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EMPOISONNER, verbe trans.
A.− Domaine concr.
1. [Le suj. désigne l'agent de l'action]
a) [Le compl. d'obj. désigne un être animé]
[Sans intention de tuer] Intoxiquer en faisant absorber du poison. Synon. intoxiquer.On parvient, dit-on, à immuniser les gens contre les poisons en les empoisonnant un peu tous les jours (Guéhenno, Journal homme 40 ans,1934, p. 83):
1. Il abusa du droit qu'on a d'empoisonner les gens, en incorporant dans ses bières des doses démesurées d'acide carbonique, qui les rendaient souverainement agréables et nuisibles. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 309.
Emploi pronom. réfl. Les feuilles du livre, imprégnées d'une mixture d'arsenic, tenaient l'une à l'autre (...) le tyran mouillait son doigt (...). Il porta à plusieurs reprises son doigt à sa bouche, et s'empoisonna (Dumas père, Reine Margot,1847, III, tabl. 8, 1, p. 107).Elle s'empoisonnera jamais cette infecte charogne!... Elle bouffera pas des champignons! (Céline, Mort à crédit,1936, p. 85).
P. hyperb. Je suis venu à votre nouvelle gargote parce qu'on m'empoisonnait à l'ancienne avec des nourritures abominables (Maupass., Mt-Oriol,1887, p. 157).
[Avec intention de tuer] Tuer ou mettre en péril de mort en faisant absorber du poison. Empoisonner son chien. Le despote étranglant ses frères, les frères empoisonnant ou égorgeant le despote (Hugo, Rhin,1842, p. 440):
2. On nous fait rire en nous montrant (...) deux charmantes vieilles dames qui s'amusent à empoisonner leurs invités avec de l'arsenic, et plus il y a de victimes, plus on rit. Green, Journal,1942, p. 203.
Emploi pronom. réfl. S'administrer soi-même du poison (pour se donner la mort). Hier, la lettre de ce garçon que je connais, qui avait essayé de s'empoisonner (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 466).L'ancien pasteur Jackson qui, arrêté, s'empoisonna (Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 339).
b) [Le compl. d'obj. désigne une chose] Infecter de poison. Empoisonner une arme, une flèche; dard, gaz empoisonné; sagaie empoisonnée avec du curare. Des hommes masqués empoisonnaient les sources et jetaient dans l'air des poudres qui donnaient des maladies (France, Dieux ont soif,1912, p. 50).On parlait d'espions qui enfonçaient des aiguilles dans les fesses des femmes et d'autres qui distribuaient aux enfants des bonbons empoisonnés (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 31):
3. De plus, ceux-ci [les paysans] ne sulfataient qu'avec répugnance (...). Enfin quelques cas d'intoxication s'étant produits, provoqués par des fruits et des feuilles mangés ou broutés encore frais de la pulvérisation, ils estimaient le remède pire que le mal. Ils désespéraient d'un fruit que l'on ne pouvait sauver qu'en l'empoisonnant. Pesquidoux, Le Livre de raison,1925, p. 96.
2. [Le suj. désigne la cause]
a) [En parlant d'un poison, d'une substance toxique]
[Le compl. d'obj. désigne un animé ou un organisme vivant] Causer une intoxication (qui peut être mortelle). Le mouron empoisonne les lapins; le tabac empoisonne l'organisme. Synon. intoxiquer, tuer.Fumer des cigarettes qui m'empoisonnent et achèvent de m'abrutir (Gide, Journal,1928, p. 889).L'apéritif, qui empoisonne le foie, le sang et le système nerveux (L. Daudet, Brév. journ.,1936, p. 238):
4. Ce type qui a tué Hoederer est mort. Il s'appelait Raskolnikoff; il a été empoisonné par des chocolats aux liqueurs. Sartre, Les Mains sales,1948, 7etabl., p. 253.
[Le compl. d'obj. désigne une chose] Le mazout empoisonne la mer. Synon. infecter, souiller.Casse-têtes garnis de clous, javelots empoisonnant les blessures (Flaub., Trois contes,Hérodias, 1877, p. 165).Ce centre de Londres est aujourd'hui devenu laid, empoisonné par les vapeurs d'essence et les marchands d'automobiles d'occasion (Morand, Londres,1933, p. 171).
b) P. ext.
Imprégner (un lieu) de mauvaises odeurs. Les relents empoisonnent l'atmosphère; le bouc empoisonne l'écurie. Synon. empester, empuantir; anton. embaumer.La meneuse fit entrer son monde dans le réfectoire, alors vide, empoisonné par une horrible odeur de graillon (Zola, Fécondité,1899, p. 527):
5. Que de fois ai-je dû frotter, cirer, polir les carreaux rouges avant que se dissipât cette odeur de moisissure et d'eau morte qui sort ici des murs mêmes, empoisonne jusqu'à l'air du jardin! ... Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1362.
Exhaler de mauvaises odeurs. La boucherie empoisonne de relents; l'ivrogne empoisonne l'alcool. Synon. empester, puer.Ce n'était pas un diable empoisonnant le soufre et d'aspect effroyable, un diable rococo (Gauthier, Albertus,1833, p. 181).
Emploi abs., fam. Puer. J'ai besoin de prendre l'air, ça empoisonne ici (Sue, Myst. Paris,t. 4, 1842-43, p. 31).Il s'impatienta après la mèche qui charbonnait encore et murmura : − Cette lampe empoisonne (France, Hist. comique,1903, p. 113):
6. Alors Léon publia qu'il ne pouvait plus travailler à côté de Levier, tant l'homme empoisonnait de la bouche; ... Montherlant, Les Célibataires,1934, p. 756.
B.− Au fig.
1. Altérer
a) [Avec une idée de falsification qui a pour conséquence de rendre impossible] Tu dramatises tout, criait Mahiéddine. Tu as tort. Tu t'empoisonnes l'existence (Cocteau, Gd écart,1923, p. 63).
b) [Avec une idée de dégradation qui a pour résultat de rendre méconnaissable] La propagande empoisonne l'information. Synon. altérer, gâter.Le moindre manque d'attention ou de courage sera puni par une défaite empoisonnant pour longtemps les rêveries de l'imagination (Stendhal, Amour,1822, p. 58).Les rivalités sociales qui empoisonnent, sans grand profit pour personne, l'existence en commun (Jeux et sp.,1968, p. 1178):
7. J'attends que tu m'appelles, moi, Dora, que tu m'appelles par-dessus ce monde empoisonné d'injustice... Camus, Les Justes,1950, III, p. 353.
Emploi pronom. à sens passif. Synon. s'altérer.Le bonheur de le revoir s'empoisonne à présent de tristesses, d'inquiétudes surtout (Loti, Ramuntcho,1897, p. 221).
c) [Avec une idée d'avilissement] Corrompre. En Orient, nos querelles de partis deviennent des querelles de religion et l'argent empoisonne tout (Cocteau, Maalesh,1949, p. 139):
8. En ce temps-là, grâce au ciel, les romans et films policiers n'empoisonnaient pas les loisirs des adolescents... Duhamel, Le Jardin des bêtes sauvages,1934, p. 114.
d) [Avec une idée de nocivité résultant de l'altération] Regard, parole, propos empoisonné(e). Les voilà dans la rue les uns et les autres, et se perçant les uns les autres de vérités empoisonnées (Alain, Propos,1934, p. 1230).
2. Pop. Causer une impression désagréable.
a) [Avec une idée d'agacement] Ennuyer, embêter, tracasser. Empoisonner ses frères. Synon. emmerder (pop.).Je crois bien qu'elle le faisait exprès d'être là... rien que pour m'empoisonner... (Céline, Voyage,1932, p. 553).
b) [Avec une idée d'ennui causé par la monotonie] Emploi pronom. réfl. subjectif. S'ennuyer, s'embêter. Qu'est-ce qu'on s'empoisonne ici! Synon. s'emmerder (pop.); anton. s'amuser, rigoler (pop.) :
9. « Allez, allez! ferme-moi tes bouquins, ce n'est pas tous les jours qu'on est ensemble! on va sortir, je t'invite. Tu connais bien un endroit rigolo? (...) Ils allèrent donc aux Noctambules, où ils s'empoisonnèrent à cent sous l'heure. Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 204.
Rem. La docum. atteste l'adj. empoisonnable, rare. Qu'on peut empoisonner. Alors les animaux affaiblis et languissants deviennent plus facilement empoisonnables par des poisons qui altèrent les liquides et moins facilement empoisonnables par ceux qui agissent sur le système nerveux (C. Bernard, Principes méd. exp., 1878, p. 233).
Prononc. et Orth. : [ɑ ̃pwazɔne], (j')empoisonne [ɑ ̃pwazɔn]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1130 « faire mourir par le poison » (Lois de Guillaume le Conquérant, éd. J. E. Matzke, 36); 1175 (J. Le Nevelon, La Venjance Alixandre, éd. des Elliott Monographs, 30); 2. av. 1593 « rendre nuisible par le poison » (Amyot, Comment réfrener..., 22 ds Littré); 3. 1608 fig. « remplir de quelque chose comparable à du poison » (Régnier, éd. G. Raibaud, Satire V, 233, p. 57); 4. 1642 « corrompre moralement » (Corneille, Pompée, I, 3); 5. 1694 « empuantir » (Ac.). Dér. de poison*; préf. em- (en-*); dés. -er. Fréq. abs. littér. : 1 712. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 396, b) 2 183; xxes. : a) 2 784, b) 2 389. Bbg. Gall. 1955, p. 56, 155, 467 (s.v. empoisonné).Gir. 1834, p. 36. − Rog. 1965, p. 110.