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ABÎME, subst. masc.
Cavité naturelle, aux parois abruptes, s'ouvrant au niveau du sol, sans fond apparent, considérée comme insondable.
A.− Accept. concr. phys. Cavité située en dessous du niveau du sol ou du niveau de la mer :
1. Cavité terrestre naturelle (vide ou non), s'ouvrant abruptement au niveau du sol :
1. ... il [l'Adour] s'était engouffré d'abymes en abymes, et n'avait repris son cours ordinaire que lorsque les cavités furent remplies par les eaux du torrent. J. Dusaulx, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées fait en 1788,t. 1, 1796, p. 315.
2. Malgré les rugissements de la cataracte et l'abîme effrayant qui bouillonnait au-dessous de moi, je conservai ma tête et parvins à une quarantaine de pieds du fond. F.-R. de Chateaubriand, Voyage en Amérique, en France et en Italie,1827, p. 56.
3. ... une promenade de plusieurs heures dans ce monde souterrain fut un enchantement véritable. Des galeries tantôt resserrées, étouffantes, tantôt incommensurables à la clarté des torches, des torrents invisibles rugissant dans les profondes entrailles de la terre, des salles bizarrement superposées, des puits sans fond, c'est-à-dire des gouffres perdus dans des abîmes impénétrables et battant avec fureur leurs parois sonores de leurs eaux puissantes, des chauves-souris effarées, des portiques, des voûtes, des chemins croisés, toute une ville fantastique, creusée et dressée par ce que l'on appelle bénignement le caprice de la nature, c'est-à-dire par les épouvantables convulsions de la formation géologique ... G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 25.
4. L'abîme obscur, hagard, funèbre, illimité, Semblait plein de terreur devant cette lumière. V. Hugo, La légende des siècles,t. 6, 1883, p. 334.
5. Il connaissait trop bien tous les détours de l'immense caverne, le réseau des couloirs et des galeries, pour ne pas imaginer tous les accidents qui pouvaient s'y produire. La plus grande partie des couloirs et des salles de la rivière souterraine, devinés seulement, dans des gouffres d'ombre, au cours de ses explorations, lui restait encore inconnue et il sentait, tout autour de lui, les pièges silencieux de l'abîme. A. Chamson, L'Auberge de l'abîme,1933, p. 109.
Rem. En géogr. phys. :
6. Puits − 204 − Vus d'en haut, les puits apparaissent comme des gouffres (...); des abîmes / abysses / (...); des « avens » (Causses) (...). Vus d'en bas, comme des cheminées (...). Baulig1956.
Peut aussi désigner le fond d'un espace vide (vallée profonde, précipice, etc.), p. oppos. à la surface du sol plus ou moins élevée :
7. ... nous nous trouvâmes tout à coup sur le bord à pic d'une immense muraille de rochers de quelques mille pieds de profondeur, qui cernent la vallée des saints. Les parois de ce rempart de granit étaient tellement perpendiculaires, que les chevreuils même de la montagne n'auraient pu y trouver un sentier, et que nos arabes étaient obligés de se coucher le ventre contre terre et de se pencher sur l'abîme pour découvrir le fond de la vallée. A. de Lamartine, Des Destinées de la poésie,1834, p. 407.
8. La montagne des oliviers, au sommet de laquelle je suis assis, descend, en pente brusque et rapide, jusque dans le profond abîme qui la sépare de Jérusalem et qui s'appelle la vallée de Josaphat. A. de Lamartine, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832-1833) ou Note d'un voyageur,t. 1, 1835, p. 427.
2. Cavité marine, au-dessous du niveau de la mer pris comme référence de l'horizontalité :
a) Au plur., le mot s'applique aux cavités de la mer, envisagées du point de vue de leur profondeur :
9. Si, comme on le croît communément, les abîmes de l'océan ont autant de profondeur que les plus hautes montagnes ont d'élévation, il est certain que les rayons du soleil parviennent jusqu'au fond de leurs bassins, à travers des masses liquides de plus de trois mille toises. J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 166.
10. La lumière du jour, vous le savez sans doute, ne pénètre pas très avant dans la mer. Ses profondeurs sont ténébreuses ... Abîmes immenses, que longtemps on a pu croire inhabités; ... A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1053.
b) P. méton., synon. de océan, de mer :
11. Quant à l'organisation des poissons, leur seule existence dans l'élément de l'eau, le changement relatif de leur pesanteur, par lequel ils flottent dans une eau plus légère comme dans une eau plus pesante, et descendent de la surface de l'abyme au plus profond de ses gouffres, sont des miracles perpétuels; ... F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne,t. 1, 1803, p. 164.
12. ... quelquefois une lame monstrueuse venoit roulant sur elle-même sans se briser, comme une mer qui envahiroit les flots d'une autre mer. Pendant un moment le bruit de l'abîme et celui des vents étoient confondus; le moment d'après, on distinguoit le fracas des courants, le sifflement des rescifs, la triste voix de la lame lointaine. F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 231.
13. Ah! Quand reviendra sur la grève Le cavalier avec son glaive? Déjà cent vagues l'ont bercé; Déjà mille flots ont passé. Quand sortira-t-il de l'abîme? La vague pâlit à sa cime. L'hirondelle effleure le bord; Le flot se tait, le flot s'endort. E. Quinet, Napoléon,1836, p. 278.
Plus partic., dans le lang. biblique,la mer considérée du point de vue des limites qu'elle est chargée par Dieu d'imposer aux eaux (cf. c) :
14. Dieu ayant accompli sa vengeance, dit aux mers de rentrer dans l'abyme ... F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne,t. 1, 1803, p. 150.
c) Dans le lang. biblique,désigne les eaux auxquelles, selon la Genèse (I, 9-10), le Créateur assigna des limites au troisième jour de la Création :
15. En vérité je vous le dis, ce fut comme au jour où l'abîme rompit ses digues, et où déborda le déluge des grandes eaux. F.-R. de Lamennais, Les Paroles d'un croyant,1834, p. 94.
16. La mer, qui ne marche point, est la source de la mythologie, comme l'océan qui se lève deux fois le jour, est l'abîme auquel a dit Jéhovah : « Tu n'iras pas plus loin. » F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 68.
3. P. ext., profondeurs souterraines :
a) Profondeurs géogr. (voisines du) centre de la terre :
17. Au milieu de ces masses terribles, vieux témoins de la création, l'on voit une montagne nouvelle que le volcan a fait naître. Ici la terre est orageuse comme la mer et ne rentre pas comme elle paisiblement dans ses bornes. Le lourd élément, soulevé par les tremblements de l'abîme, creuse les vallées, élève des monts, et ses vagues pétrifiées attestent les tempêtes qui déchirent son sein. Si vous frappez sur ce col, la voûte souterraine retentit. On dirait que le monde habité n'est plus qu'une surface prête à s'entr'ouvrir. G. de Staël, Corinne ou l'Italie,t. 2, 1807, p. 328.
b) Dans un cont. relig.,Enfer (en tant que lieu souterrain, séjour des morts et/ou des damnés) :
18. ... et vous, musulmans, votre enfer, abyme souterrain, surmonté d'un pont; votre balance des âmes et de leurs œuvres, votre jugement par les anges Monkir et Nékir, ont également pris leurs modèles dans les cérémonies mystérieuses de l'antre de Mithra; ... C.-F. de Volney, Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires,1791, p. 267.
19. Terre, élève ta voix; cieux, répondez; abymes, noirs séjours où la mort entasse ses victimes, Ne formez qu'un soupir. A. de Lamartine, Méditations poétiques,Le Désespoir, 1820, p. 98.
20. Le sombre empire d'Yama, comme le royaume de Satan, est creusé dans les profondeurs souterraines, composé de plusieurs cercles qui descendent, l'un au-dessous de l'autre, en d'interminables abîmes, et dont le nombre diversement rapporté par les mythologues, est souvent de neuf, ou d'un multiple de neuf. Les tortures s'y rencontrent pareilles, et affectées aux mêmes crimes : ténèbres; sables enflammés; océans de sang, où les tyrans sont plongés; régions brûlantes, auxquelles succèdent des régions glaciales. F. Ozanam, Essai sur la philosophie de Dante,1838, p. 211.
21. Et sans cesse, tandis que sur l'éternel faîte Celui qui songe à tous pensait dans sa bonté, La plume du plus grand des anges, rejeté Hors de la conscience et hors de l'harmonie, Frissonnait, près du puits de la chute infinie, Entre l'abîme plein de noirceur et les cieux. V. Hugo, La Fin de Satan,1885, p. 808.
22. Parfois, comme quelqu'un qui cherche, elle [la forme] touchait Le mur prodigieux de la cave du monde. Elle serpentait, lente et souple comme une onde, Dans l'abîme où l'esprit lit ce mot triste : absent. Souvent elle laissait derrière elle en passant Le bleuissement pâle et fugitif du soufre. Soudain, comme sentant sous elle plus de gouffre, Elle hésita, pencha ce qui semblait son front, Et regarda. La nuit qu'aucun jour n'interrompt Gisait dans l'étendue effroyable et sublime. Ce précipice était de la mort, faite abîme. V. Hugo, La Fin de Satan,1885p. 916.
4. P. compar.
a) Compar. obtenue à partir de certaines composantes de l'accept. phys. : profondeur immense, vide, ... :
23. Il n'engageait jamais ces soi-disant gastronomes qui ne sont que des gloutons, dont le ventre est un abîme, et qui mangent partout, de tout et tout. J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante,1825, p. 296.
24. Dans nos nuits de cristal ainsi le firmament, Qui nous semble taillé d'un grand bloc seulement, Qu'une même couleur d'une arche à l'autre azure, N'est qu'un immense abîme, un vide sans mesure Où se croisent sans fin les mondes et les cieux; ... A. de Lamartine, La Chute d'un ange,1838, p. 946.
25. L'abîme nocturne s'emplissait de constellations. J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 2, 1923, p. 157.
b) Emplois figés dans certains vocab. techn. (avec utilisation de certaines composantes du mot, à l'exclusion de celle de profondeur insondable) :
HÉRALD. Dans l'expr. en abîme, le mot abîme désigne le point central de l'écu, où une pièce ou figure est placée de telle façon que les autres pièces ou figures ne sont ni chargées, ni même touchées par elle et qu'elles apparaissent en relief, celle en abîme étant située comme au fond. En dehors de cette expr., on dit aussi centre ou cœur :
26. ... c'était ainsi que, durant les nuits obscures, flambait [sic] au-dessus de la légende, des armoiries de travail plus récent, éclatantes. Écartelé, un et quatre, deux ou [sic] trois, de Jérusalem et d'Hautecœur (...); d'Haute-cœur, qui est d'azur à la forteresse d'or, avec un écusson de sable au cœur d'argent en abîme, le tout accompagné de trois fleurs de lys d'or, deux en chef, une en pointe. É. Zola, Le Rêve,1888, p. 61.
TECHNOL., en chandellerie : désigne le vaisseau, l'auge où est versé le suif, où est trempée la mèche.
B.− Accept. abstr. De manière gén. dans une lang. soutenue ou légèrement teintée de philos.,abîme désigne, en parlant d'un inanimé abstr., le plus haut degré concevable, l'insondable ou le mystère, à la limite l'infini ou le néant. Ce qui subsiste de la représentation de l'abîme phys. sert à traduire des idées abstr. plus ou moins suggérées par les attributs concr. (intervalle, parois abruptes, profondeur sans fond) ou une image globale de l'abîme envisagé comme contenant ou comme contenu :
1. Idée d'une oppos. difficile ou impossible à réduire :
27. ... partis de l'individualité, les philosophes grecs, éveillés tout à coup en Dieu par les leçons des métaphysiciens de l'Orient, n'ont connu que ces deux termes, les individus et Dieu. Entre ces deux termes, sans lien entre eux, il y avait l'abîme. P. Leroux, De l'Humanité, de son principe et de son avenir,t. 2, 1840, p. 983.
28. Nulle division, nul abîme infranchissable entre le moi ou la liberté humaine, et le semblable, ou la charité humaine. P. Leroux, De l'Humanité, de son principe et de son avenir,t. 1, 1840, p. 217.
29. On conçoit, en effet, ce double travail du pélagianisme, qui, voulant combler l'abîme de l'intervalle, diminuait la hauteur de l'Eden et relevait autant qu'il se pouvait la profondeur de la terre. Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 117.
30. ... quant à mes amis politiques, je ne sais si je vous en entretiendrai : des principes et les discours ont creusé entre nous des abîmes! F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 30.
31. Je les connaissais un peu les Allemands, (...) on tirait (...) à l'arbalète et au pistolet qu'on achetait même quatre marks. On buvait de la bière sucrée. Mais de là à nous tirer maintenant dans le coffret, sans même venir nous parler d'abord et en plein milieu de la route, il y avait de la marge et même un abîme. Trop de différence. L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 16.
Avec en outre suggestion d'une idée d'obstacle :
32. Toute alliance est impossible entre le mal et le bien : on ne se réunit pas à l'abyme; on s'y engloutit. F.-R. de Chateaubriand, Opinion sur le projet de loi relatif à la liberté de la presse,1818, p. 140.
33. Émulation, courage, persévérance, tout est réduit par l'impossible, cet abîme qui sépare du but, et qui ne sera jamais comblé! C. de Duras, Édouard,1825, p. 152.
34. ... mon temps n'est pas à moi. (...) Il s'est brisé, sur ce roc qui me sépare du monde, bien des frêles et douces amitiés qui s'y jetaient étourdiment sans réflexion; (...) C'est parce que je connais ces naufrages que je dois vous prémunir contre cette dureté, vous dire qu'il y a là un abîme ou une muraille de granit et qu'il faut des ailes pour les franchir. H. de Balzac, Correspondance,1836, pp. 29, 30.
35. Rien, maintenant, n'occasionnerait ces heures si douces que remplissaient la distillerie ou la littérature. Un abîme les en séparait. Quelque chose d'irrévocable était venu. G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet,t. 2, 1880, p. 107.
2. Idée de mystère insondable, d'inconnaissable :
36. Elle [cette loi] n'est à tes yeux qu'un bizarre caprice, Un piège où la raison trébuche à chaque pas. (...) Comme toi, ma raison en ténèbres abonde, (...) Plus je sonde l'abyme, hélas! plus je m'y perds. A. de Lamartine, Méditations poétiques,L'Homme, 1820, p. 31.
37. Je ne me sens pas la tête assez forte ni l'œil assez sûr pour sonder l'abîme de la science philosophique; ... M. de Guérin, Correspondance,1832, p. 65.
38. A genoux! Une telle femme à genoux! Et ce monsieur-là qui la refuse! Une femme de vingt ans, belle comme un ange et fidèle comme un lévrier! (...) Mais quel abîme est donc le cœur de l'homme! A. de Musset, Comédies et proverbes,Un Caprice, 1840, 7, p. 205.
3. Notion d'infini, parfois associée à l'idée de néant :
39. Mon âme se dissoudra-t-elle avec le reste de ma poussière? Le tombeau est-il un abîme sans issue, ou le portique d'un autre monde? F.-R. de Chateaubriand, Essai historique, politique et moral sur les révolutions,t. 2, 1797, p. 287.
40. Et puis après l'abîme, la nuit sans lendemain, sur ma tête le vide, sous mes pas le néant. E. Quinet, Ahasvérus,1833, p. 352.
41. Un enfant, à côté de nous, regarde le ciel mort. Astronomie, science décourageante : l'infini ou le néant, c'est toujours l'abîme. E. et J. de Goncourt, Journal,juillet 1862, p. 1105.
4. En partic., envisagé non plus comme un contenant, mais comme un contenu, abîme sert à suggérer le mystère de l'homme. Plus spéc. :
Les instincts mauvais, les puissances du mal (cf. inf. styl.) :
42. ... les événements intérieurs, les perceptions, les injonctions, les diversions incomparables, les attentes, les sympathies et les antipathies, les récompenses et les peines immédiates, les trésors de lumière, d'espoir, d'orgueil et de liberté, les enfers que nous portons en nous, et leurs abîmes de démence, de sottise, d'erreur et d'anxiété, tout cet univers pathétique, instable et tout-puissant de la vie affective ne se peut absolument pas séparer de ce qui le perçoit. P. Valéry, Variété 4,1938, p. 177.
L'inconnu de la vie psychique individuelle, orientée vers un ailleurs, ou telle que le révèlent le rêve ou l'inconscient que cherche à percer la psychanalyse :
43. La valeur extraordinaire que Nerval accorde au rêve apparaît ici en toute netteté, avec ses aspects si divers : le rêve, c'est d'abord ce que l'on entend le plus couramment par là, les images du sommeil. Mais ces images constituent une autre vie, pleine de menaces et d'attraits, dans laquelle nous échappons aux conditions terrestres; ce que nous y pouvons percevoir « dès à présent », c'est la préfiguration de la vie éternelle. Seulement, pour que les abîmes intérieurs prennent cette exceptionnelle portée, il faut en forcer les portes; car, dans notre état habituel, ce monde, − que nous appellerions aujourd'hui le monde de l'inconscient, − ne nous apparaît pas dans toute sa pureté. A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,Essai sur le romantisme allemand et la poésie française, 1939, p. 361.
44. Toute la profondeur du roman tient à ce dialogue de chaque être avec lui-même, à cette révélation de ses abîmes intérieurs, qui ne peut se faire qu'en certains instants, où, libéré de son propre personnage, et soustrait au contrôle de sa conscience, il touche à ce qu'il y a en lui de plus terrible et de plus rassurant à la fois. A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,Essai sur le romantisme allemand et la poésie française, 1939p. 250.
45. Or, le rêve, la poésie, toutes les révélations de l'inconscient ont justement ce prix inestimable : ils nous arrachent à notre solitude d'individus séparés, nous mettent en communication avec ces abîmes intérieurs qui ironisent la vie de la surface, et qui sont en mystérieuse communication avec notre destinée éternelle. A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,Essai sur le romantisme allemand et la poésie française, 1939p. 122.
46. Si riche soit le domaine de la conscience claire, il est loin d'épuiser la vie psychique individuelle. Des abîmes du corps, des abîmes de l'univers et des abîmes de l'intériorité affleurent à ses rives les eaux sans bords des mondes obscurs. Trois domaines en sont bien étudiés jusqu'ici : les désirs sexuels infantiles refoulés (Freud), les volontés de puissance infantiles déçues (Adler), les reliquats d'instincts, de pensées, ou de sentiments archaïques et collectifs (Jung). Ces découvertes ne sont encore que des sondages dans de vastes continents inconnus. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 279.
Un sentiment de vide, de néant intérieur (cf. sup. B 3) :
47. On a fort parlé de l'abîme de Pascal qu'il voyait toujours près de lui. Cet abîme se retrouve sous plus d'une forme chez plusieurs. Chez Mmedu Deffand, c'était la crainte de l'ennui qui était son abîme à elle, et contre ce vide son imagination cherchait sans cesse des préservatifs et comme des parapets dans la présence de ceux qui pouvaient lui être agréables. Ch.-A. Sainte-Beuve, Pensées et maximes,1868, p. 101.
5. P. ext. et transpos. de plan
a) Idée de danger grave, de grande peur :
48. On veut dormir au bord de l'abîme, après tant de révolutions, on regarde comme des ennemis ceux qui avertissent des nouveaux dangers. F.-R. de Chateaubriand, Polémiques,1827, p. 455.
49. Les tentants abîmes de la peur, ouverts dans maint roman, grouillaient suffisamment (...) de fantômes classiquement blancs, d'ombres, d'animaux maléfiques ... Colette, La Maison de Claudine,1922, p. 59.
b) Idée de grand espace de temps ou de durée indéfinie :
50. Tous ces astres éteints, ces fleuves qui tarissent, Ces sommets écroulés, ces mondes qui périssent, Dans l'abîme des temps ces siècles engloutis, Ce temps et cet espace eux-mêmes anéantis, Ce pouvoir qui se rit de ses propres ouvrages, A celui qui survit ce sont autant d'hommages, Et chaque être mortel, par le temps emporté, Est un hymne de plus à ton éternité! A. de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, La Perte de l'Anio, 1830, p. 345.
Ou un laps de temps mesurable mais dont l'étendue ne peut être appréhendée par l'imagination :
51. Après Tacite qui a paraphrasé quelques mots de Galgacus conservés par tradition dans les camps romains, un abîme se creuse : on traverse quinze siècles avant d'entendre parler de nouveau du génie des Bretons... F.-R. de Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise, t. 1, 1836, p. 57.
Dans certains cas, l'expr. fond de l'abîme suggère l'idée de degré suprême :
52. D'ailleurs, après l'invasion prussienne, il n'y a plus de malheur possible. Ç'a été là le fond de l'abîme, le dernier degré de la rage et du désespoir! G. Flaubert, Correspondance,1872, p. 380.
6. De là l'emploi de abîme pour exprimer un très haut ou le plus haut degré; dans cet emploi il fonctionne comme un superlatif expressif de subst. abstraits avec lesquels il est mis en relation; base d'un syntagme nom., il est suivi de de et d'un subst. non déterminé par un art. et gén. non caractérisé :
53. On n'avait d'autre vue de la terre habitée que par l'entrée du glacier qui nous laissait une étroite échappée de vue sur la vallée de Grindelwald. C'est là, c'est dans cet abîme de beauté et d'horreur que nous passâmes plusieurs heures ... Chênedollé, Extraits du journal,1820, p. 104.
54. « Le cœur d'une sœur est un diamant de pureté, un abîme de tendresse » se dit-il. H. de Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 99.
55. Il faut que mon existence de fait me plonge dans cet abîme de réflexion, ... P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 428.
56. S'il m'arrive d'y songer la nuit, c'en est fait du sommeil et je roule dans un abîme de détresse et de désespoir. A. Gide, Et nunc manet in te,1951, p. 1153.
Rem. 1. Comme il apparaît dans les ex., abîme fonctionne souvent avec des caractéristiques d'ordre phys. : la cavité marine, terrestre, ou souterraine est toujours abrupte, profonde, insondable ou difficilement connaissable. Ces attributs se retrouvent dans les emplois fig. dans lesquels ils sont transposés. Cependant, peu à peu, ces constantes s'estompent : l'évocation spatiale de l'abîme fait place à une notion temporelle, puis abîme, en se faisant de plus en plus abstr., devient équivalent de « extrême, comble, dernier degré ». A la limite, abîme tombe en catasémie, dépouillé de son contenu sém. et proche de la catégorie gramm. du superlatif absolu ou relatif. 2. Synt. les plus fréq. : a) Abîme profond, ouvert, noir, infranchissable, grand, insondable, obscur, béant. b) Abîme se trouve en oppos. paradigm. ou en assoc. syntagm. très fréq. avec, par ordre décroissant : fond (ex. 2, 7, 9, 52), bord(s) (ex. 13, 48), profondeur (ex. 9, 10, 20, 29, 58); et également, mais beaucoup moins fréquemment : puits (ex. 3, 6, 21), course, douleur(s), mer(s) (ex. 10, 12, 14, 16). c) Abîme est fréquemment sujet ou compl. de séparer (ex. 8, 33, 35), précipiter, creuser (ex. 30, 51), tomber, ouvrir, sortir (ex. 13), plonger (ex. 55), jeter, combler (ex. 29, 33), franchir (ex. 34), mesurer, sonder (ex. 36, 37).
Stylistique − Emploi relig. peu usité à l'époque mod. sauf dans les cont. se référant à l'A. T. et au N. T. Dans la lang. usuelle, il est surtout localisé dans le vocab. des géographes et dans les emplois fig. de la lang. soutenue. Dans les emplois techn., sa vitalité est faible (chandellerie, hérald.). Niveau de lang. relativement élevé lorsqu'on le compare à ses synon. principaux : précipice/gouffre. Vitalité renouvelée dans le lang. métaph. de la psychanalyse et chez les écrivains introspectifs : 57. Parmi ces chutes intermédiaires, nous placerons les « chutes littéraires », les abîmes lus, toutes chutes virtuelles qui nous enseignent le malheur, qui travaillent notre inconscient au hasard des lectures. G. Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, 1948, p. 349. 58. Une chute littéraire trop circonstanciée, un abîme trop chargé d'images éveillent des intérêts divergents et ces intérêts excitent le lecteur auquel on voulait suggérer des images d'effacement ontique. Une chute littéraire trop imagée nous fait perdre la dynamique d'abîme qu'il faut bien distinguer d'une géographie des profondeurs. En effet, explorer l'abîme, aller avec la lampe du mineur dans les souterrains pour en affronter les monstres, c'est vivre une peur discursive. Id., ibid., p. 350. Abîme fonctionne habituellement avec des termes évoquant des sentiments d'ordre négatif ou déplaisant (mélancolie, souffrance, solitude, détresse, ténèbres, renoncement, maux). Dans la constr. abîme de + subst. abstr., le mot peut être déchargé de sa connotation péjor. et devenir propre à évoquer le plus haut degré dans un domaine neutre ou mélioratif. Dans 2 ex. de la docum. abîme est employé comme adj. Le 1erex., où il est synon. de profond, est emprunté à une œuvre de Michelet non destinée à la publication, ce qui peut expliquer l'écart styl. : 59. Les fols jouissent de la belle terrasse et de la belle vue, moins surplombante néanmoins, moins abîme, que celle de Fourvière. J. Michelet, Journal, avril 1839, p. 298. Le second est emprunté à V. Hugo, coutumier de ce type de syntagme (où abîme est deuxième terme de mot composé) : 60. La révolution française a touché Venise et Venise est tombée; elle a touché l'empire d'Allemagne, et l'empire d'Allemagne est tombé; elle a touché les électeurs, et les électeurs se sont évanouis. La même année, la grande année-abîme a vu s'engloutir le roi de France, cet homme presque dieu, et l'archevêque de Mayence, ce prêtre presque roi. V. Hugo, Le Rhin, Lettres à un ami, 1842, p. 244.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abim]. Pour la prononc. avec [i:] encore signalée au début du siècle, cf. III B. Enq. : /abim/. 2. Homon. : abîme (-s, -nt) du verbe abîmer. 3. Hist. − On relève le mot abîme sous sa forme actuelle avec un accent circonflexe ds Rich. 1680, mais la forme ne s'est définitivement imposée qu'à partir d'Ac. 1798. Au xiies., on trouve les formes concurrentes suiv. : abys, abis, encore attestées ds Hug. (xvies.), issues directement du lat. chrét. abyssus; abysme, abisme et bysme, bisme par déglutination (cf. Fouché 1952, p. 591). Au xives. abesme et abime (cf. Gdf.). a) Graph. y et i. Dès l'entrée du mot dans la lang., la graph. étymol. avec y est concurrencée par des formes en i en raison de la confusion qui régnait entre ces graph. En effet, dès le xiies., y était introd. par les copistes à la place de l'i dans les noms propres et dans les mots de physionomie étrangère (cf. Beaul. t. 1 1927, p. 51). A partir du xiiies., l'y fut utilisé comme « litera legibilior » à la place de i voyelle. ,,A la fin du xiiies. l'abus de l'y à toutes les places du mot était fort répandu, et dans les régions les plus diverses de la langue d'oïl.`` (Beaul. t. 1, pp. 163-165). Cet abus n'a cessé de s'accentuer (cf. Beaul. t. 1, pp. 271-276). Ronsard recommande le remplacement de l'y gr. dans abisme, cigne, Nimphe, etc., par ,,l'i françois pour monstrer qu'ils sont nostres, et non plus incogneus estrangers; ...`` (Opinions de Ronsard sur l'orth. étymol. en tête de l'Abrégé de l'Art poétique ds Didot 1868, p. 122). Rich. 1680 supprime l'y dans abîme, mais Fur. 1690, Ac. 1694 à 1762, le maintiennent ainsi que Trév. 1752 et 1771. Ce n'est qu'à partir de Ac. 1798 que i l'emporte définitivement et Littré note encore : ,,On n'écrit plus abyme, malgré l'étymologie``. (Pour la suppression et le rétablissement de l'y gr. dans les différentes éd. d'Ac., cf. Didot, p. 85). b) Suppression de l's et introd. de l'accent circonflexe. Pour la chronol. de l'amuïssement de l'[s] implosive dans la prononc. aux xieet xiies., cf. G. Straka, Remarques sur la « désarticulation » et l'amuïssement de l's implosive. Mél. de Ling. rom. et de Philol. médiév. 1964, p. 621. La graph. bihme (xiiies.) citée par Gdf. correspond à un stade intermédiaire de l'amuïssement de l'[s] qui ,,a dû être précédé d'une aspirée`` (cf. Fouché, p. 861 et G. Straka, op. cit., p. 607). Parallèlement les graph. abeme (vers 1350, T.-L.) et abime (xives., T.-L.) témoignent de l'amuïssement de [s]. En ce qui concerne la prononc. de abîme au xvies., Nicot précise : ,,le François l'escrit par s, Abysme, combien qu'il ne le prononce, ains comme s'il estoit escrit Abyme``. Pour l'hist. de l's implosive au xvies., selon qu'il est rétabli ou introd. dans la prononc., puis maintenu ou amuï, cf. Beaul. t. 1, pp. 307-308 et Fouché, pp. 867-869, ou encore qu'il est maintenu ou introd. dans la graph. comme signe de durée, cf. Thurot Prononc. t. 2 1883, p. 593. La graph. avec s est maintenue jusqu'au mil. du xviiies. Rich. 1680 et Ac. 1740 sont les premiers à supprimer l's. Trév. 1704 donne abysme et abîme mais en 1752 ne mentionne que la graph. avec s. ,,C'est dans sa troisième édition, en 1740, que l'Académie (...) supprima des milliers de lettres devenues parasites (...); ainsi abysme fut écrit abyme...`` (Didot, pp. 11-12). Ac. 1762 : ,,Dans les mots où la lettre s marquoit l'allongement de la syllabe, nous l'avons remplacé par un accent circonflexe.`` Cf. (Didot, p. 14). Néanmoins la graph. abîme avec l'accent circonflexe n'apparaît que dans l'éd. de 1798. La durée longue de [i:] dans abîme est encore signalée par Passy 1914 et par Barbeau-Rodhe 1930 qui donne également la possibilité d'une prononc. avec [i] bref. C'est en raison de l'accent circonflexe ,,considéré comme signe de longueur, que la quantité longue se maintient; seules les voyelles extrêmes i, v, u, se sont abrégées malgré la présence de l'accent circonflexe : gîte, il dîne, huître...`` (G. Straka, Système des voyelles du français moderne. B. de la Faculté des Lettres de Strasbourg, 1950, p. 32). − Rem. Ds T.-L. et Gdf. ce subst est signalé comme masc. et fém. et au xvies. encore, Hug. note que ,,Abisme est souvent féminin.``
Étymol. − Corresp. rom. : prov., cat. abisme; n. prov. abime, abisme; port., esp. abismo (> logoud. abismu). 1. Début xiies. « gouffre, profondeur insondable (de la terre) » terme relig. dans trad. (Ps. Oxford, éd. F. Michel, LXX, 23 : e des abysmes de terre derechief remenas mei); ca 1170 « id. », cont. non relig. (Benoit de Sainte Maure, Chr. Ducs de Norm., éd. Fahlin, I, 4219 : Li quatre vent eissant d'abisme commencerent entr'eus teu cisme... Que foudres volent e arson. [Description d'une tempête; cf. Virgile, Énéide, I, 60 ss]). 2. Début xiies. « profondeur insondable (de la mer) », terme relig. dans trad. (Ps. Oxford, éd. F. Michel, LXXVI, 15 : ... virent teil es ewes e crienstrent, e turbed sunt les abysmes); 2emoitié du xves. « id. », cont. non relig. (J. Molinet, Le Siège d'amours ds Gdf. Compl. : Mers et abismes loingtaines...). 3. Début xiies. « profondeur de l'enfer », terme relig. (Li ver del Juïse, éd. Feilitzen, 352 ds T.-L. : la terre crollerat trosk'en abisme el fonz). 4. Début xiies. « profondeur insondable », emploi fig., terme relig. dans trad. (Ps. Oxford, éd. F. Michel, XXXV, 6 : ... li tun jugement mult abysme); ca 1265 « id. » (Philippe de Novare, Quatre âges de l'homme, éd. Fréville, 117, ds T.-L. : la justice de Dieu si est une abisme). Du lat. chrét. abyssus (dep. Tertullien, voir abyssal) (d'où a. fr. abis « profondeur de l'enfer », terme relig., début xiies. ds T.-L., repris au xvies. ds Hug.; a. prov. abis, a. ital. abisso); les formes rom. (voir sup.) postulent une altération en *abismus au niveau du lat. vulg. (Gröber, Arch. lat. Lex., I, 233), d'orig. controversée, peut-être issu d'une formation superl. *abyss/íssimus devenue *abíss(i)mus par haplologie (Diez5, DG, REW3, Cor.) hyp. satisfaisante des points de vue sém. et phonét.; à remarquer cependant que le suff. -íssimus, fréq. en lat. vulg., affecte des adj., très rarement des subst., et dans ce cas toujours avec valeur hypocoristique, voir Hofmann, Lat. Umgangs-Spr., § 84; dominissimus invoqué par Diez5et Cor. est restreint au domaine hisp. (Du Cange, s.v.) où le superl. en -issimus, fréq., est repris par les lang. rom. Emplois analogues du lat. abyssus et de l'a. fr. abisme : cf. pour 1, Ps., LXX, 20 : et de abyssis terrae iterum reduxisti me; - pour 2, ibid. LXXVI, 17 : viderunt te aquae et timuerunt; et turbatae sunt abyssi; et ca 768 Aethicus Ister, 36 ds Mittellat. W. s.v., 70, 40 : ut... differentiam maris et abyssi sciret; - pour 3, Vulg., Apoc., 9, 1 ds TLL s.v., 244, 30 : data est ei clavis putei abyssi; - pour 4, Ps., XXXV, 7 : judicia tua abyssus multa; et Alcuin, Épist., 136 ds Mittellat. W., s.v., 70, 32. L'hyp. abyssu + īmu > *abiss(i)mu (Rohlfs, R. Ling. rom., 21, 1957, pp. 300-301; Bambeck, Lat. rom. Wortstud., 124) par assimilation de *abíssímu à la formation superl. -íssimu (> *abísmu.) est satisfaisante du point de vue sém. (ímus est fréq. chez St Augustin, voir TLL; mêmes emplois propre et fig. que abyssus, voir Blaise), cependant ímus signifie « qui est au fond », alors que la notion d'abîme suggère gén. l'idée d'absence de fond; d'autre part, il est difficile d'admettre que l'adj. -ímus n'ait plus été senti comme tel. L'hypoth. d'une adaptation de l'a. fr. abis en abisme sous l'influence de l'anton. a. fr. altisme (Brüch, Neu. Spr., XXXII, 426), satisfaisante du point de vue sém. et styl. (l'adj. altisme fréq. dans cont. relig.), est difficilement acceptable, parce que ne pouvant rendre compte de l'esp. abismo (avismo, 1219, Aguilar de Campóo, d'après Blondheim ds Rom., XLIX, 15), dont l'empr. au fr. est peu vraisemblable. L'hypoth. d'une assimilation au suff. sav. -ísmus (FEW, Dauzat 1964, Bl.-W.4, EWFS2) fait difficulté, ce suff. formant, en gén., des mots abstr. (Diez5), sémantiquement éloignés de abismus; il est cependant fréq. en lat. chrét.; cf. Berger, Die Lehnwörter in der fr. Spr., 40 et 287. HIST. − Directement issu du lat. chrét., abîme, trad. fr. du lat. abyssus, est d'abord attesté comme terme biblique (début xiies.) dans les trad. fr. de l'Anc. et du Nouv. Test. Dans l'A. T. il désigne à la fois le chaos primitif, les cavernes immenses de la terre où Dieu rassembla les eaux, enfin les eaux elles-mêmes tirées du chaos; dans le N. T. il désigne l'enfer, séjour des damnés. Il s'emploie aussi au fig. dans la lang. relig. Très tôt (fin xiies.) il passe dans la lang. profane où son sens s'élargit pour désigner du seul point de vue phys. toute profondeur (marines, à ciel ouvert ou souterraines) dont on ne peut mesurer le fond (ext. à toutes les dimensions). Dans cette même lang. profane, il prend parallèlement des sens fig. : le mot est alors empl. métaphoriquement soit comme terme techn. (chandellerie, hérald.), soit pour exprimer l'idée d'impénétrabilité pour l'esprit ou l'idée d'incommensurable (par ex. dans abîme de misère pour comble de la misère). − Rem. 1. Ne pas confondre abis, abîme et abysse : abis < abyssus, avec en anc. et moy. fr., l'unique sens d'« enfer », disparaît des dict. au xvies. (dernière attest. ds Hug.); abîme < abyssus + issimus (cf. étymol.), absorbe abis et subsiste seul; abysse < abyssus mot sav. entré dans la lang. au xixes. avec un sens techn. (cf. art. abysse). 2. Subst. masc. et fém. jusqu'au xviies. (avec prédominance du fém. au xvies., nombreux ex. ds Hug.), il devient exclusivement masc. à partir de Nicot 1606. 3. Par déglutination, l'abisme fém. a pu se dissocier en la bisme cf. inf. : A 2 (1erex.) et B 1 (2eex.). I.− Disparition av. 1789. − Estre l'abîme des yeux de qqn « être l'obj. de la contemplation intense de qqn », xvies., 1 seul ex. dans la docum. : et il s'agit donc sans doute d'un fait de style. Tu es à son gré la personne De la cour qui danse le mieux, Tu es l'abîme de ses yeux, Tant tu vas propre et bien en poinct. (1491-1558, Saint-Gelays, Chansons, 9, II, 230 ds Hug.). II.− Hist. des sens et accept. attestés apr. 1789. − A. − Sém. sens A (phys.) « profondeurs immenses, terrestres ou autres » : Il y a de profonds abysmes dans ces montagnes, dans ces rochers, dans ces mers, dans ces rivieres. (Fur. 1690). 1. « cavités marines » (cf. sém. A 2) (et étymol. 1). xiiies. : Et puis recheoit [le navire] si profond que avis estoit qu'elle cheïst en l'abisme et avenoit priés la tere el fons. (Chronique de Rains, 47 ds Littré). xives. : Tant sur terre comme en abysmes [en mer]. (1373, Froissart, Joli buisson de jonesce ds Littré). xvies. : Mers et abismes loingtaines. (av. 1507, J. Molinet, Le siège d'amours ds Gdf.). Les hault rochers des monstrueuses undes Se sont cachez es abismes profondes. (1544, Apol. nouv. du Debat d'Eole et Neptune ds Hug.). xviies. : L'océan étoit jaloux de voir sonder ses abysmes. (Ablancourt ds Trév. 1752). xviiies. : Dans l'Écriture il se prend pour les eaux que Dieu créa au commencement avec la terre, et qui l'environnoient de toutes parts. (Trév. 1752). 2. « cavités terrestres à ciel ouvert » (cf. sém. A 1 et étymol. 1). ca 1300 : il sont tuit aussi perdu en ceste queste come s'il fussent fondu en bisme. (Lancelot, ms. Frib., 1o61 c ds Gdf.). xviies. : Abîme, gouffre profond. (Rich. 1680). Le terrain s'affaisse et ouvre un abîme. (1699, Fénelon, Télém., 15 ds DG). xviiies. : Il se prend encore pour les cavernes immenses de la terre où Dieu rassembla toutes ces eaux le troisième jour et que Moyse appelle le grand abysme. (Trév. 1752). 3. « cavités souterraines » (cf. sém. A 3) (cf. étymol. 3, 4), notamment pour désigner l'enfer. xiiies. : Ke m'anrme n'assorbisset en abisme diables. (ca 1200, Poème moral ds T.-L.). Li poins de la terre, ce est li mileu dedans, qui est apelez abismes, la ou enfers est assis. (1266, Br. Latini, Li livres dou tresor ds T.-L.). xves. : Pour en bysme tres orde Faire sejour au nombre des dampnez. (fin xves., Myst. des Actes des apôtres ds Gdf.). xviies. : Les damnés sont dans l'abîme infernal. (1609, F. de Sales, Introd. à la vie dévote, I, 15 ds DG). − Rem. « chaos » peu employé, 1reattest. xives.; résurgence dans un contexte relig. ou moral ds Besch., Rob., ds Lar. encyclop. Cf. aussi art. sém. ex. 18 : Cahos : abysmes (ds G. Briton, Rem. sur le patois suivies du vocab. lat.-fr. 97 b ds T.-L.). 4. emplois fig. (cf. art. sém. A 4) a) chandellerie, 1reattest. ds Fur. 1690 : Abysme est aussi un vaisseau fait en prisme triangulaire renversé qui sert aux chandeliers à fondre leur suif, et à faire leur chandelle, en y trempant plusieurs fois leur mèche, (cf. aussi Trév. 1704, 1752, 1771; Ac. Compl. 1842; Besch.; Littré; DG; Lar. 20eet art. sém.); b) hérald. 1reattest. dans la docum. disponible ds Fur. 1690 : Abysme. Terme de blason. C'est le cœur, ou le milieu de l'Écu, en sorte que la pièce qu'on y met ne touche et ne charge aucune autre pièce telle qu'elle soit. Ainsi on dit d'un petit Écu qui est au milieu d'un grand qu'il est mis en abysme (...). (Cf. aussi Ac. 1694 à 1798; Trév. 1704, 1752, 1771; Ac. Compl. 1842; Littré; DG et art. sém.). B.− Art. sém. sens B (philos.) 1reattest., cf. étymol. 4. 1. « profondeur insondable, impénétrable pour l'esprit humain, la raison » : xiiies. : Li abysmes des escritures. (av. 1250?, Délivrement du peuple d'Israël, ms. du Mans Io31 vods Gdf.). xives. : Telx sont li jugement de dieu le roi haultisme, Qu'il n'y a fons ne rive, c'est une droite bisme. (Girart de Rossillon, 24 ds T.-L.). xviies. : La raison humaine est un abisme où l'on se perd. (1654-1655, Ablancourt, Lucien ds Rich. 1680). Les secrets de la nature sont des abysmes. (Ac. 1694). xviiies. : La divisibilité de la matière à l'infini est un abysme pour l'esprit humain. (Ac. 1762). 2. « degré élevé dans le quantifiable ». xvies. : On l'eust jugé à l'ouyr et le veoir/Une profunde abisme de scavoir. (1476-1550, J. Bouchet, Épist. famil. du Traverseur, 68 ds Hug.). xviies. : Se dit aussi de ces dépenses excessives dont on ne peut juger avec certitude. On ne peut certainement régler la dépense de la Marine, c'est un abysme. (Fur. 1690). xviiies. : Il se dit aussi fig. Des sciences difficiles, et qui demandent une tres-grande estude. C'est un abysme que les Mathematiques. On dit au fig. Un abyme de malheur, un abyme de misère, pour dire Un extrême malheur, une extrême misère. (Ac. 1740). Abyme, se dit aussi figurément Des choses qui engagent à une excessive dépense, et qui sont capables de ruiner. Le jeu, les procès, les bâtiments sont des abymes. (Ac. 1762, cf. aussi Fur. 1690). − Rem. Au xixes.; disparition de l'emploi absolu, et comme quantificateur de subst. concr. A citer encore l'emploi mentionné par Ac. 1798 : On dit familièrement et populairement d'un mets, qui consume une grande quantité de sucre ou d'autre chose, c'est un abîme de sucre, etc. Aujourd'hui, quand il s'agit de consommation de biens ou d'argent, le lang. tend à substituer gouffre à abîme.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 4 175. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 7 769, b) 7 168; xxes. : a) 4 466, b) 4 598.
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