm. a) (Quasi-)synon. accentuer, affermir, assurer, attester, avancer, certifier, confirmer, consolider, constituer, croire, déclarer, définir, dégager, démontrer, déterminer, dire, distinguer, dominer, énoncer (un jugement), exalter, exister, exprimer, extérioriser, fixer, fortifier, gager, garantir, imposer, insister, juger, jurer, manifester, montrer, persuader, préciser, prétendre, proclamer, produire, promettre, prononcer, prouver, reconnaître, rendre évident, renforcer, répondre, souligner, soutenir, témoigner, trancher. b) (Quasi-)anton. affaiblir, anéantir, cacher, céder, se confondre, contester, contredire, dédire, démentir, désavouer, détruire, disparaître, dissimuler, se dissoudre, douter, effacer, hésiter, infirmer, insinuer, nier, refuser, relâcher, rétracter, taire, se tromper. 5. Dans l'emploi trans., le suj. n'est que rarement un n. de chose; inversement, le compl. d'obj. n'exprime qu'except. un n. de pers. Il s'agit ordin. dans ces cas de figures de style : personnification (affirmer « manifester comme réel », cf. ex. 10, 13, 21, 33), méton. (affirmer « poser l'idée de... », cf. 8, 12, 14, 27). II.− Emploi pronom. Rem. 1. S'affirmer est condamné par certains puristes − à tort selon Hanse 1949, mais non sans raison selon Thomas 1956 qui déplore ,,l'imprécision et l'emploi passe-partout de ce verbe`` et juge qu',,il est préférable de n'employer ce verbe qu'avec beaucoup de circonspection``. Le problème ne se pose en fait que pour les cas où s'affirmer se trouve complètement coupé de sa signif. étymol. et devient un simple succédané de : se montrer (sous tel aspect), faire montre de (telles qualités). 2. Quoique s'affirmer diffère de affirmer par le nombre plus restreint de ses emplois (et par l'importance plus grande qu'il accorde au domaine de la personnalité), il présente les mêmes valeurs − tantôt péj. (marquant l'arrogance, la brutalité, etc., p. oppos. au don de soi, au renoncement; cf. ex. 63, 65, 67, 70, 71), − tantôt méliorative (marquant la force, l'autonomie, etc., p. oppos. à l'impersonnalité, à l'indétermination; cf. ex. 47, 49, 51, 52, 57, 58, 59, 60, 62, 64, 66, 68). 3. Syntagmes fréq. − Adv. énergiquement, fortement, impérieusement, imperturbablement, manifestement, nettement, pleinement, violemment. − Subst. conscience, énergie, équilibre, existence, force, individualité, liberté, masse, moi, plénitude, puissance, vérité, volonté. 4. Assoc. paradigm. a) (Quasi-)synon. s'accomplir, s'affermir, se concentrer, se constituer, se dessiner, se détacher, se développer, devenir, se dire, distinguer, dominer, se dresser, s'ébaucher, s'édifier, s'épanouir, s'éveiller, exister, se fixer, se fortifier, grandir, s'imposer, s'isoler, se manifester, se montrer, naître, s'opposer, s'organiser, se parachever, se poser, se préciser, se produire, se réaliser, se renforcer, se révéler, transcender. b) (Quasi-)anton. s'atrophier, se confondre, se détruire, disparaître, se disperser, se dissimuler, s'effacer, flotter, se fondre, se mortifier, se nier, se nuancer, s'oublier, se renoncer, se résigner.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [afiʀme], j'affirme [ʒafiʀm]. − Rem. Fér. 1768 rappelle qu'il faut prononcer ,,afirmé, et non afier-mé, comme certains prononcent``. Fér. Crit. t. 1 1787 propose la graph. afirmer avec un seul f (de même pour les mots de la famille). Enq. : /afiʀm/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : affirmable, affirmant, affirmateur, affirmatif, affirmation, affirmativement.
Étymol. ET HIST. − 1. 1276 « donner (une chose) pour vraie » (Registre criminel de Saint-Germain-des-Prés, Tanon, ds R. Hist. litt. Fr. t. 1, p. 492 : Et affirmoit ladite fame que elle avoit acheté le peliçon); 2. 1822 pronom. « se poser, se déclarer avec tel ou tel caractère » (Maine de Biran, Journal, p. 353 : Le moi n'existe qu'en tant qu'il se connaît ou s'affirme lui-même et il ne s'affirme qu'autant qu'il existe). Empr. au lat. affirmare « donner (une chose) pour vraie » attesté dep. Plaute. Pers., 141 ds TLL s.v. 1222, 80; cf. forme pop. corresp. a. fr. afermer au sens 1 dep. 1115-1130, Ph. de Thaon, Comput ds T.-L. et jusqu'au xviies. (Fr. de Sales ds Hug.).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 4 360. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 2 521, b) 4 215; xxes. : a) 8 601, b) 8 959.
BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bonnaire 1835. − Bruant 1901. − Caput 1969. − Dup. 1961. − Foulq-St-Jean 1962. − Gilliéron (J.). Les Conséquences d'une collision lexicale et la latinisation des mots français. In : Cinquantenaire de l'École Pratique des Hautes Études. Mélanges publiés par les directeurs d'études de la Section des Sciences historiques et philologiques. Paris, 1921, pp. 55-74 (Bibl. de l'Éc. des Hautes Ét. 230.) [Cr. Roques (M.). Romania 1922, t. 48, pp. 455-457.]. − Girard 1756. − Guizot 1864. − Hanse 1949. − Kold. 1902. − Lacr. 1963. − Laf. 1878. − Laplatte (C.). Affirmer les bonnes œuvres Fr. mod. 1954, t. 22, no4, p. 266 (Glanes.). − Lav. Diffic. 1846. − Prév. 1755. − Sardou 1877. − Sommer 1882. − Synon. 1818. − Thomas 1956.