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ACCAPARER, verbe trans.
I.− Dans le domaine de l'écon.Accumuler, à des fins spéculatives et au détriment d'autres ayants droit, des produits ou des valeurs de première nécessité :
1. Ce commerce tend, (...), à transporter, pour ainsi dire, la marchandise d'un temps dans un autre, au lieu de la transporter d'un endroit dans un autre. S'il ne donne point de bénéfice, s'il donne de la perte, c'est une preuve qu'il était inutile, que la marchandise n'était point trop abondante au moment où on l'achetait, et qu'elle n'était point trop rare au moment où on l'a revendue. On a aussi appelé les opérations de ce genre, commerce de réserve, et cette désignation est bonne. Lorsqu'elles tendent à accaparer toutes les denrées d'une même espèce, pour s'en réserver le monopole et la revente à des prix exagérés, on nomme cela des accaparemens. Ils sont heureusement d'autant plus difficiles que le pays a plus de commerce, et par conséquent plus de marchandises de tout genre dans la circulation. J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 104.
2. L'ignorance populaire a presque toujours eu en horreur ceux qui ont fait le commerce des grains, et les gouvernements ont trop souvent partagé les préjugés et les terreurs populaires. Les principaux reproches qui ont été faits aux commerçants en blé, ont été d'accaparer cette denrée pour en faire monter le prix, ou tout au moins de faire, sur l'achat et la vente, des profits qui ne sont qu'une contribution gratuite levée sur le producteur et sur le consommateur. J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832p. 210.
3. Un marchand d'allumettes a l'instinct de l'accaparement. Accaparer la marchandise est la pensée du boutiquier de la rue Saint-Denis dit le plus vertueux, comme du spéculateur dit le plus effronté. Quand les magasins sont pleins, il y a nécessité de vendre. H. de Balzac, La Maison Nucingen,1838, p. 638.
4. L'esprit d'Évariste, naturellement inquiet et scrupuleux, s'emplissait, aux leçons des Jacobins et au spectacle de la vie, de soupçons et d'alarmes. À la nuit, en suivant, pour se rendre chez Élodie, les rues mal éclairées, il croyait, par chaque soupirail, apercevoir dans la cave la planche aux faux assignats; au fond de la boutique vide du boulanger ou de l'épicier il devinait des magasins regorgeant de vivres accaparés; à travers les vitres étincelantes des traiteurs, il lui semblait entendre les propos des agioteurs qui préparaient la ruine du pays en vidant des bouteilles de vin de Beaune ou de Chablis... A. France, Les Dieux ont soif,1912, p. 174.
En partic. Monopoliser, en se les appropriant, des biens ou des valeurs écon. :
5. Quiconque, sans travailler, s'emparait par force ou par adresse de la subsistance d'autrui, rompait l'égalité, et se plaçait au dessus et au dehors de la loi. Quiconque accaparait les moyens de production, sous prétexte d'activité plus grande, détruisait encore l'égalité. L'égalité étant alors l'expression du droit, quiconque attentait à l'égalité était injuste. P.-J. Proudhon, Qu'est-ce que la propriété?,préf., 1840, p. 179.
6. Pour nous, elle [l'affaire] est magnifique. Écoutez! Nous laissons encore passer quelque temps, puis nous achetons tout en sous-main. Des gens à moi offrent déjà dix pour cent; on accepte... Bref, avant cinq mois, nous accaparons les actions... Alors nous crions à la mauvaise gestion du gérant, nous le flanquons à la porte. Je reprends la direction, nous arrêtons les procès, nous payons les sinistres, nous soldons les dividendes arriérés; avant six mois les actions remontent au pair, et dans un an, par suite d'un mouvement de bascule naturel, elles ont doublé de valeur. Alors, nous réalisons nos dix millions... Comprenez-vous? T. Barrière, E. Capendu, Les Faux bonshommes,1856, II, 4, p. 59.
7. Ingelby était libre. Il commença la bataille pour conquérir les cabarets. Les brasseries, dans le Nord, ne vendent de bière qu'autant qu'elles sont propriétaires du fonds des cabarets où l'on débite. L'effort des grandes brasseries tend à accaparer ainsi le plus possible de fonds de commerce, où elles imposeront leurs bières, ... M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 309.
8. Si on veut donner une idée simplifiée du mécanisme social, on peut dire : d'un côté, une petite élite bourgeoise de gens riches, les uns compétents et laborieux, les autres oisifs et parasites; élite, qui possède tout, dispose de tout, occupe tous les postes de commandements, et accapare les bénéfices, sans en faire profiter la masse; − puis, de l'autre côté, cette masse, les vrais producteurs, les exploités : un immense troupeau d'esclaves... R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 156.
II.− Lang. comm. Prendre ou garder abusivement et à son usage exclusif quelque chose ou quelqu'un qui de droit appartient aussi à autrui.
A.− [L'agent est une pers.]
1. [L'obj. est une chose]
a) [Le plus souvent concr. ou une valeur de civilisation] :
9. C'était la première fois, depuis la révolution, qu'on entendait un nom propre dans toutes les bouches. (...) on ne parlait plus que de cet homme qui devait se mettre à la place de tous, et rendre l'espèce humaine anonyme, en accaparant la célébrité pour lui seul, et en empêchant tout être existant de pouvoir jamais en acquérir. G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 2, 1817, p. 8.
10. Victor Hugo a pris l'ode, Canalis donne dans la poésie fugitive, Béranger monopolise la chanson, Casimir Delavigne accapare la tragédie et Lamartine la méditation. H. de Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 263.
11. ... en en voyant arriver encore deux, elle [Nana] se mit à rire, elle trouvait ça trop drôle. Tant pis! On tiendrait comme on tiendrait. Tous étaient debout, il n'y avait que Gaga et Rose Mignon assises, Bordenave accaparant à lui seul deux fauteuils. É. Zola, Nana,1880, p. 1170.
b) [Il désigne l'attention, le temps, la vie, d'une pers.] :
12. ... ne vous laissant pas même respirer dans l'avenir, elles [ces femmes-là] accaparent en projet votre lendemain, votre surlendemain. Pour Dieu, madame, un peu moins de sollicitude. Ne sentirez-vous donc point que le premier de vos bienfaits serait de nous rendre l'espace et d'épargner tant soit peu notre liberté? H.-F. Amiel, Journal intime,8 juill. 1866, p. 358.
13. ... à force d'être inégal à tout, il se prenait pour quelqu'un (...). Son vice, c'était la passion de se rendre intéressant, et comme il ne pouvait compter ni sur ses qualités physiques pour accaparer l'attention, ni sur son ameublement pour retenir les femmes en mal de fauteuils à cinq pieds, il attendait cette faveur de ses écrits tous voués à lui donner de l'importance. J. Bousquet, Traduit du silence,1936, p. 208.
Absolument :
14. N'es-tu pas, en croyant donner, celui qui accapare? Tu étais venu pour partager ma vie... Partager, oui : prendre ta part! Colette, La Vagabonde,1910, p. 312.
2. [L'obj. est une pers.] :
15. [Ma maîtresse] était par trop ingénieuse à m'isoler du reste de la terre; chaque jour c'était nouvelle précaution pour m'accaparer. F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, chef de la police de sûreté, jusqu'en 1827,t. 3, 1828-1829, p. 337.
16. Depuis huit jours, me serai-je rendu grotesque! Ha! ha!... Non seulement je n'ai pas deviné que ce beau monsieur fût ici pour l'agrément d'Henriette... (...) Mais encore, je l'accaparais, le cher Ponta, je le voulais pour moi seul! Je m'accrochais à lui, à elle... Avec un manque de tact! ... Je contrariais tout! H. Bernstein, Le Secret,1913, II, 12, p. 29.
17. Gilbert lui annonça qu'il allait entreprendre un travail de longue haleine. (...). Renée battit des mains : depuis quelque temps, il lui semblait que Gilbert trouvait le temps long auprès d'elle; elle se reprochait de l'accaparer et de le distraire de toute recherche sérieuse. M. Arland, L'Ordre,1929, p. 330.
18. C'est là un des moments le plus pénible de l'épreuve quand d'un air négligent ou supérieur ils réclament un rendez-vous. Au moment où je réponds les mots rituels : « Robert est tellement pris en ce moment », je sens leur regard sévère qui me met en accusation; et je finis par m'avouer coupable; je suis sa femme, oui; mais d'abord, de quel droit? Et puis ça n'est pas une raison pour l'accaparer : un monument public, ça appartient à tous. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 182.
B.− [L'agent est une chose : force contraignante de nature spirituelle, morale, passionnelle, etc.; l'obj. désigne une pers. ou son esprit, son temps, etc.] :
19. ... depuis la malheureuse agitation de la Réforme, il semble que la pensée et l'action chrétiennes de notre pays se soient comme hypnotisées sur certains points de morale, je dirai même sur certains scrupules de mœurs, qui ont bien leur intérêt, mais qui ne méritaient peut-être pas de retenir, d'accaparer, d'immobiliser toutes les forces. Ces questions si particulières ont paru devenir le pivot de la vie religieuse. On a négligé en leur faveur des soucis plus graves; on a laissé en jachère un domaine spirituel autrement étendu. J. Romains, Les Copains,1913, p. 226.
20. Le comte d'Orgel naissait à un sentiment nouveau. Il avait toujours évité l'amour comme une chose trop exclusive. Pour aimer il faut du loisir, et les frivolités l'accaparaient. Mais la passion s'insinua en lui si habilement qu'il y put à peine prendre garde. R. Radiguet, Le Bal du comte d'Orgel,1923, p. 94.
21. Cuverville. 18 juillet. Exaspéré par cette relation de voyage (deuxième partie) dont je ne veux, ni ne peux me distraire, qui m'accapare et retient toutes mes pensées. Je tâche de pousser jusqu'au bout la lecture des données immédiates; j'ai bien du mal... A. Gide, Journal,1927, p. 843.
22. La pensée de Jenny ne le quittait pas. Il se répétait ses paroles, il vibrait tout entier à leur écho, il entendait encore les moindres inflexions de sa voix. Ce n'était pas assez dire que cette présence ne le quittait pas : elle vivait en lui; il en était accaparé; au point qu'il était dépossédé de lui-même; au point que l'aspect des choses, le sens même de l'univers, s'en trouvaient transformés, spiritualisés... R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 326.
23. ... Barthélemy n'était venu que pour m'enlever Geneviève et non seulement j'y consentais, mais encore j'aidais à notre séparation. (...). Mon sentiment avait atteint à un tel paroxysme que je n'en touchais plus que le tourment infatigable; il accaparait tant de place que l'amour lui-même ne trouvait plus, en moi, un seul point libre d'orages où manifester sa douceur. H. Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 167.
Stylistique − 2 traits se constatent à travers tous les emplois de accaparer : a) quel que soit l'obj. accaparé (marchandises, valeurs, obj. divers, choses abstr., pers.), accaparer signifie que l'on prend le plus possible; b) l'action d'accaparer se fait ordin. au détriment de qqn. D'où la nuance péj. Dans l'usage litt. le 2etrait peut cependant manquer ou rester dissimulé : 24. Le petit Dodin était assis sur un haut tabouret près du fourneau, et il suivait avec un intérêt marqué la fumée qui sortait d'une casserole de cuivre. Il pinçait la bouche et les ailes de son nez s'ouvraient frémissantes pour mieux accaparer une odeur de lard grillé qui remplissait l'appartement. Chamfleury, Les Souffrances du professeur Delteil, 1853, p. 82. 25. Lydwine accaparait toutes les maladies du corps; elle eut la concupiscence des douleurs physiques, la gloutonnerie des plaies; elle fut, en quelque sorte, la moissonneuse des supplices et elle fut aussi le lamentable vase où chacun venait verser le trop plein de ses maux. J.-K. Huysmans, En route, t. 1, 1895, p. 76.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [akapaʀe], j'accapare [ʒakapa:ʀ]. Enq. : /akapaʀ/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : accaparateur, accaparation, accaparement, accapareur. − Rem Fér. Crit. t. 1 1787 enregistre comme vedette : accaparer ou acaparer, ainsi que : accaparement ou acaparement.
Étymol. ET HIST. I.− 1. 1625 « retenir une marchandise en donnant des arrhes », terme de comm. (Peiresc, Lett. 134 d'apr. DG : On ne laisra pas d'en avoir quelque exemplaire [de cet ouvrage], mais il en faudra accaparer de bonne heure), vieilli selon DG et Rob.; 2 1562 « retenir la plus grande quantité possible d'une valeur ou d'une marchandise (afin de la rendre rare et d'en faire monter le prix) », terme de comm. ds Desmaze, Curiosités des anciennes Justices, 506 ds Quem. t. 1 1959 : [une ordonnance du Parlement de Bordeaux prescrit] aux revendeurs et regrattiers, sous peine de fouet, d'acheter hors du marché... toute espèce de vivres pour les accaparer et les revendre aux habitants) [attest. douteuse]; 1675 « acheter (dans le même but) » id. (Savary, Parfait négociant, 1reéd. ds Kuhn 1931, 58 : ils tâchent d'accaparer, c'est-à-dire d'acheter toutes les marchandises), péj. dep. Trév. 1752; par métaph. « acheter une chose non vénale, assimilée à une denrée », 1768, 2 déc. (Turgot, Lettre à Dup. de Nemours, éd. Schelle III, p. 21 ds Brunot t. 6, p. 93 : Voilà apparemment ce que ces Messieurs [les Parlements] appellent « Monopole ». Je n'« accaparerai » sûrement pas leur bon sens, car il est encore bien loin de sa maturité). II.− Emploi fig. 1788 accaparer l'esprit « occuper entièrement l'esprit » (Tableaux de Paris, X, II ds Fr. Mod., XXIII, 301 : Les esprits accaparés par le brigandage appelé finance, et par l'agiotage). Empr. à l'ital. accaparrare, terme lombard passé en toscan au xixes. (d'apr. Bernardoni et Gherardini ds Migl.-Duro 1965, p. 650) défini au sens I 1 ds Batt. t. 1 1961 et attesté aux xixe-xxes. aux emplois I 2 et II; par contre caparrare, incaparrare sont attestés au sens I 1 ds Tomm.-Bell. 1929 dep. xvies., ds Oudin-Venorini 1681, ds Vocabolario degli Accademici della Crusca, 1729. Ital. accaparrare, dér. de caparra « arrhes », prob. composé de capo « tête » (< lat. caput) et de arra « arrhes » (< lat. arra « id. »; voir arrhes), littéralement « arrhes principales » (Migl.-Duro 1965). − Kuhn 1931, p. 58; Brunot t. 3 p. 220; Kohlm. 1901, p. 27.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 288.
BBG. − St-Edme t. 1 1824 (s.v. accaparement).