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* Dans l'article "IDÉOLOGIE,, subst. fém."
IDÉOLOGIE, subst. fém.
A. − PHILOS. [Fin xviiies.; mot créé par Destutt de Tracy pour remplacer psychologie] Science des idées (au sens général des faits de conscience), de leur nature, de leur rapport avec les signes qui les représentent, et surtout de leur origine (qu'elles tirent de la seule expérience sensible, continuation du sensualisme de Condillac). Condillac, que l'on peut regarder comme le fondateur de l'idéologie (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 10).La science qui nous occupe (...) cette science si détestée des charlatans de toutes les espèces, est la chose du monde la plus enfantine (...). Nous la nommerons idéologie (...) discours sur les idées (Stendhal, Corresp., t. 1, 1805, p. 138).De 1792 à 1800 j'ai rarement entendu citer Locke en Angleterre : son système, disait-on, était vieilli, et il passait pour faible en idéologie (Chateaubr., Litt. angl., t. 2, 1836, p. 240) :
1. Lorsqu'on a essayé de nos jours d'introduire le mot nouveau idéologie [it. ds le texte] à la place du terme de métaphysique qu'on proscrivait, on a pu annoncer qu'on ne voulait plus s'occuper de ces hautes spéculations de la métaphysique proprement dite, telle que Descartes l'a créée, que Malebranche et Arnaud l'ont cultivée d'une manière si éminente. Il était utile même d'avoir un terme quelconque qui fixât la ligne de démarcation. Mais quand on a prétendu remplacer entièrement la métaphysique par l'idéologie, on a cru pouvoir soumettre au point de vue physique ou logique ces conceptions ou notions premières et nécessaires que la métaphysique a essentiellement pour objet; on a tout confondu, on est tombé dans des erreurs graves. Maine de Biran, Journal,1817, p. 42, 43.
[Avec valeur dépréc.] Il [Napoléon] n'aimait pas l'idéologie, c'est-à-dire les abstractions en l'air (Barrès, Déracinés,1897, p. 262).
En partic. Mouvement intellectuel des idéologues. Le chef de l'idéologie fut Antoine Destutt de Tracy (...) qui écrivit des éléments d'idéologie, une grammaire et une logique (Encyclop. univ.t. 81970, s.v. idéologues).
B. −
1. Ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe et qui oriente l'action. Idéologie chrétienne, conservatrice, révolutionnaire, réactionnaire, gaulliste, libérale, nationaliste. Sur le plan politique, c'est le développement des idéologies marxistes, socialistes, syndicalistes, qui s'affirment, par des partis et des institutions, dans tous les pays, dans toutes les classes, dans toutes les races (Univers écon. et soc.,1960, p. 64-2).Les idéologies et les utopies ouvrières reconstruisent l'économie (Reynaud, Syndic. Fr.,1963, p. 207).Les Américains se trompent, n'est-ce pas? Ils croient combattre le communisme avec du ravitaillement, de l'argent, des techniciens... Le communisme est une idéologie, et il ne peut être vaincu que par une autre idéologie − plus bête si possible (P. Gaxotte ds Th. Maulnier, Le sens des mots,1976, p. 112) :
2. Cet idéalisme de nombreux mathématiciens contemporains pour qui la science semble n'être plus qu'une sorte de jeu, Colman en voit la cause, en dernière analyse, dans le recul général de l'idéologie bourgeoise, qui, de progressive au début du siècle dernier, est devenue peu à peu réactionnaire par crainte du prolétariat et ironise maintenant sur la science et sur le progrès... Gds cour. pensée math.,1948, p. 384.
2. [Très fréq. avec valeur dépréc.]
a) [Dans la philos. marxiste, p. oppos. aux faits écon., à la science et à l'infrastructure, seule déterminante] :
3. Historiquement, [le terme] est entré dans la réflexion sociale avec le marxisme qui lui a donné tout de suite un sens péjoratif, l'idéologie est le contraire de la science. Elle se présente d'abord comme une vision du monde, c'est-à-dire une construction intellectuelle qui explique et justifie un ordre social existant, à partir de raisons naturelles ou religieuses... Mais cette vision n'est en réalité qu'un voile destiné à cacher la poursuite d'intérêts matériels égoïstes en renforçant et étendant la domination d'une classe de privilégiés. L'idéologie est donc une superstructure de la société dont elle émane et qu'elle soutient... Golfin1972.
b) [La valeur dépréciative vient du sentiment que le ressort de l'idéologie est ,,dans le besoin de justifier des entreprises destinées à satisfaire des aspirations intéressées et qui est surtout exploité pour la propagande`` (Foulq.-St-Jean 1962)] . Les metteurs en scène russes témoignent d'une extrême ingéniosité pour extraire une idéologie révolutionnaire des pièces les plus anodines dans leur version originale (Arts et litt.,1936, p. 30-12) :
4. En ce xxesiècle, où le sens de l'histoire ne s'exprime plus que dans les comportements les plus profanes de l'homme, sans parler des idéologies qui l'extrapolent dans des systèmes totalitaires, il n'apparaît pas, à première vue, que la promesse divine joue un grand rôle, par ses fidèles, dans l'espérance du monde, non plus que dans les idéologies du progrès. Univers écon. et soc.,1960, p. 64-10.
5. L'idéologie aspire par nature à devenir propagande − c'est-à-dire transmission automatique de formules magnétisées par une passion d'essence au fond haineuse, et qui ne prend corps qu'à la condition de s'exercer contre une certaine catégorie d'humains : les juifs, les chrétiens, les franc-maçons, les bourgeois, etc. G. Marcel, Les Hommes contre l'humain, 167 d'apr. Foulq.-St-Jean1962.
L'idéologie officielle. Pareil constat n'épuise pas la question de savoir si l'utilisation, partiellement consciente, de la diversification de l'enseignement supérieur aux fins de réconcilier l'idéologie proclamée du « droit de tous d'accéder à tout » avec la sélection nécessaire au maintien des normes professionnelles, est souhaitable ou si l'on peut lui reprocher de coûter cher pour sauvegarder l'idéologie officielle par une ruse institutionnelle, au détriment d'un effort pédagogique véritable (Antoine, Passeron, Réforme Univ.,1966, p. 185).
c) [P. oppos. à la philos. dont l'idéologie apparaît comme une vulgarisation] Les idées sont encombrées d'idéologies, abstractions immobilisées et simplifiées pour une vaste consommation, qui modèlent les esprits et y résistent à la création spirituelle (E. Mounier, Manifeste du personn., 11 d'apr. Foulq.-St-Jean1962) :
6. L'idéologie est à la philosophie dans un rapport comparable à celui de la vulgarisation à la science. Souvent celle-ci, vue à travers celle-là, est méconnaissable : mais la vulgarisation n'en doit pas moins le jour à la science. J. Monnerot, Les Faits sociaux ne sont pas des ch., 206, ibid.
d) [P. oppos. au sens des réalités] Théorie vague et nébuleuse, portant sur des idées creuses et abstraites, sans rapport avec les faits réels. Synon. utopie, rêve, idéalisme naïf.Idéologie puérile, creuse; vague idéologie. Qu'est-ce que tu veux qu'ils foutent, tous ces précurseurs qui attendent l'heure de l'action? Ils parlent! Ils s'enivrent d'idéologie! Leur activité n'a pas d'autre champ libre que celui des idées. Nous n'avons pas encore de prise sur les choses (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 69) :
7. Idée vaine aussi ce déterminisme qui tente curieusement de faire la synthèse de l'existence et de l'être. Nous sommes aussi libres que vous voudrez, mais impuissants... Pour le reste, la volonté de puissance, l'action, la vie ne sont que de vaines idéologies. Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 341.
C. − P. ext., rare. Système d'idées, philosophie du monde et de la vie. Dans Tartuffe, il [Molière] ne bafoue pas la religion, ni exactement le faux dévot; il dessine et peint celui qui abrite derrière une idéologie ses appétits (Barrès, Cahiers, t. 13, 1920, p. 37).L'idéologie est un système global d'interprétation du monde historico-politique (Encyclop. univ.t. 81970, s.v. idéologie).
En partic., néol. Idéologie de qqc. Théorie sur quelque chose que l'on veut mettre en valeur. Car le Marché commun représente pour le Français moyen, niveau de vie, autos, frigos, idéologie de consommation (Le Nouvel Observateur,14 déc. 1966, p. 49, col. 1).Sans doute joue-t-on aussi aux États-Unis des pièces politiques qui ne dépassent pas le niveau du patronage, mais l'idéologie de « protestation », florissante dans la chanson, a donné naissance là-bas à quelques œuvres dramatiques tout à fait remarquables (Les Lettres françaises,20 déc. 1967, p. 18, col. 3).
REM.
Idéologisme, subst. masc.,synon. de idéologie (au sens I A).Il faut tenir pour un geste de pure passion intellectuelle ce coup de pied impérial [de Napoléon] par lequel prit fin une discussion où s'obstinaient l'idéologisme religieux du philosophe [Volney] et son défaut de scepticisme (Gaultier, Bovarysme,1902, p. 300).
Prononc. et Orth. : [ideɔlɔ ʒi]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1. 1796 « science qui a pour objet l'étude des idées » (Destutt de Tr., Mém. sur la faculté de penser ds Mém. de l'Inst. Nat. des Sc. et Arts, Sc. mor. et pol., t. 1, p. 325); 2. ca 1800 péj. « ensemble d'idées sans rapport avec la réalité » (Brunot t. 9, p. 847); 3. 1842 « doctrine qui inspire ou paraît inspirer un gouvernement ou un parti » (Reybaud, J. Paturot, p. 340). De idéo-* et de -logie*. Fréq. abs. littér. : 344. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 363, b) 31; xxes. : a) 346, b) 927. Bbg. Maulnier (T.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp. 111-112.