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HAPPER, verbe
I. − Emploi trans.
A. − [Le suj. désigne un animal] Attraper brusquement quelque chose d'un coup de mâchoires, de bec. Les chevaines, bondissant pour happer les insectes du soir, faisaient à la surface de grands cercles (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 232).À Fiume, une femme élégante, ayant dépassé la limite des cordages, était happée par un avide requin (L. Daudet, Médée,1935, p. 103) :
1. Près de la table, sur sa queue en panache, était assis Mélac, un petit chien-loup (...). Tantôt l'un, tantôt l'autre, lui jetait une bouchée de pain ou une queue de poisson, qu'il happait au vol. Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 156.
P. anal. [Le suj. désigne une pers.] .
Saisir quelque chose (avec la bouche, les lèvres). Elle s'était glissée là, mangeant sans même se servir des mains, happant des lèvres les cerises que l'arbre tendait jusqu'à sa bouche (Zola, Faute Abbé Mouret,1875, p. 1364).Tombouctou (...) mangeant du raisin, ou plutôt happant du raisin comme un chien qui mange sa soupe, à pleine bouche, à la plante même, en arrachant la grappe d'un coup de dent (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Tombouctou, 1883, p. 222).
Happer l'air. Respirer par la bouche à grands coups. Il faisait chaud comme devant un four. On happait, la bouche ouverte, de grands morceaux d'air brûlant qui voulaient pas passer (Giono, Baumugnes,1929, p. 108).Lorsqu'ils [les lutteurs] font le pont, on voit une bouche à l'envers happer l'air, tandis que le visage devient violet (Morand, Londres,1933, p. 149).
B. − P. ext.
1. [Le suj. désigne une pers.] Saisir brusquement, par un mouvement rapide. Happer qqn à la jambe, au collet. Elles [les anguilles] allongent leur tête et puis leur cou hors de leurs trous. D'un coup, comme avec une pince, on les happe des doigts (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 69).Elle tendit le bras vers Jacques, lui happa le poignet, l'attira violemment (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 653) :
2. ... le brigadier, moins prompt fut happé par la main du cafetier et projeté contre le mur au pied duquel il tomba étourdi. Aymé, Uranus,1948, p. 266.
Au fig. Arrêter et retenir quelqu'un. À mon débotté, je me vois happé par le citoyen Pollet, et il ne me lâche que lorsque j'ai signé un traité par lequel il faut que je lui fournisse deux romans d'ici au 1erd'octobre (Balzac, Corresp.,1822, p. 199).Toute personne sortant de chez Rodays était aussitôt happée par Périvier, qui commençait un débinage en règle de son associé (L. Daudet, Entre-deux guerres,1915, p. 167).
2. [Le suj. désigne une chose] Attraper, entraîner soudainement, brusquement. Ils se lancèrent dans les rouleaux. La barque fut happée, traînée obliquement au flot, la coque enfouie dans le tourbillon (Queffélec, Recteur,1944, p. 131).Un camion allemand qui roulait vite, l'a happée [une femme] à un carrefour et broyée (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 257) :
3. La porte d'un hôtel s'ouvrait là, créant un grand remous. Des gens giclaient sur le trottoir par la vaste porte à tambour, je fus happé dans le sens inverse en plein grand vestibule à l'intérieur. Céline, Voyage,1932, p. 246.
C. − Au fig.
1. S'emparer avidement de quelque chose. Le moine demeuré moine pour exprimer le jus de citron appelé le bien-vivre, et devenu séculier pour happer la monnaie publique (Balzac, Paysans,1844, p. 244).Je pars et vais m'occuper de happer les douze millions, continua le baronnet (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 422).Il pillait, autour de ses marais, les fermes et les villages, emmenant bœufs, vaches, foin, paille, tout ce qu'il pouvait happer (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 299).
2. Saisir quelque chose rapidement, au passage. L'étudiant sans argent happe un brin de plaisir comme un chien qui dérobe un os à travers mille périls (Balzac, Goriot,1835, p. 112).MmeMazerelles (...) risque, d'un ton pleurard, trois sujets de conversation qui avortent, puis un quatrième que Bernard happe au vol et réussit à rendre viable (Martin du G., Devenir,1909, p. 20).Pour la troisième fois, il entendit son rire. Si bref, si étouffé qu'il fût, son attention sur ses gardes l'avait saisi d'emblée, happé au passage (Bernanos, Imposture,1927, p. 360).Brusquement, dans une vitrine, à l'encoignure, près de la fenêtre, j'ai aperçu, que dis-je? j'ai happé de l'œil un ivoire dissimulé (Arnoux, Paris,1939, p. 21) :
4. Elle happait au passage tout ce qui, dans la physionomie des gens, leur démarche, ou leur façon de parler, prêtait à la raillerie. Ses victimes ne pouvaient s'y tromper, au coup d'œil malicieux qui cueillait leurs ridicules. Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 473.
3. Attirer, subjuguer. Une mélopée si triste, si déserte, si uniforme qu'on ne pouvait y résister, qu'elle vous happait avec la force du vide et du vertige (Arnoux, Juif Errant,1931, p. 50).Entrer dans les salles de jeu lui était intolérable, et il se tenait dehors, assis sur un banc, le regard happé par l'incessant mouvement de la grande porte à quatre panneaux vitrés (Lacretelle, Hts ponts, t. 4, 1935, p. 27) :
5. Aujourd'hui sitôt qu'un Français approche des territoires d'Alsace et de Lorraine et de leurs peuples enflammés de joie, il est saisi, happé par ce délire formidable, par ce maelstrom moral. Barrès, Cahiers, t. 12, 1919, p. 42.
II. − Emploi intrans. Happer à la langue. Adhérer, s'attacher à la langue. Bol d'Arménie. Espèce d'argile très-fine, de couleur jaune-rougeâtre, grasse au toucher, qui happe à la langue (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog., t. 1, 1821, p. 124).Ô guérisseur sans électuaires, ô dédaigneux de tout ce qui − poudres, gouttes, gommes, grumeaux, flocons, ou gemmes ou cristaux, − happe à la langue, perce les voûtes olfactives (Valéry, Eupalinos,1923, p. 34).
Rem. On trouve un emploi trans. avec le sens voisin de « exercer un effet astringent » (cf. Chesn. 1857). Petit piqueton de Mareuil, Plus clairet qu'un vin d'Argenteuil (...) Ton goût suret, mais doux aussi, Happant mon palais épaissi Me rafraîchit quand je m'éveille (Nerval, Chât. Bohême, 1853, p. 22).
REM. 1.
Happ, onomatopée évoquant le bruit de mâchoires qui se referment.Il a fermé ses dents sur ma main, happ! une sacrée gueulée (Bernanos, Mouchette,1937, p. 1286).
2.
Happée, subst. fém.Geste de happer. Les grosses dents [de la truie] sont là maintenant, contre la jambe de Gustave, prêtes à mordre, prêtes à déchirer cette main pendante, un petit morceau aux os vieux et qui s'arracherait d'une happée (Giono, Gd troupeau,1931, p. 151).P. métaph. Cet emprisonnement dans cette cage de verre [d'un ascenseur] auprès d'Antoine, cette happée silencieuse : le retour de Marseille après la fugue avec Daniel! (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1269).
3.
Happant, ante, part. prés. et adj.Qui happe. Ma chère friponne les attaquait [les mets] pour l'ordinaire à belles dents happantes de louveteau affamé (Milosz, Amour. initiation,1910, p. 78).Le colibri se sert de sa langue protractile pour butiner, humer les calices les plus profonds, une langue à déclic, claquante, happante, à succion (Cendrars, Lotiss. ciel,1949, p. 187).
4.
Happeur, subst. masc.Celui qui s'empare avidement de quelque chose. Et son audacieux mariage avec Joséphine, la femme entretenue dont lui (...) devint fou, et qui sut lui tenir la dragée assez haute, à ce déjà terrible happeur de toute chose (Verlaine, Œuvres compl., t. 4, Mém. veuf, 1886, p. 253).Les éternels happeurs de popularité, les faux grands écrivains, les faux penseurs à l'affût, exploitaient ce magnifique désir impérieux et angoissé (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1530).
5.
Happe-, élém. de compos. tiré de happer :a)
Happe-chair, subst. masc.,vx. Agent qui arrête les voleurs. Ils [les paysans] ne savaient rien, ils n'avaient rien vu, ils ne croyaient pas... d'abord ils n'aimaient guère les gendarmes, les happe-chair, qui poursuivaient les conscrits réfractaires (Pourrat, Gaspard,1922, p. 43).Au fig. Personne avide. Je ne veux pas vous ruiner, je ne suis pas un happe-chair après tout (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 951).
b)
Happe-lopin, subst. masc.,vx. α) Chasse. Chien âpre à la curée (cf. Littré et Lar. 19e-20e, s.v. happe-lapin). β) Gourmand, fripon qui guette les morceaux pour les avaler (Littré et Lar. 19e-20e, s.v. happe-lapin). γ) Au fig. Personne avide. Mais ils [les gens du gouvernement] peuvent empêcher les bénédictins d'être vos locataires. − Tout est possible, avec des happe-lopins de cette espèce (Huysmans, Oblat, t. 2, 1903, p. 113).
Prononc. et Orth. : [ape] init. asp., (il) happe [ap]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1193-97 « s'emparer vivement de quelque chose » (Helinant de Froidmont, Les Vers de la mort, éd. Fr. Wulff et E. Walberg, XXXI, 12); en partic. ca 1200 en parlant d'un animal (Godefroy de Bouillon, 255 ds T.-L.); ca 1245 fig. (P. Mousket, Chron., 2372, ibid.); 2. 1275-80 « (en parlant d'un piège, d'une machine, etc.) saisir brusquement » (G. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 21482); 3. 1785 happer à la langue (Buff., Min., t. 3, p. 141 ds Littré). Dér. d'un rad. onomatopéique happ- marquant un mouvement de saisie brutale et rapide que l'on retrouve dans les lang. germ. voisines : néerl. happen « saisir », b. all. happen « chercher à saisir, gober », flam. happen « parler aigrement », dan. hap. « bouchée », formes attestées plus tardivement que le fr., ce qui exclut une orig. germ. pour ce dernier. Fréq. abs. littér. : 249. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 98, b) 284; xxes. : a) 387, b) 586. Bbg. Quem. DDL t. 7 (s.v. happe-chair). - Sain. Arg. 1972 [1907], p. 124.