BÂTIR2, verbe trans.
Étymol. ET HIST. − A.− Av. 1105 judéo-fr.
bastir « coudre à grands points » (
Gloses de Raschi, d'apr.
D. S. Blondheim,
Contribution à la lexicographie française dans
Romania, t. 39, p. 137, note 5);
ca 1250 a.fr. (
Vers de la mort, éd. C. A. Windahl, 25, 11 dans T.-L. : Mal faire et boine fin atendre Me sanle
bastirs sans reprendre Cousture qui ne puet tenir), seulement deux attest. au
xiiies.,
ibid.; 1530 « assembler à grands points les pièces d'un vêtement avant de les coudre » (
Palsgr., p. 442); 1680
bâtir (
Rich.); 1751 part. passé substantivé (
Encyclop. : [...] chez les Tailleurs; c'est le gros fil qui a servi à
bâtir un habit. [...]. Ainsi ils disent,
ôtez le bâti de cet habit, pour
ôtez le fil avec lequel on en a assemblé les morceaux).
B.− Mil.
xiies. « composer, arranger, édifier qqc. [l'obj. est un inanimé abstr., ici : des honneurs, interprétation acceptée par
FEW t. 15, 1, p. 79a, note 8; G. Paris dans
Romania, t. 9, p. 45 propose ,,palais``] » (
Pèlerinage Charlemagne, éd. E. Koschwitz-G. Thurau, 367 dans T.-L. : Seignor, dist Charlemaignes, molt gent palais at ci. Tel nen out Alixandre ne li vielz Costantins, Ne n'out Creissenz de Rome qui tanz
honurs bastit [qui mit en œuvre tant de choses qui manifestaient son haut rang, donc : tant de choses magnifiques, prestigieuses]); fin
xiies. (
Chr. de Troyes,
Chevalier charrette, éd. W. Foerster, 1780,
ibid. : Mes je t'avrai mout tost
basti Tel plet que malëoit gré tuen T'estovra feire tot mon buen);
ca 1265 « construire [un édifice] » (Ph.
de Novare,
Quatre Age de l'homme, éd. M. de Fréville, 27,
ibid.), un autre ex. du
xiiies., trad. des
Livres des Macchabées dans
Littré [trad. du
xiiies. d'apr. Lerch dans
Mél. Roques, t. 2, p. 190], rare au propre av. le
xviies. (
Gdf. Compl.; T.-L.;
Littré); 1680 mét. (
Rich. :
Bastir [...] Terme de Chapelier. Former un chapeau avec des capades), attesté sous les formes
bâtir ou
bassetir dans
Encyclop. 1751; av. 1699
bâti part. passé substantivé (d'apr. Tolmer dans
Fr. mod., t. 14, p. 295); 1701 menuis. (
Fur.); 1752 horlog.
(Trév.).
De l'a.b.frq. *
bastjan (dér. d'un *
basta « fil de chanvre ») signifiant « traiter les fils de chanvre », d'où différentes accept. d'apr. le milieu : [couture] « faufiler »,
supra, cf. a.h.all.
bestan « ravauder »,
Graff t. 3, col. 219, [tissage] « tisser », sens attesté en a. prov. :
Boèce, 200 dans
Mél. Roques, t. 2, 1953, p. 190; d'où p. anal. « construire une clôture constituée de pieux entrelacés de brindilles », procédé utilisé dans l'Europe de l'ouest à l'époque carol., spéc. dans les domaines prov. et cat. (
FEW t. 15, 1, p. 78), puis « fortifier »
cf. ca 1020, le dér. de lat. médiév. (domaine prov.)
bastimentum « ouvrage fortifié, château fort » (
Guérard,
Cart. de S.-Victor de Marseille, I, n
o615, p. 611 dans
Nierm.), de même 1054, domaine cat. (
Arch. de la Couronne d'Aragon, Ramón Berenguer, I, n
o154 dans
GMLC). L'hyp. selon laquelle le sens de « construire (une maison) » serait issu de celui de « tisser », par l'intermédiaire de « faire, composer » (Lerch dans
Mél. Roques, t. 2, 1953, pp. 185-202) paraît moins vraisemblable. − L'hyp. d'un empr. au germ. (
Brüch, pp. 59-60) est moins probable; le mot ne semble, en effet, autochtone ni en ital., ni en esp. (
DEI;
Cor.) et doit vraisemblablement son ext. dans la Romania à la diffusion de la civilisation carolingienne. − La dissociation des sens « faufiler » et « construire » pratiquée par Schuchardt dans
Z. rom. Philol., t. 33, 1909, pp. 339-346 puis par
EWFS2qui fait remonter le 1
ersens au germ. *
bastjan et le second au lat. vulg. *
bastare « suffire »
(baster)* ne semble pas à retenir, l'évolution sém. qu'elle suppose pour le second sens (« suffire » > « apprêter » > « bâtir ») étant peu satisfaisante.