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DISSIMULER, verbe trans.
A.− Dissimuler qqc. ou qqn.Cacher pour autrui, autant que faire se peut, par un moyen approprié.
1. [Le suj. désigne la pers. ou parfois l'animal qui cache; le moyen peut rester implicite ou être exprimé par un compl. circ.]
a) [L'obj. désigne un inanimé concr., une pers. ou un groupe de pers.] Dissimuler avec, dans, derrière, sous, par qqc.; dissimuler des clous, son visage; la cachette où j'ai dissimulé ma bourse; dissimuler une source lumineuse par une corniche; dissimuler l'orchestre. Bourais se coulait le long du mur, en dissimulant son profil avec son chapeau, atteignait la rivière (Flaub., Trois contes,Cœur simple, 1877, p. 53).Domenico me cacha dans le poste désert, me dissimulant dans sa couchette (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 29):
1. Au centre, le grand bureau ministre, dissimulé sous un drap, ressemblait à un catafalque d'enfant. Martin du Gard, Les Thibault,Épilogue, 1940, p. 787.
En partic. [L'obj. désigne une partie du corps] Certaines modes dissimul[ent] aux yeux des hommes le corps tout entier des femmes (cf. Maurois, Climats,1928, p. 38).Sa bosse dissimulée sous l'ampleur d'un raglan (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 170).
Péj. [En suggérant l'intention frauduleuse] Cacher, ne pas déclarer (un revenu, des ressources financières). Dissimuler une indemnité, un gain. Dissimuler son actif (Littré). Dissimuler une partie de ses biens, un legs, un profit (Ac. 1932).
P. anal. Coûts sociaux et humains (...) exclus ou dissimulés par des comptabilités incomplètes (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 611).
b) [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Ne pas laisser paraître, cacher délibérément ou masquer sous de fausses apparences (des sentiments, des pensées, des idées). Dissimuler son émotion, sa colère, sa joie. Nous avions hâte de dissimuler notre crise de timidité radiophonique (Colette, Fanal bleu,1949, p. 92).Je dis tout cela avec un orgueil que je ne cherche pas du tout à dissimuler et dont on peut très bien me faire grief (Green, Journal,1950, p. 346):
2. C'est [le Titien] celui qui dissimule le plus l'exécution ou qui a l'air d'y prendre le moins garde. Delacroix, Journal,1857, p. 4.
Dissimuler qqc. à qqn.Chacun dissimule quelque chose à quelqu'un, et chacun, quelque chose à soi-même. Il y a donc deux versants de « sincérité » (Valéry, Mauv. pensées,1942, p. 192).J'aurais pu vous dissimuler facilement l'indiscrétion que j'ai commise (Bernanos, Mauv. rêve,1948, p. 907).Elle avait cessé de me voir afin de me dissimuler son inconduite (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 331).
Emploi abs. Cacher (ses sentiments, etc.) de manière habituelle. Habile à dissimuler.
[En situation pour désigner un comportement partic.] Le public ne le saurait pas, et vous pourriez, en dissimulant, ne rien perdre dans l'opinion (Staël, Corinne,t. 2, 1807, p. 172).Fallait-il mentir encore? dissimuler encore? (Montherl., La Ville dont prince,1951, III, 7, p. 925):
3. Ce qui aggravait mon cas, c'est que je dissimulais; j'allais à la messe, je communiais. Beauvoir, Mém. j. fille,1958p. 140.
[Hors situation pour désigner un trait de caractère] Le chien gâté calcule et ment, le chat dissimule et simule (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 227).Les gosses (...) dissimulent aussi bien que les femmes, sinon mieux (Montherl., La Ville dont prince,1951I, 3, p. 865).
2. [Le suj. désigne ce qui sert à cacher; l'obj., comme le suj., peuvent être des noms concr. ou abstr.] L'humilité est une grande vertu, mais qui ne doit pas nous dissimuler le visage de la vérité (Aymé, Cléramb.,1950, III, 2, p. 141).De faux hasards qui dissimulaient mal l'ordre universel (Sartre, Mots,1964, p. 102):
4. ... l'inconnu (...) lançant de droite et de gauche des regards curieux que dissimulaient ses gros sourcils blonds, demanda d'un air naïf : − Quelle réponse apporter à M. Vinçart? Flaubert, Madame Bovary,t. 2, 1857, p. 136.
Dissimuler au(x) regard(s). Sur le rivage, la végétation était maigre, mais suffisante pour dissimuler au regard le corps d'un homme allongé (Aymé, Vouivre,1943, p. 181).
B.− Emploi pronom. (dir. et indir.)
1. Emploi pronom. dir. [Correspond à A 1 a et b]
a) Sens réfl. Se rendre invisible, se cacher. Les chasseurs se dissimulent derrière les buissons; il se dissimule dans un coin, derrière une porte. Elle le suivit de loin, se dissimulant le long des murs de l'escalier noir, se faisant petite, humble (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 219).On prétendait que la huppe pouvait se dissimuler complètement à la vue de tous êtres vivants (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 95):
5. ... elle ignore que je suis remonté par l'escalier de gauche, à pas de loup, et que je me suis dissimulé dans le placard aux ornements sacerdotaux... H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 258.
P. méton. Cacher son visage, ses sentiments. Ils se dissimulaient derrière d'énormes lunettes (Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1878, p. 49).
b) Sens passif. Être, rester caché. La joie se dissimule mal. Le grotesque antique est timide (...) Il se dissimule le plus qu'il peut (Hugo, Préf. de Cromwell,1827, p. 10).Derrière tant de fleurs, l'azur se dissimule (Valéry, Alb. vers anc.,1900, p. 75).Pince avec crochets se dissimulant dans la tige (Catal. instrum. chir. (Collin), 1935, p. 183):
6. ... le convoi, qui sortait de la ville, s'engageait maintenant dans une grande avenue dont les maisons de plus en plus espacées se dissimulaient derrière des arbres et annonçaient la campagne toute proche. Green, Chaque homme dans sa nuit,1960, p. 402.
c) Sens réciproque. Se dissimuler qqc. l'un à l'autre; ils se dissimulent leurs sentiments. Deux êtres qui se mentaient, qui se dissimulaient, l'un les soupçons qu'il avait conçus, l'autre les actes coupables qu'elle voulait taire (Béguin, Âme romant.,1939, p. 249).
2. Emploi pronom. indir. [Correspond à A 1 2 dissimuler qqc. à qqn] Se dissimuler qqc., se dissimuler que.Se cacher à soi-même la réalité, par peur de la vérité ou par incapacité de sortir de l'illusion. Il aurait aimé se dissimuler qu'en U.R.S.S. aussi il y avait quelque chose de pourri (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 372).
[Le plus souvent à la forme négative] Ne pas se dissimuler qqc., ne pas se dissimuler que.Reconnaître franchement (une chose, une vérité désagréable). Je ne me dissimule point la faiblesse des échos qu'ont rencontrés mes appels (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 227).Il est donc permis de rêver − sans se dissimuler tout ce qui sépare ce rêve de sa réalisation (Sarraute, Ère soupçon,1956, p. 117):
7. ... je (...) commençai la lecture de mon discours que je savais beau, sans me dissimuler toutefois qu'il n'était peut-être pas tout à fait dans le ton qui convenait aux circonstances. France, La Vie en fleur,1922, p. 423.
Rem. 1. Conformément au sens positif de la tournure, le mode après ne pas se dissimuler que est l'ind. (cf. ex. 7); le subj. n'est attesté que dans les gramm. 2. Il en est de même après dissimuler que, à peine attesté en dehors des ouvrages normatifs. Cf. Littré : ,,Il dissimula qu'il eût eu part à cette affaire, où l'on peut comprendre « et il voulut faire croire qu'il n'avait pas eu part à cette affaire »``.
Prononc. et Orth. : [disimyle], (je) dissimule [disimyl]. Pour [ss] double, cf. dissimulation. Le verbe est admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Fin xiiies. absol. « cacher, tenir secrètes ses intentions » (Trad. d'Ovide, Remède d'amour, 1072 ds T.-L.); 1350 trans. (Gilles Li Muisit, Poésies, I, 284, 369, ibid.); 1580 dissimulé « cachottier, fourbe » (Montaigne, Essais, II, 17, éd. A. Thibaudet, p. 733). Empr. au lat. class.dissimulare « cacher, dissimuler ». Fréq. abs. littér. : 1 925. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 202, b) 1 865; xxes. : a) 2 813, b) 3 616.
DÉR.
Dissimulable, adj.Susceptible d'être dissimulé, caché, rendu invisible. Idée, impression, projet dissimulable; facilement dissimulable. Il n'éprouvait que du mépris, dégoût à peine dissimulable... pour tous ces tâcherons minuscules, ces mille encombreurs de la science (Céline, Mort à crédit,1936, p. 399). 1reattest. 1536 (Farce nouvelle des Brus ds Recueil général des Sotties, éd. E. Picot, III, p. 92); du rad. de dissimuler, suff. -able*. Fréq. abs. littér. : 1.
BBG. − Lew. 1960, p. 18 (s.v. dissimulable).