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ABNÉGATION, subst. fém.
I.− [Empl. parfois avec un compl. introduit par de, le mot compl. étant, sauf exception (ex. 3, 4), un pron. pers. réfl. (2, 6, 8, 12), mais le plus souvent sans compl., cet emploi absolu l'emportant à mesure qu'on approche de l'époque contemp.] Renoncement, sacrifice volontaire, consenti dans un intérêt supérieur et portant sur (une partie de) soi-même ou sur une valeur qui représente généralement un intérêt, une ambition, une satisfaction légitimes, etc. (Correspond., à l'époque mod., en l'absence d'un verbe *abnier au verbe renoncer).
A.− Renoncement ou sacrifice consenti pour des motifs de perfection morale et spirituelle :
1. La justesse de l'esprit est impossible, à de certaines époques, sans une abnégation héroïque ou une dégradation complète. Schlegel, qui a moins de grâce, qui n'a pas plus de cohérence dans les idées et qui a des opinions beaucoup plus absurdes, s'est cru une grande supériorité sur Biot parce que Biot a disputé comme un français. B. Constant de Rebecque, Journaux intimes,octobre 1804, p. 149.
2. Il y a là quelque fondement au point de vue des théosophes, qui admettent qu'au moyen d'une certaine préparation mentale, spéculative et pratique, l'esprit peut tout savoir, tout comprendre même sans avoir rien appris, etc. en comparant ce point de vue à la doctrine de Fénélon sur l'abnégation et la désappropriation du moi, j'ai pensé que cette libre activité qui rend l'âme présente à elle-même et la constitue personne, moi, à ses propres yeux ne lui est donnée que pour se mettre au-dessus de la nature sensible et la surmonter en la dirigeant vers une fin morale ou intellectuelle. Maine de Biran, Journal,1820, p. 299.
3. Ceux qui se fondent sur la passivité et l'unité de cause efficiente s'allient avec les doctrines mystiques et quiétistes où l'abnégation de toute volonté, la destruction de tout mouvement propre est la condition de la science la plus élevée, de la vertu la plus parfaite. Maine de Biran, Journal,1822, p. 349.
4. Ainsi fait l'homme vraiment spirituel quand il immole ses passions et qu'il fait l'abnégation, le sacrifice de tout ce qu'il y a de sensible et de mortel en lui. L'homme moral qui exerce sa liberté et se commande à lui-même, sent bien qu'il est en même temps le prêtre et l'hostie : car c'est bien lui qui sacrifie et immole, et ce qui est immolé et sacrifié, c'est encore lui; ... Maine de Biran, Journal,1822, p. 356.
5. M. de Beaupréau était un de ces hommes qui prennent leur parti de toutes choses, surtout des déceptions d'amour-propre. Le dédain de sa femme, le désintéressement de sa fille, l'abnégation complète de Fernand à l'endroit de la dot, l'avaient humilié outre mesure; mais la pensée qu'il conserverait intacte la fortune de sa femme et marierait Hermine sans bourse délier, l'avait promptement consolé, ... P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole, les drames de Paris,L'Héritage mystérieux, 1859, p. 195.
6. Le véritable amour se manifeste uniquement par l'abnégation absolue de soi et l'anéantissement dans l'objet aimé. Qui garde son orgueil et sa pensée, a de la passion, non de l'amour; ... J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 281.
7. De tels sentiments sont de nature à inspirer non seulement ces sacrifices journaliers qui assurent le développement régulier de la vie sociale quotidienne, mais encore, à l'occasion, des actes de renoncement complet et d'abnégation sans partage. É. Durkheim, De la division du travail social,1893, p. 207.
Rem. Les ex. de ce 1ergroupe mettent en valeur l'aspect passif de l'abnégation, le mot étant mis en rapport avec renoncement (ex. 7), désintéressement (ex. 5), anéantissement (ex. 6); voire l'aspect négatif, abnégation étant alors associé à dégradation (ex. 1). Dans l'ex. 4 faire (l')abnégation de est synon. de renoncer à; dans l'ex. 5 la constr. abnégation à l'endroit de, motivée par la présence d'un premier compl. introduit par de, est en même temps l'indice d'un emploi de plus en plus confiné à l'emploi absolu.
B.− Vertu :
8. La bonté, cette charmante qualité, entraîne souvent à l'abnégation totale de soi-même, et c'est à vos amis à s'occuper de vous lorsque vous vous oubliez. G. de Staël, Lettres de jeunesse,1785, p. 47.
9. Vous avez raison de railler l'ambition gigantesque de l'amour platonique. En vain l'esprit cherche à s'élever la souffrance le ramène toujours à terre. Oh! je m'en souviens; durant ces nuits embrasées que je passai près des flancs d'un homme, j'ai bien étudié les révoltes de l'orgueil contre les vanités de l'abnégation; j'ai senti qu'on pouvait en même temps aimer un autre que soi, au point de se soumettre à lui et s'aimer soi-même, au point de ressentir de la haine contre celui qui nous subjugue. G. Sand, Lélia,1833, p. 172.
10. Il est bon et doux, quoique sévère. Sa rigidité s'étend surtout à ce qui est utile et pratique. Le reste, il en décline la compétence avec une abnégation et une modestie étonnantes qui prouvent la vigueur paisible de son être. L.-E.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 65.
11. Un couvent, c'est une contradiction. Pour but, le salut; pour moyen, le sacrifice. Le couvent, c'est le suprême égoïsme ayant pour résultante la suprême abnégation. V. Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 622.
Rem. Abnégation est lié à des termes désignant des qualités : bonté (ex. 8), modestie (ex. 10) ou des défauts : orgueil (ex. 9), égoïsme (ex. 11). L'abnégation est souvent dite totale, complète, entière; des adj. tels que noble, courageux, héroïque soulignent l'aspect de grandeur et de dignité suggéré par le mot. La fréquence de la constr. abnégation + épithète est liée au recul de la constr. abnégation + compl. introduit par de (cf. sup. dominante A, rem.).
C.− Dévouement :
12. Les habitudes de la vie ascétique, les mœurs chrétiennes, ne sont pas les mêmes à toutes les époques de l'église : mais à aucune époque elles ne sauraient attirer le dédain ou le mépris des âmes pieuses et simples; car toujours elles ont offert à la charité, à l'humilité, à l'abnégation de soi, d'immortelles victoires à remporter, une pure et sainte gloire à conquérir. Ch. de Montalembert, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),1836, p. 238.
13. (...) Ils ne sont pas prudents de peur d'être honteux; Et disent que le pont où l'on se précipite, Hardi pour l'abordage, est lâche pour la fuite. Soi-même se scruter d'un regard inclément, Être abnégation, martyre, dévouement, Bouclier pour le faible et pour le destin cible, Aller, ne se garder aucun retour possible, Ne jamais se servir pour s'évader d'en haut, Pour fuir, de ce qui sert pour monter à l'assaut, Telle est la loi; la loi du devoir, du calvaire, Qui sourit aux vaillants avec son front sévère. V. Hugo, La Légende des siècles,t. 2, Paroles dans l'épreuve, 1859, p. 782.
14. Je m'amuse en même temps de ce respect pour soi-même, devenu naïf et religieux, et dont je connais plusieurs remarquables échantillons, dans toutes les églises. Ce type-là adore naturellement le dévouement, l'oubli de soi, l'abnégation, il les loue et les recherche avec enthousiasme et pour cause; mais il se garde de diminuer leur mérite en le partageant, ou leur rareté en les copiant. H.-F. Amiel, Journal intime,9 octobre 1866, p. 477.
15. Elle le voyait vaguement, ce rôle, pareil à celui d'un personnage de M. Scribe ou de MmeSand. Il serait fait de dévouement, de fierté, d'abnégation, de grandeur d'âme, de tendresse et de belles paroles. Sa nature mobile se réjouissait presque de cette attitude nouvelle. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Yvette, 1884, p. 525.
16. Paule ne lirait jamais ces pages; pourtant il triomphait comme s'il l'avait obligée à se reconnaître dans le portrait qu'il avait tracé d'elle : une fausse amoureuse qui n'aime que ses comédiens et ses rêves; une femme qui joue la grandeur, la générosité, l'abnégation alors qu'elle est sans orgueil et sans courage, butée dans l'égoïsme de ses feintes passions. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 262.
Rem. Dans ce groupe se révèle surtout l'aspect actif et donc efficace de l'acte d'abnégation; l'idée de renonciation à soi est liée à celle de l'acte de se tourner vers le service d'autrui : dévouement (ex. 13, 14), charité (ex. 12), générosité (ex. 16).
II.− Dans l'expr. faire abnégation de, « faire abstraction de », avec une idée de renoncement volontaire et qui en coûte à celui qui y consent (cf. hist. II B) :
17. Est-ce que la raison universelle considérée dans l'absolu est comparable à la lumière qui remplit l'espace et qui est, soit qu'on la perçoive ou non? La raison individuelle sera comme l'organe ou le sens approprié à cette lumière, et à l'aide duquel chaque homme y participe, et renoncer à sa raison propre ou en faire abnégation, pour ne croire qu'à la raison universelle, c'est précisément mettre un bandeau sur les yeux pour mieux jouir de la lumière. Maine de Biran, Journal,1818, p. 184.
18. Ayant à essayer de peindre l'homme des prodiges, non par mes faibles couleurs, mais à l'aide de ses propres paroles, de ses propres gestes, j'ai dû m'attacher surtout à demeurer scrupuleusement vrai, scrupuleusement fidèle, et j'espère qu'après m'avoir lu, on me rendra la justice d'avouer que, pour y parvenir, j'ai fait abnégation de tout système, de toutes opinions, de tous partis, de toutes liaisons; ... E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 238.
Stylistique − Gén. pris en bonne part, avec une nuance d'admiration; qq. exceptions notables (ex. 9, et peut-être 16).
Prononc. − 1. Forme phon. : [abnegasjɔ ̃]. Enq. : /abnegasiõ/. 2. Dér. et composés. − Cf. nier.
Étymol. − Corresp. rom. : ital. abnegazione; cat. abnegació; [roum. abnegacion < fr. abnegation]. 1. 1377 « action de s'opposer par négation à 2 éléments contradictoires » terme philos. (Oresme, Livre du ciel et du monde, éd. Menut et Denomy, 51 d. ds Medieval Studies, III, 1941, p. 263 : Or, pousons donques que .c. soit une chose moienne entre .a. et .b., c'est assavoir par abnegacion, et que de celle chose ne soit dit .a. ne .b., quar ce qu'est autre et neutre entre .ii. contraires est moien entre eulz); 2. fin xive« action de renier » (Glos. Aalma no13032, éd. Roques, Rec. Gén. des Lex. fr. du M.A., p. 6, 26 : abiuracio, -cionis, abjuracion ou abnegacion); xves. « refus de prestation de foi et de reconnaissance » terme jur. (Chastellain, VI, 363, Kervyn, ds R. Hist. litt. Fr., I : Par abnegation de foy et de recongnoissance la ou il la congnoit appartenir); 3. 1491 « action de renoncer (à la pratique des œuvres serviles) » (La Mer des hystoires I, 6b ds Rom. Forsch. 32, 3 : « Laquelle chose [du repos du septiesme jour] peult estre exposee en cinq manieres. En la premiere negativement, par ainsy qu'il ya abnegation de la part de la creature »). Empr. au lat. chrét. abnegatio, dep. St Jérome « renoncement, détachement (de soi) » (Lettres, 121, 3 ds TLL s.v., 110, 46 : quae est sui abnegatio?; encore en lat. médiév. : 983/993 Gerhardus August., Vita Udalr. I, 9 ds Mittellat. W. s.v., 33, 2), d'où p. ext., 3, « action de renoncer (à qqc.) »; au sens d'« action de nier, dénégation (opposé à assertio) » dep. Arnobe (Adv. nationes 1, 32 ds TLL s.v., 110, 45), avec spécialisation jur. au sens de « refus » en lat. médiév., 1088, Gebehardus Salisb. Ad. Herm. 31 ds Mittellat. W., 33, 8 : obedientiam abnegate et abnegationem illam juramento ... firmate, d'où 2, et spécialisation philos. au sens 1 en lat. médiév. (Albert le Grand, Politica 4, 7r, p. 366b, 32 sq. ibid., 32, 70 : medium dicitur per compositionem extremorum et non per abnegationem, sicut in grammaticis per abnegationem neutrum genus dicitur). HIST. − Terme de création sav. (relig., philos.), prend dès son orig. lat. 2 orientations qui se retrouvent en fr. : « action de nier » sens attesté le 1eren lat. ainsi qu'en fr. et disparu au xviies. « action de renoncer à soi-même », subsiste avec des ext. I.− Sens et accept. disparus av. 1789. − « action de nier, négation », sens concernant différents domaines cités ci-dessous dans l'ordre chronol. de leur apparition : A.− Accept. philos. (log.) (cf. déf. ds étymol. 1); sens très voisin du terme mod. neutralisation. 1377 (cf. étymol. 1) xves., Voc. lat. fr., Genève, Loys Garbin 1487 (ds FEW s.v. negare) xvies. : Ainsi ... mettons nous neutre en Medicine, et moyen en philosophie : par participation de l'une et l'aultre extremité : par abnegation de l'une et l'autre extremité. Rabelais, III, 35 (Hug.). B.− Accept. relig. « action de renier, reniement », attestée de la fin du xives. (cf. étymol. 2) jusqu'au xviies. (n'apparaît plus ds les dict. de Fur., Trév., Ac.); cf. notamment au xvies. : S. Pierre ... aiant par trois fois renoncé Jesus-Christ ... auroit esté ... descheu (...) Il falloit que, pour le restablir en sa premiere dignité, il effaceast la tare de ceste triple abnegation. P. de Marnix, Differ. de la Relig. I, II, 3 [1599-1605] (Hug.). Avec la nuance « abjuration » : Commandement ... à tous autres de ladite religion d'en venir faire abnegation dans six mois. D'Aubigné, Hist. univ. II, V, 21 [av. 1630] (DG). C.− Accept. jur., dérivée de I B, xves., 1 ex. isolé ds étymol. 2 (cont. féodal). II.− Hist. de l'unique sens attesté apr. 1789 − A.− « renoncement, détachement de soi » (cf. sém. I), apparaît au xves. (cf. étymol. 3), dans un cont. relig., mais avec un sens neutre. Passe dans la lang. des xviieet xviiies. comme terme de dévotion, d'abord dans l'expr. abnégation de soi-même, puis absolument : xvies. La justice de Dieu git en abnegation de nous mesmes et obeissance de sa volonté. Calvin, Inst. chrét., 191 (Littré). xviies. : Est-il un plus beau sacrifice est-il une abnegation de soi-même et une mortification plus parfaite? Bourdaloue, Pens., t. III, p. 153, [av. 1704] (Littré). La pratique de cette abnégation évangélique en quoi consiste le vrai christianisme et par conséquent le salut, id., ibid., t. I, p. 88. xviiies. : abnégation, terme de Dévotion. Renonciation à ses passions, à ses plaisirs, à ses intérêts. L'abnégation de soi-même est nécessaire pour la perfection Chrétienne. Il n'est guère en usage que dans cette phrase, et pour signifier un renoncement de soi-même, et un détachement de tout ce qui n'a point de rapport à Dieu. Fur. 1701. B.− A partir du début du xixes., p. ext., abnégation signifie non plus globalement « renoncement de soi-même » mais « renoncement à ce qui pour soi est important, voire essentiel (sentiments, biens, etc.) »; dans la loc. faire abnégation de, constr. (et peut-être sens) voisin(s) de faire abstraction de : ... l'assemblée ne voulait ni éloigner le roi du trône, ni faire abnégation de ses défiances passagères quand il s'agissait d'une œuvre durable. Mmede Staël, Considér. Révol. fr., t. 1, 2epart. 1817, p. 293. Ce dernier emploi a disparu au cours du xixes. au profit de son concurrent. C.− xixeet xxes. perman. de ces 2 accept. (cf. sém.).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 419. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 687, b) 666; xxes. : a) 671, b) 433.
BBG. − Foulq.-St-Jean 1962. − Lal. 1968. − Marcel 1938.