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ABSINTHE, subst. fém.
I.−
A.− Sens propre. Plante amère et aromatique qui pousse dans les terrains vagues, les sables et les rocailles; la même, comme plante de culture :
1. ... et leurs graines étaient répandues sur la terre; celles que M. Collignon, notre jardinier, put reconnaître, sont, la grande absinthe, l'absinthe maritime, l'aurone mâle, l'armoise, le thé du Mexique, la verge d'or du Canada, l'aster (œil de Christ), la mille-feuille, la morelle à fruit noir, la perce-pierre (criste-marine), et la menthe aquatique. Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 2, 1797, p. 282.
2. Les arbrisseaux sont aussi très-nombreux : on y voit le petit saule, le laurier de plusieurs espèces, le sureau nain, le sureau vénéneux, le génévrier, le petit chêne, la douce fougère, le petit noisetier, le myrthe à cire, l'hiver verd, le buisson à fièvre, le groseillier, le framboisier, le mûrier de haies, le vrai thé, le thé sauvage, l'absynthe, et un grand nombre d'autres sur lesquels je n'ai pas été à même de prendre des notes. L.-N. Baudry des Lozières, Voyage à la Louisiane et sur le continent de l'Amérique septentrionale,Préf. 1802, p. 172.
3. Sa prétention de traiter les gastralgies par des appositions de poudre de rose rouge, de corail et de mastic, d'absinthe et de menthe, de noix muscade et d'anis est pour le moins controuvée; ... J.-K. Huysmans, Là-bas,t. 1, 1891, p. 160.
4. Ce sont les essences d'anis et d'absinthe qui ont produit le plus grand nombre d'anomalies... F. Widal, P.-J. Teissier, G.-H. Roger, Nouveau traité de médecine,1920-24, fasc. 6, p. 30.
Rem. Les déf. tirées des dict. spécialisés mentionnent différentes variétés de la plante : grande -, petite -, -pontique, - maritime, -santonique. Plante médicinale (ex. 3).
B.− Emploi fig. [Notamment dans les expr. du type boire, faire boire (de) l'absinthe] Amertume :
5. Oui; je la vois, grands dieux! cette maison cruelle Que sans trouble jamais n'abordèrent mes pas. Mais ce trouble était doux, et je ne mourais pas. Mais elle n'avait point, sans pitié même feinte, Rassasié mon cœur et de fiel et d'absinthe. A. Chénier, Élégies,Les Amours, Lycoris, 1794, p. 60.
6. Ma fille, va prier! − D'abord, surtout pour celle Qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle, (...) Et qui te mit au monde, et depuis, tendre mère, Faisant pour toi deux parts dans cette vie amère, Toujours a bu l'absinthe et t'a laissé le miel. V. Hugo, Les Feuilles d'automne,1831, p. 792.
7. Femmes qui connaissez enfin comme nous-mêmes Le paradis perdu de nos bras dénoués Entendez-vous nos voix qui murmurent je t'aime Et votre lèvre à l'air donne un baiser troué Absence abominable absinthe de la guerre N'en es-tu pas encore amèrement grisée ... L. Aragon, Le Crève-cœur,1941, p. 15.
II.− Liqueur alcoolique toxique, de couleur verte, extraite d'une des variétés (grande absinthe) de cette plante :
8. J'étais, voici quatre ou cinq ans, en tournée d'inspection à Limoges, attendant l'heure du dîner. Assis devant le grand café de la place du théâtre, je m'ennuyais ferme. Les commerçants s'en venaient, à deux, trois ou quatre, prendre l'absinthe ou le vermouth, ... G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, L'Ami patience, 1883, p. 1239.
9. Et ma foi, je me suis mis à son régime et si, par hasard, nous prenons une absinthe, nous la prenons au laudanum. E. et J. de Goncourt, Journal,sept. 1885, p. 490.
10. Minouflet eut l'oubli de sa peine en jouant l'apéritif à la manille chez Maréchal l'aubergiste, avec Neveux et Duvigneaut qui prenaient de l'absinthe gommée, lui, un amer citron. P. Hamp, Vin de Champagne,1909, p. 119.
11. Elle [la bouteille] est à moitié pleine de liqueur verte, avec, au fond, un feutrage d'herbes, de feuilles, de petits grains bruns. C'est de l'absinthe qu'il fait lui-même avec l'armoise de la colline, l'anis qu'il commande au facteur, et son vieux marc. J. Giono, Colline,1929, p. 20.
Rem. Absinthe, comme tous les n. d'alcools qui se débitent dans les bars, etc., est fréquemment empl. p. méton. dans le sens de verre d'absinthe (ex. 8, 9). On trouve aussi un emploi de absinthe comme adj. de couleur :
12. − Les gens qui ont l'air de savoir quelque chose appellent ça des bombes au calcium. C'est vert, absinthe exactement. A. Malraux, L'Espoir,1937, p. 720.
Expr. et loc.
Faire son absinthe, sens propre : verser l'eau sur l'absinthe :
13. Il y a plusieurs manières de faire son absinthe (...) : la hussarde (...), la purée (...), l'amazone (...), la vichy (...), la bourgeoise (appelée aussi panachée)... (Almanach du hanneton, 1867). Larch.1872, p. 24.
14. Il avançait la tête, pris d'une méfiance. Soudain : − Ah ça! Mais, tonnerre de Dieu, est-ce qu'il ne fait pas mon absinthe! G. Courteline, Le Train de 8h 45,1888, p. 42.
15. absinthe (faire son) ... Signifie aussi cracher en parlant (...) « X... demande son absinthe (...) il parle art ou politique pendant un quart d'heure − et son absinthe est faite. » A. Delvau, Dictionnaire de la langue verte,Argots parisiens comparés, 1866, p. 3.
Faire l'absinthe, au fig. : projeter, en parlant, de petits jets de salive :
16. Absinthe en parlant (faire l'). Lancer, en parlant, de petits jets de salive (...). ,,Et, avec cela, quand elle ouvrait la bouche pour jaser, elle faisait l'absinthe!`` (Huysmans, les sœurs Vatard). L. Rigaud, Dictionnaire du jargon parisien, l'argot ancien et moderne,1878, p. 3.
Avaler son absinthe (fig.) :
17. Avaler son absinthe. Faire contre mauvaise fortune bon visage, endurer avec résignation quelque désagrément. L. Rigaud, Dictionnaire du jargon parisien, l'argot ancien et moderne,1878p. 20.
Renverser son absinthe (fig.) :
18. mourir (...) Renverser son absinthe. A. Bruant, L'Argot au XXesiècle,Dictionnaire français-argot, 1901, p. 325.
L'absinthe ne vaut rien après le déjeuner (fig.) :
19. L'absinthe ne vaut rien après déjeuner. Locution peu usitée (...) [=] Il est désagréable, en revenant de prendre son repas, de trouver sur sa casse de la correction à exécuter. (Absinthe dit Amertume.) E. Boutmy, Dictionnaire de l'argot des typographes,1883, p. 82.
20. Mon cher Marras, Par suite de la nuit je ne pourrai vous donner l'argent que demain à trois heures ici, au café, ou à votre bureau, égal, tenez : à l'heure de l'abs(inthe). P.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Correspondance générale,t. 1, 1863, p. 64.
21. Absinthe de minuit, celle que l'on fait avec du vin blanc. G. Delasalle, Dictionnaire argot-français et français-argot,1896, p. 3.
Absinthe du vidangeur :
22. Verre de vin. Absinthe de vidangeur. A. Bruant, L'Argot au XXesiècle,Dictionnaire français-argot, 1901, p. 439.
Stylistique − Les emplois méton. du second sens (« liqueur ») sont dans la ligne de ce sens; il en est de même pour les très nombreuses expr. arg. formées à partir de absinthe (cf. ex. 13 à 22) ou de ses dér. (cf. absinthage, absinthique, s'absinther, absintheur, absinthier). Apr. 1915 (cf. hist. C) le mot ne connaît une certaine vitalité que chez qq. écrivains qui s'en servent comme terme de comparaison ou de caractérisation (A. Malraux, ex. 12). − Rem. Abs, subst. fém. [arg. pop.] : réduction de absinthe (cf. II) : 23. Abs − absinthe (argot du peuple); d'après Delvau, créé par Guichardet et à l'époque de Delvau d'un emploi général; cité encore par Delasalle mais de nos jours tombé hors d'usage. H. Kjellman, Mots abrégés et tendances d'abréviation en français, 1920, p. 31. La forme abrégée abs pour absinthe indique très nettement la vogue que connut l'absinthe, à une certaine époque, dans les milieux pop. Le facteur soc. a eu une influence déterm. pour la création et la généralisation de cette apocope de absinthe (Cf. l'influence des facteurs d'ordre soc. dans des formes abrégées telles que apéro pour apéritif, vélo pour vélocipède, cinéma, ciné, pour cinématographe).
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [ab̭sε ̃:t] 2. Hist. − Le mot apparaît sous sa forme actuelle au xvies. (cf. ex. étymol. et ex. de Montchrestien ds Hug.) et comme vedette de dict. ds Fur. 1701 à côté de absynthe ainsi que ds Rich. 1710 à côté de absinte avec la rem. : ,,Ce mot (...) s'écrit de l'une et de l'autre sorte``. Ds Ac., la forme mod. avec i ne s'impose qu'à partir de l'éd. de 1762 (à propos des graph. y, i, cf. abîme, prononc. et orth.). Pour les différentes formes de l'a. et du m. fr., cf. étymol. Dans abscynce au xvies. (cf. ex. de M. de Scève ds Hug.), sc est une graph. pour s (cf. Beaul. t. 1 1927, p. 299-300). En ce qui concerne le genre de ce mot, Fur. 1701 fait la rem. suiv. : ,,S. m. et f. selon Malherbe; et selon Vaugelas, toujours masculin. On le fait plus ordinairement féminin. L'Académie Fr. le fait féminin.`` (cf. aussi Rich. 1710, Trév. 1704 à 1771). Enfin Littré déclare : ,,Le genre de ce mot est resté quelque temps indécis; (...) aujourd'hui absinthe est toujours féminin.`` Par ailleurs, Rich. 1710 affirme que ,,ce mot n'a point de pluriel``. Cf. aussi Fur. 1701 qui, sous le mot absinthe, empl. au sens fig., déclare : ,,je ne voudrais pas hasarder à l'employer au pluriel comme Malherbe, qui a dit, adoucir toutes nos absynthes``. − Rem. Besch. 1845 est le seul à signaler en vedette la forme absinthion à côté de absinthe.
Étymol. Corresp. rom. : n. prov. absint, absinte; ital. absintio; cat. absinti. 1546 « Artemisia Absinthium L., plante aromatique amère » (Rabelais, Tiers-Livre, éd. A. Lefranc, p. 350 ds Quem. : Les aultres [plantes] ont leur n. par antiphrase et contrariété : comme absynthe, au contraire de pynthe, car il est fascheux a boyre). 1. Forme absince, début xiiies. « boisson à base d'absinthe » (Sermons de St Bernard, éd. Forster, Rom. Forsch. II, 47, 28 ds T.-L. : Enyvreiz est d'absince); 2. forme assenz, xives. (plante) (Moamin fol. 52 ds Tilander, Glan. Lexic., 25 : Et s'il ne gerist por ce, prenez dimie drame d'assenz et metez la en trois morseaux de char, et donez li à mangier); 3. forme assince, fin xves. (plante) (C. Tardif, L'art de fauconnerie et des chiens de chasse, cité par H. Werth ds Z. rom. Philol. XIII, p. 21 : contre vers ou ventre du chien, le remède est : donne luy semence de assince, pouldre de vers, tout meslé avec beurre ou miel). Empr. au lat. absinthium « plante aromatique amère », attesté dep. Varron, Res rusticae, 1, 57, 2 ds TLL s.v. apsinthium, 321, 40, fréq. ds Pline, Hist. nat., ibid., passim (forme apsinthium dep. Plaute, Trinummus, ibid., 69, calque du gr. α ̓ ψ ι ́ ν θ ι ο ν; graph. lat. ab- anal. de absum, Ern.-Meillet), Roland, Flore pop., VII, 66. 1 forme demi-sav. Lat. vulg. ausentium vies., Dioscorides latinus (TLL ibid., 46-47). « Boisson faite d'absinthe » dep. Pline, Hist. nat., 22, 146, ibid. 322, 20, sens fréq. en lat médiév. (Mittellat. W. s.v., 49, 13 sq.). Cf. a. prov. absens (Rayn.). 2 et 3, formes pop., cf. a. prov. aissens, ausen, ausens (Levy, s.v. aisens); formes rom. REW3. Synon. b. lat. aloxinum « plante aromatique amère » (cf. Corp. Gloss. Götz, III, 616, 36 ds TLL s.v. : absentius [absinthius] est aloxinus, dep. vies. Anthimus, ibid., d'où mot pop. a. fr. aluisne évincé par absinthe; (aire gallo-rom., voir REW3s.v. alŏxĭnum). HIST. − L'ordre d'importance des 3 sens aux xixeet xxes. ne correspond pas à leur ordre d'apparition. Pas de disparition de sens ou d'emploi av. 1789 : A.− Sém. I (« plante aromatique amère »). − Ce sens qui a survécu jusqu'à nos jours appartient d'une part au domaine de la bot., d'autre part à celui de la pharmacopée (potion ou autre remède extrait de la plante) (cf. étymol. 1, 2 et 3). xvies. : De plant enraciné et de semence s'edifie l'aluine ou absinthe appelé fort. O. de Serres, 565 (Littré). Absinthe romaine ou pontique, marin et vulgaire, est dict aussi aluine pour sa grande amertume, comme celle de l'aloes; aussi fort, c.-à-d. fort amer; sa graine tue les vers. Id., 615 (Littré). − Rem. Absinthe pris dans ce sens ne vit guère que dans les lang. spéc. de la bot. et de la pharmacopée, concurremment avec le n. sc. Artemisia absinthium. D'où la rareté des attest. dans la docum. B.− Sém. IB (« amertume »). − Métaph. à partir du sens I (absinthe, plante médicinale). xvies. : La longueur d'une absence est bien pleine d'absinthe. Bertaut, Complainte sur une absence (Hug.). xviies. : Quand tu la vois si dignement adoucir toutes nos absinthes. Malh., III 3 (Littré). Cet emploi n'est plus vivant à partir du xviiies. (l'absinthe boisson remplace l'absinthe médicament. Cf. inf. C) à l'exception du style archaïsant, en partic. dans l'expr. stéréotypée : le fiel et l'absinthe. C.− Sém. II (« boisson alcoolique »). − 1reattest. Ac. 1835. C'est pendant la seconde moitié du xixes. et au début du xxequ'en raison de la vogue des boissons alcooliques à base d'absinthe ce sens est le plus vivant (cf. nombreuses attest. dans sém. et nombreux dér. fam. ou arg.). La loi du 16 mars 1915 qui interdit la fabrication, la détention et la vente de ces boissons est le principal motif sociol. de la quasi disparition du terme dans ce sens. Cf. styl.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 293. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 209, b) 706; xxes. : a) 614, b) 319.
BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Alex. 1768. − Bible. 1912. − Bouillet 1859. − Brard 1838. − Comm. t. 1 1837. − Dumas 1965 [1873]. − Littré-Robin 1865. − Mont. 1967. − Nysten 1814-20. − Privat-Foc. 1870. − Réau-Rond. 1951. − Remig. 1963. − Tilander (G.). Glanures lexicographiques. Paris, 1932, p. 25. − Thomas (A.). Nouveaux essais de philologie française. Paris, 1904, p. 354.