Police de caractères:

Surligner les objets textuels
Colorer les objets :
 
 
 
 
 
 

Entrez une forme

options d'affichagecatégorie :
AMOUR, subst. masc. (except. fém.)
Attirance, affective ou physique, qu'en raison d'une certaine affinité, un être éprouve pour un autre être, auquel il est uni ou qu'il cherche à s'unir par un lien généralement étroit. L'amour, c'est beaucoup plus que l'amour (titre d'un roman de Jacques Chardonne, 1937) :
1. Le cœur humain n'a que deux ressorts, l'ambition et l'amour. (...). Sous le nom d'amour, on peut comprendre toutes les passions expansives qui portent l'homme hors de lui-même, lui créent un but, des objets supérieurs à sa vie propre, le font comme exister dans autrui, ou pour autrui. L'éducation qui développe les premières passions personnelles au détriment des expansives est à contre-sens. Maine de Biran, Journal,1819, p. 246.
2. ... mes facultés baissent, excepté celle d'aimer. L'amour, c'est l'âme qui ne meurt pas, qui va croissant, montant comme la flamme. E. de Guérin, Journal,1835, p. 93.
3. ... je ne vois pas où est le catéchisme de l'amour et pourtant l'amour, sous toutes les formes, domine notre vie entière : amour filial, amour fraternel, amour conjugal, amour paternel ou maternel, amitié, bienfaisance, charité, philanthropie, l'amour est partout, il est notre vie même. G. Sand, Histoire de ma vie,t. 2, 1855, p. 334.
4. Qu'est-ce que l'amour? Le besoin de sortir de soi. Ch. Baudelaire, Mon cœur mis à nu,1867, p. 655.
5. Il se disait une fois de plus : « Il y a eu en moi trois espèces d'amour, et ils se sont détruits l'un l'autre. J'ai aimé la beauté du ciel, j'ai aimé la beauté des choses, et c'est une espèce d'amour. J'ai aimé celle qui m'a porté en elle et par qui j'ai connu le jour, et c'est encore une espèce d'amour. J'ai aimé enfin une troisième fois : j'ai aimé un petit corps souple; et pour cet amour-là, j'ai trahi les deux autres. Alors ils m'ont quitté tous les trois à la fois ». Et c'était de nouveau en lui comme un grand besoin de pardon. (...). Mais une voix lui répondit : « Il n'y a qu'une espèce d'amour. » Et la suite de la voix fut : « Et qu'une espèce de pardon. » Ch.-F. Ramuz, Aimé Pache, peintre vaudois,1911, pp. 279-280.
6. Une psychologie trop purement intellectualiste, qui suit les indications du langage, définira sans doute les états d'âme par les objets auxquels ils sont attachés : amour de la famille, amour de la patrie, amour de l'humanité, elle verra dans ces trois inclinations un même sentiment qui se dilate de plus en plus, pour englober un nombre croissant de personnes. Le fait que ces états d'âme se traduisent au dehors par la même attitude ou le même mouvement, que tous trois nous inclinent, nous permet de les grouper sous le concept d'amour et de les exprimer par le même mot : ... H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 34.
I.− L'amour comme principe d'union universelle.
A.− [L'amour comme principe d'union et de cohésion de l'univers, de la terre, etc.; avec ou sans coloration relig.] :
7. Depuis le créateur jusqu'à la plus humble des créatures, rien n'échappe à la grande loi de l'amour. − Les corps simples tendent par l'attraction, qui est une sorte d'amour, au point de l'espace qui leur fut destiné. Les corps composés ont une sympathie, un amour du même genre que le précédent, pour les lieux où ils se formèrent; ils y acquièrent la plénitude de leur développement; ils en tirent toutes leurs vertus. Les plantes manifestent déjà une préférence, un amour plus marqué, pour les climats, les expositions, les terrains plus favorables à leur complexion. Les animaux donnent des signes d'un attachement plus vif, d'un amour aisément reconnaissable, qui les rapproche entre eux et quelquefois les rapproche de l'homme. L'homme enfin est doué d'un amour qui lui est propre pour les choses honnêtes et parfaites,... F. Ozanam, Essai sur la philosophie de Dante,1838, p. 139.
8. ... le moraliste qui a dit : « Aimez-vous les uns les autres » n'a pas trouvé là un grand secret. J'accorde bien que l'amour est la vraie richesse vitale; c'est un merveilleux mouvement pour sortir de soi, pour se jeter dans l'action, et s'y dépenser, et s'y perdre, sans petits calculs. Je sais aussi que lorsque l'amour manque, comme il arrive dans l'extrême fatigue ou dans l'extrême vieillesse, qui ne sont qu'extrême avarice, il n'y a plus rien à espérer de bon, ni même de mauvais. Mais ce régime de parfaite prudence nous approche de la mort, et il ne dure guère. L'ordinaire de la vie est un furieux amour de n'importe quoi; chez les bêtes aussi. Car le cheval galope pour galoper; et le moment où il va partir, le beau moment où il sent en lui-même la pression de la vie, c'est l'amour, créateur de tout. Alain, Propos,1910, p. 77.
9. L'exaltation provoquée par la tendresse m'apparaît favorable au philosophe tout de même qu'au saint ou au poète; car ma propre expérience m'enseigna à considérer l'amour comme une manière de correspondance universelle entre la matière et l'esprit, et comme une expression sensible de leur identité par-devant l'être unique. Source de l'existence, il m'en paraît être en même temps et le principe indubitable et le sens unique et parfait. Mystère adorable et terrible, instigateur de toute pensée, de tout art et de toute science véritable, il apparaît aux intelligences primordiales sous des nombres et des formes symboliques qu'il réduit plus tard à la trinité logique de l'éternelle Création, de la Matière et de l'Esprit; ... O.-V. Milosz, L'Amoureuse initiation,1910, p. 152.
10. À mesure que l'âge m'envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au printemps : « Quoi qu'il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement! Tout est clair, malgré les giboulées; jeune, y compris les arbres rabougris; beau, même ces champs caillouteux. L'amour fait monter en moi des sèves et des certitudes si radieuses et si puissantes qu'elles ne finiront jamais! » Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,Le Salut, 1959, p. 289.
P. ext. Communion intime avec l'univers :
11. Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime; Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours; Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours. De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore; Détache ton amour des faux biens que tu perds; Adore ici l'écho qu'adoroit Pythagore, Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts. A. de Lamartine, Méditations poétiques,Le Vallon, 1820, p. 81.
12. « ... je voudrais bêcher, bêcher dans la terre. Bêcher, ça me paraît tellement beau! On est tellement libre quand on bêche! Et puis, qui va tailler aussi mes arbres? » Il laissait une terre en friche. Il laissait une planète en friche. Il était lié d'amour à toutes les terres et à tous les arbres de la terre. C'était lui le généreux, le prodigue, le grand seigneur! C'était lui, comme Guillaumet, l'homme courageux, quand il luttait au nom de sa création, contre la mort. A. de Saint-Exupéry, Terre des hommes,1939, p. 167.
13. On n'aurait pu rêver une journée plus belle, plus dorée, et tout à coup Joseph éprouva une sorte d'élan vers la vie et vers tous les êtres, un amour confus pour tout ce qui existait autour de lui, pour les arbres, pour la belle terre rouge... J. Green, Moïra,1950, p. 68.
B.− En partic. [Dieu comme origine de cohésion universelle et principe de tout amour] Dieu est amour :
14. Avec cet amour rien n'est plus nécessaire pour nous sur la terre, parce qu'il contient tout, qu'il est tout, et qu'il apprend tout. Voilà pourquoi nous sommes toujours en rapport avec Dieu, parce qu'il est l'amour universel. L.-C. de Saint-Martin, L'Homme de désir,1790, p. 402.
15. Je vous le dis en vérité, celui qui aime, son cœur est un paradis sur la terre. Il a Dieu en soi, car Dieu est amour. F.-R. de Lamennais, Les Paroles d'un croyant,1834, p. 150.
16. La contemplation seule découvre le prix de la charité. Sans elle on le sait par ouï-dire. Avec elle on le sait par expérience. Par l'amour et dans l'amour, elle fait connaître que Dieu est amour. Alors l'homme laisse Dieu faire en lui ce qu'il veut, il se laisse lier parce qu'il aime. Il est libre parce qu'il aime. Tout ce qui n'a pas le goût de l'amour perd pour lui toute saveur. J. Maritain, Primauté du spirituel,1927, p. 172.
17. ... chercher Dieu c'est l'avoir déjà trouvé. Il va de soi que nos métaphysiciens le disent, et comment pourraient-ils éviter cette conséquence, puisqu'ils posent notre amour de Dieu comme une participation de Dieu lui-même? Éternellement préexistant dans le souverain bien, découlant de ce bien vers les choses par un acte de libre générosité, l'amour retourne au bien qui est son origine. Nous n'avons donc pas affaire ici avec un courant qui s'éloigne toujours plus de sa source, jusqu'à ce qu'enfin il se perde. Né de l'amour, l'univers créé est tout entier traversé, mu, vivifié du dedans, par l'amour qui circule en lui comme le sang dans le corps... É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 72.
18. − Madame, lui dis-je, même en ce monde, il suffit d'un rien, d'une pauvre petite hémorragie cérébrale, de moins encore, et nous ne connaissons plus des personnes jadis très chères. − La mort n'est pas la folie. − Elle nous est plus inconnue en effet. − L'amour est plus fort que la mort, cela est écrit dans vos livres. − Ce n'est pas nous qui avons inventé l'amour. Il a son ordre, il a sa loi. − Dieu en est maître. − Il n'est pas le maître de l'amour, il est l'amour même. Si vous voulez aimer, ne vous mettez pas hors de l'amour. G. Bernanos, Le Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1158.
C.− [Dieu comme objet ou sujet d'une relation d'amour] L'amour de Dieu, l'amour divin; le saint, suprême amour. Anton. l'amour humain :
19. La raison (...) règne (...) dans tout ce qui tient à la conduite de la vie; mais quand cette ménagère de l'existence l'a arrangée le mieux qu'elle a pu, le fond de notre cœur appartient toujours à l'amour, et, ce qu'on appelle la mysticité, c'est cet amour dans sa pureté la plus parfaite. L'élévation de l'âme vers son créateur est le culte suprême des chrétiens mystiques; mais ils ne s'adressent point à Dieu pour demander telle ou telle prospérité de cette vie. Un écrivain français qui a des lueurs sublimes, M. de Saint-Martin, a dit que la prière étoit la respiration de l'âme. G. de Staël, De l'Allemagne,t. 5, 1810, p. 96.
20. ... il est (...) impossible de prier Dieu sans se mettre avec lui dans un rapport de soumission, de confiance et d'amour; de manière qu'il y a dans la prière, considérée seulement en elle-même, une vertu purifiante dont l'effet vaut presque toujours infiniment mieux pour nous que ce que nous demandons trop souvent dans notre ignorance. J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg,t. 1, 1821, p. 442.
21. C'est quelque chose de grand que l'amour, et un bien au-dessus de tous les biens (...). Celui qui aime court, vole; il est dans la joie, il est libre, et rien ne l'arrête (...). L'amour souvent ne connaît point de mesure; mais, comme l'eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts (...). L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme un grand cri : Mon Dieu! Mon amour, vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous. Dilatez-moi dans l'amour, afin que j'apprenne à goûter au fond de mon cœur combien il est doux d'aimer, et de se fondre et de se perdre dans l'amour. L'Imitation de Jésus-Christ, trad. de F.-R. de Lamennais, Paris, Margueritte, 1824.
22. Le 28. − Saint Augustin aujourd'hui, ce saint qui pleurait si tendrement son ami et d'avoir aimé Dieu si tard. Que je n'aie pas ces deux regrets : oh! Que je n'aie pas cette douleur à deux tranchants, qui me fendrait l'âme à la mort! Mourir sans amour, c'est mourir en enfer. Amour divin, seul véritable. Les autres ne sont que des ombres. E. de Guérin, Journal,1839, p. 287.
23. Dieu n'avait pas besoin de nous; c'est librement qu'il nous a choisis pour nous communiquer ses biens et nous unir à lui; c'est librement qu'il nous a aimés. Or, de sa nature, l'amour exige l'amour; il est impossible de préférer sans vouloir être préféré, de se dévouer sans vouloir qu'on nous rende le dévouement, et, quant à l'union, on ne saurait même la concevoir sans l'idée de la réciprocité. La réciprocité est la loi de l'amour; elle en est la loi entre deux êtres égaux : combien plus entre deux êtres dont l'un est créateur et l'autre créature, dont l'un a tout donné, et l'autre a tout reçu! Dieu avait un droit infini à être aimé de l'homme, parce que lui-même l'avait aimé d'un amour éternel et infini, ... H.-D. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame,1848, p. 174.
24. Il y a un Dieu; il y a un éternel amour dont le nôtre n'est qu'une goutte. Nous irons la confondre ensemble dans l'océan divin où nous l'avons puisée! Cet océan, c'est Dieu! Je l'ai vu, je l'ai senti, je l'ai compris en ce moment par mon bonheur! Raphaël! Ce n'est plus vous que j'aime, ce n'est plus moi que vous aimez, c'est Dieu que nous adorons désormais l'un et l'autre! Vous à travers moi! Moi à travers vous! A. de Lamartine, Raphaël,1849, p. 294.
25. ... lorsqu'il [l'abbé Mouret] s'était attaché sur la croix, il avait la consolation sans bornes de l'amour de Dieu. Ce n'était plus Marie qu'il aimait d'une tendresse de fils, d'une passion d'amant. Ilaimait pour aimer, dans l'absolu de l'amour. Il aimait Dieu au-dessus de lui-même, au-dessus de tout, au fond d'un épanouissement de lumière. Il était ainsi qu'un flambeau qui se consume en clarté. La mort, quand il la souhaitait, n'était à ses yeux qu'un grand élan d'amour. É. Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1480.
26. Le terme de la recherche, c'est un acte d'amour où l'homme aimera Dieu comme Dieu s'aime. Dès lors, on peut dire une fois de plus que le problème demeurera à tout jamais insoluble, ou qu'il est déjà résolu. Si l'amour de Dieu n'était pas en nous, nous ne réussirions jamais à l'y mettre. Mais nous savons qu'il y est, puisque nous sommes essentiellement des amours de Dieu créés et que chacun de nos actes, chacune de nos opérations, sont spontanément orientés vers l'être qui est leur fin comme il est leur origine. La question n'est donc plus de savoir comment acquérir l'amour de Dieu, mais bien plutôt d'amener cet amour de Dieu à prendre conscience de soi-même, de son objet, ... É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 76.
27. « Alors, Jésus le regarda et il l'aima. » Rien n'est changé depuis que cette parole a été dite. Tous, nous sommes aimés; mais il y a le petit nombre de ceux que Jésus regarde soudain et qu'il aime de cet amour qui exige le don total : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi ». F. Mauriac, Journal 1,1934, p. 79.
28. Dépouillement, dis-je, d'où cette aversion de la médiocrité contemporaine pour toute allusion à l'Être simple, à ces quatre lettres de l'alphabet qui composent le mot Dieu, et cette étrange gageure tenue par le plus grand nombre de l'exclure, avec minutie, de toute écriture. Manque d'amour, manque de génie. F. Jammes, De tout temps à jamais,1935, p. 7.
29. La création est un acte d'amour et elle est perpétuelle. À chaque instant notre existence est amour de Dieu pour nous. Mais Dieu ne peut aimer que soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui nous donne l'être, il aime en nous le consentement à ne pas être. Notre existence n'est faite que de son attente, de notre consentement à ne pas exister. Perpétuellement, il mendie auprès de nous cette existence qu'il nous donne. Il nous la donne pour nous la mendier. L'inflexible nécessité, la misère, la détresse, le poids écrasant du besoin et du travail qui épuise, la cruauté, les tortures, la mort violente, la contrainte, la terreur, les maladies − tout cela c'est l'amour divin. C'est Dieu qui par amour se retire de nous afin que nous puissions l'aimer. Car si nous étions exposés au rayonnement direct de son amour, sans la protection de l'espace, du temps et de la matière, nous serions évaporés comme l'eau au soleil; il n'y aurait pas assez de je en nous pour abandonner le je par amour. S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 41.
P. ext. Vénération qu'éprouve l'homme pour les œuvres de la création en tant que créées par Dieu. Amour universel :
30. En ces temps médiévaux, une communion, dans une même foi vivante, de la personne humaine avec les autres personnes réelles et concrètes, et avec le Dieu qu'elles aimaient, et avec la création entière, rendait, au milieu de bien des détresses, l'homme fécond en héroïsme comme en activité de connaissance et en œuvres de beauté; et dans les cœurs les plus purs un grand amour, exaltant dans l'homme la nature au-dessus d'elle-même, étendait aux choses mêmes le sens de la piété fraternelle; alors un saint François comprenait qu'avant d'être exploitée à notre service par notre industrie, la nature matérielle demande en quelque sorte à être elle-même apprivoisée par notre amour; je veux dire qu'en aimant les choses, et l'être en elles, l'homme les attire à l'humain, au lieu de faire passer l'humain sous leur mesure. J. Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 14.
31. ... ce que voulait Jos-Mari, et sans s'en rendre compte, c'était que la montagne fût belle comme Dieu, source de vie et, comme lui, digne d'amour. J. Peyré, Matterhorn,1939, pp. 126-127.
32. Tout et tous aimer : geste contradictoire et faux, qui ne conduit finalement qu'à n'aimer rien. Mais alors, répondrai-je, si, comme vous le prétendez, un amour universel est impossible, que signifie donc, dans nos cœurs, cet instinct irrésistible qui nous porte vers l'unité chaque fois que, dans une direction quelconque, notre passion s'exalte? Sens de l'univers, sens du tout : en face de la nature, devant la beauté, dans la musique, la nostalgie qui nous prend, − l'expectation et le sentiment d'une grande présence. P. Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain,1955, p. 296.
Locutions
1. Pur amour. Amour désintéressé de Dieu, amour de Dieu pour Dieu :
33. L'amour pur qui est opposé à l'amour mercenaire est cette affection de notre âme qui est portée à se délecter du bonheur d'un autre; or les choses qui nous délectent, nous les désirons pour elles-mêmes, et comme la félicité de Dieu se compose de toutes les perfections, et est la délectation du sens même de la perfection, il s'ensuit que la vraie félicité de tout esprit créé consiste entièrement dans le sens de cette félicité divine, en sorte que ceux qui cherchent le vrai, le bon, le juste, plus par la délectation propre qu'en vue de l'utilité (quoique l'utilité s'y trouve aussi éminemment) sont aussi les mieux préparés à l'amour de Dieu. Maine de Biran, Journal,1821, p. 304.
34. Les hommes sont malheureux par manque de foi ou par égoïsme. Mais comment faire comprendre cela? Qu'une âme se dise à la fois religieuse et malheureuse, cela est une extraordinaire invention. (...) Bien peu d'âmes comprennent que l'on peut se sauver de l'égoïsme par un autre amour que par celui des créatures (par le pur amour de Dieu). A. Gide, Journal,1895, p. 57.
35. ... c'est toujours le même théocentrisme, le même besoin de tout oublier pour ne voir que Dieu. À ces hauteurs, les distinctions scolastiques s'effacent : thomistes, augustiniens, molinistes se confondent. Par des voies différentes, humanisme dévot et école française arrivent au même but. Il n'y a qu'un pur amour et tous les mystiques se ressemblent comme des frères. H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,1920, p. 34.
Péjoratif :
36. Le chrétien fervent, tourné uniquement vers Dieu, n'aimait réellement ni lui-même ni les autres, et se trompait en croyant aimer Dieu comme Dieu veut être aimé. C'est en effet au pur amour de Dieu et au renoncement de toutes les créatures que sont venus aboutir tous les docteurs un peu profonds du christianisme. Tandis que la charité prenait pour le vulgaire un air d'humanité, tandis que le vulgaire cherchait là une règle pratique de conduite et de vie, les vrais penseurs du christianisme comprenaient bien que la charité du christianisme n'avait réellement que Dieu pour objet, et que cette charité, entendue par le vulgaire comme l'amour des hommes, n'était réellement qu'un amour abstrait pour Dieu. P. Leroux, De l'Humanité,t. 1, 1840, p. 203.
2. Pour l'amour de Dieu.
a) Par pur amour; gratuitement :
37. − Oh! il est mort de l'amour de Dieu, à ce que dit Monsieur le curé. − Comment, de l'amour de Dieu, Benoît? On en vit, mais on n'en meurt pas, lui dis-je; c'est peut-être aussi de l'amour de Denise? − Ah! Monsieur, voilà! Il aimait tant le bon Dieu, celui-là, qu'il ne pensait plus à lui, pas plus qu'une hirondelle qui vient de sortir de sa coquille, et qui ne saurait pas manger si sa mère ne lui apportait pas un moucheron dans le nid. Il n'avait rien ramassé pour les années de maladie; il travaillait pour l'amour de Dieu dans tous les hameaux. Il disait seulement à ceux dont il avait fait l'ouvrage : « Si je viens à devenir infirme ou malade, vous me nourrirez, n'est-ce pas? » A. de Lamartine, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,1851, pp. 549-550.
38. Plus tard, lorsqu'il fut le fermier de ma grand'mère et le maire du village, sa science le rendit fort utile au pays, d'autant plus qu'il l'exerçait pour l'amour de Dieu, sans rétribution aucune. Il était de si grand cœur qu'il n'était point de nuit noire et orageuse, point de chaud, de froid ni d'heure indue qui l'empêchassent de courir, souvent fort loin, par des chemins perdus, pour porter du secours dans les chaumières. Son dévouement et son désintéressement étaient vraiment admirables. G. Sand, Histoire de ma vie,t. 1, 1855, p. 59.
b) Exclamation accompagnant un geste pour demander l'aumône :
39. − Fils bien-aimés, disait saint François d'Assise à son troupeau de bienheureux, n'ayez point de honte d'aller demander l'aumône. Allez avec plus de confiance et de joie que si vous offriez cent pour un, puisque c'est l'amour de Dieu que vous offrez, en la demandant, quand vous dites : − Donnez pour l'amour de Dieu! C'est comme ça, et non autrement, que je suis tiré, cette fois, des griffes de mon propriétaire. L. Bloy, Journal,1900, p. 208.
40. clérambard. − Merci, mon enfant. Vous nous sauvez. (Relevant sa jupe, La Langouste prend un billet dans son bas). Mmede léré, se plaçant entre La Langouste et Clérambard, elle s'adresse à lui à mi-voix. − Vous n'allez pas accepter l'argent de cette fille! clérambard. − Soyons sans orgueil, mon amie. Demain, ce soir, quand nous mendierons pour l'amour de Dieu, irons-nous demander leurs cartes de visite à ceux qui nous feront l'aumône? Nous serons trop heureux d'avoir pu leur inspirer une pensée fraternelle, surtout si ces gens sont des réprouvés. M. Aymé, Clérambard,1950, IV, 2, pp. 202-203.
c) [Dans le style de la conversation] Exclamation accompagnant la formulation généralement pathétique d'une demande le plus souvent négative :
41. ... lorsqu'on est bien persuadé qu'on ne peut être ni médecin, ni avocat, ni banquier, ni évêque, ni courtier-marron, ni ministre, enfin lorsqu'on a l'intime conviction qu'on n'est bon à rien, on peut se faire poète; mais, pour l'amour de Dieu, pas autre chose. A. de Musset, Le Temps,1831, p. 22.
42. Où est la force, c'est d'avoir tiré d'un sujet commun une histoire touchante et pas canaille. Seulement, pour l'amour de Dieu, ou plutôt pour l'amour de l'art, fais encore attention et change moi quelqu'un de ces passages, les seuls auxquels je trouve à redire... G. Flaubert, Correspondance,1853, pp. 87-88.
43. Anna retrouva Wallner au Rond-Point. Il allait d'une allée à l'autre, anxieux, profondément désespéré. − Ah!... D'où viens-tu?... D'où viens-tu? pour l'amour du ciel! P. Reider, Mademoiselle Vallantin,1862, p. 164.
44. Papa se calmait, brusquement. Maman bégayait encore : − Raymond! Pour l'amour de Dieu! (...) À vrai dire, l'amour de Dieu, cet amour auquel maman faisait de si fréquentes invocations, ne tenait plus, dans ce cœur surchargé de soins, une place bien évidente. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, pp. 126-127.
3. Vieilli. Pain de l'amour, pain d'amour. L'Eucharistie :
45. Le pain que j'ai rompu pour mon illustre Cène Était le pain d'amour et de communion. Et le vin qui coula d'une illustre fontaine Était le vin d'offrande et de libation. Ch. Péguy, Ève,1913, p. 737.
P. ext. ,,Tout intermédiaire entre l'homme et Dieu.`` (Guérin 1892) :
46. Adorez le Seigneur et la sainte nature; Votre hôte vit d'amour et de lumière pure; Et le pain de l'amour, cet aliment de feu, Pour qui sait le trouver − c'est la nature et Dieu! M. de Guérin, Poésies,Maurice et François, 1839, p. 69.
II.− L'amour comme principe de cohésion de la société.
A.− L'amour comme principe et comme fin de la société humaine.
1. [Avec une coloration relig.] L'amour de charité. Synon. bonté, pitié, dévouement.
a) [En parlant d'une société relig.] :
47. ... uniquement chercher ici le bien de mon âme et le bien de l'église, et aussi le bien de quelques âmes, si Dieu l'indique... Mais en me défendant des enthousiasmes. L'amour de l'église et des âmes, des âmes lointaines, des âmes par devoir, aussi bien que des âmes par attrait; l'amour de mon diocèse. F.-A.-P. Dupanloup, Journal intime,1863, p. 242.
b) [En parlant de la société profane] L'amour du prochain :
48. Les sœurs de la charité, la plus touchante des communautés religieuses, soignaient les malades de l'hôpital : ces sœurs ne prononcent des vœux que pour une année, et plus elles font de bien, moins elles sont intolérantes. M. et Madame Necker, tous les deux protestants, étaient l'objet de leur amour. G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 1, 1817, p. 84.
49. Ce seroit un bien bel ouvrage que l'histoire de la charité, c'est-à-dire de l'amour le plus universel, le plus pur, le plus saint, chez les nations chrétiennes. On le verroit, d'âge en âge, combattant la férocité native qu'elles apportèrent des forêts du Nord, adoucir leurs mœurs et leurs lois, produire le sentiment que nous appelons humanité, inspirer au riche la pitié, la tendresse pour le pauvre, au puissant le respect pour le foible, rapprocher tout ce que divisent les intérêts, les préjugés, l'orgueil, prêter aux larmes une force divine, élever les haillons de l'indigent au-dessus de la pourpre impériale, ... F.-R. de Lamennais, Articles publiés dans le journal l'Avenir,1831, pp. 343-344.
50. La haine, la persécution, le mépris, l'extermination des hommes, rien de cela n'est de Dieu. L'amour du prochain, le support les uns des autres, la compassion, le sacrifice de soi-même, l'adoration d'un seul Dieu d'esprit et de vérité, tout cela est de lui! A. de Lamartine, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,1851, p. 514.
51. ... Dieu qui est amour, n'a pas voulu que sa créature pérît faute d'amour; il a choisi des hommes purs et forts et leur a dit : − Fils de l'église, je vous fiance à toute douleur, allez à ceux qui sont seuls et qui pleurent, essuyez leurs larmes et annoncez-leur l'éternité d'amour... J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 286.
52. 5 mai − Incendie du Bazar de charité. Un grand nombre de belles dames ont été carbonisées, hier soir, en moins d'une demi-heure. Non pro mundo rogo, dit le Seigneur. Admirable sottise de Coppée. « Elles s'étaient réunies pour faire le bien », écrit-il. Tout le monde, bien entendu, accuse Dieu. 8 mai − L'agitation au sujet de l'incendie continue. Songez donc! Des personnes si riches, en toilettes de gala et qui avaient leurs voitures à la porte! Leurs voitures éternellement inutiles! Tout ça pour l'amour des pauvres. Oui, tout ça. Quand on est riche, c'est qu'on aime les pauvres. Les belles toilettes sont la récompense de l'amour qu'on a pour la pauvreté. L. Bloy, Journal,1900, p. 247.
53. − Dieu est charité, et puisqu'il aime ses créatures, pourquoi ne les aimerions-nous pas comme lui? Ce n'est pas cette espèce de bienveillance générale, c'est le mot amour qui est écrit. Et nous de même, cet amour, est-ce qu'il ne servira à personne, seulement parce qu'il est grand, qui est en nous la même chose que la vie, pour que nous le donnions à un autre et que nous sentions ce cœur entre nos bras qui s'éveille et ces yeux peu à peu qui nous reconnaissent avec une joie immense! P. Claudel, Feuilles de Saints,1925, pp. 645-646.
54. ... la conviction qu'on tient d'une expérience, comment la propager par des discours? Et comment surtout exprimer l'inexprimable? Mais ces questions ne se posent même pas au grand mystique. Il a senti la vérité couler en lui de sa source comme une force agissante. Il ne s'empêcherait pas plus de la répandre que le soleil de déverser sa lumière. Seulement, ce n'est plus par de simples discours qu'il la propagera. Car l'amour qui le consume n'est plus simplement l'amour d'un homme pour Dieu, c'est l'amour de Dieu pour tous les hommes. À travers Dieu, il aime toute l'humanité d'un divin amour. H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 247.
55. ... nous sommes nés pour tendre à la perfection de l'amour, d'un amour qui enveloppe réellement l'universalité des hommes, sans laisser place à la haine contre aucun d'eux, et qui transforme réellement notre être, ce qui n'est possible à aucune technique sociale ni à aucun travail de rééducation, mais seulement au créateur de l'être; et ce qui s'appelle : sainteté. J. Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 101.
Proverbe (souvent iron.). L'amour du prochain commence par soi-même.
2. [Sans coloration explicitement relig.] Le triomphe de l'amour et de la justice; une société sans amour; l'amour d'autrui :
56. Un grand combat sera livré, et l'ange de la justice, et l'ange de l'amour combattront avec ceux qui se seront armés pour rétablir parmi les hommes le règne de la justice et le règne de l'amour. Et beaucoup mourront dans ce combat, et leur nom restera sur la terre comme un rayon de la gloire de Dieu. C'est pourquoi, vous qui souffrez, prenez courage, fortifiez votre cœur : car demain sera le jour de l'épreuve, le jour où chacun devra donner avec joie sa vie pour ses frères, et celui qui suivra, sera le jour de la délivrance. F.-R. de Lamennais, Les Paroles d'un croyant,1834, p. 106.
57. Quant à la bonté générale, tant prônée aujourd'hui, elle indique davantage la haine des riches que l'amour des pauvres. Car la philanthropie moderne exprime trop souvent une prétendue bienveillance avec les formes propres à la rage ou à l'envie. A. Comte, Catéchisme positiviste,1852, p. 24.
58. ... elle riait plus haut, en racontant plaisamment que son cousin l'avait convertie au grand saint Schopenhauer, qu'elle voulait rester fille afin de travailler à la délivrance universelle; et c'était elle, en effet, le renoncement, l'amour des autres, la bonté épandue sur l'humanité mauvaise. É. Zola, La Joie de vivre,1884, p. 1129.
59. À force de se proclamer cynique et purgé de toute sentimentalité, le communisme de ces jeunes intellectuels reflète le désespoir dont il est issu. Il ne rappelle pas l'amour profond, passionné, désintéressé, qui souleva Lénine, Trotsky, et qui fut, à sa manière, celui de notre jeune socialisme. J.-R. Bloch, Destin du Siècle,1931, pp. 70-71.
60. ... ils apercevaient, sur le vitrage, l'affiche blanche, dont ils ne pouvaient détourner les yeux. Ainsi, pendant des semaines, il avait vécu, sans douter un seul jour du triomphe de la justice, de la vérité humaine, de l'amour; non pas comme un illuminé qui souhaite un miracle, mais comme un physicien qui attend la conclusion d'une expérience infaillible, − et tout s'écroulait... honte! R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 581.
61. Nous ignorons encore ce qu'est l'homme, mais il nous appartient de le créer. Et c'est cette création seule qui est notre jeunesse. D'où ce double sentiment caractéristique de l'homme marxiste : un mépris total pour l'homme dégradé du monde bourgeois, un enthousiasme débordant pour l'homme nouveau qu'il veut réaliser. Son paradoxe étonnant c'est de mêler en lui également la haine et l'amour, jusqu'au jour où l'amour triomphera. Le communisme c'est l'ordre et le marxiste trouve tout naturel de préférer l'ordre au désordre. Haïr le désordre, aimer l'ordre, c'est son réflexe spontané et il comprend mal qu'on ne le comprenne pas. De cette haine et de cet amour, de ce désespoir et de cette espérance on pourrait citer quotidiennement de multiples exemples. J. Lacroix, Marxisme, existentialisme, personnalisme,1949, p. 26.
62. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. La révolte prouve par là qu'elle est le mouvement même de la vie et qu'on ne peut la nier sans renoncer à vivre. Son cri le plus pur, à chaque fois, fait se lever un être. Elle est donc amour et fécondité, ou elle n'est rien. La révolution sans honneur, la révolution du calcul qui, préférant un homme abstrait à l'homme de chair, nie l'être autant de fois qu'il est nécessaire, met justement le ressentiment à la place de l'amour. A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 376.
En partic. L'amour de bienveillance; servir, traiter quelqu'un avec amour :
63. Les Sioux rangés sur la rive me saluoient du geste et de la voix; moi-même je les regardois en faisant des signes d'adieu, et priant les génies d'accorder leur faveur à cette nation innocente. Nous continuâmes de nous donner des marques d'amour jusqu'au détour d'un promontoire qui me déroba la vue des pasteurs... F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 249.
64. Ce beau mystère de lumière, me prenant ému ainsi, harmonisa les orages de mon mystère intérieur. Un mot me vint à l'esprit : La délivrance de l'âme. Sa délivrance par la lumière de science et d'amour, − et par amour j'entends toutes les puissances bienveillantes qui sont en nous, surtout la grande pitié. J. Michelet, Journal,août 1856, p. 310.
65. ... il nous reste, après avoir écarté les mensonges des prêtres, à prendre la vie noblement, et à ne point nous déchirer nous-mêmes, et les autres par contagion, par des déclamations tragiques. Et encore bien mieux, car tout se tient, contre les petits maux de la vie, ne point les raconter, les étaler ni les grossir. Être bon avec les autres et avec soi. Les aider à vivre, s'aider soi-même à vivre, voilà la vraie charité. La bonté est joie. L'amour est joie. Alain, Propos,1909, p. 63.
66. ... l'invulnérabilité relative de l'inémotif le protège à l'excès contre le drame des événements et d'autrui. Il y perd en élan et en chaleur de sympathie, il y gagne en maîtrise de soi, en ampleur de vue, en constance. Un degré de trop, il tourne à l'égoïsme et à la froideur. Mais l'amour spirituel que les théologiens appelaient de bienveillance n'est attaché à aucune complexion particulière et trouve son chemin, ainsi que ses nuances, dans une voie comme dans l'autre. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 240.
Par amour. Par pure générosité :
67. Eh quoi! Maître Jean, selon vous, rien ne se fait gratis au monde, rien par amour? tout est payé? je vous crois; même les réquisitoires, même le zèle et le dévouement. P.-L. Courier, Pamphlets politiques,Procès de Paul-Louis Courier, 1821, p. 103.
68. Tout ce que vous faites par devoir, avec des fronts ridés de crainte, je veux le faire par amour, en souriant d'amour, en souriant. A. Gide, Journal,1894, p. 56.
Proverbe. Tout par amour, rien par force :
69. On dit prov. tout par amour et rien par force, pour faire entendre que la douceur est de toutes les voies la meilleure pour réussir à quelque chose. J.-F. Rolland, Dict. du mauvais langage,1813, p. 9.
Fam. La cote d'amour. Bienveillance privilégiée; péj. faveur non basée sur le mérite :
70. Mais à côté de ces moqueries qui allaient au menu peuple, à la petite bourgeoisie, à la police, et au chauvinisme, de Belgique, il y avait un courant de très haute estime pour plusieurs écrivains belges de langue française : Maeterlinck et Rodenbach in primis; puis ceux qui furent publiés au Mercure de France : Eeckhoud, Mockel, Hubert Krains, et d'autres. Il y avait même « la cote d'amour » dans les milieux littéraires français d'avant-garde, en faveur des poètes et romanciers belges. Après Maeterlinck, Max Elskamp fut le poète belge par excellence, pour les écrivains de la génération de Charles-Louis Philippe. Être Belge était alors une recommandation. V. Larbaud, Journal,janv. 1935, p. 346.
71. La cote binette (périmé) ou la cote d'amour (périmé) [donnée par l'interrogateur] suivant le physique du malheureux appelé au tableau. R. Smet, Le Nouvel argot de l'X,1936, p. 103.
B.− L'amour réalisant sa finalité sociale par l'intermédiaire d'une incarnation ou d'une symbolisation du lien social.
1. [Le souverain, obj. ou suj. d'une relation d'amour pour les membres d'une communauté] . L'amour du prince :
72. Ainsi l'intérêt du Roi, la sûreté de sa couronne, et l'affection de ses sujets, sont autant de puissants motifs qui le pressent de consacrer les lois fondamentales du royaume : ajoutons son amour pour ses peuples, son zèle pour le bien public, ... Marat, Les Pamphlets,Offrande à la Patrie, 1789, p. 32.
73. J'ai pu voir, après tant d'orages, la nation rendue à son antique loyauté, se rallier comme une famille autour d'un père chéri; j'aurai vu les factions s'éteindre, tous les cœurs se réunir dans l'intérêt de la patrie, et toutes les volontés se confondre dans le vœu du bonheur public, fondé sur la double base de l'amour du prince et du respect des lois. V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 5, 1814, p. 199.
74. L'amour de nos rois, tel qu'il était chez les Français, était un sentiment religieux, comme l'amour divin; c'était une sorte de culte qui élevait l'âme et pouvait, comme l'honneur, commander tous les sacrifices d'intérêt personnel, de la vie même; c'est un tel sentiment qui peut servir de base à la société, mettre un lien commun entre les hommes du même pays. Maine de Biran, Journal,1814, pp. 11-12.
75. La miséricorde, qui est la même chose que la clémence, fait l'amour des sujets qui est le plus puissant corps de garde à la personne du Prince. V. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 505.
2. [La patrie (ou le pays), obj. ou suj. d'amour] L'amour de la patrie :
76. L'esprit militaire et l'amour de la patrie ont porté diverses nations au plus haut degré possible d'énergie; maintenant ces deux sources de dévouement existent à peine chez les Allemands pris en masse. G. de Staël, De l'Allemagne,t. 4, 1810, p. 274.
77. La vertu semble avoir des bornes. Cette grande hauteur, qu'ont atteinte certaines âmes, paraît en quelque sorte mesurée. Caton et Washington montrent où peut s'élever le plus beau, le plus noble de tous les sentiments, c'est l'amour du pays et de la liberté. Au-dessus on ne voit rien. P.-L. Courier, Pamphlets politiques,Simple Discours à l'occasion d'une souscription pour l'acquisition de Chambord, 1821, p. 81.
78. Adario, chef de la tribu de la Tortue, se lève : inaccessible à la crainte, insensible à l'espérance, ce sachem se distingue par un ardent amour de la patrie : implacable ennemi des Européens qui avoient massacré son père, mais les abhorrant encore plus comme tyrans de son pays, il parloit incessamment contre eux dans les conseils. F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 136.
79. Le chant populaire, assurément, ne plaisait point à ses voisins. Ils devinrent nerveux, agacés, et avaient l'air prêts à hurler comme des chiens qui entendent un orgue de Barbarie. Il s'en aperçut, ne s'arrêta plus. Parfois même il fredonnait les paroles [la Marseillaise, 1792] : Amour sacré de la patrie, / Conduis, soutiens, nos bras vengeurs, / Liberté, liberté chérie, / Combats avec tes défenseurs! G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Boule de suif, 1880, p. 153.
Vieilli. L'amour patriotique :
80. Victime de l'amour patriotique, je vais donc servir d'exemple à ceux qui seraient jamais tentés de défendre les droits des nations. Peuple ingrat et frivole! Qui encense tes tyrans et abandonne tes défenseurs, je me suis dévoué pour toi; ... Marat, Les Pamphlets,Nouvelle dénonciation contre Necker, 1790, p. 120.
81. Et tous, Allemands ou Français, chacun de votre côté, pareillement dupes, vous avez cru de bonne foi que, pour vous seuls, cette guerre était une « guerre sainte »; et qu'il fallait, sans marchander, par amour patriotique, faire à « l'honneur » de votre nation, au « triomphe de la Justice », le sacrifice de votre bonheur, de votre liberté, de votre vie!... R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 697.
3. P. anal. [L'humanité, considérée comme communauté idéale] L'amour de l'humanité, (vieilli) l'amour humanitaire, l'amour des hommes :
82. J.-J. Rousseau passe pour avoir eu Madame la comtesse de Boufflers, et même (qu'on me passe ce terme) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d'humeur l'un contre l'autre. Un jour, on disait devant eux que l'amour du genre humain éteignait l'amour de la patrie. « Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela n'est pas vrai; je suis très bonne Française et je ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les peuples. − Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Française par votre buste et cosmopolite du reste de votre personne. » Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 102.
83. Nous devons toujours au peuple qui nous a protégés longtemps une certaine reconnaissance; mais il n'y a plus de culte, plus d'enthousiasme. C'est maintenant plus que jamais que le patriotisme, avec les autres passions, doit se perdre, comme les ruisseaux dans l'océan, dans la grande passion de l'humanité. Voulez-vous déterminer votre choix? Cherchez les sentiments qui n'ont rien de personnel, rien d'intéressé, ceux surtout qui n'ont pas pour objet un individu, une classe, ceux qui ont le plus grand caractère de généralité. Plus on abstrait, plus on épure. Je n'ose pas vous conseiller de remonter plus haut que l'amour des hommes. J. Michelet, Journal,1820, p. 93.
84. Le docteur (...) reprit : − L'amour de l'humanité est un état pathologique d'origine sexuelle qui se produit fréquemment à l'époque de la puberté chez les intellectuels timides : le phosphore en excès dans l'organisme doit s'éliminer d'une façon quelconque. A. Maurois, Les Silences du colonel Bramble,1918, p. 29.
85. Que sera-ce, si l'on va aux états d'âme, si l'on compare entre eux ces deux sentiments, attachement à la patrie, amour de l'humanité? Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grand partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres, et que c'est d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit? Tel est l'instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation; mais aujourd'hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis. H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 28.
86. Il se contraignait à secourir ceux qu'il aimait le moins. Au total, cet homme qui n'avait pas le droit d'aimer la femme semblait avoir reporté sur l'humanité entière ses possibilités de dévouement, d'amour et de sacrifice. Et, assistant à cette bataille, à ce véritable combat pour la sainteté, Decraemer en venait à se demander si véritablement le célibat du prêtre n'est pas une bonne chose, si ce n'est pas précisément ce suprême sacrifice qui permet de consacrer à tous les hommes un besoin de tendresse inemployé. M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 290.
C.− Cas partic., DR. INTERNAT. Traité d'amour et de paix. Synon. plus fréq. amitié*.
III.− L'amour comme lien affectif entre des personnes : l'amour entre les membres d'une même famille naturelle ou entre conjoints.
A.− [Les différents types d'amour] L'amour maternel, paternel, filial, fraternel :
87. Il paraît qu'il y a dans le cerveau des femmes une case de moins, et, dans leur cœur, une fibre de plus que chez les hommes. Il fallait une organisation particulière, pour les rendre capables de supporter, soigner, caresser des enfants. C'est à l'amour maternel que la nature a confié la conservation de tous les êtres; et, pour assurer aux mères leur récompense, elle l'a mise dans les plaisirs; et même dans les peines attachées à ce délicieux sentiment. Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 65.
88. Je trouve à ce sujet, dans l'Odyssée d'Homère, un sentiment bien touchant, c'est lorsque Télémaque compte au nombre de ses calamités celle de n'avoir point de frère. Le poëte, sensible et profond dans la connaissance de la nature, en mettant cette plainte dans la bouche du fils d'Ulysse, qui cherchait partout son père, avait sans doute senti que l'amour fraternel était une consonnance de l'amour filial. En effet, les enfants ont des ressemblances avec leurs pères et leurs mères, de telle sorte que les garçons, pour l'ordinaire, en ont plus avec leurs mères, et les filles avec leurs pères : la nature les croisant d'un sexe à l'autre pour en augmenter l'affection. J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, pp. 315-316.
89. ... elle n'a jamais voulu ni voir ni connaître celui qui devait lui donner la plus sainte et la plus forte des affections, l'amour d'une mère pour son enfant. F. Soulié, Les Mémoires du diable,t. 2, 1837, p. 307.
90. Quel amour que celui d'une mère!... Comme tout l'inquiète! Elle n'a plus de repos ni jour ni nuit; le moindre cri l'éveille; elle se lève, elle console le pauvre petit être; elle chante, elle rit; elle le berce et le promène; à sa moindre maladie, elle le veille; et cela des semaines et des mois, sans jamais se lasser. Ah! combien ce spectacle vous rend meilleur et vous fait encore mieux aimer les parents! Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 2, 1870, p. 368.
91. Dieu lui-même penché sur l'amour éternelle La revoyait fleurir dans de pauvres hameaux. Père il considérait une amour maternelle Doublement partagée entre deux beaux jumeaux. Dieu lui-même penché sur l'amour solennelle La regardait fleurir au fin fond des hameaux. Père il considérait une amour fraternelle Déjà communiquée entre deux beaux jumeaux. Ch. Péguy, Ève,1913, p. 713.
92. Les liens de parenté sont bien plus forts. Ici la nature soutient le serment. Entre la mère et l'enfant l'union est d'abord intime; la séparation, après cette vie rigoureusement commune, n'est jamais que d'apparence; l'amour maternel est le plus éminent des sentiments égoïstes, ou, pour dire autrement, le plus énergique des sentiments altruistes, comme Comte l'a montré; ... Alain, Propos,1921, p. 282.
93. On ne conçoit pas un bien sans un toit, un toit sans un foyer, un foyer sans une famille, une famille sans entente, union, amour... Toute la concordance des êtres et des choses est là. J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 3, 1932, p. 125.
94. On parle de l'amour paternel ou maternel. Peuh! Qu'est-ce que ce mot « amour »? Bien trop ampoulé et étriqué à la fois pour dire le don total, détaillé, raffiné, dans chaque fibre et dans la masse, du cœur qu'un homme a fait mol et large, exprès pour que puissent s'y étirer à l'aise tous les mouvements de son enfant. J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 1, 1933, p. 160.
95. ... la paternité n'apparaît plus comme une simple fonction biologique plus ou moins renforcée par l'histoire, mais comme la suprême instance éducatrice. Elle symbolise la transcendance des valeurs, tandis que la maternité apprend à unir l'instinct le plus primitif à l'amour le plus désintéressé. (La chaleur affective dont les parents, normalement, entourent le jeune enfant, ce dévouement total, cette présence toujours favorable qu'ils tournent vers lui, resteront une des grandes nostalgies de l'âge adulte, ...) E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 96.
P. ext. [L'amour fraternel considéré comme modèle du lien entre les hommes] :
96. Dans la cité de Dieu chacun aime ses frères comme soi-même, et c'est pourquoi nul n'est délaissé, nul n'y souffre, s'il est un remède à ses souffrances. Dans la cité de Dieu, tous sont égaux, aucun ne domine; car la justice seule y règne avec l'amour. F.-R. de Lamennais, Les Paroles d'un croyant,1834, p. 246.
B.− [Les personnes dans leur situation à l'égard de l'amour] :
97. Si la femme a pour son enfant des expressions si divines, qu'étoient-ce que les paroles de la mère d'un Dieu, d'une mère qui avoit vu mourir son fils sur la croix et qui le retrouvoit vivant d'une vie éternelle? Que devoient être aussi les paroles d'un fils et d'un Dieu? Quel amour filial, quels embrassements maternels! Un seul moment d'une pareille félicité suffiroit pour anéantir dans l'excès du bonheur tous les mondes. F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 178.
98. Je n'avais jamais senti qu'une passion dans mon petit être, l'amour filial; cette passion se continuait en moi; ma véritable mère y répondait tantôt trop, tantôt pas assez, (...) J'avais besoin d'une mère sage, et je commençais à comprendre que l'amour maternel, pour être un refuge, ne doit pas être une passion jalouse. G. Sand, Histoire de ma vie,t. 3, 1855, pp. 149-150.
99. ... j'ai le sentiment qu'il y a dans ce visage quelque chose d'à part que la mort ne touchera pas. Et mon amour pour ma mère, qui a été le seul stable des amours de ma vie, est d'ailleurs si affranchi de tout lien matériel, qu'il me donne presque confiance, à lui seul, en une indestructible chose, qui serait l'âme; ... P. Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 24.
100. Mais tout se passait, chez les Frontenac, comme s'il y avait eu communication entre l'amour des frères et celui de la mère, ou comme si ces deux amours avaient eu une source unique. Jean-Louis éprouvait, à l'égard de ses cadets, et même pour José que l'Afrique attirait, la sollicitude inquiète et presque angoissée de leur mère. F. Mauriac, Le Mystère Frontenac,1933, pp. 190-191.
101. J'estime que rien ne peut fausser davantage le caractère d'un enfant que de lui imposer un respect de commande pour des parents, dès que ceux-ci ne sont pas respectables. Ma mère, par contre, méritait ma vénération, et mon amour pour elle était presque de la dévotion. Quant à mon père, je cessai vite de le prendre au sérieux. A. Gide, Geneviève,1936, p. 1359.
102. On dirait que Corneille a poursuivi avec une sorte de rancune certaines images du dessèchement par la vieillesse, de la sclérose du cœur. L'animalité même de l'amour maternel n'est pas épargnée. C'est dans une de ses tragédies les moins bonnes, dans Théodore, qu'il dessine ce personnage admirable de Marcelle, la vieille et méchante reine qui a une fille qu'elle aime par-dessus tout, qu'elle couve comme une poule. R. Brasillach, Pierre Corneille,1938, p. 285.
103. Bénard était doux, affable, sensible; avec cela, premier partout. Et puis, sa maman se privait pour lui. Nos mères ne fréquentaient pas cette couturière mais elles nous parlaient d'elle souvent pour nous faire mesurer la grandeur de l'amour maternel; nous ne pensions qu'à Bénard : il était le flambeau, la joie de cette malheureuse; nous mesurions la grandeur de l'amour filial; tout le monde, pour finir, s'attendrissait sur ces bons pauvres. Pourtant, cela n'eût pas suffi : la vérité, c'est que Bénard ne vivait qu'à demi; ... J.-P. Sartre, Les Mots,1964, p. 188.
C.− [Avec, le cas échéant, la suggestion d'un lien physique] L'amour conjugal, mariage d'amour :
104. De l'amour dans le mariage. C'est dans le mariage que la sensibilité est un devoir : dans toute autre relation la vertu peut suffire; mais dans celle où les destinées sont entrelacées, où la même impulsion sert pour ainsi dire aux battements de deux cœurs, il semble qu'une affection profonde est presque un lien nécessaire. La légèreté des mœurs a introduit tant de chagrins entre les époux, que les moralistes du dernier siècle s'étoient accoutumés à rapporter toutes les jouissances du cœur à l'amour paternel et maternel, et finissoient presque par ne considérer le mariage que comme la condition requise pour jouir d'avoir des enfants. Cela est faux en morale, et plus faux encore en bonheur. G. de Staël, De l'Allemagne,t. 4, 1810, pp. 367-368.
105. Aux témoignages si fréquens qu'ils se donnaient de leur mutuelle tendresse, tous deux mêlaient de douces exhortations à avancer ensemble sur le chemin de la perfection : cette sainte émulation les fortifiait et les maintenait dans le service de Dieu : ils savaient ainsi puiser, au sein de l'ardent amour qui les unissait, le sentiment et le charme de l'amour suprême. Le caractère grave et pur de leur affection se révélait surtout par la touchante habitude qu'ils conservèrent toujours de s'appeler frère et sœur, même après leur mariage, comme pour perpétuer le souvenir de leur enfance passée ensemble, ... Ch. de Montalembert, Hist. de sainte Élisabeth de Hongrie,1836, p. 42.
106. On n'a jamais vérifié le rôle que joue l'amour physique dans l'attachement des femmes honnêtes pour leurs maris. Quelquefois, les maris le savent si bien que pour punir leurs épouses, ils restent quelques jours sans coucher avec elle et les font ainsi − et cela sans un reproche, sans une parole − venir à résipiscence. E. et J. de Goncourt, Journal,oct. 1875, p. 1084.
107. jupiter. − Jusqu'au ciel se déguise, à l'heure où nous sommes. alcmène. − Homme peu perspicace, si tu crois que la nuit est le jour masqué, la lune un faux soleil, si tu crois que l'amour d'une épouse peut se déguiser en amour du plaisir. jupiter. − L'amour d'une épouse ressemble au devoir.Le devoir à la contrainte. La contrainte tue le désir. alcmène. − Tu dis? Quel nom as-tu prononcé là? jupiter. − Celui d'un demi-dieu, celui du désir. alcmène. − Nous n'aimons ici que les dieux complets. Nous laissons les demi-dieux aux demi-jeunes filles et aux demi-épouses. jupiter. − Te voilà impie, maintenant? alcmène. − Je le suis parfois plus encore, car je me réjouis qu'il n'y ait pas dans l'Olympe un dieu de l'amour conjugal. Je me réjouis d'être une créature que les dieux n'ont pas prévue... J. Giraudoux, Amphitryon,1929, I, 6, pp. 63-65.
108. À la fin de leur vie, les amants illustres qui coururent les routes, George Sand et Musset, et Chopin, Liszt, Mmed'Agoult, peut-être ne se souvenaient-ils plus que de chamailleries dans de tristes chambres d'hôtel. Combien peu d'amours trouvent en elles-mêmes assez de force pour demeurer sédentaires! Et c'est pourquoi l'amour conjugal, qui persiste à travers mille vicissitudes, me paraît être le plus beau des miracles, quoiqu'il en soit le plus commun. Après beaucoup d'années, avoir encore tant de choses à se dire, des plus futiles aux plus graves, sans choix, sans désir d'étonner ni d'être admiré, quelle merveille! F. Mauriac, Journal 1,1934, p. 25.
109. Georges encore... aurait des excuses... après vingt ans de mariage l'amour change de forme. Il existe une parenté entre époux qui rendrait certaines choses très gênantes, très indécentes, presque impossibles. J. Cocteau, Les Parents terribles,1938, I, 2, pp. 194-195.
110. Bien qu'elle eût lu quelques romans, qu'elle allât quelquefois au théâtre voir des pièces assez risquées, elle ne s'était jamais imaginé le moins du monde les émois et les transports qui peuvent jeter une femme dans les bras d'un homme. Ce qu'elle connaissait de l'amour était exclusivement le rapport de mari et femme. Or, ce rapport ne comportait absolument rien de passionnel, bien qu'il engendrât la plus grande émotion et qu'il se développât en une affection sans limites et sans fin. P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 120.
IV.− L'amour considéré comme lien passionnel entre deux personnes.
A.− [La passion de l'amour comme telle] Aimer d'amour :
111. Ce que nous appelons proprement amour parmi nous, est un sentiment dont la haute Antiquité a ignoré jusqu'au nom. Ce n'est que dans les siècles modernes qu'on a vu former ce mélange des sens et de l'ame, cette espèce d'amour, dont l'amitié est la partie morale. C'est encore au christianisme que l'on doit ce sentiment perfectionné; c'est lui, qui tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à jeter de la spiritualité jusques dans le penchant qui en paroissoit le moins susceptible. F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 373.
112. Nous n'envisageons l'amour que comme une passion de la même nature que toutes les passions humaines, c'est-à-dire ayant pour effet d'égarer notre raison, ayant pour but de nous procurer des jouissances. Les Allemands voient dans l'amour quelque chose de religieux, de sacré, une émanation de la divinité même, un accomplissement de la destinée de l'homme sur cette terre, un lien mystérieux et tout-puissant, entre deux ames qui ne peuvent exister que l'une pour l'autre. Sous le premier point de vue, l'amour est commun à l'homme et aux animaux. Sous le second, il est commun à l'homme et à Dieu. B. Constant, Wallstein,1809, p. XLIV.
113. Mais si vous êtes une nature exaltée, croyant à des rêves et voulant les réaliser, je vous réponds alors tout net : l'amour n'existe pas. Car j'abonde dans votre sens, et je vous dis : aimer, c'est se donner corps et âme, ou, pour mieux dire, c'est faire un seul être de deux. A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 57.
114. Quand on aime, on aime tout. Tout se voit en bleu quand on porte des lunettes bleues. L'amour, comme le reste, n'est qu'une façon de voir et de sentir. C'est un point de vue un peu plus élevé, un peu plus large; on y découvre des perspectives infinies et des horizons sans bornes. G. Flaubert, Correspondance,1846, p. 264.
115. − Voulez-vous me définir l'amour, mon cher? − Parfaitement, − dit Demailly. − L'amour est − l'amour. − Non, − dit Lamperière. − L'amour est la femme. − C'est une opinion, − fit Grancey. − L'amour?... un fluide! − dit de Rémonville, − un phénomène d'électricité... Il y a des femmes laides qui dégagent l'amour. − Ne disons pas de mal des femmes laides, − dit Franchemont. − Quand une femme laide est jolie, elle est charmante! − En tout cas, − dit Grancey, − c'est une bien jolie imagination : c'est l'âme de tout ce qui n'est pas vrai. E. et J. de Goncourt, Charles Demailly,1860, p. 195.
116. « L'amour, commença Phrasilas, est un mot qui n'a pas de sens ou qui en a trop, car il désigne tour à tour deux sentiments inconciliables : la volupté et la passion. Je ne sais dans quel esprit Faustine l'entend. − Je veux, interrompit Chrysis, la volupté pour ma part et la passion chez mes amants. Il faut parler de l'une et de l'autre, ou tu ne m'intéresseras qu'à demi. − L'amour, murmura Philodème, ce n'est ni la passion ni la volupté. L'amour c'est bien autre chose... » P. Louÿs, Aphrodite,1896, pp. 134-135.
117. Le bien, c'est le bonheur, et surtout c'est l'amour, − l'amour, par où chacun de nous peut franchir sa limite, se confondre avec un autre être, et, par lui, avec l'universel. Voyez-vous, Marsal, l'intelligence, elle, se fait d'âge à âge, elle est à peine ébauchée. L'amour, lui, c'est une possession instantanée, mais pleine, mais surabondante, de tout ce qui nous dépasse. C'est notre minute d'éternité. P. Bourget, Le Sens de la mort,1915, p. 281.
118. ... quand il s'agit de donner une définition d'un amour qui, d'une façon mystérieuse, mais non moins certaine, transcende la sensation, l'on est terriblement embarrassé; et cependant, il y a − et comme tous les grands Anglais, certains Allemands, l'ont su et senti − dans l'amour autre chose que ces floraisons brusques, ces tempêtes, ces coups de vent; il y a ce sentiment composite et comme indestructible, dans lequel joue non point du tout seulement ce qu'au moment même on éprouve, mais aussi tout ce qu'on a éprouvé, et non moins cette insaisissable garantie d'avenir : ... Ch. Du Bos, Journal,mars 1925, p. 333.
119. ... « Si une idée paraît avoir échappé jusqu'à ce jour à toute entreprise de réduction, avoir tenu tête aux plus grands pessimistes, nous pensons que c'est l'idée d'amour, seule capable de réconcilier tout homme, momentanément ou non, avec l'idée de vie. Ce mot : amour, auquel les mauvais plaisants se sont ingéniés à faire subir toutes les généralisations, toutes les corruptions possibles (amour filial, amour divin, amour de la patrie, etc.), inutile de dire que nous le restituons ici à son sens strict et menaçant d'attachement total à un être humain, fondé sur la reconnaissance impérieuse de la vérité, de notre vérité « dans une âme et dans un corps » qui sont l'âme et le corps de cet être. » A. Breton, Les Manifestes du Surréalisme,1930, pp. 172-173.
120. L'amour n'aime pas en vue d'une récompense, puisqu'il cesserait alors par le fait même d'être l'amour; mais il ne faut pas non plus lui demander d'aimer en renonçant à la joie que lui donne la possession de son objet, car cette joie lui est coessentielle; l'amour accepterait de ne plus être l'amour s'il renonçait à la joie qui l'accompagne. Tout amour vrai est donc à la fois désintéressé et récompensé; disons plus, il ne peut être récompensé que s'il est désintéressé, puisque le désintéressement est son essence même. Qui ne cherche dans l'amour d'autre prix que l'amour reçoit la joie qu'il donne; qui cherche dans l'amour autre chose que l'amour perd à la fois l'amour et la joie qu'il donne. L'amour ne peut donc exister que s'il ne demande point de salaire, mais il lui suffit d'être, pour être payé. É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 77.
121. « Aimer, aimer... je vais apprendre le verbe « désaimer ». Ce sera un peu difficile. Et il faudra beaucoup m'aider, petite amie. L'amour s'attrape comme une maladie et la sagesse s'apprend... » J. Bousquet, Traduit du silence,1935-1936, p. 255.
122. ... il fut enfin capable de jugement, il se dit qu'il avait manqué l'amour, cette complicité de rire, d'érotisme, de secrets partagés, de passé et d'espoir, cette union pareille à un inceste permis, ce lien fort comme un lien venu de l'enfance et du sang, ... P. Nizan, La Conspiration,1938, p. 194.
123. L'extase n'est pas amour : l'amour est possession à laquelle est nécessaire l'objet, à la fois possesseur du sujet, possédé par lui. Il n'y a plus sujet égale objet, mais « brèche béante » entre l'un et l'autre et dans la brèche, le sujet, l'objet sont dissous, il y a passage, communication, mais non de l'un à l'autre : l'un et l'autre ont perdu l'existence distincte. G. Bataille, L'Expérience intérieure,1943, p. 96.
124. eugénie. − Aix, avant votre venue était vraiment la ville de l'amour. La moitié du chemin que font les Aixois dans la vie était dédié à l'amour. Quel beau réseau, quel beau lacis, si leurs pas marquaient!... Suivre un Aixois ou une Aixoise, c'était aller dans la journée vers l'amour! lucile. − Quel nom tu donnes à ce passe-temps! eugénie. − C'est le nom. On appelle amour le désir, la poursuite, le don, la jalousie, la béatitude et le désespoir. lucile. − Moi pas. J'appelle amour ce qui n'a pas d'autre nom. J. Giraudoux, Pour Lucrèce,1944, I, 2, p. 22.
Expr. [Avec gén. un cont. ou une nuance relig.] L'amour est fort comme la mort. Personne n'échappe à la mort; p. ext. l'amour est une force comparable à la mort, d'où l'expression l'amour est plus fort que la mort (supra I) :
125. ... la nature avait voulu nous montrer, et de main de maître, les persévérances étranges, indomptables, qu'elle donne à la vie. « L'amour est fort comme la mort ». Qui dit cela? C'est la Bible [Cantique des Cantiques, VIII, 6]. Oui, et c'est aussi la Bible éternelle. Or, qui plus que l'amour consacre la vie, la rend émouvante, respectable et sainte? J. Michelet, L'Insecte,1857, p. 25.
1. [L'amour et ses spécifications]
a) [Les types d'amour] La passion, le sentiment de l'amour; l'amour physique, platonique; l'amour de cœur, de tête :
126. Il y a quatre amours différents : 1 l'amour-passion, celui de la religieuse portugaise, celui d'Héloïse pour Abélard, celui du capitaine de Vésel, du gendarme de Cento. 2 L'amour-goût, celui qui régnait à Paris vers 1760, et que l'on trouve dans les mémoires et romans de cette époque, dans Crébillon, Lauzun, Duclos, Marmontel, Chamfort, Mmed'Épinay, etc., etc. (...). 3 L'amour-physique. À la chasse, trouver une belle et fraîche paysanne qui fuit dans le bois. Tout le monde connaît l'amour fondé sur ce genre de plaisirs : quelque sec et malheureux que soit le caractère, on commence par-là à seize ans. 4 L'amour de vanité. L'immense majorité des hommes, surtout en France, désire et a une femme à la mode, comme on a un joli cheval, comme chose nécessaire au luxe d'un jeune homme. Stendhal, De l'Amour,1822, pp. 5-6.
127. De sa loge à l'Opéra, ses yeux froids plongeaient tranquillement sur le corps de ballet. Pas une œillade ne partait pour ce capitaliste de ce redoutable essaim de vieilles jeunes filles et de jeunes vieilles femmes, l'élite des plaisirs parisiens. Amour naturel, amour postiche et d'amour-propre, amour de bienséance et de vanité; amour-goût, amour décent et conjugal, amour excentrique, le baron avait acheté tout, avait connu tout, excepté le véritable amour. Cet amour venait de fondre sur lui comme un aigle sur sa proie, ... H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 90.
128. Là-dessus, on en vient au plus grand malheur de ce temps-ci, qui est dans la femme et surtout dans le caractère de l'amour moderne. Ce n'est plus l'amour tranquille, calme, presque hygiénique de l'Antiquité. La femme n'est plus considérée comme une pondeuse et une jouissance d'agrément. Nous avons bâti sur elle comme un idéal de toutes nos aspirations. Nous en avons fait le nid et l'autel de toutes sortes de sensations douloureuses, aiguës, délirantes, épicées. E. et J. de Goncourt, Journal,mai 1864, p. 47.
129. Laurence avait eu peur, en effet. Comme beaucoup d'honnêtes femmes, elle pensait que l'amour platonique est une distraction parfaitement licite, où les maris n'ont rien à voir. Elle s'était bercée de l'espoir que l'amour de ce jeune homme, si sérieux et si bien élevé, planerait constamment dans des régions angéliques et immatérielles; qu'entre eux la passion resterait pure, et que le désir des choses défendues, pareil à une hirondelle infatigable, volerait toujours au-dessus de leurs têtes sans jamais y poser son aile. A. Theuriet, La Maison des deux barbeaux,1879, p. 98.
130. Je ne sais si ce que vous appelez l'amour du cœur, l'amour des âmes, si l'idéalisme sentimental, le platonisme enfin, peut exister sous ce ciel; j'en doute même. Mais l'autre amour, celui des sens, qui a du bon, et beaucoup de bon, est véritablement terrible en ce climat. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Marroca, 1882, pp. 785-786.
131. ... le premier effet de l'amour est de supprimer, entre ceux qu'il domine, les lois et les convenances de cette civilisation. Tous les autres appétits sont plus ou moins contenus par les barrières sociales. (...) L'amour seul est demeuré irréductible, comme la mort, aux conventions humaines. Il est sauvage et libre, malgré les codes et malgré les modes. La femme qui se déshabille pour se donner à un homme, dépouille avec ses vêtements toute sa personne sociale; elle redevient, pour celui qu'elle aime, ce qu'il redevient, lui aussi, pour elle, la créature naturelle et solitaire dont aucune protection ne garantit le bonheur, dont aucun édit ne saurait écarter le malheur. Le monde du cœur et le monde des sens, − ces deux domaines où l'amour habite, − restent inaccessibles au législateur. Il s'accomplit là des infamies qu'aucune sanction humaine ne peut atteindre; il s'y manifeste des héroïsmes qu'aucune gloire humaine ne couronne. Chacun des deux amants ne peut en appeler de ce qu'il subit qu'à la nature, ... P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 29.
132. L'amour romantique date du Moyen Âge (...) L'amour romantique se distingue par l'intensité du sentiment. Il s'adresse à un absent ou à une absente, à une fiancée, à un amant, à un être intermittent qui ne partage pas votre vie et que des obstacles ou un peu d'éloignement rendront plus séduisant. J. Chardonne, Attachements,1943, p. 23.
133. « Il n'y a que les chrétiens pour avoir imaginé l'amour platonique. C'est que le christianisme a divisé l'homme, opposant l'âme noble au corps vil. L'homme total aimera dans sa chair et son âme enfin réunies, inséparables, consubstantielles ». R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 107.
134. Les fautes charnelles apprennent à certains ce qu'ils n'auraient jamais pu savoir autrement, et j'entends cela d'une façon largement humaine et non pas seulement érotique. L'expérience de l'amour physique dépasse infiniment le corps; elle englobe un monde qu'il est précieux d'avoir connu et où beaucoup de bien se mêle à beaucoup de mal. J'ai l'air de faire l'apologie du plaisir, ce qui n'est pas du tout mon propos, mais j'ai connu des gens très sensuels, hommes et femmes, qui avaient un sens de l'humain beaucoup plus développé que des âmes manifestement vertueuses et innocentes. Connaître, dans le sens charnel que lui prête la Bible, n'est pas du tout un vain mot. J. Green, Journal,1946, pp. 42-43.
135. Aimer n'est rien, il faut être aimé! L'amour solitaire n'est pas digne de son nom, l'amour sans réponse s'épuise en vain vers sa forme! Mais qu'il soit réciproque, au contraire, et la loi de la nature le fera durable! A. Camus, Le Chevalier d'Olmedo,adapté de F. Lope de Vega, 1957, 1rejournée, 1, p. 719.
b) [Les situations ou occasions d'amour] Un premier, un nouvel amour :
136. « Plus tard, détrompée de cet amant et de tous les hommes, l'expérience de la triste réalité a diminué chez elle le pouvoir de la cristallisation, la méfiance a coupé les ailes à l'imagination. À propos de quelque homme que ce soit, fût-il un prodige, elle ne pourra plus se former une image aussi entraînante; elle ne pourra donc plus aimer avec le même feu que dans la première jeunesse. Et comme en amour on ne jouit que de l'illusion qu'on se fait, jamais l'image qu'elle pourra se créer à vingt-huit ans n'aura le brillant et le sublime de celle sur laquelle était fondé le premier amour à seize, et le second amour semblera toujours d'une espèce dégénérée. » Stendhal, De l'Amour,1822, p. 21.
137. Je ne suis pas de ceux qui rient d'un amour perdu. J'ai éprouvé qu'un amour ne se remplace pas par un autre amour. Le second fait tort au troisième, le troisième au quatrième; ils s'affaiblissent l'un l'autre comme un écho, comme le cercle fragile qui ride l'onde agitée par la pierre d'un enfant. Surtout il est une femme qu'on ne remplace jamais, c'est la seconde femme que l'on aime. J. Janin, L'Âne mort et la femme guillotinée,1829, pp. 79-80.
138. − Il vit par hasard dans le monde, où il allait très-peu, une jeune fille fort belle, mais sans fortune. − Par hasard aussi il en devint éperdument amoureux; c'était son premier amour véritable. Or, un premier amour de débauché, c'est, on le sait, la passion la plus frénétique, la plus violente qu'on puisse imaginer. E. Sue, Atar Gull,1831, p. 11.
139. ... la respectueuse estime dont jouissait Charles, l'entière affection de cet homme, qui répondit par un amour unique à un unique amour, tout avait réconcilié cette pauvre femme avec la vie. H. de Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 26.
140. Je n'ai pas pensé que je cesserais un jour de t'être fidèle, puisqu'à tout jamais j'avais compris ta pensée et la pensée que tu existes, que tu ne cesses d'exister qu'avec moi. J'ai dit à des femmes que je n'aimais pas que leur existence dépendait de la tienne. Et la vie, pourtant, s'en prenait à notre amour. La vie sans cesse à la recherche d'un nouvel amour, pour effacer l'amour ancien, l'amour dangereux, la vie voulait changer d'amour. P. Éluard, Donner à voir,1939, p. 47.
Le grand amour, l'amour parfait; filer le parfait amour :
141. Tu m'as accusé de ne pas t'aimer, et ce reproche m'est bien amer, puisque ce qui me tourmente, et ce qui t'importune, c'est mon trop d'amour. Adèle, il est donc vrai que tu aurais été plus heureuse d'être aimée par quelque être tranquille et froid, qui n'eût connu ni la chaste susceptibilité, ni les délicates jalousies d'un grand amour? V. Hugo, Lettres à la fiancée,1822, p. 222.
142. ... dans un grand amour on n'est jamais deux, mais trois et (...) ce troisième qui est l'être fait de notre plus précieuse substance sentimentale et né de l'union des deux peut finir par devenir plus important que chacun des deux pris isolément; et c'est ce que j'entends par ce que j'appelle la responsabilité dans l'amour : la responsabilité est vis-à-vis de l'être à la fois issu de nous et qui nous est supérieur, et les scènes, les désaccords. les moments où chacun des deux tire de son côté, ce fardeau d'une cécité réciproque que l'amour a tant de peine à éviter, sont toujours ressentis par moi comme essentiellement dirigés contre l'amour même. Ch. Du Bos, Journal,mars 1923, p. 241.
143. J'ai lu le raisonnement suivant de MmeAurel, que je mets en syllogisme pour être plus court : « Il n'y a rien de plus beau qu'une belle lettre d'amour. − Les plus belles lettres d'amour sont écrites par des femmes. − Donc le jour où les femmes feront imprimer des lettres d'amour de 300 pages in-18 sous couverture jaune-paille, elles auront écrit les plus beaux livres du monde. » Attendons. Mais jusqu'à présent tout au moins ce n'a pas été du tout la même chose. Un grand et parfait amour, un chef-d'œuvre sentimental, demandent des âmes orientées d'une certaine façon, et qui s'y donnent entières. Aucun grand artiste ne paraît avoir réalisé un de ces amours absolus : ... A. Thibaudet, Réflexions sur la littérature,1936, p. 65.
Au plur. Les amours de qqn. Les épisodes successifs d'un même amour; série des expériences d'amour avec ou entre des partenaires différents :
144. Elle entra d'un air d'amitié qui me ravit. Nous causâmes de ses amours avec Delarbre. Elle ne convint pas de l'avoir aimé; mais elle s'étendit sur les marques d'une véritable tendresse qu'il lui avait données. N.-E. Restif de La Bretonne, Monsieur Nicolas,1796, p. 21.
145. Si l'on compare les amours d'Ulysse et de Pénélope à celles d'Adam et d'Eve, on trouve que la simplicité d'Homère est plus ingénue, celle de Milton plus magnifique. F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 322.
146. Tous ces amours de Werther, Paul, Roméo, Des Grieux, paraissent aux femmes très profonds et inimitables, mais cela vient de ce qu'ils furent malheureux. A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1832, p. 956.
147. Il attendait, un bouquet de violettes à la main, le moment où Georgina sortirait des coulisses. Vue de près, la trouva-t-il moins exciting? Les innombrables amours de notre Don Juan, s'il y fait sans peine allusion, il ne divulgue pas l'identité de ses partenaires. J.-É. Blanche, Mes modèles,1928, p. 221.
À tes (vos) amours. Souhait adressé à son vis-à-vis au moment de trinquer :
148. Le garçon apporta le mousseux d'un pas guilleret et enleva le bouchon avec de grands airs. Il serva, on trinquit. − À ta chance, à tes amours, dit Petit-Pouce. − À ta prochaine embauche, dit Paradis. R. Queneau, Pierrot mon ami,1942, p. 127.
Loc. En amour. Dans une situation d'amour :
149. En amour, il suffit de se plaire par ses qualités aimables et par ses agréments; mais en mariage, pour être heureux, il faut s'aimer, ou, du moins, se convenir par ses défauts. Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 64.
150. Vous rencontrez une jolie femme galopant dans le parc et le rival est fameux par ses beaux chevaux qui lui font faire dix milles en cinquante minutes. Dans cet état la fureur naît facilement; l'on ne se rappelle plus qu'en amour, posséder n'est rien, c'est jouir qui fait tout; ... Stendhal, De l'Amour,1822, pp. 106-107.
151. De Ryons a eu et aura des maîtresses. Mais, en amour, posséder n'est rien, c'est à se donner que consiste le bonheur, et de Ryons ne le peut pas. P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 49.
152. ... Racine veut que sa dénonciation atteigne un autre aspect de la passion humaine. Si le sang ne lie pas à Hippolyte la femme de Thésée, il suffit que l'infortunée se croie incestueuse pour l'être en effet; en amour, c'est souvent la loi qui crée le crime. F. Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 133.
153. ... l'élégance morale fait partie de la coquetterie de certains hommes en amour. Tout comme la femme cherche à être belle pour plaire, l'homme cherche à être admirable. La femme qu'il aime doit se prêter à ce jeu. Si elle se montrait sceptique, si elle soulignait chez son amant certaines faiblesses ou certaines contradictions, elle serait aussi maladroite, d'une clairvoyance aussi inutilement cruelle, que l'homme qui signalerait à sa maîtresse des rides ou un double menton. J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 152.
Proverbes Froides mains, chaudes amours; vivre d'amour et d'eau fraîche; malheureux au jeu, heureux en amour :
154. Vivre d'amour et d'eau fraîche. Se dit ironiquement − dans l'argot de Breda-Street − de l'amour pur, désintéressé, sincère, celui ... [des] nids de tourterelles. A. Delvau, Dict. de la langue verte,1867, p. 501.
155. « Je n'ai pas de veine, ce soir. » disait-il à son partenaire. Mais il s'en foutait! Une odeur de femme, douceâtre, le grisait; des images obscènes lui brouillaient les yeux, une bouffée de sang lui montait au visage, et, ouvrant sa chemise, il découvrait son cou solide de porteur. « Malheureux au jeu, heureux en amour, » pensait-il. E. Dabit, L'Hôtel du Nord,1929, p. 58.
2. [L'amour en tant qu'il se traduit par des gestes, des attitudes, des manifestations ou moments divers] Les signes de l'amour; lettre d'amour, languir d'amour :
156. ... l'humeur et le dépit sont autant les signes de l'amour que la tendresse. Quand on n'aime plus tout est calme et ce silence du cœur est celui de la tombe. Ch.-J. de Chênedollé, Extraits du journal,1815, p. 78.
157. ... c'est dans les riens, dans les mots, dans les regards que l'amour se décèle. Les plus fortes preuves de l'amour sont une foule de choses imperceptibles pour tout autre que l'être aimé. V. Hugo, Lettres à la fiancée,1822, p. 254.
158. ... Eugénie était assise sur le petit banc de bois où son cousin lui avait juré un éternel amour, et où elle venait déjeuner quand il faisait beau. La pauvre fille se complaisait en ce moment, par la plus fraîche, la plus joyeuse matinée, à repasser dans sa mémoire les grands, les petits événements de son amour, et les catastrophes dont il avait été suivi. H. de Balzac, Eugénie Grandet,1834, p. 238.
159. Il ne quitta pas si vite ce cœur où il était enfermé tout entier, ni ce corps qui appelait tous ses sens, et, quand elle passait ses mains dans les siennes, parfois il tressaillait encore, se plaisant toujours aux vieilles joies des voluptés qui avaient perdu leur grandeur. La régularité du plaisir et la satisfaction du besoin physique remplacèrent la fièvre de l'amour, ses frénésies terribles et ses mélancolies bienheureuses; ... G. Flaubert, La Première éducation sentimentale,1845, p. 212.
160. ... un gai rayon clair, passant à travers les rideaux, courait sur les boucles blondes de la jeune fille, sur les pétales de la rose épanouie et sur la tête de Gérard, incliné devant celle qu'il aimait. Dans un coin, l'austère chevalier contemplait cette scène d'amour, écoutait le bruit des caresses et sentait un singulier enrouement le prendre à la gorge... A. Theuriet, Le Mariage de Gérard,1875, p. 218.
161. L'amour humain ne se distingue du rut stupide des animaux que par deux fonctions divines : la caresse et le baiser. P. Louÿs, Aphrodite,1896, p. 106.
162. ... un amour auquel s'annexaient tous ces épisodes, des visites aux musées, des soirées au concert, toute une vie compliquée qui permet des correspondances, des conversations, un flirt préliminaire aux relations elles-mêmes, ... M. Proust, À la recherche du temps perdu,La fugitive, 1922, p. 554.
163. Chimène ne peut pas ressentir pour Rodrigue la haine qu'elle doit au meurtrier de son père, et elle le dit. Ni Corneille ni Racine n'ont usé communément de la litote dans leurs scènes de déclaration d'amour : je ne vois guère qu'Hippolyte et Aricie, qui emploient ce genre d'agréables énigmes que je trouve charmantes, mais qui évidemment me touchent moins le cœur que le torrent verbal et l'explosion directe de Phèdre et le j'aime! cri d'une bouche ouverte comme une blessure. Ni dans Shakespeare ni dans Hugo l'amour ne procède par litote. Ni dans Claudel. A. Thibaudet, Réflexions sur la littérature,1936, p. 133.
164. ... nous pouvions voir comme la défaite et ses conséquences avaient ébranlé les nerfs des femmes. On remarquait chez beaucoup une parfaite absence de pudeur. Ce ne serait rien que ces protestations d'amour où des mots de romance épanchaient leur musique banale, mais les sensuelles écrivaient d'effroyables lettres, que les censeurs allemands se passaient de main en main avec de longs commentaires. F. Ambrière, Les Grandes Vacances,1946, p. 98.
En partic. La rencontre d'amour, l'acte sexuel. Faire l'amour, les plaisirs de l'amour, le jeu d'amour :
165. On a de l'amour pour les fleurs, pour les oiseaux, pour la danse, pour son amant, quelquefois même pour son mari; jadis, on languissait, on brûlait, on mourait d'amour; aujourd'hui on en parle, on en jase, on le fait, et le plus souvent on l'achète. Dict. des gens du monde,t. 1, 1818.
166. Chez Flaubert, la Lagier (...) nous expose ses théories transcendentales sur la jouissance. Une femme, selon elle, ne peut jouir qu'avec les gens au-dessous d'elle, parce qu'avec un homme propre, il y a toujours un reste de pudeur, une préoccupation de sa pose, un souci de la jouissance du partner. Tout cela gêne, occupe, préoccupe et dérange, au lieu qu'avec un misérable, un homme de rien, on lui fait faire l'amour comme on lui fait fendre son bois. E. et J. de Goncourt, Journal,nov. 1862, p. 1172,
167. Mais en femme agréable et qui fuit le ton des bas bleus. elle se gardait de parler de la question d'Orient aux premiers ministres aussi bien que de l'essence de l'amour aux romanciers et aux philosophes. « L'amour? avait-elle répondu une fois à une dame prétentieuse qui lui avait demandé : « Que pensez-vous de l'amour? » L'amour? Je le fais souvent, mais je n'en parle jamais. » M. Proust, À la recherche du temps perdu,Le Côté de Guermantes 1, 1920, p. 195.
168. Là-bas, l'amour, non, ça n'est pas du tout le même que le vôtre. Là-bas, c'est un acte silencieux, à la fois sacré et naturel. Profondément naturel. Il ne s'y mêle aucune pensée, d'aucune sorte, jamais. Et la recherche des plaisirs, qui est toujours plus ou moins clandestine ici, eh bien, là-bas, elle est aussi légitime que la vie, et, comme la vie, comme l'amour, elle est naturelle et sacrée. R. Martin du Gard, Les Thibault,La Belle saison, 1923, pp. 1002-1003.
169. Nous avions l'attitude et nous faisions les gestes de l'amour et je sentais monter en moi contre elle une incompréhensible et sauvage rancune. Pourtant nous nous séparâmes tendrement et sur un baiser. A. Maurois, Climats,1928, p. 111.
170. Il ne peut plus faire l'amour? Mais il l'a fait. Avoir fait l'amour, c'est beaucoup mieux que de le faire encore; avec le recul on juge, on compare et réfléchit. J.-P. Sartre, La Nausée,1938, p. 95.
171. Dès sept heures moins le quart, il fut au Dupont-Latin. À une table voisine, un garçon de l'âge de Frédéric attendait une jeune fille. Quand elle franchit la porte, leur sourire bouleversa Frédéric. Ceux-là n'avaient pas besoin d'apprendre le jeu d'amour; rien que dans la manière dont ils se disaient bonsoir, il discerna une caresse, un aveu, l'expression d'un désir; comme il enviait l'aisance de ce sourire! R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 242.
172. J'éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l'amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l'amour » ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de « faire », matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot « amour », m'enchantait. F. Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 137.
173. Je riais de mes discours et de mes plaidoiries. Plus encore de mes plaidoiries, d'ailleurs, que de mes discours aux femmes. À celles-ci, du moins, je mentais peu. L'instinct parlait clairement, sans faux-fuyants, dans mon attitude. L'acte d'amour, par exemple, est un aveu. L'égoïsme y crie, ostensiblement, la vanité s'y étale, ou bien la vraie générosité s'y révèle. A. Camus, La Chute,1956, p. 1507.
174. ... Bourget, Alphonse Daudet, Marcel Prévost, Maupassant, les Goncourt (...) complétèrent mon éducation sexuelle, mais sans beaucoup de cohérence. L'acte d'amour durait parfois toute une nuit, parfois quelques minutes, il paraissait tantôt insipide, tantôt extraordinairement voluptueux; il comportait des raffinements et des variations qui me demeuraient tout à fait hermétiques. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 111.
Locutions
En signe d'amour. Comme preuve d'amour :
175. Le guerrier vainqueur du monstre recevoit une part de la victime plus grande que celle des autres; et, lorsque, gonflé de nourriture il ne se pouvoit plus repaître, sa femme, en signe d'amour, le forçoit encore d'avaler d'horribles lambeaux qu'elle lui enfonçoit dans la bouche. F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 242.
(Agir) par amour (pour qqn). Avec des sentiments inspirés par l'amour :
176. ... Ondouré accusa le guerrier blanc d'avoir voulu faire mourir sa fille, par dégoût pour Céluta, et par amour pour une autre femme. F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826p. 330.
177. Il se disait : « le fait-elle par amour pour moi, ou seulement par passion hippogriffale? Est-ce une amoureuse ou une ambitieuse? D'ailleurs peu m'importe, je ne vais pas me casser la tête à prospecter ce qu'il y a dans une âme. Si c'est par amour, c'est admirable, et il y a de quoi me décider au mariage. » H. de Montherlant, Le Démon du bien,1937, p. 1277.
178. J'ai l'impression que les femmes ne couchent avec toi ni par vanité ni, pardonne-moi, par amour, mais plutôt, comment dirai-je, par vice, sans y attacher tellement d'importance... R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 89.
Pour l'amour de + nom de pers. :
179. − Où vas-tu si tard dans ce quartier? demanda Musette. − Je vais dans ce monument, fit l'artiste en indiquant un petit théâtre où il avait ses entrées. − Pour l'amour de l'art? − Non, pour l'amour de Laure. H. Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 177.
180. − Je n'ai ni faim ni soif, murmura-t-il. − Eh bien, buvez, pour l'amour de moi. Elle attacha sur lui ce regard plein de séduction auquel il ne pouvait jamais résister. − Je le veux! dit-elle avec une mutinerie charmante. Léon prit son verre et le vida d'un seul trait. P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 157.
181. Les femmes eurent sur lui une extrême influence. Pour l'amour de celle qu'il épousa, il fit la guerre contre son suzerain. Pour l'amour d'une autre qu'il enleva, il s'enfuit sous un déguisement, quand c'était l'heure de se battre . M. Barrès, Le Voyage de Sparte,1906, p. 227.
Rem. Autres syntagmes a) Subst. + adj. : ancien, ardent, brûlant, charnel, dernier, désintéressé, éternel, exclusif, faux, fort, fou, humain, immense, impossible, infini, jaloux, jeune, malheureux, partagé, passionné, perdu, profond, secret, seul, sincère, tendre, unique, véritable, vrai; subst. + adj. + de : digne, ivre, plein; b) Subst. + d'amour, de l'amour : acte, baiser, besoin, chagrin, chant, déclaration, délices, désert, désespoir, désir, douleur, élan, espérance, espoir, excès, feux, folie, force, grâce, histoire, idée, innocence, intelligence, jeunesse, joie, mots, mystère, nuit, paroles, peine, pensée, pouvoir, preuve, regard, regret, rêve, scène, sens, transport; c) Verbe + (son), (l') amour : avouer, comprendre, connaître, dire, donner, exprimer, oublier, prouver, raconter, rendre, savoir; verbe + à (son), (l') amour : croire, porter, renoncer; verbe + de (son), (l') amour : avoir, brûler, douter, éprouver, inspirer, mourir, parler, pleurer, porter, se prendre, rêver, sentir; amour + verbe : confondre, exister, finir, naître, sembler.
B.− [L'amour considéré du point de vue des personnes]
1. [Spécifications affectives] :
182. La dissemblance entre la naissance de l'amour chez les deux sexes doit provenir de la nature de l'espérance qui n'est pas la même. L'un attaque et l'autre défend; l'un demande et l'autre refuse; l'un est hardi, l'autre très timide. L'homme se dit : Pourrai-je lui plaire? Voudra-t-elle m'aimer? La femme : N'est-ce point par jeu qu'il me dit qu'il m'aime? Est-ce un caractère solide? Peut-il se répondre à soi-même de la durée de ses sentiments? Stendhal, De l'Amour,1822, p. 22.
183. Il y a des moments d'éclipse et de brutalité dans l'amour chez l'homme, où il irait jusqu'à en vouloir à la femme qu'il aime, de cette sensibilité dévorante qui la ferait sécher et pâlir, et dépérir en beauté loin de lui, à cause de lui! Les femmes ne sont jamais ainsi, elles; et c'est ce qui maintient leur grandeur dans l'amour, leur vertu souvent dans l'abîme, leur titre à l'immortel pardon. Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 56.
184. Tu veux savoir si je t'aime? Eh bien, autant que je peux aimer, oui; c'est-à-dire que, pour moi, l'amour n'est pas la première chose de la vie, mais la seconde. C'est un lit où l'on met son cœur pour le détendre. Or, on ne reste pas couché toute la journée. Toi, tu en fais un tambour pour régler le pas de l'existence! Non, non, mille fois non! G. Flaubert, Correspondance,1847, p. 1.
185. L'amour est dans celui qui aime, non dans celui qu'on aime. Tout est pur chez les purs. Tout est pur chez les forts et chez ceux qui sont sains. L'amour, qui pare certains oiseaux de leurs plus belles couleurs, fait sortir des âmes honnêtes ce qu'elles ont de plus noble. Le désir de ne montrer à l'autre rien qui ne soit digne de lui, fait qu'on ne prend plus plaisir qu'aux pensées et aux actes qui sont en harmonie avec la belle image que l'amour a sculptée. R. Rolland, Jean-Christophe,L'Adolescent, 1905, p. 339.
186. Lui avait aimé une Japonaise parce qu'il aimait la tendresse, parce que l'amour à ses yeux n'était pas un conflit mais la contemplation confiante d'un visage aimé, l'incarnation de la plus sereine musique, − une poignante douceur. A. Malraux, La Condition humaine,1933, p. 429.
187. « Mon amour pour elle, vraiment, ne faisait qu'un avec le sentiment que j'ai de l'absolu. Quel dommage qu'elle n'en sache rien! Si elle avait, ne fût-ce qu'un instant, compris mon amour, elle n'aurait jamais pu s'en distraire, même pour danser. » L'amour! Quand la fête des yeux est la fête du cœur et qu'il n'y a plus de place au monde pour la peur qui nous vient avec la pensée, l'horrible peur de n'être qu'une chose. L'amour, quand elle est là et que je crois qu'elle va me comprendre. L'amour, pour me faire oublier combien mon être me pèse, au point que je sais enfin pourquoi je suis désespéré et comme honteux de ne pas être que moi. J. Bousquet, Traduit du silence,1935-1936, p. 68.
188. J'aimerais, le jour où un homme me subjuguerait par son intelligence, sa culture, son autorité. Sur ce point, Zaza n'était pas de mon avis; pour elle aussi l'amour impliquait l'estime et l'entente; mais si un homme a de la sensibilité et de l'imagination, si c'est un artiste, un poète, peu m'importe, disait-elle, qu'il soit peu instruit et même médiocrement intelligent. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 145.
2. [L'amour hors mariage] :
a) [L'amour libre] :
189. Je considère l'accouplement légal comme une bêtise. Je suis certain que huit maris sur dix sont cocus. Et ils ne méritent pas moins pour avoir eu l'imbécillité d'enchaîner leur vie, de renoncer à l'amour libre, la seule chose gaie et bonne au monde, de couper l'aile à la fantaisie qui nous pousse sans cesse à toutes les femmes, etc., etc. Plus que jamais, je me sens incapable d'aimer une femme, parce que j'aimerai toujours trop toutes les autres. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Lui?, 1883, p. 852.
190. − Le mariage est odieux et détestable, lui dit-il. Je me sens écœuré quand je pense à cette chaîne affreuse, la plus lourde que les hommes aient forgée pour attacher les âmes un peu fières. Le scepticisme et l'amour libre sont aussi nécessairement associés que la religion et le mariage. Les gens d'honneur n'ont pas besoin des lois... pour l'amour de Dieu, Élisabeth, lisez le service du mariage, et voyez si un honnête homme peut soumettre un être aimable et aimé à une telle dégradation. A. Maurois, Ariel ou la Vie de Shelley,1923, p. 63.
191. Je lui ressasse mes sempiternelles raisons : − En ne vous épousant pas, je sauvegarde notre amour. Le mariage est la fin de l'amour, cela est connu depuis Jeroboam. Je me lasserais de vous. Vous me gêneriez. Je vous apparaîtrais avec mes petits côtés. Finish l'extase. Dans la liaison rien de tout cela, ou si peu. H. de Montherlant, Le Démon du bien,1937, p. 1256.
192. Il me répéta que notre société ne respecte que les femmes mariées. Je ne me souciais pas d'être respectée. Vivre avec Jacques et l'épouser, c'était tout un. Mais dans les cas où on pouvait dissocier l'amour du mariage, cela me semblait à présent bien préférable. J'aperçus un jour au Luxembourg Nizan et sa femme qui poussait une voiture d'enfant, et je souhaitai vivement que cette image ne figurât pas dans mon avenir. Je trouvais gênant que des époux fussent rivés l'un à l'autre par des contraintes matérielles : le seul lien entre des gens qui s'aiment aurait dû être l'amour. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 325.
b) [L'adultère] :
193. Sans même s'arrêter à des relations d'une nature aussi particulière, ne voyons-nous pas tous les jours que l'adultère, quand il est fondé sur l'amour véritable, n'ébranle pas les sentiments de famille, les devoirs de parenté, mais les revivifie? L'adultère alors introduit l'esprit dans la lettre que bien souvent le mariage eût laissée morte. M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Prisonnière, 1922, p. 262.
194. Vois : nous nous aimons depuis des semaines, et personne ne sait, personne... MlleGermaine par-ci... M. le Député par-là... Hein? Sommes-nous bien cachés? Bien clos? M. Gallet fait l'amour avec une fille de seize ans. Qui s'en doute? Et ta femme elle-même? Avoue-le, vieux scélérat, tu la trompes ici, à sa moustache (elle en a!), c'est la moitié de ton bonheur. Je te connais. Tu n'aimes pas l'eau claire. G. Bernanos, Sous le soleil de Satan,1926, p. 109.
195. Ah! Comme j'aurais bien fait l'épouse d'un artiste! Car pour être une femme d'artiste il faut aimer l'artiste encore plus que l'homme, faire que le premier soit grand, et que le second soit heureux. Et puis, être entre soi, se comprendre à demi-mot, quel repos! J'ai horreur des vieilles filles. J'ai pitié des mal mariées. L'amour irrégulier me dégoûte. H. de Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 937.
c) Enfant de l'amour. Un enfant naturel, bâtard :
196. Dans la maison où elle est, on avait décidé, sur cette analogie des traits, qu'elle était ma fille et l'on avait là-dessus bâti un roman. C'était ma fille naturelle, une enfant mystérieuse de l'amour que j'avais fait venir à Paris et que je venais voir à l'insu de ma famille, ... J. Michelet, Journal,1849, p. 648.
197. ... une femme tenant comme lui une enfant par la main, une petite fille blonde comme moi l'approcha... Je ne sais pas ce qu'elle dit à mon père, je ne compris pas très bien, mais elle pleurait, et mon père la repoussa. − C'était ma mère! dit Rébecca, dont la voix s'altéra, et cette enfant, c'était moi... et depuis ce jour-là, voyez-vous, madame, l'enfant de l'amour, l'enfant de l'abandon, la malheureuse élevée dans l'ombre, reniée par tous, même par Dieu, se souvient toujours de vous avoir vue passer, vous, l'enfant du soleil et de la lumière. P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 5, Les Exploits de Rocambole, 1859, p. 386.
198. − Ah! celle-là, la mère est d'Anvers. Une toute jeunette. Elle vient le samedi. Elle ne me l'a pas dit, mais... Elle baissa le ton. − ... Mais je pense bien qu'elle n'est pas mariée, madame. Je n'ai jamais vu le père... Un enfant de l'amour... Een bastaardkind... C'est triste, hein? M. Van der Meersch, L'Empreinte de Dieu,1936, p. 237.
Rem. Plus gén. enfant de l'amour peut désigner un enfant conçu ou voulu par des pers. qui s'aiment profondément :
199. Les ouvrages qu'un auteur fait avec plaisir sont souvent les meilleurs, comme les enfants de l'amour sont les plus beaux. Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 72.
200. Ma sœur, Odette, est née quand mes parents habitaient encore Rouen, dans les premières romanesques années de leur mariage, c'est une enfant de l'amour; tandis que, moi, je suis venue au monde quand grand'mère avait déjà consenti à recevoir mon père, qu'on avait déjà l'hôtel particulier, rue de l'Université, dont maman avait hérité d'une tante. E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 272.
3. [L'amour homosexuel] :
201. Toute religion est un code pénal et criminel réservé pour les méfaits que les lois du monde visible et humain ne peuvent atteindre, par exemple le suicide, l'inceste secret, l'amour saphique, etc. L'amour grec. A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1852, p. 1295.
202. Il me parlait des garanties de défense des détenues, en m'ouvrant le prétoire où elles sont jugées au tribunal du samedi. Il me vantait la moralisation par le silence, en me disant comme elles se corrompraient, si elles se parlaient, et toutes leurs ruses pour se correspondre, − jusqu'à une qui avait, avec ses ciseaux de travail découpé dans un livre de prières le Pater et l'Ave par lettres et les avait cousues pour en faire à une compagne une lettre d'obscénité. Et là, autre abîme! Je sondais de la pensée les amours contre-nature qui devaient germer, éclater là; les jalousies, les passions qui la nuit, les font relever et assommer une voi(...)e de lit à coups de pots, leur seule arme! Amours lesbiennes, compagnonnages de couvent compliqués de prison, ... E. et J. de Goncourt, Journal,oct. 1862, pp. 1149-1150.
203. La communauté de leur existence avait établi entre ces hommes des amitiés profondes. Le camp, pour la plupart, remplaçait la patrie; vivant sans famille, ils reportaient sur un compagnon leur besoin de tendresse, et l'on s'endormait, côte à côte, sous le même manteau, à la clarté des étoiles. Dans ce vagabondage perpétuel à travers toutes sortes de pays, de meurtres et d'aventures, il s'était formé d'étranges amours, − unions obscènes aussi sérieuses que des mariages, où le plus fort défendait le plus jeune au milieu des batailles, l'aidait à franchir les précipices, épongeait sur son front la sueur des fièvres, volait pour lui de la nourriture; et l'autre, enfant ramassé au bord d'une route, devenu mercenaire, payait ce dévouement par mille soins délicats et des complaisances d'épouse. G. Flaubert, Salammbô,1863, t. 2, p. 135.
204. Au collège, où il se sentait Grec et Romain, il faisait profession de dédaigner la femme, et avait de doctes entretiens, renouvelés des Grecs, sur la question de savoir si oui ou non elle possède une âme. Mais ici il entrait, sans en avoir conscience, dans la vieille tradition qui marie tauromachie et galanterie, et qui explique en partie, selon nous, pourquoi l'Espagne est un des pays d'Europe les moins touchés par l'amour entre mâles, malgré l'atavisme nord-africain qui devrait l'y porter. H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 442.
205. ... l'irrépressible dégoût que peut éprouver un homosexuel pour un autre dont les appétits ne sont pas les mêmes est chose dont l'hétérosexuel ne peut se rendre compte : il les fourre tous dans le même sac pour les jeter par-dessus bord en bloc, ce qui est évidemment beaucoup plus expédient. J'ai tenté pour ma part de faire le départ entre pédérastes selon l'acceptation grecque du mot : amour des garçons, et les invertis, mais on n'a consenti à y voir qu'une discrimination assez vaine, et force m'a été de me replier. A. Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1242.
206. Felicitas et Élisabeth! Elles ont d'abord de l'aversion l'une pour l'autre − crac! Cela tourne, et voilà qu'elles éprouvent une tendresse, un désir, un amour insurpassables, elles ne peuvent s'éloigner l'une de l'autre, se détacher pendant une minute, et au bout de huit jours elles dorment ensemble. P.-J. Jouve, Aventures de Catherine Crachat,Hécate, Paris, Mercure de France, 1963, p. 81.
4. [L'inceste] :
207. ... une soûlerie de l'or dont l'ivresse croissante l'emportait, lui faisait, le corps de sa femme Angèle à peine froid, vendre son nom pour avoir les premiers cent mille francs indispensables, en épousant Renée, puis l'amenait plus tard, au moment d'une crise pécuniaire, à tolérer l'inceste, à fermer les yeux sur les amours de son fils Maxime et de sa seconde femme, dans l'éclat flamboyant de Paris en fête. É. Zola, Le Docteur Pascal,1893, p. 109.
208. ... ils étaient beaux, non coupables, presque rituels. Certes le Jean-Baptiste couchait avec ses filles, au moins la fille aînée, et un tel amour avait comme toutes les choses sacrilèges un aspect particulièrement brillant, fulgurant, à travers la beauté du soir, dans le lieu religieux et pauvre et sans routes, où les grandes palmes abritaient la nécessité et la commodité profondes. P.-J. Jouve, La Scène capitale,1935, p. 178.
5. [L'amour considéré comme attachement d'un être à soi-même]
a) [L'amour est princ. moral] L'amour légitime ou exagéré de soi (cf. amour-propre) :
209. Par ces sensations, l'homme, tantôt détourné de ce qui blesse ses sens, et tantôt entraîné vers ce qui les flatte, a été nécessité d'aimer et de conserver sa vie. Ainsi, l'amour de soi, le désir du bien-être, l'aversion de la douleur, ont été les lois essentielles et primordiales imposées à l'homme par la nature même; ... C.-F.-Ch. de Volney, Les Ruines,1791, p. 40.
210. Me voilà donc avec deux amours et deux tendances, dont vous ne me démontrez nullement l'harmonie possible : savoir, d'une part l'amour de moi-même ou du moi, ou l'égoïsme; et d'autre part, l'amour du prochain ou du non-moi, ou la charité. Et ces deux amours sont aussi saints l'un que l'autre. Car si vous me dites que l'amour du prochain est saint aux yeux de Dieu, il est évident aussi que l'amour de moi-même est nécessaire, et par conséquent légitime et saint aux yeux du créateur de toutes choses. P. Leroux, De l'Humanité,t. 1, 1840, p. 198.
211. Quand l'homme cessera d'aimer son corps de singe (dans la première espèce) et d'espérer l'éternité de sa mesquine personne, il sera libre des superstitions paradisiaques et des peurs infernales. Ce qu'il faut détruire, c'est l'amour de soi, de sa personnalité, de son cher individu. A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1862, p. 1374.
212. Cette sensibilité morale a quatre genres, et son deuxième genre, « désirs moraux », se divise en cinq espèces, et les phénomènes de quatrième genre, « affection », se subdivisent en deux autres espèces, parmi lesquelles l'amour de soi, « penchant légitime, sans doute, mais qui, devenu exagéré, prend le nom d'égoïsme ». G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet,t. 2, 1880, p. 94.
213. L'égoïsme, en effet, pour l'homme vivant en société, comprend l'amour-propre, le besoin d'être loué, etc.; de sorte que le pur intérêt personnel est devenu à peu près indéfinissable, tant il y entre d'intérêt général, tant il est difficile de les isoler l'un de l'autre. Qu'on songe à tout ce qu'il y a de déférence pour autrui dans ce qu'on appelle amour de soi, et même dans la jalousie et l'envie! Celui qui voudrait pratiquer l'égoïsme absolu devrait s'enfermer en lui-même, et ne plus se soucier assez du prochain pour le jalouser ou l'envier. H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 91.
214. Le problème est (...) l'un de ceux où l'on semble avoir pris plaisir à amonceler les difficultés, en opposant l'une à l'autre deux conceptions de l'amour essentiellement irréductibles (...). D'une part, un amour conçu à la manière gréco-thomiste, fondé sur l'inclination naturelle et nécessaire des êtres à rechercher avant tout leur propre bien. Pour qui se réclame de cette conception physique, il y a une identité foncière entre l'amour de soi et l'amour de Dieu (...). La conception extatique, au contraire, postulerait l'oubli de soi comme condition nécessaire de tout amour véritable, de celui qui met littéralement le sujet « hors de lui-même » et libère en nous l'amour d'autrui de toutes les attaches qui semblent l'unir à nos inclinations égoïstes. É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 80.
b) [Le lien est passionnel] L'amour narcissique de soi :
215. le narcisse. ... Mais je n'ai pour soif qu'une amour sans mélange Qui, ses yeux dans ses yeux, s'enivre de l'échange Entre soi-même et soi, des plus secrets souhaits ... P. Valéry, Cantate du Narcisse,1939, 3, p. 246.
216. La même révolution méthodique (...) nous oblige maintenant à prendre comme point de départ l'affectivité, en tant que visée objective de l'être, quitte à engendrer après coup de cette définition générale les moments où le sentiment se retourne sur le sujet, où l'instinct se fait conservation et l'amour narcissisme, ... J. Vuillemin, Essai sur la signification de la mort,1949, p. 92.
217. Il est déjà contradictoire avec l'intention aimante d'aimer l'amour à la place de l'aimé, comme il peut être contre-nature (quoique non pas contradictoire) d'aimer son propre égo. V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 241.
C.− Cas partic.
1. [L'amour courtois]
a) [Comme notion hist.] :
218. Dans le siècle suivant, les troubadours donnèrent en chantant les leçons de la galanterie subtile, discrète et recherchée; de là ces tensons où d'amoureux chevaliers soutenaient la cause de leur belle; de là ces cours d'amours où les questions les plus arides, les plus compliquées de la métaphysique galante étaient sérieusement discutées; où les accusations publiques d'inconstance, de félonie envers sa dame étaient suivies d'arrêts quelquefois sanglans, publiés de la manière la plus solennelle, et exécutés dans toute leur rigueur. V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 3, 1813, p. 6.
219. Par une fiction qui allait devenir de mode pendant plus d'un siècle, il représenta la dame de son choix comme une suzeraine féodale, dont il prétendait gagner les faveurs par sa soumission, par la fidélité et la ferveur de son service d'homme lige. Voilà née la notion, voilà né le sentiment de ce qu'on appellera l'amour courtois : une mystique nouvelle, une exaltation de l'âme qui, pour l'amour de la dame, ne rêve que d'atteindre aux perfections de la vertu chevaleresque et de la pureté du cœur, par lesquelles l'amant méritera sa récompense. Et voilà, du même coup, la femme passée au rang de juge. E. Faral, La Vie quotidienne au temps de saint Louis,1942, p. 131.
b) [Comme réf. ou p. anal.] :
220. ... les caprices, les folies de l'amour charnel sont creusés, analysés, étudiés, spécifiés. On philosophe sur de Sade, on théorise sur Tardieu. L'amour est déshabillé, retourné : on dirait les passions passées au spéculum. On jette enfin, dans ces entretiens, − véritables cours d'amour du xixesiècle, − les matériaux d'un livre qu'on n'écrira jamais et qui serait pourtant un beau livre : L'Histoire naturelle de l'amour. E. et J. de Goncourt, Journal,1862, p. 1070.
221. C'est le même qui, à la grande-duchesse femme de Vladimir qui après dîner tenant une sorte de cour d'amour demandait : « Aimez-vous mieux avant, pendant ou après? » osa répondre : « J'aime mieux avant parce que après c'est pendant. » M. Barrès, Mes cahiers,t. 9, 1911, p. 9.
222. Nous étions maintenant l'escorte habituelle de la jeune fille. Une dizaine, à peu près. Tous ceux qui l'approchaient, ceux auxquels elle parlait, ceux qui jouaient avec elle, formaient, autour d'elle, une sorte de cour d'amour; c'étaient ses chevaliers. V. Larbaud, Fermina Marquez,1911, p. 41.
223. Au lieu d'attacher de hautes valeurs au désir d'un amour réel, dessiné, accompli et limité par là-même, on suspend les puissances amoureuses de l'adolescent à une sorte d'absolu sans forme, fait d'une exaltation de tous les incompossibles dans l'irréalisable. Denis de Rougemont a recherché aux sources de l'histoire de l'Occident, dans la tradition des Cathares et de l'amour courtois, d'Yseult à Dulcinée, la naissance du thème de l'amour impossible ou inaccessible. Celui-ci, quelle que puisse être la richesse des résonances qu'il développe en route, et quand bien même il ne croit pas tout à fait à son impossibilité, tue l'amour qu'il paraît exalter. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 152.
2. [L'amour humain transposé dans l'amour spirituel et vice-versa] :
224. Arrivé à une entière déréliction, le cœur de Madame Gervaisais, où l'adoration de la mère de Jésus était restée comme absente, ce cœur jusque-là sans prière à la patronne de son sexe, ce cœur pareil aux cœurs des illuminées dont l'amour semble un peu jaloux de cette sainte Vierge avec la jalousie naturelle de l'épouse pour la mère de l'époux, ce cœur implorait pour la première fois Marie « consolatrice des affligés ». E. et J. de Goncourt, Madame Gervaisais,1869, p. 272.
225. Ce Christ qui était en moi, ce Jésus que j'adorais et qui se fit ma chair, était l'apaisement! Il m'apportait la certitude. Il me disait que, grâce à lui, la mort n'est plus épouvantable, qu'il suffit de vivre selon ses désirs pour qu'elle devienne la porte des délices! Rien que pour cela je serais devenu son esclave. Je m'absorbai en lui. C'était entre nous de l'amitié, de l'amour sensuel, quelque chose d'inexprimablement tendre. É. Estaunié, L'Empreinte,1896, p. 248.
226. De tout temps, la femme a dû inspirer à l'homme une inclination distincte du désir, qui y restait cependant contiguë et comme soudée, participant à la fois du sentiment et de la sensation. Mais l'amour romanesque a une date : il a surgi au moyen âge, le jour où l'on s'avisa d'absorber l'amour naturel dans un sentiment en quelque sorte surnaturel, dans l'émotion religieuse telle que le christianisme l'avait créée et jetée dans le monde. Quand on reproche au mysticisme de s'exprimer à la manière de la passion amoureuse, on oublie que c'est l'amour qui avait commencé par plagier la mystique, qui lui avait emprunté sa ferveur, ses élans, ses extases; en utilisant le langage d'une passion qu'elle avait transfigurée, la mystique n'a fait que reprendre son bien. H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 39.
227. Il transportait, se parlant à mi-voix, par les champs, les collines, le langage de l'amour temporel, des vices même, des erreurs des hommes, sur le plan de l'amour divin. Les imaginations les plus dangereuses, ennoblies, illuminées par l'objet surnaturel qu'il leur donnait, trouvaient ainsi leur justification à ses yeux. L. Aragon, Les Beaux-quartiers,1936, p. 67.
228. Qu'il s'agisse d'amour maintenant en haleine les cœurs ou d'impudente lascivité, qu'il s'agisse d'amour divin, partout autour de nous j'ai trouvé le désir tendu vers un être semblable : l'érotisme est autour de nous si violent, il enivre les cœurs avec tant de force − pour achever son abîme est en nous si profond − qu'il n'est pas de céleste échappée qui ne lui emprunte sa forme et sa fièvre. Qui d'entre nous ne rêve de forcer les portes du royaume mystique, qui ne s'imagine « mourant de ne pas mourir », se consumant, se ruinant d'aimer? G. Bataille, L'Expérience intérieure,1943, p. 185.
3. Argotismes
Fille d'amour :
229. Fille d'amour : Prostituée exploitée par une autre prostituée (...) − « Nombre de prostituées possèdent plusieurs locaux où elles vont recevoir l'argent de leurs filles d'amour. » (Macé, [18]88). L. Larchey, Dict. historique d'argot,Nouv. suppl., 1889, p. 103.
230. [En argot du « milieu » :] Fille d'amour : seconde femme avouée et vivant avec l'homme et sa régulière. A. Simonin, J. Bazin, Voilà taxi!1935, p. 216.
Remède contre l'amour :
231. Amour (remède contre l'). Femme très laide. Ch.-L. Carabelli, [Langue populaire].
(Il) y a plus d'amour? Invitation plaisante, mais pressante adressée à quelqu'un pour qu'il reprenne sans tarder son activité
232. [Le patron de la troupe :] Alors, quoi, il y a plus d'amour? On n'en finit plus aujourd'hui de se caler les joues? Allons, en parade! O. Méténier, La Lutte pour l'amour,Études d'argot, 1891, p. 2.
233. Alors, quoi, y a plus d'amour! Encore ti es dedans le plumard? Musette, Cagayous poilu, conte de guerre,1919, p. 14.
D.− Emplois méton.
1. Gén. emphatique. [Amour désigne l'obj. de l'amour]
a) [Un animé] C'est un amour :
234. Assurez la comtesse et Léontine que je les comprends dans mes souhaits pour ceux que j'aime, et que je les embrasse pour mes étrennes. Comment se porte le petit amour dont la santé vous inquiétait? Et sa mère, est-elle près du berceau? Parlez-moi de tout et de tous les vôtres, car tout et tous m'intéressent. E. de Guérin, Lettres,1841, p. 448.
235. ... une marchande de marée, qui préparait son étalage, regardait Olivier avec admiration. − Regarde donc s'écria-t-elle en parlant à une commère, sa voisine, à qui elle désignait Olivier du doigt, − regarde donc ce joli chérubin, Marie... − Ah! quel amour! ... répondit sa voisine en élevant sa lanterne... H. Murger, Scènes de la vie de jeunesse,1851, p. 201.
236. Il observa le petit taureau qui joyeusement chargeait le picador, forçait sur le fer. Ce taureau, quel bijou! un amour! comme on voudrait le tuer! H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 421.
237. On alla chercher rue de la Source les deux petites Chappuy, Marthe et Louise; cours Léopold, Isabelle Contal et Louise de Praneuf, jolie comme un bijou, et dont la beauté devait devenir célèbre. Puis, rue Stanislas, Lucie de Landreville, grande, fine, distinguée; d'autres encore, et, pour finir, rue Montesquieu, la toute petite Nanine Lenglet, un amour fragile et délicieux. Elle était la fille du plus grand banquier de Nancy, et devait avoir cinq ans, je pense. Gyp, Souvenirs d'une petite fille,t. 2, 1928, pp. 91-92.
238. Edmond, seul, désœuvré, incapable d'accorder à la médecine, à la préparation du concours, une attention ailleurs accaparée, se persuada qu'il ne pourrait dormir, pensant son amour dans les bras du vieil homme d'affaires. L. Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 398.
239. Je fus inondée de bonheur à voir qu'elle me regardait avec plaisir. Elle s'écria : − C'est fou ce que vous lui ressemblez. Vous êtes un amour. Comme vous êtes jolie. Vous savez, vous êtes presque aussi bien que lui. P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 273.
[Au plur.] :
240. ... clignant les yeux, elle [Désirée] murmurait à l'oreille d'Albine, comme si les bêtes avaient pu l'entendre; − Sont-elles drôles, ces amours! Attendez, vous allez les voir manger. É. Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1457.
En apostrophe. [En s'adressant à une pers. aimée d'amour-passion, plus rarement d'amour familial] Mon amour, mon cher amour, mon pauvre amour; m'amour :
241. Ça me fera bien de te voir, de m'appuyer la tête sur ton pauvre cœur plein de moi, de causer en regardant tes yeux. Adieu, chère amour, à bientôt, un long baiser sur tes lèvres. G. Flaubert, Correspondance,1852, p. 420.
242. ... ses transports s'augmentaient toujours, il aimait de toutes ses forces, il soupirait, sanglotait, riait; il lui fallait parler, au dedans de lui-même : − ô mon amour, ô mon trésor, ma chère vie, ô mon bien unique; ô toi qui es ma joie, ma lumière : toi qui es seule, qui es tout; que j'aime, que j'aime, que j'adore... É. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 243.
243. « Mais tu ne me dis rien » − disait-elle − « m'amour » − « J'aime tes yeux, tes lèvres... » répondait-il. R. Ponchon, La Muse au cabaret,1920, p. 297.
244. Dans la soirée, Daniel reçut le billet suivant : « Mon ami, Mon amour unique, la tendresse, la beauté de ma vie! Je t'écris ceci comme un testament. » R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Cahier gris, 1922, p. 674.
245. − Mon pauvre chéri!... Mon pauvre amour!... Personne te croit plus à présent. L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 653.
246. Mais viens maintenant, je vais te prendre par la main, madame, viens avec moi, viens, mon amour, viens, mes délices, viens, iniquité. P. Claudel, Le Soulier de satin,1944, 2epart., 9, p. 1080.
Pop. [De la part d'un homme, pour interpeller au passage une pers. généralement inconnue de sexe fém.; cf. l'ami sous ami III A] Hé, l'amour!
247. Doutez-vous de ma flamme, en vous voyant si belle? Dis, l'amour, qui t'a fait l'œil si noir, ayant fait Le reste de ton corps d'une goutte de lait? Musset, Œuvres complètes, Premières poésies, Les Marrons du feu, [1830], Paris, éd. du seuil,1966, p. 55.
b) [Une chose] Chose digne d'être aimée. Ce chapeau est un amour :
248. MlleDespeaux m'a envoyé un chapeau de paille d'Italie. C'est un amour! Je me suis bien gardée de dire à M. de Cormeil qu'il coûtait cinq cents francs. Nous en aurions eu pour une heure de morale... V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 3, 1813, p. 224.
249. ...la petite Bijou vient demain m'apporter une robe de chambre brodée, un amour; ils y ont passé six mois, personne n'aura pareille étoffe! H. de Balzac, La Cousine Bette,1846, p. 323.
c) Fam. [En antéposition expressive, mais avec une valeur sém. affaiblie] Un amour de bébé, de petit chien, de petit chapeau :
250. ribalier. − Cette Valentine, elle est adorable! Brochard ne mérite guère un amour de femme pareil. É. Zola, Le Bouton rose,I, 3, 1878, p. 227.
251. ... on nous sert un traditionnel repas de poupées, dans de jolies petites tasses bleues, sur des amour de petits plateaux en laque. P. Loti, Japoneries d'automne,1889, p. 124.
252. C'était un amour de petite fille, pâle et blonde et barbouillée au possible. P. Verlaine, Œuvres posthumes,t. 1, Histoires comme ça, 1896, p. 366.
253. À midi sonnant elle réintégrait le logis [Madame Gorgibus] pour en sortir à une heure, ... et promener sur les remparts ses trois chats blancs, trois amours de minets enrubannés de nœuds de satin. J. Lorrain, Contes pour lire à la chandelle,Madame Gorgibus, 1897, p. 52.
254. Il y a de quoi vous monter une jolie garde-robe, un trousseau convenable... prenez tout ça... Il y avait de tout, en effet... des corsets de soie, des bas de soie, des chemises de soie et de fine batiste, des amours de pantalons, de délicieuses gorgerettes... des jupons fanfreluchés... une odeur forte, une odeur de peau d'Espagne, de frangipane, de femme soignée, une odeur d'amour enfin se levait de ces chiffons amoncelés ... O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 230.
255. ... j'aperçus, seul bibelot élégant dans cette chambre qui ne l'était guère, un amour de petit flacon ventru, en cristal recouvert d'une sorte de résille d'or. Gyp, Souvenirs d'une petite fille,t. 1, 1927, p. 227.
256. ... si vous étiez un amour d'homme, vous me consacreriez quelques minutes pour me donner les indications, ... F. Galipeaux, Souvenirs,1931, p. 165.
Rem. Comme le montrent les ex., le subst. compl. désigne souvent un être ou un obj. petit, jeune, etc.
2. [Amour désigne une personnification de l'amour]
a) [L'amour comme force personnifiée et quasi sacrée] Au nom de l'amour :
257. Ils ont arrêté un homme qu'on avait dénoncé comme vous ayant fait sauver, et sans mon caractère diplomatique ils ne me laisseraient pas en paix à cause de vous. Au nom de Dieu, de l'amour, de la raison, supportez quelques années d'obscurité. Vous reverrez votre mère, vous ferez le bonheur de votre pauvre amie : ... G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1794, p. 78.
258. Ah! vieille idole de l'amour, qu'importe comment l'on t'adore! Dans les déréglements du corps, c'est toujours notre âme qui agit, et tourmentée de l'infini où elle voudrait s'amalgamer, entraîne, de bourbiers en bourbiers, son misérable compagnon. Mais le spasme une fois terminé, son cœur ne fut pas plus heureux; la convoitise de l'amour demeura en lui, tout aussi âpre. Non! Le plaisir ne comblait pas ce vide immense, qui le séparait d'avec sa maîtresse. É. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 249.
259. C'était encore du « théâtre d'amour » que Julien Benda, comme un porto-riche, leur offrait, et si les êtres qui s'y heurtaient avec une frénétique violence n'étaient point des amants acharnés à se meurtrir, c'était, dans un âpre duel, l'esprit − qui est mâle, qui a le goût des idées générales, le ressort de la force et de la liberté − et l'amour, qui est femelle, puissance de « faiblesse » et de « vassalité », l'amour « pour moi tout le monde est bon ». Voilà les deux personnages résolument séparés et hostiles qu'il mettait aux prises comme Baal et Astarté. H. Massis, Jugements,t. 2, 1923, pp. 222-223.
260. ... le sacrifice qu'Iphigénie doit consentir à l'amour filial, la fille du commandeur l'accomplit pour apaiser la divinité à la fois plus intime, plus générale et en un mot plus tragique de l'amour. J. Vuillemin, Essai sur la signification de la mort,1949, p. 170.
261. Pour supporter d'être ainsi dédaigné, à qui demander secours sinon à l'amour et à la mort? À l'amour, pour qu'il adoucisse ton cœur cruel jusqu'à me consentir quelque faveur ou à la mort pour qu'elle achève ma vie. Mais la mort ne sait et l'amour ne veut. Suspendu entre vie et mort, je ne sais quel parti prendre. L'amour ne m'obtiendra jamais tes faveurs... A. Camus, Le Chevalier d'Olmedo,adapté de F. Lope de Vega, 1957, p. 734.
b) MYTH. ou LITT. et ARTS ALLÉGORIQUES. Le dieu amour, l'enfant amour :
262. L'Amour n'ose troubler la paix de ce rivage. Leurs modestes regards ont, loin de leur bocage, Fait fuir ce dieu cruel, leur légitime effroi. Chastes muses, veillez, veillez toujours sur moi. Non, non, le dieu d'amour n'est point l'effroi des muses. A. Chénier, Bucoliques,L'Amour, 1794, p. 27.
263. C'est dans ces lieux charmans qu'arrive la jeune nymphe pour se désaltérer. Elle boit, sans s'en douter, la liqueur délicieuse que Bacchus fait couler pour elle. Sa douceur la charme, et bientôt elle en ressent les étonnans effets. Elle s'aperçoit que ses yeux s'appesantissent, que sa tête tourne, que ses pas chancelent. Elle se couche et s'endort. L'Amour la voit, avertit Bacchus, et revole aussitôt dans l'Olympe, après avoir écrit sur les feuilles du printems : « Amant, couronne ton ouvrage tandis qu'elle dort. Point de bruit, de peur qu'elle ne s'éveille. » Ch.-F. Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes,1796, pp. 225-226.
264. Dans les petites espèces tout au moins, et notamment dans le moineau, la fauvette, la mésange, le rouge-gorge, le pinson, le signe de l'amour est ce même tremblement de l'aile que l'on voit en l'oisillon. L'enfance revient ici, par le besoin que l'amour a du semblable. Ainsi l'antique image de l'Amour enfant est encore plus juste qu'on ne voudrait le croire. Qui aime redevient enfant, et se signifie à lui-même, par d'anciens signes, et bien émouvants pour lui, qu'il est de nouveau au nid et en dépendance. Alain, Propos,1925, p. 662.
265. ... ce qui est certain, c'est que l'Europe est surpeuplée, que le monde le sera bientôt, et que si l'on ne « rationalise » pas la production de l'homme lui-même comme on commence à le faire pour son travail, on aura la guerre. Nulle part il n'est plus dangereux de s'en remettre à l'instinct. La mythologie antique l'avait bien compris quand elle associait la déesse de l'amour au dieu des combats. Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars. H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 309.
266. Sais-tu comment j'interprète le mythe de Psyché? L'Amour s'envole, tout est détruit, parce que Psyché a contemplé l'Amour pendant qu'il dormait. Cela veut dire qu'il ne faut jamais toucher à une âme quand elle est découverte et sans défense. Comme on est vulnérable, dans ces moments-là! C'est le moment où l'on s'enrhume, − où un mets pas très frais vous empoisonnerait, − où on bafouillerait si on était devant un tribunal, − où votre esprit s'embrumerait si on avait une décision à prendre. H. de Montherlant, Malatesta,1946, IV, 9, p. 528.
En partic. Eros, Cupidon :
267. Quand la belle Vénus, sortant du sein des mers, Promena ses regards sur la plaine profonde, Elle se crut d'abord seule dans l'univers; Mais près d'elle aussitôt l'Amour naquit de l'onde. Vénus lui fit un signe, il embrassa Vénus Et, se reconnoissant sans s'être jamais vus, Tous deux sur un dauphin voguerent vers la plage. Comme ils approchoient du rivage, L'Amour, qu'elle portoit, s'échappe de ses bras, Et lance plusieurs traits en criant : terre! terre! Que faites-vous, mon fils? lui dit alors sa mere. Maman, répondit-il, j'entre dans mes états. J.-P. C. de Florian, Fables,L'Amour et sa mere, 1792, pp. 131-132.
268. Toi, chrétien, tu ignores peut-être que l'Amour est fils de Vénus, qu'il fut nourri dans les bois du lait des bêtes féroces, que son premier arc étoit de frêne, ses premières flèches de cyprès, qu'il s'assied sur le dos du lion, sur la croupe du centaure, sur les épaules d'Hercule, qu'il porte des ailes et un bandeau et qu'il accompagne Mars et Mercure, l'éloquence et la valeur? F.-R. de Chateaubriand, Les Martyrs,t. 2, 1810, p. 156.
269. ... Mais voici que le cruel Amour, Ayant tendu son arc les frappa tour à tour De ses flèches de feu. Les nymphes éperdues, Quittant le lac, au loin sur les roches ardues Couraient, folles, sentant brûler leurs seins meurtris, Arrachant leurs cheveux touffus, poussant des cris, Ne sachant plus où fuir l'épouvantable outrage, Et se roulaient dans l'herbe avec des pleurs de rage. L'enfant Éros, content de ce premier exploit, Regarda les grands cieux qu'il menaça du doigt, Et, sans vouloir entendre une plainte importune, Entra dans l'univers pour y chercher fortune. T. de Banville, Les Exilés,L'Éducation de l'amour, 1874, p. 72.
c) ARTS PLAST. (sculpt., peint.)
Représentation plastique des précédents :
270. Le visiteur attendit dans le salon. Ce salon n'avait rien de remarquable et était comme tous les salons d'hôtel garni. Une cheminée avec deux vases de Sèvres modernes, une pendule avec un Amour tendant son arc, une glace en deux morceaux, de chaque côté de cette glace une gravure représentant, l'une Homère portant son guide, l'autre Bélisaire demandant l'aumône, ... A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 138.
271. ... quand il [Bouchardon] exposa un amour taillant son arc dans la massue d'Hercule, on ne comprit pas qu'il eût à la mollesse potelée du Cupidon des peintres, préféré la souplesse élastique et maigre de l'adolescence. L. Hourticq, Hist. générale de l'Art,La France, 1914, p. 185.
272. Un soir, en montant à sa mansarde, sa chandelle à la main, Mélanie vit sur sa porte un Amour dessiné à la craie; son arc et son carquois pendaient entre ses ailes, et, l'air suppliant, il heurtait de son petit poing la porte close. A. France, Le Petit Pierre,1918, p. 118.
273. Un peu partout, des statues d'une écœurante perfection. Le fameux Amour de Canova triomphe dans la grande salle du rez-de-chaussée. Éros est un fade jeune homme aux traits douceâtres; il tripote Psyché qui se pâme laidement sous ces caresses. Je me demande où s'arrête le bon ton dans ce genre d'ouvrage. À quel moment convient-il d'appeler la police? J. Green, Journal,1928-1950, p. 200.
Gén. au plur. Motif décoratif représentant un ou plus souvent plusieurs enfants, symboles des désirs d'amour :
274. Pour aller à l'Escurial, nous louâmes une de ces fantastiques voitures chamarrées d'amours à la grisaille et autres ornements pompadour dont nous avons déjà eu l'occasion de parler. T. Gautier, Tra los montes,Voyage en Espagne, 1843, p. 124.
275. Le héros, c'est l'amour même. Il ne naît pas. Il est trouvé. Sa mère (Vénus ou Léda?), qui sort de son bain, le voit là et l'admire, tombé du ciel. Sa sœur, la belle Marguerite, est saisie d'étonnement. Les amours, ses frères, voltigent, se culbutent dans les airs de la manière la plus hardie. L'un sonne de la trompette, l'autre semble jouer de la lyre. Tous célèbrent la gloire future du divin enfant. Tout rit, tout rayonne et tout chante. Quels chants? Voyez, sous le tableau, ces jolis petits bas-reliefs : ce sont des rêves de combat. J. Michelet, Journal,1857, p. 364.
3. Au plur., rare. Amours désigne parfois les marques ou l'expression de l'amour. Synon. expressif de amitiés (cf. mamours) :
276. Lavater m'a écrit des amours pour toi de Zurich. G. de Staël, Lettres diverses,1794, p. 556.
277. Mon compagnon Laporte vous fait des m'amours... et vous trouve bien ingrat! Lui qui vous a envoyé, par mon canal, un si joli portrait. Tendresse à la chère maman. G.Flaubert, Correspondance,1877, p. 80.
Rem. M'amours est une graphie except. (inspirée par l'étymologie) pour l'usuel mamours*.
V.− L'objet de l'amour est une catégorie d'êtres ou de choses ou une chose particulière, à quoi s'attache une certaine valeur.
A.− [Catégories d'êtres, entités, activité] Goût prononcé.
1. [L'obj. désigne une catégorie d'êtres ou de choses] L'amour des enfants, des bêtes, des beaux livres (cf. amateur) :
278. J'apprenais confusément, de routine, cette quantité de petits faits qui sont la science et le charme de la vie de campagne. J'avais, pour profiter d'un pareil enseignement, toutes les aptitudes désirables : une santé robuste, des yeux de paysan, c'est-à-dire des yeux parfaits, une oreille exercée de bonne heure aux moindres bruits, des jambes infatigables, avec cela l'amour des choses qui se passent en plein air, le souci de ce qu'on observe, de ce qu'on voit, de ce qu'on écoute, peu de goût pour les histoires qu'on lit, la plus grande curiosité pour celles qui se racontent; ... E. Fromentin, Dominique,1863, pp. 43-44.
279. − Je me méfie, dit le duc, des gens qui ont tant d'amour pour les bêtes : c'est souvent qu'ils reportent sur elles l'amour qu'ils n'ont pas pour les hommes. La mère aux chats est presque toujours une femme méchante. Et quel est le peuple qui a le plus fait pour propager une sensibilité sans contrôle en ce qui regarde les animaux? Le peuple anglais, le plus égoïste d'Europe, ... H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 445.
280. Sûrement une bonne partie de notre amour et de notre respect pour les enfants est fait du remords des peines que nous leur avons infligées; par caprice (parce qu'ils étaient importuns et nous « mal lunés »); pour les corriger de petits défauts ou de mauvaises habitudes; par un mépris, trop clairement exprimé, de leur faiblesse et de leur « unreadiness », ou lenteur à comprendre. Mais on peut penser qu'ils se passeraient bien d'un amour et d'un respect acquis de cette façon! V. Larbaud, Journal,juin 1934, pp. 309-310.
281. De tous les beaux sujets de méditation que nous offre l'attitude du public à l'égard des œuvres littéraires, et notamment du roman, certainement un des plus beaux est l'admiration, l'amour unanime et sans réserves de ce public, par ailleurs si divisé, si fluctuant, si capricieux, pour les chefs-d'œuvre consacrés. Il s'agit, cela va sans dire, non des lecteurs qui admirent de confiance, sur la foi des connaisseurs, mais de ceux à qui ces œuvres paraissent être si familières qu'on est bien obligé de croire qu'ils trouvent à les fréquenter un réel plaisir. N. Sarraute, L'Ère du soupçon,1956, p. 127.
2. [L'obj. désigne une entité concr. ou abstr.] L'amour de la nature, de l'argent, de l'art, de la vérité :
282. Ce que les poètes, les orateurs, même quelques philosophes nous disent sur l'amour de la gloire, on nous le disait au collège pour nous encourager à avoir les prix. Ce que l'on dit aux enfants pour les engager à préférer à une tartelette les louanges de leurs bonnes, c'est ce qu'on répète aux hommes pour leur faire préférer à un intérêt personnel les éloges de leurs contemporains ou de la postérité. Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 25.
283. Le caractère de ces palais, c'est le caractère du peuple turc : l'intelligence et l'amour de la nature. Cet instinct des beaux sites, des mers éclatantes, des ombrages, des sources, des horizons immenses encadrés par les cimes de neige des montagnes, est l'instinct prédominant de ce peuple. On y sent le souvenir d'un peuple pasteur et cultivateur qui aime à se rappeler son origine, et dont tous les goûts sont simples et instinctifs. A. de Lamartine, Voyage en Orient, t. 2,1835, p. 428.
284. Le génie de Venise respire tout entier dans [les Noces de Cana] (...) avec son amour du faste, son goût théâtral et décoratif, sa passion de lumière et d'éclat. T. Gautier, Guide de l'amateur au Musée du Louvre,1872, p. 40.
285. Daudet parlait de son amour de la solitude, disant qu'enfant, il lui arrivait de monter dans un arbre, pour être tout seul. Puis il remémorait ses joies intérieures dans les grandes plaines de la Camargue, avec leurs étendues violettes, la porte de feu de la cabane, les triangles d'oiseaux voyageurs dans le ciel, s'effarant devant cette porte éclairée... E. et J. de Goncourt, Journal,juin 1888, p. 803.
286. Je ne veux pas haïr. Je veux rendre justice même à mes ennemis. Je veux garder au milieu des passions la lucidité de mon regard, comprendre tout et tout aimer. Mais Christophe, à qui cet amour de la vie, détaché de la vie, semblait peu différent de la résignation à mourir, sentait gronder en lui, comme le vieil Empédocle, un hymne à la haine et à l'amour frère de la haine, l'amour fécond, qui laboure et ensemence la terre. Il ne partageait pas le tranquille fatalisme d'Olivier; ... R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 987.
287. Tous mes désirs étaient de beauté et je reconnus que cet amour de la beauté, que peu d'hommes ressentent et dont j'étais transporté, est une source jaillissante de plaisir et de joie. A. France, La Vie en fleur,1922, p. 482.
288. Me voici seul avec ton jeu d'échecs Poésie, ô mon amour, Meilleur que l'amour si triste Quand il n'y a plus Rien d'autre à faire que l'amour, Quand il n'y a plus rien d'autre à faire Que de ne plus faire l'amour. J. Cocteau, Poèmes,1916-1923, p. 115.
289. On se tromperait pourtant en attribuant aux hommes du moyen âge l'amour de la science pour la science, ou, comme l'on aime à dire aujourd'hui, de la science « désintéressée ». Leur amour de la science est aussi désintéressé de fins pratiques que le nôtre peut l'être, et souvent davantage, mais la science des choses n'est pas pour eux une fin en soi. É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 37.
290. Je n'aime pas mes pauvres comme les vieilles Anglaises aiment les chats perdus, ou les taureaux des corridas. Ce sont là manières de riches. J'aime la pauvreté d'un amour profond, réfléchi, lucide − d'égal à égal − ainsi qu'une épouse au flanc fécond et fidèle. G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1079.
291. Désiré Maisonneuve possédait, à l'état brut, l'amour de la peinture − ce goût particulier qui n'a rien à faire avec la culture, ni avec le culte du passé et qui est comme un flair spécial, une sorte de finesse qu'on peut rencontrer chez des êtres fort simples et dont sont dépourvus pas mal d'intellectuels et de gens distingués. A. Lhote, Peinture d'abord,1942, p. 24.
Rem. 1. Le compl. est except. un infinitif :
292. Un beau soleil doré chauffait doucement les pierres jaunes du cloître (...) Dans une heure, une minute, une seconde, maintenant peut-être, tout pouvait crouler. Et pourtant le miracle se poursuivait. Le monde durait (...) Un équilibre se poursuivait, coloré pourtant par toute l'appréhension de sa propre fin. Là était tout mon amour de vivre : une passion silencieuse pour ce qui allait peut-être m'échapper, une amertume sous une flamme. A. Camus, L'Envers et l'endroit,1937, p. 112.
Rem. 2. Autres syntagmes fréq. l'amour du beau, du devoir, de l'honneur, de la justice, de l'ordre, de la paix, de la poésie, de la religion, du silence, de la vertu.
3. [L'obj. désigne une activité ou un état résultant d'une activité] L'amour du travail bien fait :
293. Jérôme, qu'entraînoit l'amour de l'étude, alloit consulter le rivage où Pline fut la victime du même amour, interroger les cendres d'Herculanum, chercher la cause des bruits menaçants de la solfatare. F.-R. de Chateaubriand, Les Martyrs,t. 1, 1810, p. 246.
294. Dès cette seconde entrevue, il me parla de son goût, de son amour pour l'exercice du patin; il paraît que chez lui c'était une espèce de manie, car ce fut aussi une des premières choses dont il s'entretint avec Goethe. Ch.-J. de Chênedollé, Extraits du journal,1822, p. 120.
295. ... ils [les paysans] achèvent d'y pervertir [à la ville] les sentiments de dignité que donne l'amour du travail, et plus vos machines les nourriront, plus ils se dégraderont! E. Delacroix, Journal,t. 2, 1856, p. 53.
[Avec une coloration affective] (Faire une chose) avec amour. Avec tout le soin qu'inspire un grand amour du travail bien fait :
296. ... M. Zola est un chiffonnier moral, un égorgeur platonique; il dissèque avec amour les chairs fumantes; l'odeur du sang, l'aspect des plaies béantes (...) tout cela a pour lui des attraits non pareils [à propos de Th. Raquin]... F. Oswald, Le Gaulois,[À propos de Zola], 13 juill. 1873.
297. La machine n'est mauvaise que dans son mode d'emploi actuel. Il faut accepter ses bienfaits, même si l'on refuse ses ravages. Le camion, conduit au long des jours et des nuits par son transporteur, n'humilie pas ce dernier qui le connaît dans son entier et l'utilise avec amour et efficacité. A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 364.
Rem. La frontière entre A2 et A3 n'est pas rigoureuse, les subst. abstr. pouvant aussi désigner des activités et vice-versa.
B.− [L'obj. désigne une chose ou un être au singulier] :
298. ... il m'avouait alors tout bas sa détestation de Rossini et son amour pour Gluck. Il s'étendait en lamentations sur la décadence de l'art et surtout sur ces gargarismes de notes destructeurs du chant dramatique : ... F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 62.
299. Mais Ingres m'inspirait un sentiment plus fort : l'amour. Je savais bien que son art était trop haut pour être accessible et je me savais gré de l'avoir pénétré. L'amour fait seul de ces miracles. Je comprenais ce dessin qui atteint la parfaite beauté en serrant de près la nature, j'aimais cette peinture la plus sensuelle et la plus voluptueuse de toutes avec une gravité magnifique. A. France, La Vie en fleur,1922, p. 446.
300. L'impartialité historique est une duperie. L'historien véritable n'est point greffier, mais poète. Il se prend d'amour pour Anne de Boleyn, de haine pour Jane Seymour. S'il ressuscite Philippe II, c'est dans l'âpre dessein de le châtier. Peindre, n'est-ce pas s'assouvir? G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 148.
Rem. Comme le montrent les ex., la prép. qui introduit le compl. est tantôt de, tantôt pour, de servant à transposer au plan nominal le verbe aimer (qqc.), pour au contraire transposant le syntagme éprouver de l'amour (pour qqn); d'où la moindre force expr. de la première constr., et au contraire une valeur d'intérêt quasi passionnel qui s'attache à la seconde.
VI.− [L'amour s'attache à des êtres vivants autres que l'homme : animaux et (plus rarement) plantes]
A.− [Expression analogue à l'expression de l'amour humain]
1. [Entre animaux] :
301. Mais l'oiseau, je le soutiens, est l'être supérieur dans la création. Son organisation est admirable. (...) Il a des instincts d'amour conjugal, de prévision et d'industrie domestique; son nid est un chef-d'œuvre d'habileté, de sollicitude et de luxe délicat. C'est la principale espèce où le mâle aide la femelle dans les devoirs de la famille, et où le père s'occupe, comme l'homme, de construire l'habitation, de préserver et de nourrir les enfants. G. Sand, Histoire de ma vie,t. 1, 1855, pp. 16-17.
302. Hélas! elle [l'araignée] est solitaire. Sauf quelques espèces (mygales) où le père aide un peu la mère, elle n'a nul secours à attendre. Le mâle, après l'amour, est plutôt un ennemi. Cruels effets de la misère! Il s'aperçoit que ses enfants peuvent être un aliment. Mais la mère, plus grosse que lui, fait la même réflexion, pense que le mangeur est mangeable, et parfois croque son époux. J. Michelet, L'Insecte,1857, p. 222.
303. On donne trois oies à un jars. On les accouple du mois de novembre au mois de mai. Les oies ont besoin d'espace et d'eau pour leurs amours. Elles vont au loin, côte à côte, errer au soleil adouci de l'automne. Elles suivent les allées de vignes dépouillées, les jachères où les herbes rares verdissent encore, face à l'astre couchant, comme pour suivre jusqu'au bout la lumière. En chemin elles devisent, elles flirtent tour à tour avec leur jars, le frôlent et l'excitent. Mais le jars n'aime que dans l'eau. J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 1, 1921, p. 44.
2. [Entre végétaux] :
304. Cependant toutes les amours des plantes ne sont pas également tranquilles; il en est d'orageuses, comme celles des hommes, il faut des tempêtes pour marier sur des hauteurs inaccessibles le cèdre du Liban au cèdre du Sinaï... F.-R. de Chateaubriand, Fragments du Génie du Christianisme primitif,1800, p. 193.
B.− Expression spécifique : les relations sexuelles des animaux. La saison des amours, entrer en amour :
305. Dans le temps des amours, les mâles et les femelles se présentent et se reconnaissent de loin, par l'intermède des esprits exhalés de leurs corps, qu'anime, durant cette époque, une plus grande vitalité. P. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme,t. 2, 1808, p. 339.
306. Le renne du nord cherche sa femelle à l'équinoxe de septembre, parce que c'est à cette époque que les neiges sont tout à fait fondues dans les régions boréales, et qu'ayant d'abondantes pâtures, il acquiert une surabondance de vie. Comme il est fait pour vivre aux dernières limites de notre globe habitable, il entre en amour à la fin de notre année hémisphérique. J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 321.
307. Vint la saison de l'amour. Sur les pas des hermelines en folie, Goupil reniflait de voluptueuses odeurs qui faisaient claquer ses mâchoires et mettaient en feu son sang. Tout son être alors vibrait du grand courage nécessaire pour les luttes qui suivaient la parade nuptiale dont elles n'étaient que la forme suprême, ... L. Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 52.
308. La corneille est partie courir ses amours d'automne, mais elle rejoint parfois son ami en pleine campagne avec des gaietés cocasses, en se laissant tomber du haut des nuages. J. de La Varende, Contes fervents,L'Homme aux gants de toile, 1943, p. 80.
Rem. Pour les végétaux, l'expression est anal. à celle des animaux :
309. ... une plante ne voit, n'entend et ne se meut point comme un animal; mais elle a comme lui ses amours, sa postérité, sa tribu. J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 56.
310. La sève qui montait aux flancs des arbres les pénétrait, eux aussi, leur donnait des désirs fous de croissance immédiate, de reproduction gigantesque. Ils entraient dans le rut de la serre. C'était alors, au milieu de la lueur pâle, que des visions les hébétaient, des cauchemars dans lesquels ils assistaient longuement aux amours des palmiers et des fougères; ... É. Zola, La Curée,1872, p. 487.
VII.− Emplois techn.
A.− BOT. Amour en cage. Synon. de alkékenge, coqueret (cf. Botanique, 1960, p. 939, encyclopédie de la Pléiade) :
311. ... le coqueret ou amour en cage (Physalis alkekengi) dont le calice s'accroît largement autour du fruit, ... L. Plantefol, Cours de botanique et de biologie végétale, t. 2, 1931, p. 423.
B.− GASTR. Puits d'amour. Gâteau de pâte feuilletée dont le milieu découpé en creux est garni de gelée, de crème etc. :
312. ... des cornets à la crème, des meringues, des millefeuilles, des gâteaux fourrés au chocolat ou semés d'amandes, de cannelle, de vanille, d'angélique, de guignes confites, saupoudrés ou glacés de sucre, des babas au rhum, des puits-d'amour − j'avais dévalisé la boutique, et c'était une belle confiserie parisienne! B. Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 259.
C.− HORTIC. (notamment méridionale) Pomme d'amour. Tomate :
313. Bouvard planta une pivoine au milieu du gazon et des pommes d'amour qui devaient retomber comme des lustres, sous l'arceau de la tonnelle. G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet,t. 1, 1880, p. 24.
314. Maintenant, je fais les haricots, les lentilles. Je suis allé jusqu'à me louer pour ramasser des pastèques. Même, je vous le dis, à vous : un jour de la semaine dernière j'ai trié des pommes d'amour chez un revendeur espagnol. J. Giono, Un de Baumugnes,1929, p. 218.
D.− IMPRIMERIE :
315. Le rouleau doit présenter aussi un mordant particulier qui s'appelle amour. E. Leclerc, Nouveau manuel complet de typographie,1932, p. 530.
E.− MUS. Flûte, hautbois, viole d'amour :
316. Les orgues modernes allemandes, américaines, anglaises baptisent des noms de clarabella, melodia, melodica, philomela, f[lûte] d'amour, f[lûte] amabile, des variétés plus ou moins distinctes des mêmes jeux [de flûte]... M. Brenet, Dict. pratique et historique de la musique,1926, p. 160.
317. L'ancienne viole d'amour était pourvue, comme le violon, de quatre cordes... Maigne, Maugin, Nouveau manuel complet du luthier (encyclopédie Roret), 1929, p. 307.
318. Le hautbois d'amour, très employé du temps de Bach, est construit comme le cor anglais, mais à la tierce mineure grave du hautbois dont il a le doigté, ou à la tierce majeure aiguë du cor anglais; il est donc en la. Sa note la plus grave est sol (...). H. Bouasse, Instruments à vent,1930, p. 81.
Rem. gén. 1. Étant donnée l'étendue du champ d'application sém. que recouvre le mot amour, on ne s'étonnera pas que plusieurs loc. se rencontrent dans des rubriques différentes avec des valeurs diverses selon les cont. ou les domaines. Ainsi avec amour (cf. II A 2; V A 3); en amour (cf. IV A 1 b; VI B); par amour (cf. II A 2; IV A 2); pour l'amour de (cf. I C 2; IV A 2). 2. Le genre. Amour est normalement masc. au sing.; au sing. et au plur. dans les emplois groupés supra IV D sous le tiret emplois métonymiques. Quand il désigne la passion amoureuse, le fém. se rencontre au sing. (par archaïsme ou affectation littér., et dans la lang. pop. ou fam. par ex. pour le syntagme la grande amour, cf. aussi ex. 241); il est habituel au plur., mais le masc. s'y répand de plus en plus. Souvent les écrivains modernes marquent le genre en choisissant des épithètes ou des adj. pronominaux qui ne font pas la distinction du genre (étranges; vos, tes amours, etc.). 3. a) Le compl. qui suit le mot amour est habituellement introduit par la prép. de s'il s'agit d'exprimer la pers. qui aime, par la prép. pour (plus rarement envers) s'il s'agit d'exprimer la pers. objet de l'amour (la pers. aimée) : l'amour d'une mère pour son enfant. Il en est de même pour la valeur des adj. possessifs : mon amour « l'amour que j'éprouve pour telle pers. » Lorsque mon, ton, etc. déterminent amour employé pour désigner une pers., l'adj. possessif a valeur habituelle devant nom commun ou propre de pers.; b) Lorsqu'il s'agit d'un compl. désignant une entité spirituelle ou morale dont on attend moins spontanément une initiative d'amour, de exprime le plus fréquemment l'objet de l'amour : l'amour de Dieu, du prochain, du prince, de la patrie, de l'humanité. La construction a) apparaît dès que la personnalité de cette entité s'accuse : l' amour de Dieu pour ses créatures.; c) L'adj. déterminatif-distinctif qui accompagne amour a valeur de sujet dans le cas a) (amour maternel « amour que la mère éprouve pour ses enfants »); dans le cas b) il a valeur d'objet (amour divin « amour pour Dieu »), ou plus généralement valeur de réciprocité (l'amour humain : des êtres humains entre eux).
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme Phon. : [amu:ʀ]. 2. Homon. : amour (ichtyol.; cf. Lar. encyclop.). − Rem. 1. Gramm. Lar. 1964, § 249 écrit : ,,Amour, après avoir longtemps hésité entre les deux genres, est considéré par les grammaires classiques comme masculin au singulier et féminin au pluriel. Le genre masculin semble aujourd'hui se généraliser pour les deux nombres`` (cf. aussi Littré, rem. et Grev. 1964, § 253). Rem. 2. Littré note que : ,,l'ancien français avait un excellent substantif, amorie, substantif féminin, pour exprimer le règne d'amour, les choses d'amour``. Il juge regrettable la disparition de ce mot.
Étymol. ET HIST. − 1. a) 842 subst. fém. « sentiment d'affection profonde (pour qqn) » (Serm. de Strasb., I, 1 ds Gdf. Compl. : Pro deo amur); 1271 pour l'amour de Dieu « gratuitement » (E. Boileau, Liv. des mest., 2ep., II, 92, ibid. : O li preste beste ou charete pour amor Dieu ou pour son amor de lui); b) 1172 spéc. « passion d'un sexe pour l'autre » emploi abs. (Chrét. de Troyes, éd. M. Roques, IV, Chevalier au Lion, 140 : Ne por lui ne lessiez a dire Chose qui nos pleise a oïr Se de m'amor volez joïr); c) 1623 « sentiment d'attachement (pour qqc.) » (Coeffeteau, Hist. romaine, liv. I ds Dict. hist. Ac. fr. t. 2 1884, p. 565 : Cela fait voir que ce fut une pure amour de la République ... qui lui fit [à Auguste] conseiller à Tibère et au Sénat de se contenter de l'estendue de leur Empire); d) loc. diverses, fig. début xiiies. terre en amour « terre dans un état de fermentation propre à la végétation » (Elie de St Gilles, 1372 ds T.-L. : Le blé nous fait sourdre de la terre en amour); fin xvies. faire l'amour à « courtiser » (L'Estoile, Mém., 1rep., p. 114 ds Gdf. Compl. : Tous deux faisoient l'amour a la fille du dit seingneur de la chapelle pour l'espouser); 1606 être en amour « être en chaleur (en parlant des animaux) » (Nicot : Estre en amour, se dit des oiseaux quand ils sont en chaleur et desirent s'apparier pour faire des petits); 2. fin xiie-début xiiies. « objet aimé (en parlant de qqn ou qqc.) » (Aucassin et Nicolette, 27, 4 ds T.-L. : Entre ses bras ses amors Devant lui sor son arçon), d'où au fig., loc. proverbiale 1611 Il n'y a point de laides amours, ni de belles prisons (Cotgr.); 1690 remède d'amour, se dit d'une femme fort laide (Fur.); 1718 Froides mains, chaudes amours, pour dire que la fraîcheur des mains marque d'ordinaire un tempérament chaud (Ac.). Rem. : le plus souvent fém. en a. fr. amour devient masc. aux xvieet xviies. sous l'influence du genre lat.; 3. 1680 Amour « nom donné à la divinité fabuleuse qui, selon les poètes, préside à la passion de l'amour » (Rich. t. 1 : Amour. Dieu qu'on peint avec des aîles, un carquois, des flèches et un bandeau sur les yeux); 4. technol. a) 1751 fauconn. (Encyclop. t. 1 : Amour a son accept. en Fauconn. : on dit voler d'amour, des oiseaux qu'on laisse voler en liberté, afin qu'ils soûtiennent les chiens); b) 1752 bot. pomme d'amour « tomate » (Trév. : Pomme d'amour. C'est le fruit d'une espèce de morelle); c) 1771 peint. (Trév. : On dit [...] qu'une toile a de l'amour, pour dire, qu'elle a un petit duvet qui la rend propre à recevoir la colle et à s'attacher fortement à la couleur). Empr. au lat. amor, attesté au sens 1 a (l'obj. de l'amour est une pers.) dep. Plaute (Amph., 841 ds TLL s.v., 1968, 70 : parentum amorem et cognatum concordiam); cf. lat. chrét. chez St Augustin (Ciu., 14, 28 ds Blaise : fecerunt civitates duas, amores duo, amor sui, amor Dei); 1 b dep. Ennius (Trag., 213, ds TLL, ibid., 21 : Medea, animo aegra, amore saevo saucia); 1 c (l'obj. de l'amour est un inanimé) dep. Plaute (Curc., 357, ibid., 1970, 10 : invocat Planesium : meosne amores?); au sens 3 (gr. Eros) dep. Plaute (Bacch., 115, ibid., 1973, 26 : Amor, Voluptas, Venus); l'évolution phonét. rég. aboutit à ameur, forme attestée en a. fr. au sens de « rut » (début xves., Martin Le Franc, Champion des dames, cité par A. Thomas ds Romania t. 44, p. 322); la forme amour représente un développement dial. propre à la Champagne orientale, centre comtois de grande importance (Fouché t. 2 1958, p. 307) − ou est due à une influence de l'a. prov. (dep. xiies., Rayn.) étant donné le rayonnement des troubadours.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 41 091. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 69 831, b) 55 347; xxes. : a) 51 921, b) 54 285.
BBG. − Allmen 1956. − Amour, délice et orgue. Vie Lang. 1956, no49, pp. 174-175. − Annual conference of the center for medieval and early renaissance studies 1. 1967. State Univ. of New York at Bringhamton. − The Meaning of courtly love ... Ed. by F. X. Newman. Albany, 1968. x-102 p. − Antoine (G.). Le « mot » agent de cristallisation psychologique chez Stendhal. In : [Mélanges Väänänen (V.)]. Neuphilol. Mitt. 1965, t. 66, no4, pp. 429-430. − Bach-Dez. 1882. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bal.-Maq. 1968. − Bar 1960. − Bastin 1970. − Baudr. Chasses 1834. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bertr.-Lapie Vocab. 1970. − Boiss.8. − Bonnaire 1835. − Bouyer 1963. − Bruant 1901. − Brunet (L.). L'Amour peut-il avoir mauvais genre? Déf. Lang. fr. 1970, no52, pp. 29-31. − Burgess (G. S.). Contribution à l'étude du vocabulaire pré-courtois. Genève, 1970, 187 p. − Canada 1930. − Chabat t. 1 1875. − Colin 1971. − Daire 1759. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 18, 20, 44. − Dheilly 1964. − Duch. Beauté 1960, p. 109, 166. − Dup. 1961. − Ernout (A.). Philologica. 2. Paris, 1957, p. 42, 101, 110. − Fér. 1768. − Foi t. 1 1968. − Foulq-St-Jean 1962. − Français (Le) au Canada. Vie Lang. 1969, no202, pp. 48-49. − Franck 1875. − Frappier (J.). D'Amors, par amors. Romania. 1967, t. 88, no4, pp. 433-474. − Frappier (J.). Notes lexicologiques. In : [Mélanges Boutière (J.)]. Liège, 1971, t. 1, pp. 243-252. − Fries t. 1, 1965. − Gall. 1955, p. 60, 96. − Girard 1756. − Goblot 1920. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 32. − Gougenheim (G.). La Relatinisation du vocabulaire français. Annales de l'Université de Paris. 1959, t. 29, p. 8. − Gramm. t. 1, 1789. − Guizot 1864. − Hanse 1949. − Imbs (P.). De la fin'amor. Cahiers de civilisation médiévale. 1969, t. 12, pp. 265-285. − Julia 1964. − Kahungu (C.). Le Thème de l'amour dans la poésie de L. S. Senghor. (Licence Bruxelles, 1965-1966). − Kluckhohn (P.). Die Auffassung der Liebe in der Literatur des 18. Jahrhunderts und in der deutschen Romantik. 2. Aufl. Halle (Saale), 1931, xiv-640 p. − Lacr. 1963. − Laf. 1878. − Lafon 1969. − Lal. 1968. − Larch. 1880. − Lav. Diffic. 1846. − Lavedan 1964. − Lazar (M.). Amours courtois et fin'amors dans la littérature du xiiesiècle. Paris, 1964, 300 p. − Ledent (G.). L'Amour dans l'œuvre d'Abel Bonnard. (Licence Louvain. 1966-1967). − Le Roux 1752. − Littré-Robin 1865. − Machabey (A.). Remarques sur le lexique musical du De canticis de Gerson. Romania. 1958, t. 79, p. 178, 214, 215. − Mar. Lex. 1933. − Marcel 1938. − Meayens (L.). Le Thème de l'amour lointain chez les premiers troubadours (status questionis) (Licence Gand. 1965-1966). − Meunier (J.). L'Amour dans l'œuvre romanesque de Roger Vailland. (Licence. Louvain 1966-1967). − Michel 1856. − Miq. 1967. − Mots rares 1965. − Nelli 1968. − Noter-Léc. 1912. − Otten (R. T.). Amor, caritas and dilectio. Some observations on the vocabulary of love in the exegetical works of St. Ambrose? In : [Mélanges Mohrmann (C.)] Utrecht, 1963, pp. 73-83. − Pierreh. Suppl. 1926. − Piguet 1960. − Plais-Caill. 1958. − Rigaud (A.). Ah! les mots d'amour... Déf. Lang. fr. 1971, no56, p. 8. − Rigaud (A.). De Quelques pluriels. Vie Lang. 1965, no158, p. 297. − Ruhe (D.). Amor in den altromanischen Minneallegorien. (Diss. Konstanz. 1968). − Sain. Lang. par. 1920, p. 121, 255. − Sandry-Carr. 1963. − Sexol. 1970. − Sommer 1882. − St-Edme t. 1 1824. − Synon. 1818. − Théol. bibl. 1970. − Théol. cath. t. 1, 1 1909. − Thomas 1956. − Tournemille (J.). Au jardin des locutions françaises. Vie Lang. 1955, p. 194, 242, 243. − Verrier (P.). Fr. amour « Mélilot ». Romania 1924, t. 50, pp. 591-592.