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PHÉNOMÈNE, subst. masc.
I.
A.− PHILOS. et lang. des sc.
1. Au sens large. Ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre psychique, et qui peut devenir l'objet d'un savoir. Nous donnerons (...) le nom de phénomène à l'apparence vraie, c'est-à-dire à celle qui a toute la réalité externe que nous lui attribuons naturellement (Cournot,Fond. connaiss., 1851, p.7).Un fait est en quelque sorte un phénomène arrêté, précis, déterminé, ayant des contours que l'on peut saisir et dessiner: il implique une sorte de fixité et de stabilité relatives. Le phénomène, c'est le fait en mouvement, c'est le passage d'un fait à un autre, c'est le fait qui se transforme d'instant en instant (P. Janet,La Crise philos., Paris, Germer-Baillière, 1865, p.56).V. accident ex. 1 et irréfléchi ex. 2:
1. Les êtres et les choses, et les différentes combinaisons, qui, désignées sous le nom de phénomènes, faits, événements, s'établissent entre eux dans le temps, forment ensemble comme une étoffe que la main régulièrement tire de son rouleau. Claudel,Art poét., 1907, p.132.
2. Ce que l'on observe ou constate par l'expérience et qui est susceptible de se répéter ou d'être reproduit et d'acquérir une valeur objective, universelle. Synon. fait (scientifique).[Newton] apprit aux hommes à n'admettre, dans la physique, que des théories précises et calculées, qui rendissent raison non seulement de l'existence d'un phénomène, mais de sa quantité, de son étendue (Condorcet,Esq. tabl. hist., 1794, p.176).Plus le phénomène est précisé scientifiquement, et plus il est un produit d'abstraction, et plus il s'écarte de l'idée primitive d'une donnée sensible, d'une idée imposée à l'esprit par la perception passive et contrainte, sans qu'hypothèses et raisonnements ne lui aient composé la majeure partie de sa signification (L. Weber,Vers le positivisme abs. par l'idéalisme, 1903, p.220).Essaie de concevoir un monde étrange où l'approche, la prévision du phénomène, a tous les effets du phénomène: −où les hasards redeviennent comme mûs désormais dans une loi: où l'improbable devient, par une conséquence de sa production une seule fois, le probable (Valéry,Tel quel II, 1943, p.279).V. affirmer ex. 23, arbitrairement ex. 1, cause2ex. 16, condition ex. 11, conscience ex. 12, inscrutable ex.:
2. Nous ne voulons pas tirer la morale de la science, mais faire la science de la morale, ce qui est bien différent. Les faits moraux sont des phénomènes comme les autres; ils consistent en des règles d'action qui se reconnaissent à certains caractères distinctifs; il doit donc être possible de les observer, de les décrire, de les classer et de chercher les lois qui les expliquent. Durkheim,Divis. trav., 1893, p.XXXV.
SYNT. a) α) Analyser, comprendre, élucider, étudier, examiner, illustrer, interpréter, isoler, mesurer, noter, prévoir, rencontrer, souligner un phénomène; mettre en évidence, en lumière un phénomène; être en face d'un phénomène; rendre compte d'un phénomène. β) Déclencher, obtenir un phénomène; influencer, accélérer, limiter, endiguer, enrayer un phénomène; devenir/ être le siège d'un/de phénomène(s); engendrer un phénomène. b) Un phénomène se déclare, se produit, s'opère, se déroule, s'accomplit; un phénomène s'accentue, s'accroît, s'aggrave, s'amplifie, décline, cesse, disparaît; un phénomène évolue, varie, continue, persiste, se répète, se généralise, se propage. c) Authenticité, intensité d'un phénomène; antécédents, aspects, causes, circonstances, clé, conséquences, incidences, phases, résultat d'un phénomène. d) Au plur. Comparaison, détermination, maîtrise des phénomènes; connexion, enchaînement, liaison, mécanisme, série, succession des phénomènes; catégorie, classe, groupe, ordre de phénomènes; cycle de phénomènes.
[Suivi d'un adj. déterminatif indiquant]
[le caractère, la qualité du phénomène] Phénomène simple, complexe; phénomène caché, étrange, mystérieux, occulte; phénomène perturbateur; phénomène aberrant, accessoire, accidentel, marginal, universel; phénomène spontané/provoqué, réversible, stable; phénomène rapide, régulier, violent; phénomène constant, cyclique, éphémère, fréquent, saisonnier, sporadique, temporaire, transitoire; phénomène général, local. Depuis les analyses de Durkheim, le crime est reconnu comme un phénomène normal, c'est-à-dire que la criminalité n'est pas un fait accidentel et ne procède pas de causes fortuites (Traité sociol., 1968, p.213):
3. Les forces intérieures de la terre se traduisent ou bien par des phénomènes très lents, très peu sensibles, mais de très longue durée: exhaussements, affaissements, plissements; ou bien par des phénomènes brusques: tremblements de terre, éruptions volcaniques. Brunhes,Géogr. hum., 1942, p.3.
[sa nature] Souvent au plur. Assimiler un phénomène humain à un phénomène naturel, c'est trahir son sens (Philos., Relig., 1957, p.38-5).
Dans le domaine des sc. de la nature.Phénomène acoustique, optique, tactile; phénomène atmosphérique, climatique, cyclonique, glaciaire, marin; phénomène gazeux, karstique*, lumineux, mécanique, nucléaire, ondulatoire, radioactif, thermique, vibratoire. La lumière, d'après Maxwell, est un phénomène électromagnétique périodique (H. Poincaré,Hyp. cosmogon., 1911, p.239).En huit familles les minéralogistes ont classé des dizaines de types de roches éruptives. Il ne faudrait pas croire que ces roches ne jaillissent des profondeurs que par des phénomènes volcaniques (Combaluzier,Introd. géol., 1961, p.70).
Dans le domaine des sc. de l'homme.Phénomène moral, politique; phénomènes inconscients, métapsychiques, paranormaux, télépathiques; phénomènes électoraux, financiers, monétaires. Les phénomènes sociaux de tout ordre −religieux, juridiques, économiques, et autres −ne nous sont fournis que par des témoignages oraux ou écrits (Lévy-Bruhl,Mor. et sc. moeurs, 1903, p.117).La psychologie expérimentale s'attache à appliquer les méthodes de mesure à l'examen des phénomènes mentaux, sensoriels et psychomoteurs (Villemer,Organ. industr., 1947, p.123).L'étude de la structure socio-professionnelle (...) donne les éléments essentiels de la comparaison avec les phénomènes électoraux qui constitue l'essentiel de toute étude du comportement électoral (Traité sociol., 1968, p.55).
[la discipline sc. dont il relève] Phénomène astronomique, géologique, géochimique, géographique, hydrologique, météorologique; phénomène physiologique; phénomène linguistique, psychologique, sociologique. Jamais (...) un phénomène historique ne s'explique pleinement en dehors de l'étude de son moment (M. Bloch,Apol. pour hist., 1944, p.8):
4. Des phénomènes physiques ou chimiques aux phénomènes biologiques il n'y a point de transition de théorie; il n'y a que des rapports de fait, et tels qu'il en existe entre toutes les catégories possibles. Renouvier,Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p.90.
[Suivi d'un compl. prép. de indiquant]
[la nature d'un processus, d'un ensemble de phénomènes, de manifestations]
Dans le domaine des sc. phys.Phénomène d'attraction, de capillarité, de diffraction, de gravitation, d'interférence, d'osmose, de propagation, de réfraction, de résonance; phénomène de combustion, de décomposition, de putréfaction. Les phénomènes lents et réguliers de sédimentation, seuls apparents, sont conditionnés par d'invisibles forces éruptives (Bergson,Deux sources, 1932, p.232).Le phénomène de fission comporte (...) deux caractéristiques principales: la libération d'énergie et la formation de produits radioactifs (Goldschmidt,Avent. atom., 1962, p.23).V. exosmose ex. de Gide.
Dans le domaine de la méd.Phénomène d'accoutumance, de dégénérescence; phénomène de rejet. Leur excès [d'hormones génitales] en cas de tumeur surrénale est responsable des phénomènes de masculinisation ou d'hirsutisme chez la femme (Quillet Méd.1965, p.495).
Dans le domaine des sc. hum.Phénomène d'(auto)suggestion, de clairvoyance, de télépathie. Les (..) phénomènes de voyance et de prémonition dans lesquels Bergson trouvait la justification de sa thèse sur les rapports de l'esprit et de la matière (Amadou,Parapsychol., 1954, p.35).Dans le domaine des sc. soc. et écon.Phénomène de croissance, d'échange, d'équilibre, d'inflation, de production, de récession, de régression, de relance, de tension; phénomène de colonisation, de migration, de socialisation, d'urbanisation. P. Vidal de La Blache a insisté (...) sur l'importance des faits de population. Mais ces phénomènes de peuplement, comment se révèlent-ils à nous, comment sont-ils même atteints et pour ainsi dire mesurés par les recensements, sinon par l'intermédiaire de l'habitation? (Brunhes,Géogr. hum., 1942, p.40).V. courant adj. ex. 2.
[la réalité ou la loi sc. dont le phénomène est la manifestation, la vérification expérimentale] Phénomène de la pesanteur, de la dissociation de la matière, de la division de la lumière. L'expérience donne le phénomène de la chute des corps, mais l'attraction est une fiction de l'esprit (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p.196).V. luminifère A ex. de Bergson.
[l'effet, le résultat d'un phénomène observé ou provoqué] On pourrait sans doute reproduire avec les rayons hertziens le phénomène des fontaines lumineuses (H. Poincaré,Théorie Maxwell, 1899, p.80).Phénomène de la ligne blanche. Si l'on trace avec un stylet mousse une ligne sur la peau d'une partie du corps dépourvue de poils, en exerçant une pression légère, la pointe du stylet laisse une ligne blanche. C'est le résultat d'une constriction des capillaires (Méd. Biol.t.31972):
5. C'est à des fibres musculaires que la peau doit la faculté de se contracter vivement sous l'action du froid ou sous l'influence d'impressions nerveuses. Cette contraction des muscles provoque le phénomène de la chair de poule. Quillet Méd.1965, p.297.
[le nom du savant (physicien, médecin, biologiste) qui le premier a décrit une expérience, provoqué un phénomène, qui en a déterminé les causes, la loi, les conséquences] Phénomène de Zeeman, de Faraday. La plupart des produits pétrolifères sont fluorescents en bleu (...) ou en vert (...). La fluorescence est souvent accompagnée du phénomène de Tyndall −diffraction causée par hétérogénéité (Chartrou,Pétroles natur. et artif., 1931, p.26).Nous avons réalisé (...) un phénomène de Koch pulmonaire, en réinjectant à un cobaye tuberculeux des bacilles dans la trachée (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946, p.112).V. filtre ex. 3.
3. En partic.
a) PATHOLOGIE
α) Le plus souvent au plur. Signe ou ensemble de signes observable(s) d'un trouble, d'une maladie. Synon. manifestation, symptôme.Calmer, prévenir des phénomènes; aggravation, majoration d'un phénomène; phénomène aigu, désagréable, douloureux; phénomènes allergiques, congestifs, convulsifs, délirants, dépressifs, infectieux, inflammatoires, méningés, toxiques. La gourme est contagieuse; les phénomènes critiques qui la traduisent (catarrhes et suppuration) ont pour but de débarrasser l'organisme de certains produits de désassimilation (Nocard, Leclainche,Mal. microb. animaux, 1896, p.430).V. aggraver ex. 46:
6. Il est possible d'observer également [dans les troubles des réflexes] des phénomènes paralytiques siégeant au niveau des membres inférieurs et prenant l'aspect de la paraplégie spasmodique... Quillet Méd.1965, p.352.
β) Phénomène psychosensoriel. Toute perception de données sensorielles perturbées (et qui concerne notamment l'illusion, l'hallucination visuelle). (Ds Moor 1966, Lafon 1969, March. 1970, Méd. Biol. t.3 1972, Carr.-Dess. Psych. 1976).
b) PHYSIOL., le plus souvent au plur. Changement qui survient dans un organe, dans une fonction. Phénomènes de la circulation, de la nutrition, de la reproduction. La cessation des phénomènes organiques est toujours un sûr indice de la mort générale (Bichat,Rech. physiol. vie et mort, 1822, p.254).Les phénomènes de la respiration diffèrent extrêmement de la combustion d'une bougie, mais elle lui ressemble réellement par le schéma sous-jacent (Ruyer,Esq. philos. struct., 1930, p.237).
c) PSYCHANAL. Phénomène fonctionnel. Phénomène découvert en 1909 par H. Silberer sur les états hypnagogiques, retrouvé par lui dans le rêve et qui consiste dans la transposition en images non du contenu de la pensée du sujet mais du mode de fonctionnement actuel de celle-ci (d'apr. Lapl.-Pont. 1967; ds March. 1970).
d) PSYCHOSOCIOL. Phénomène de groupe. Fait psychosocial vécu par les participants, observable par les observateurs et apparaissant dans un groupe, comme par exemple un silence, un fractionnement en sous-groupes, une rivalité de leaders informels (d'apr. Mucch. Sc. soc. 1969).
4. P. ext., au sing. [Suivi d'un adj. déterminatif ou d'un subst. en appos.] Ensemble des manifestations liées à une réalité humaine particulière. Il est déjà très important que nous ayions, grâce à la biométrie et à la génétique, acquis une vision nouvelle du phénomène racial (Tiers Monde, 1956, p.111).Le phénomène urbain est (...) au coeur de toute réflexion sur l'aménagement du territoire (Amén. terr., 1964, p.16).Cette suppression [de l'émission «Médicales»] est donc pour le producteur-réalisateur d'abord une fausse analyse du phénomène télévision qui détermine la valeur d'une émission à son taux d'écoute (Le Figaro, 7 juill. 1984, p.28, col. 6):
7. La succession des textes montre comment l'État, prenant conscience du phénomène touristique, a essayé de résoudre les problèmes qui se posaient dans l'esprit traditionnel de notre droit public. Jocard,Tour. action État, 1966, p.19.
B. − HIST. DE LA PHILOS.
1. [Chez Platon] Ce qui appartient au domaine sensible, existentiel, singulier, instable. (S'oppose à idée, forme, essence en ce qu'il n'a pas de réalité propre). Un phénomène sensible n'est saisi par la conscience qu'en étant subsumé sous un concept, en sorte que la pluralité indéfinie des phénomènes sensibles aperçus sous un même concept représente les manifestations diverses de l'unité de l'Idée (J. Moreau,La Constr. de l'Idéalisme platonicien, Paris, Boivin, 1939, p.300):
8. Mais ce triple essor vers le vrai, le bien, et le beau, n'est-ce pas ce qui fait l'honneur principal du génie de Platon? Lui aussi abandonne le monde des phénomènes et des apparences, la caverne où se dessinent de pâles ombres, pour aller contempler les réalités absolues, au grand jour de la métaphysique. Ozanam,Philos. Dante, 1838, p.220.
2. [Chez Hume et les phénoménistes] Donné immédiat de l'expérience (impressions, idées que nous en avons) qui est tenu pour l'unique réalité. Synon. perception.Hume (...) ne se fiant qu'aux seuls phénomènes, a totalement exclu de sa philosophie les substances, que Locke avait déjà fortement entamées (Renouvier,La Crit. philos., t.1, 1872, p.385):
9. [Pour Hume] hors de nous, rien, au moins que nous sachions. Au-dessus de nous, personne, dont l'existence et l'action puissent être, nous ne disons pas prouvées, mais seulement conçues. Au dedans de nous, nul centre qui persiste identique à soi, comme un point immobile, parmi l'incessant va et vient des phénomènes. Tout le réel est relégué dans un je ne sais quoi qui passe entre un semblant de moi et un semblant de nature, sous l'empire d'un semblant de causalité. G. Lyon,L'Idéalisme en Angleterre au XVIIIes., 1888, p.462.
3. [Chez Kant] Ce qui nous apparaît dans l'espace et dans le temps. (S'oppose à chose en soi ou à noumène en tant qu'objet d'expérience et à apparence en tant qu'il possède une réalité objective). Un «fait de la raison» est un véritable monstre dans une philosophie comme la sienne [de Kant], où tout ce qui est «fait» appartient au monde des phénomènes, et tout ce qui est «raison» au monde intelligible (Lévy-Bruhl,Mor. et sc. moeurs, 1903, p.58):
10. Ce qui se présente à nous ou ce qui apparaît dans l'intuition, c'est d'abord le phénomène en tant que diversité sensible empirique (...). Chez Kant, phénomène ne veut pas dire apparence, mais apparition. Le phénomène apparaît dans l'espace et dans le temps: l'espace et le temps sont pour nous les formes de toute apparition possibles les formes pures de notre intuition ou de notre sensiblité. G. Deleuze,La Philos. crit. de Kant, 1963, p.10.
4. PHÉNOMÉNOL. (notamment chez Husserl). Tout objet perçu, imaginé ou conçu par la conscience, qu'il existe ou non en dehors d'elle. (N'implique pas de noumène corrélatif). Dans la conscience, l'apparaître n'est pas être, mais phénomène. Ce nouveau cogito, parce qu'il est en deçà de la vérité et de l'erreur dévoilées, rend possibles l'une et l'autre (Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p.342).L'intuition phénoménologique, c'est la présence à la conscience de la chose elle-même. (...) L'être dernier, l'être-au-delà-du phénomène, est toujours déjà là dans la perspective de sa manifestation, c'est-à-dire dans le phénomène (G. Varet,L'Ontologie de Sartre, 1948, p.21):
11. On ne saurait assez fortement insister sur l'équivoque qui nous permet de donner le nom de phénomène [it. ds le texte], non seulement au vécu en quoi réside l'apparaître de l'objet (...), mais aussi à l'objet apparaissant comme tel (...). Nous vivons les phénomènes comme appartenant à la trame de la conscience, tandis que les choses nous apparaissent comme appartenant au monde phénoménal. Les phénomènes eux-mêmes ne nous apparaissent pas, ils sont vécus. E. Husserl,Rech. log., trad. par H. Elie, t.2, 1962 [1913], p.148.
II. − Lang. cour.
A. − Tout ce qui arrive, se produit, se manifeste et que l'on peut observer sans en connaître ou sans en rechercher obligatoirement la cause. Le phénomène de l'influence des journaux royalistes parmi nous (...) ne cesse de confondre les hommes démocratiques (Chateaubr.,Polém., 1818-27, p.304).Par un singulier phénomène d'atavisme, le dernier descendant ressemblait à l'antique aïeul (Huysmans,À rebours, 1884, p.2).La Libération a vu naître le plus grand nombre de journaux que la France ait jamais connus. Le même phénomène touchait le théâtre et le cinéma (Cacérès,Hist. éduc. pop., 1964, p.153).V. frustré ex. 1, haine A 2 ex. de Faure, indescriptible ex. 2, jouer I B 2 a ex. de Balzac:
12. ... aussitôt que sa mère était en colère, elle devenait laide. Ce phénomène dérangeait cruellement le petit garçon dans les jouissances infinies qu'il tirait de la contemplation du joli visage de sa mère. Drieu La Roch.,Rêv. bourg., 1937, p.108.
[Avec compl. prép. de indiquant]
[la nature, l'aspect vécu d'un phénomène] Phénomène du chômage, de la délinquance. Ce que la lutte politique n'avait pas permis ces dernières années, la drogue le réalisait: l'unité d'action de deux groupes jusqu'alors rivaux [nationaliste et autonomiste corse]. On peut même parler d'unanimité, tant le phénomène de la drogue soulève l'émotion des braves gens en Corse (Libération, 14 janv. 1986, p.16, col. 2).
[une modalité partic. d'un phénomène coll.] Phénomène de foule; phénomène d'opinion. Ce mouvement de mai [1968] s'expliquerait davantage, selon vous, comme phénomène de civilisation plutôt que comme phénomène politique? (Le Nouvel Observateur, 14 oct. 1968, p.9, col. 2).Le jean permet d'exprimer une personnalité: la sienne. Son secret de longévité: il n'est pas un phénomène de mode mais un style, intemporel et personnel (Madame Figaro, 11 janv. 1986, p.40, col. 2).
Phénomène de masse. Tout comme s'enfle irrésistiblement la masse des connaissances, ainsi croît à un rythme non moins invincible la masse de ceux qui veulent les acquérir. Cependant, ce phénomène de masse à soi seul, modifie considérablement les données des problèmes (Antoine, Passeron,Réforme Univ., 1966, p.119).
SYNT. a) Phénomène banal, coutumier, curieux, important, insolite, paradoxal, remarquable, significatif, unique; phénomène d'actualité. b) Assister à (la naissance d')un phénomène; concentrer son attention sur, contempler, rencontrer, être l'acteur, le témoin d'un phénomène; prédire, redouter un phénomène; un phénomène s'ébauche, se passe, persiste, s'évanouit.
B. −
1. Fait naturel qui frappe la vue ou l'imagination. La cataracte de Niagara, phénomène le plus étonnant de la nature terrestre (Crèvecoeur,Voyage, t.1, 1801, p.231).Armé du triangle et des autres puissants outils sans corps, il [un captif de la Caverne dans le mythe de Platon] annonce les phénomènes, conjonctions, éclipses (Alain,Propos, 1928, p.767):
13. ... les gardes placés à l'entour aperçurent une flamme bleue voltigeant au-dessus de la table sur laquelle le cadavre était étendu (...). Ce phénomène, qui se produit assez souvent sur les cadavres en putréfaction, inspira au peuple une terreur superstitieuse. Mérimée,Faux Démétrius, 1853, p.285.
2. Être impressionnant par sa forme, ses dimensions ou ayant une apparence anormale, voire monstrueuse. La série des mastodontes à cornes, boeufs-rhinocéros, hippopotames crochus, sangliers-dirigeables (...). Ces phénomènes se permettaient des cornes sur le front, sous le nez, entre les oreilles, dans les yeux ou sur les joues, comme nous avons des poils, des verrues ou des taches de rousseur (Fargue,Piéton Paris, 1939, p.127).
En appos. [Séparé ou non par un tiret] Tout autour [du ring], nus (...) sont assis les lutteurs [japonais] attendant leur tour, des hommes gras et glabres (...) des colosses de 340 livres (...) une humanité phénomène, amoureuse de la grosseur (E. de Goncourt,Mais. artiste, t.1, 1881, p.199).Une armoire vitrée, l'armoire aux curiosités, où l'on voit une dent d'ours des cavernes, un petit bouddha en pierre de lard, au milieu de vieux fruits-phénomènes par leurs difformités (Goncourt,Journal, 1885, p.491).
En partic. Être humain difforme de naissance ou enfant que l'on mutilait volontairement pour l'exhiber ensuite dans une baraque foraine ou dans un cirque. Phénomène de foire; phénomène vivant; montreur de phénomènes; baraque, galerie de phénomènes. Cette vivisection d'autrefois ne se bornait pas à confectionner pour la place publique des phénomènes, pour les palais des bouffons (...) et pour les sultans et papes des eunuques. Elle abondait en variantes (Hugo,Homme qui rit, t.1, 1869, p.26):
14. Freaks, film assez terrifiant. Il est joué par les phénomènes [it. ds le texte] de Barnum. Certains personnages ressemblent à des enfants qu'on verrait dans des miroirs déformants. Un tronc humain roule sur le sol comme un gros ver; au bout de ce tronc, une tête de cinquante ans, qui parle et fume. Green,Journal, 1932, p.110.
En appos. Hélas! ne rions pas; car l'enfant phénomène Est au dernier degré de la misère humaine (Coppée,Poés., t.3, 1887, p.36).
C. −
1. Fait ou événement rare, exceptionnel, sans précédent. Ses mains crochues par suite de la contraction que l'habitude de tricoter leur avait fait prendre étaient comme un métier à bas incessamment monté: le phénomène eût été de les voir arrêtées (Balzac,Béatrix, 1839, p.29).De mon temps, une automobile dans un village, c'était un phénomène (Arland,Ordre, 1929, p.518):
15. Je m'étais, je l'avoue, imaginé qu'en somme L'écroulement des rois c'est le sacre de l'homme, Que nous avions vaincu la matière et la mort, Et que le résultat de cet illustre effort [la Révolution], Le Triomphe, l'orgueil, l'honneur, le phénomène, C'était d'avoir grandi jusqu'aux cieux l'âme humaine Hugo,Légende, t.5, 1877, p.1031.
2.
a) Personne qui fait preuve de qualités exceptionnelles dans ses actes, dans son comportement, qui est connue pour accomplir de grandes performances. Phénomène vocal. Ce Sabatani, toutes les femmes en parlaient comme d'un tel phénomène, on chuchotait sur cette chose si énorme, qu'elle n'avait pu résister à l'envie de voir (Zola,Argent, 1891, p.283).MmeYvonne de Bray est un phénomène des planches. Cette comédienne, grande entre les grandes (...) ne se repose que sur son génie et ne fixe aucune de ses trouvailles (Cocteau,Foyer artistes, 1947, p.159):
16. Là, commençait à éclore la renommée, d'abord voilée, bientôt populaire, d'un des phénomènes les plus étranges de la littérature française, Béranger, un tribun chantant. Lamart.,Nouv. Confid., 1851, p.313.
[Suivi d'un compl. prép. de indiquant une qualité ou un défaut dans laquelle ou dans lequel une pers. s'illustre particulièrement] Phénomène de désintéressement, d'ingratitude, d'orgueil. Si elle n'est pas le monstre d'astuce et de perversité le plus complet que j'aie jamais vu, elle est certes le phénomène d'innocence le plus merveilleux qu'on puisse trouver (Maupass.,Contes et nouv., t.2, Yvette, 1884, p.484).V. ingratitude A 1 a β ex. de Chateaubriand.
[Dans des loc. figées, sert à exprimer une impression d'excès, de paroxysme, à propos d'une pers. ou de ses actes] Je me demande si personne a jamais travaillé et vécu comme moi. Je trouve que je tourne au phénomène (Flaub.,Corresp., 1878, p.168).Avare d'une avarice tenant du phénomène (Maupass.,Contes et nouv., t.1, Diable, 1886, p.235).
b) P. ext., qqf. péj.
Individu bizarre, qui ne fait rien comme tout le monde. Synon. excentrique, original.La revanche de Bella sur les hommes s'était poursuivie [pendant ces dix ans]. (...) Un phénomène avait voulu l'épouser, très riche. Il la croyait sans amant. Ce qu'elle s'était vengée de lui! (Giraudoux,Bella, 1926, p.238).Il va nous couvrir de ridicule dans ce pays où l'on nous connaît à peine et où les gens nous regardent un peu comme des phénomènes (Duhamel,Nuit St-Jean, 1935, p.183):
17. Tout ce qui était science et esprit scientifique était étranger à la famille, surtout du côté maternel. Ces hommes de loi, beaux esprits et humanistes, étaient perdus devant un problème. On citait, comme un phénomène, un membre de la famille, −un cousin éloigné, −qui était entré au bureau des longitudes. Encore disait-on qu'il en était devenu fou. Rolland,J.-Chr., Antoinette, 1908, p.843.
Pop. ou fam. [Dans un propos rapporté au style dir., le plus souvent dans des loc. figées ou dans des tournures exclam.] (Un) sacré phénomène, espèce de phénomène! Quel phénomène! Synon. numéro; citoyen, type; olibrius, zigoto; pistolet.À cinq heures, à la sortie d'la caserne, mes deux phénomènes se raboulent (Barbusse,Feu, 1916, p.263).Vous m'avez l'air encore d'un drôle de phénomène, vous (Queneau,Pierrot, 1942, p.194).V. brusque ex. 6:
18. Je le conduisis au Stryx qu'il trouva «funambulesque à ravir» et je lui racontai mes équipées. «Vous êtes un phénomène!» me dit-il en riant. Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.337.
Prononc. et Orth.: [fenɔmεn]. Ac. 1694, 1718: phenomene; dep. 1740: phénomène. Étymol. et Hist. I. 1557 astron. «tout ce qui apparaît de nouveau dans l'air, dans le ciel» (Ph. de Mesmes, Inst. astron., p.64 ds Gdf. Compl.: les phenomenes ou apparitions celestes). II. 1. a) 1638 [éd.] «chacun des faits constatés qui constituent la matière des sciences» (Descartes, Lettre du 13 juill. ds OEuvres et Lettres, éd. A. Bridoux, p.1014); b) α) 1737 «tout fait extérieur qui se manifeste à la conscience par l'intermédiaire des sens» (Argenson, Journal et Mém., éd. E. J. B. Rathery, t.1, p.228: nous assistons à un véritable phénomène en politique); β) 1801 philos. (Ch. de Villers, Philos. de Kant, p.354 ds Quem. DDL t.22); 2. a) 1719 [éd.] «fait qui frappe par sa nouveauté, son caractère extraordinaire» (A. H. de La Motte, Fables nouvelles, livre V, Fable XIX, p.358); b) α) 1722 phénomène de la nature (en parlant d'une personne) (Marivaux, Le Spectateur fr., éd. 1727, p.40); β) 1738 «personne qui surprend par ses actions, vertus, talents`` (Argens, Lettres juives, t.4, p.187); γ) 1881 «original, individu excentrique» (Rigaud, Dict. arg. mod., p.288). Empr. au gr. φ α ι ν ο ́ μ ε ν α «phénomènes célestes», titre d'un poème d'Aratos sur le cours et l'infl. des astres (iiies. av. J.-C., d'où Phénomènes d'Arate, en 1554, Ronsard, Bocage ds OEuvres, éd. P. Laumonier, t.6, p.105, 3), de φ α ι ν ο ́ μ ε ν ο ν «ce qui apparaît», lui-même dér. de φ α ι ́ ν ω , signifiant «apparaître» en astron. Le b. lat. a également empr. phaenomena, plur. «phénomènes célestes» au gr. Comme terme de philos., phénomène est empr. à l'all. Phänomen, créé par le philosophe all. E. Kant [1724-1804]. Fréq. abs. littér.: 6258. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7445, b) 13217; xxes.: a) 7866, b) 8449. Bbg. Quem. DDL t.22.