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AGONISER2, verbe trans.
Synon. pop. ou fam. de agonir*.
A.− Agoniser qqn de qqc. :
1. C'est une fille brune, aux cheveux crêpés et bouffants aux yeux d'acier, aux pommettes rougies de larmes séchées. Elle est piétée dans une pose de défi, agonisant d'injures officiers et soldats, d'injures qui sortent d'un gosier et de lèvres si contractés par la colère, qu'elles ne peuvent se traduire dans des sons, dans des paroles. Sa bouche rageuse et muette mâche l'insulte, sans pouvoir la faire entendre. E. et J. de Goncourt, Journal,mai 1871, p. 814.
2. ... ils étaient fâchés avec leurs voisins parce que la mère Tuvache les agonisait d'ignominies, répétant sans cesse de porte en porte qu'il fallait être dénaturé pour vendre son enfant, que c'était une horreur, une saleté, une corromperie. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Aux champs, 1882, p. 79.
3. Voici mon histoire avec Retté. Sur le nom d'Hugo prononcé par l'un de nous, Retté dit quelque chose comme « Hugo, un crétin! » je trouvai bon de relever ce jugement par un mot légèrement ironique. Mais sur mon mot, ne voilà-t-il pas que Cladel donne un formidable coup de poing sur la table et agonise ledit Retté, pendant un quart d'heure, d'épithètes outrageantes. Or depuis ce jour, chaque fois que je publie un volume, Retté n'a de cesse qu'il n'ait trouvé une revue, un journal voulant bien accepter un éreintement féroce de mon bouquin. E. et J. de Goncourt, Journal,déc. 1893, p. 488.
B.− Agoniser qqn :
4. Elle eut un sursaut, et lâchant sa voix, lâchant sa colère, elle cria : « C'est pour ça qu' vous êtes venus, dites? Pour m'insulter, quoi? Parce que mes enfants sont comme des bêtes, dites? Vous ne le verrez pas, non, non, vous ne le verrez pas; allez-vous-en, allez-vous-en. J'sais t'i c' que vous avez tous à m'agoniser comme ça? » G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, La Mère aux monstres, 1883, p. 367.
5. V'là t'y pas qu'y se permet de lever la main sur moi : un soldat français! La moutarde me monte au nez, et je lui allonge une raclée, mais une de ces raclées!... Et pour ne pas être en reste avec lui, car y m'agonisait dans son langage de mauvais chrétien, je lui disais en lui tapant dessus : tiens, sidi, tiens, cochon d' sabir, attrape ça, chouia barca! À la fin, y n' voulait pu rien savoir. Alors moi, je suis parti tranquillement, en fumant mon cigare. É. Moselly, Terres lorraines,1907, pp. 101-102.
6. Seulement on aurait dit aussi la carne qu'elle n'attendait que ce moment-là que je me déboutonne pour me traiter à son tour de tous les noms de salauds qu'elle savait! Elle en a bavé alors et même plus qu'il en fallait. « Voleur! Fainéant! qu'elle m'agonisait... Vous avez même pas de métier!... Ça va faire un an bientôt que je vous nourris ma fille et moi!... Propre à rien!... Maquereau!... » T'entends ça d'ici? Une vraie scène de famille... Elle a comme réfléchi un bon coup et puis elle l'a dit plus bas, mais tu sais alors elle l'a dit et puis de tout son cœur « Assassin!... Assassin! » qu'elle m'a appelé. Ça m'a refroidi un peu. L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, pp. 559-560.
Rem. 1. Sur l'orig. pop., voire dial. :
7. Agoniser. v. a. Insulter, injurier, outrager de paroles. Après avoir agonisé sa femme, il l'a chassée du logis. Terme suisse, savoisien, comtois, lorrain, etc. Nous disons aussi, avec un complément indirect, agoniser de sottises, agoniser d'injures. Dans le langage parisien populaire on dit : Agonir, Agonir quelqu'un de mauvais propos. J. Humbert, Nouveau glossaire genevois,1852, p. 10.
8. Dans ses tableaux et ses dialogues, Vadé manie avec beaucoup de bonheur le bas-langage de l'époque (...). C'est grâce à lui qu'ont été propagés quelques-uns des mots populaires que nous allons passer en revue. Agoniser, accabler d'injures, se lit tout d'abord dans le IIIeBouquet poissard de Vadé : « Ne l'agonisons plus... », à côté d'agonir, dans une comédie du même, Les Racoleurs, 1756, sc. XIV : « Ah ça, Monsieux, je suis reconnaissante; tiens, ma fille, sans ly j'étais agonie par ste femme... ». D'Hautel donne cette dernière forme : « Agonir quelqu'un de sottises, l'injurier, l'invectiver de paroles sales et outrageantes ». La première a soulevé les protestations des grammairiens (...). Le passage du neutre à l'actif qu'à subi agonir ou agoniser est pourtant un phénomène courant dans le développement historique de la langue : « Être à l'agonie » devint « mettre à l'agonie » à force d'injures. L'une et l'autre formes sont encore usuelles aussi bien dans les parlers provinciaux (Berry, Poitou, Normandie, etc.) que dans le langage parisien : « Ces zigues d'attaque qui... étaient agonisés de sottises, traînés dans la boue... », Almanach du Père Penard, 1894, p. 53. − « On ne trouvait assez de mots dans les journaux pour l'agonir », Bercy, XXIIelettre, p. 4. Sain.Lang. par.1920, pp. 14-15.
Rem. 2. Les grammairiens ont mis en relief l'attraction paron. de agonir par agoniser1, parfois pour la condamner :
9. Agonir quelqu'un de sottises, l'injurier, le honnir, l'invectiver de paroles sales et outrageantes. Quelques uns disent agoniser. Ces deux manières de parler sont également vicieuses. J.-F. Rolland, Dict. du mauvais langage,1813, p. 5.
10. Agoniser, verbe neutre, signifie être à l'agonie et n'a pas d'autre sens. Agoniser quelqu'un d'injures est un barbarisme né du besoin factice et déraisonnable d'allonger avec des suffixes mille mots qui s'en passeraient bien. Le terme populaire agonir serait ici seul de mise, si, d'ailleurs, il n'était pas lui-même probablement la corruption d'un verbe plus correct. (ahonir, faire honte, verbe ancien, encore usité en Normandie, d'après Littré). P. Stapfer, 1909 (Spr. 1967, p. 390).
11. L'attraction, aussi bien sémantique que morphématique, naît par mégarde. Aussi est-elle plus fréquente dans le langage populaire que dans la langue littéraire. C'est surtout dans la bouche des gens illettrés qu'elle atteint non seulement les mots empruntés et spéciaux, mais encore les mots couramment employés. On confond sujétion avec suggestion, conjecture avec conjoncture, agonir avec agoniser (agoniser d'injures au lieu d'agonir d'injures). Duch.1967, § 31, 2, pp. 103-104.
D'autres ont expliqué agoniser comme un essai pop. de normalisation de agonir, qui passait ainsi à une conjug. plus vivante :
12. Vous faisez : ceci représente brutalement la tendance de la langue française à ramener tous ses verbes à la première conjugaison. L'anonyme cite agoniser pour agonir (de sottises); il y en a bien d'autres, et on les constaterait surtout dans le langage des enfants. J'ai entendu : buver, cuiser, romper, pleuver, mouler, chuter pour boire, cuire, rompre, pleuvoir, moudre, choir. R. de Gourmont, Esthétique de la langue française,1899, p. 159.
Rem. 3. Pour l'étymol. cf. agonir. Comme le montrent les ex., on trouve agoniser notamment aux formes où l'emploi de agonir obligerait l'emploi des formes en -iss-, que la lang. a prob. cherché à éviter, qui en tout cas ont pu servir de point de départ à l'attraction paron.; celle-ci a pu être d'autre part renforcée par l'anal. de verbes comme brutaliser, martyriser, tyranniser, et par l'analyse sém. de verbes comme humaniser, immortaliser « rendre humain, immortel » (d'où agoniser « rendre agonisant »).
Étymol. ET HIST. − Av. 1757 trans. « accabler d'injures » (Vadé, IIIeBouquet poissard ds Sain. Lang. par. 1920, p. 15 : Ne l'agonisons plus). Sens empr. par agoniser1à agonir*.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 370. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 83, b) 745; xxes. : a) 1 095, b) 441.
BBG. − Thomas 1956.