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BIEN3, subst. masc.
I.− Le bien (de), du bien. Ce qui favorise l'équilibre, l'épanouissement d'un individu, d'une collectivité ou d'une entreprise humaine (à tous points de vue).
A.− PHILOS., THÉOL., absol. Ce qui correspond aux aspirations essentielles de la nature humaine; ensemble de facteurs propres à amener et maintenir chaque être au summum de son accomplissement vital − notamment par la voie du perfectionnement spirituel; spéc., Dieu même en tant qu'Être suprême, parfait, éternel, source de tout ce qui est favorable à la progression des créatures et but de leur évolution. Le bien absolu; poursuivre, rechercher le bien; aspirer au bien; tendre vers le bien :
1. Le sentiment de sa propre existence doit primitivement suffire à l'être qui se connoît lui-même. Puisqu'il sent, il jouit; il est heureux de cela seul qu'il vit, et jouit de cela seul qu'il se conserve pour jouir. Toute situation indifférente lui est bonne, et il repose dans la permanence du bien-être tant qu'il ne sent pas péniblement. Le mal qu'il trouve dans la nature est si instantané qu'il ne peut flétrir sa vie. Le bonheur est son état nécessaire; exister est le bien suprême. Senancour, Rêveries,1799, p. 69.
2. S'il y a quelque chose d'évident pour l'homme, c'est l'existence de deux forces opposées qui se combattent sans relâche dans l'univers. Il n'y a rien de bon que le mal ne souille et n'altère; il n'y a rien de mal que le bien ne comprime et n'attaque, en poussant sans cesse tout ce qui existe vers un état plus parfait. Ces deux forces sont présentes partout : (...). Le pouvoir humain ne s'étend peut-être qu'à ôter ou à combattre le mal pour en dégager le bien et lui rendre le pouvoir de germer suivant sa nature. J. de Maistre, Des Constitutions pol. et des autres institutions hum.,1810, pp. 70-71.
3. Faut-il donc, comme Voltaire, dire que, philosophes ou chrétiens, disciples d'Épicure ou de Zénon, de Platon ou de S. Paul, tous ceux qui ont cherché le souverain bien ont cherché vainement la pierre philosophale? En cherchant la pierre philosophale, on a découvert la chimie; en cherchant le souverain bien, l'humanité s'est perfectionnée. Tout homme qui a cherché le souverain bien, soit avec Platon, soit avec Épicure, (j'entends le véritable Épicure), soit avec Zénon, soit avec le christianisme, a été, à des degrés divers, dans la voie du perfectionnement de la nature humaine. Tout homme qui n'a pas cherché le souverain bien, en suivant l'une ou l'autre de ces directions, a été dans la voie de la dégradation de la nature humaine. P. Leroux, De l'Humanité,t. 1, 1840, p. 87.
4. Une des doctrines qui ont le plus et le plus longtemps régné sur les esprits, touchant l'origine du monde et l'origine du mal, est celle qui identifie ces deux origines. Diverse dans ses formes, elle a parfois abouti à l'énoncé non dissimulé que le mal est la vie même, ou, comme on disait plutôt, la matière, en renfermant sous ce nom le principe d'individuation de l'existence et, au fond, l'existence même. (...) assurément le système de l'émanation y conduit. On s'y représente le bien, avec la perfection divine, dans la quiétude du principe éternel, dans cette unité encore indivise au sein de laquelle se produit la descente des êtres, le rêve de la vie. Existence est donc déchéance. Renouvier, Essais de crit. gén.,3eessai, 1864, p. 158.
5. ... cet optimisme implique un jugement sur l'être (sur Dieu) qui est identifié au bien. À quelles conditions un tel jugement peut-il être porté? Il repose entièrement sur la distinction du tout et des parties; les parties en tant qu'elles sont prises à part du tout peuvent être mauvaises; mais en tant qu'elles sont rapportées au tout (et aussitôt qu'elles sont vraiment comprises, elles sont nécessairement conçues dans leur liaison organique au tout) elles doivent être regardées comme bonnes (...). Si je suis moi-même mauvais, c'est en tant que je suis une partie qui veut se traiter comme un tout (comme une réalité); en tant que je participe à la vie du tout, je m'élève au bien. (...). Il y a là, semble-t-il, une difficulté intérieure à la doctrine, car d'une part le bien est totalement indépendant de moi, il est l'être, et d'autre part je réalise le bien pour autant qu'il est en moi en tant que je prends conscience de ma relation véritable au tout. (...). Cette théorie toute idéaliste du bien qui identifie le bien avec son idée (ou plutôt avec l'acte qui l'affirme) ne me semble pas avoir pu être celle des stoïciens. Marcel, Journal métaphysique,1914, pp. 89-90.
6. Le bien, si nous le considérons dans sa racine métaphysique, c'est l'être même en tant que désirable, c'est-à-dire en tant qu'objet possible d'une volonté; si donc l'on veut comprendre pourquoi il tend spontanément à se répandre et à se communiquer, c'est à l'actualité immanente de l'être qu'il faut nécessairement en revenir. Dire que l'être est à la fois acte et bien, ce n'est pas seulement montrer qu'il peut agir comme cause, c'est suggérer du même coup qu'il contient une raison d'exercer ce pouvoir causal. La perfection de son actualité, pensée comme bien, l'invite à la communiquer librement à l'être de ses effets possibles. (...) Car être, c'est agir, et agir, c'est être. La libéralité par laquelle le bien se donne, c'est, dans le cas d'un être intelligible, la libre manifestation de l'énergie par laquelle l'être existe. Certes, l'homme n'est pas que libéralité, mais c'est parce qu'il n'est pas tout l'être; il lui faut prendre ce qu'il n'est pas avant de donner ce qu'il est. Il veut souvent le bien d'autrui pour diminuer ses propres déficiences et se conserver ou s'accroître dans l'être; mais, avide de ce qui lui manque, il est généreux de ce qu'il est, parce qu'en tant qu'il est il est bon : ens est diffusivum sui et communicativum. Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,t. 1, 1931, pp. 97-98.
[Le bien dans ses effets] :
7. Le mal est le contraire du bien. Cela est clair : chaque valeur positive a un contraire avec lequel elle forme un genre. À l'abri de cette évidence se forme un jugement hâtif : la douleur est le contraire du plaisir. Le plaisir n'est-il pas en effet le révélateur du bien et la douleur celui du mal? Si néanmoins l'on veut descendre plus bas que la douleur imaginée et que la crainte qu'elle développe, jusqu'à l'épreuve de la douleur, toute symétrie s'efface soudain. Ricœur, Philos. de la volonté,1949, p. 101.
Par allégorie :
8. Pourquoi avons-nous acquis la science du bien et du mal? Nous ne pouvons nous soustraire à cet arrêt de la justice. Nous ne soutiendrions pas ici-bas la joie pure et continuelle. Nous n'y soutiendrions pas non plus le mal absolu sans intervalle. Si le soleil étoit toujours sur notre horizon, il nous consumeroit. S'il n'y paroissoit jamais, notre terre deviendroit bientôt une masse morte, où la stérilité et le néant étendroient leur empire. Saint-Martin, L'Homme de désir,1790, p. 237.
9. Jours inouïs! Le bien, le beau, le vrai, le juste, Coulaient dans le torrent, frissonnaient dans l'arbuste; L'aquilon louait Dieu de sagesse vêtu; L'arbre était bon; la fleur était une vertu; ... Jours purs! Rien ne saignait sous l'ongle et sous la dent; La bête heureuse était l'innocence rôdant; Le mal n'avait encor rien mis de son mystère Dans le serpent, dans l'aigle altier, dans la panthère; ... Hugo, La Légende des siècles,Le Sacre de la femme, t. 1, 1859, p. 35.
B.− Domaine éthique
1. Ensemble des valeurs positives fondamentales (respect de la vie et de la dignité humaine, justice, assistance mutuelle, etc.) prônées par une société donnée comme utiles à l'harmonieux développement, au progrès moral des individus, de la communauté. L'amour du bien; discerner, distinguer le bien du mal :
10. « Je me fis prêtre, et j'ai été un artiste en perfection chrétienne, artiste inférieur mais enthousiaste et consciencieux. À ma mort, je présenterai à N. S. au lieu de tableaux splendides, mon âme dont j'ai tâché de faire un chef-d'œuvre de foi et de charité. Avoir l'âme belle, cette pensée-là a été toute ma force; qu'elle soit la vôtre. » Ce langage fut purificateur pour la pénitente; elle revint souvent au confessionnal et s'en retourna toujours améliorée. Ce vieillard avait pour elle, la prédilection du bon pasteur pour la brebis égarée, et l'artiste qui était en lui mettait du génie à redresser selon le bien, cette pensée courbée vers le mal. J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 27.
11. ... dans cette hypothèse qui distingue d'une façon absolue le bien de l'agréable, il semble que la plupart des hommes souhaiteront que l'inclination vers le plaisir soit chez eux la plus forte et l'emporte sur l'autre : le sentiment du devoir risquera de devenir à leurs yeux le mauvais principe. Mais cela ne fera pas qu'ils soient libres de rien changer à leur disposition intérieure; (...) cette distinction établie entre le bien moral et l'agréable ne laisse place à aucune liberté. Un second groupe de moralistes va donc renier cette interprétation, et se désintéressant de la faillite à laquelle elle aboutit, admettre qu'il y a confusion entre le bien moral et le bonheur. (...). Si cette confusion existe entre le bien et l'agréable, on ne conçoit pas en effet que l'homme, pourvu d'un libre arbitre et gouverné par le seul mobile de l'aspiration au bonheur, n'adopte pas dans tous les cas les principes de conduite que commande la loi morale, puisque celle-ci conduit à la pratique du bien qui procure le bonheur. S'il agit autrement, c'est donc par ignorance, c'est donc parce qu'une partie des éléments du problème lui est cachée; (...). Si, au contraire, tous les éléments du problème lui sont fournis, et s'il choisit le mal au lieu du bien, ce qui lui est funeste au lieu de ce qui lui profite, il faut bien accorder qu'une nécessité plus forte le contraint et bride sa liberté. Gaultier, Le Bovarysme,1902, pp. 161-63.
12. « Il convient, me dit-il, de les exterminer. » Et je compris qu'il avait le goût de la perfection. Car seul est parfaite la mort. « Ils pèchent », dit-il. (...) je songeais : « Il existe contre le mal. Il n'existe que par le mal. Que serait-il donc sans le mal? » « Que souhaites-tu, lui demandai-je, pour être heureux? » « Le triomphe du bien. » Et je comprenais qu'il mentait. Car il me dénommait bonheur l'inemploi et la rouille de son glaive. Et m'apparaissait peu à peu cette vérité pourtant éclatante que, qui aime le bien, est indulgent au mal. Que, qui aime la force, est indulgent à la faiblesse. Car si les mots se tirent la langue, le bien et le mal cependant se mêlent et les mauvais sculpteurs sont terreau pour les bons sculpteurs. Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 767.
P. iron. :
13. ... avec leurs pauvres idées d'herbe parfumée, d'air pur, de bon soleil, d'eau fraîche et murmurante, ils n'auraient su que manger, dormir, hennir, galoper, secouer leur crinière au vent; (...) heureusement ce mal au dos et ce mal aux dents leur montraient clairement que tout n'est pas permis et qu'il y a un bien et un mal, et que c'est par là que les chevaux sont supérieurs aux autres animaux, lesquels sont des brutes sans conscience. Alain, Propos,1906, p. 7.
2. En partic.
a) Aspect du comportement humain (actions, paroles, etc.) conforme aux principes moraux d'une société donnée; spéc. (avec une valorisation intensive), ce qui sert à rendre plus satisfaisantes les conditions de vie (matérielles ou morales) d'autrui. (Quasi-)synon. aide, secours, service; (quasi-) anton. dommages, préjudice :
14. C'est un fait incontestable que, quand nous avons bien ou mal fait, quand nous avons accompli la loi du juste et de l'injuste ou que nous l'avons enfreinte, nous jugeons que nous méritons une récompense ou une punition; et c'est un fait encore que nous la recueillons en effet, 1. dans le plaisir de la conscience ou dans l'amertume du remords; 2. dans l'estime ou le mépris de nos semblables, qui, étant aussi des êtres moraux, jugent comme nous du bien et du mal, jugent comme nous que le bien et le mal méritent punition et récompense, ... Cousin, Hist. de la philos. du XVIIIes.,1829, p. 261.
15. ... je vous bénis seulement, je bénis Dieu de vos inspirations, et vous encore de me les avoir fait goûter. C'est être bon et aimable de faire passer aux autres ce qu'on a de doux en soi, et qui peut aussi adoucir quelque amertume, et je vous dois plaisir et bien. E. de Guérin, Lettres,1840, p. 375.
16. Il devait être supérieur à tout, mais surtout au désir de faire le bien. Commencer à savoir ce qu'était le bien, n'était-ce pas commencer à vouloir être bon et commencer à vouloir être bon, commencer de ne l'être plus? Ce qui était dans la volonté n'était plus dans l'être. Il n'y avait de vertus que les naturelles. (...). Il n'y avait pas de « vertus ». Il n'y avait que « la nature ». Une bonne action était toujours suspecte à M. Godeau parce qu'elle était bonne. Le mal avait bien le droit d'être mauvais mais pas le bien ou alors que serait-il? (...). Dieu doit être si sévère pour ses saints. M. Godeau suspectait le bien. Jouhandeau, M. Godeau intime,1926, pp. 47-48.
17. De tous les êtres vivant en société, l'homme est le seul qui puisse dévier de la ligne sociale, en cédant à des préoccupations égoïstes quand le bien commun est en cause; partout ailleurs, l'intérêt individuel est inévitablement coordonné ou subordonné à l'intérêt général. Cette double imperfection est la rançon de l'intelligence. L'homme ne peut pas exercer sa faculté de penser sans se représenter un avenir incertain, qui éveille sa crainte et son espérance. Il ne peut pas réfléchir à ce que la nature lui demande, en tant qu'elle a fait de lui un être sociable, sans se dire qu'il trouverait souvent son avantage à négliger les autres, à ne se soucier que de lui-même. Dans les deux cas il y aurait rupture de l'ordre normal, naturel. Bergson, Les Deux sources de la mor. et de la relig.,1932, p. 216.
18. Je ne veux pas te dire que j'aime faire du bien, j'aurais l'air de jouer au généreux et ça me déplaît. Et j'aurais l'air aussi de te faire des charités. Non. Mais simplement ça me fait plaisir, ça me cause une joie de te créer un peu de bonheur, tout bonnement parce que tu es courageuse, que tu le mérites. C'est parce que je t'ai vue trimer... Je suis comme ça. Pourquoi refuses-tu? Je fais du bien partout, à tant d'autres! Je ne compte pas, je distribue de l'argent à des gens que je connais à peine, ... Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 348.
SYNT. Le bien général, public; gens/homme(s) de bien (= dont la conduite est conforme à la morale) : homme de bien (...) homme bien-pensant (...) homme de bon goût (...) homme de bon ton (...) homme de mérite (...) juste (...) notable (...) hommes qualifiés par la prudence et la décence (Saint-John Perse, Exil, 1942, p. 254). Except. Fille de bien (G. Sand, François le Champi, 1850, p. 74), pratique du bien; se dévouer au bien d'autrui, dire du bien de qqn (= en parler avantageusement) : ... dire du bien de son père (...) le déclar[er] un honnête homme (Zola, La Fortune des Rougon, 1871, p. 34), parler en bien, penser grand bien de (= avoir une opinion très favorable de), pratiquer le bien, prendre en bien, rendre le bien pour le mal : ... rendant le bien pour le mal, rendant le pardon pour la haine, préférant la pitié à la vengeance (Hugo, Les Misérables, t. 1, 1862, p. 580), vouloir le bien de qqn/du bien à qqn.
Expr. C'est pour son bien; un ami qui vous/te veut du bien[iron.] (Camus, L'État de siège, 1948, p. 202). En tout bien tout honneur. Conformément à la morale :
19. ferdinand, (...) j'étais amoureux, (...), d'une petite bourgeoise (...) : en tout bien, tout honneur... J'étais assez sot pour respecter l'innocence de la chaste enfant. A. Dumas Père, Intrigue et amour,trad. de Schiller, 1847, IV, 7etabl., 3, p. 272.
P. allus. littér. (à l'œuvre de Nietzsche, 1886). Par delà le bien et le mal :
20. − Ce qui se fait par amour se fait toujours par delà le bien et le mal. Souviens-toi. (Il hésita imperceptiblement, avant de continuer). Et quel mal faisons-nous? Cette femme meurt. Vivante, elle nous séparait. Nous acceptons sa mort. Il faut avoir le courage de nous le dire : cette mort, chacun de nous la souhaitait. Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire?1934, p. 197.
Rem. ,,... il convient de souligner (...) que si le bien c'est l'amour, en tant que celui-ci est le contenu même de la Loi, les visages du bien seront aussi multiples que les visages de nos prochains`` (Allmen 1956).
b) P. euphém., fam. Être du dernier bien avec qqn. Avoir des rapports amoureux, sexuels avec qqn. ... /être/ du dernier bien avec tous les précepteurs avant de les renvoyer (H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 168).
C.− Domaine des activités ou fonctions quelconques.Ce qui répond d'une façon positive à une nécessité quelconque (besoins de l'équilibre physique, exigences d'une tâche, etc.). (Quasi-)synon. profit, satisfaction, utilité :
21. Il racheta ces pierres délaissées, les réédifia sur un plan plus vaste, puis se mit en campagne pour retrouver quelques filles de la congrégation de Notre-Dame. Tâche malaisée, qu'il lui fut donné de mener à bien. Dans ces murs neufs, il eut la chance de ramener un essaim. De toutes parts, un murmure flatteur entourait, enorgueillissait le jeune curé... Barrès, La Colline inspirée,1913, p. 93.
22. − L'oncle, dit Michel, ça va vous faire du bien d'un peu marcher. (...). − Oh, moi, le bien... − Enfin, pourtant, ça va, la santé? − Je me plaindrais, j'aurais tort. Giono, Regain,1930, p. 15.
SYNT. Faire grand bien/beaucoup de bien/plus de bien que de mal, ne faire ni bien ni mal; changer en bien ou tourner à bien (= amener à un stade qui donne toute satisfaction).
Expr. (iron.). Grand bien lui fasse!
Proverbes. Le mieux est l'ennemi du bien; nul bien sans peine.
Rem. gén. Beau, bien, bon présentent de grandes analogies d'emploi. Leur assoc. fréq. en lang. (cf. notamment l'ex. 9, les loc. bel et bien, bel et bon et l'ouvrage de Cousin, Cours de philos. sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien, 1836 ou Du Vrai, du beau et du bien, 1853) témoignent de leur apparentement étroit, sinon de leur interchangeabilité. L'emploi de beau implique essentiellement une estimation d'ordre esthétique, celui de bien un jugement de valeur, et celui de bon une appréciation affective.
II.− [Le bien dans ses diverses modalités] Un bien, des biens.
A.− [Surtout p. oppos. entre l'ordre matériel et l'ordre spirituel] Toute chose dont la possession, la jouissance (en fait ou en esprit) est considérée par l'Homme comme utile à la conservation, à l'expansion de son être. La vie... le premier des biens. Le plus grand bien :
23. Ne distingue pas Dieu du bonheur et place tout ton bonheur dans l'instant. J'ai porté tout mon bien en moi, comme les femmes de l'Orient, pâle, sur elles, leur complète fortune. À chaque petit instant de ma vie, j'ai pu sentir en moi la totalité de mon bien. Il était fait, non par l'addition de beaucoup de choses particulières, mais par mon unique adoration. J'ai constamment tenu tout mon bien en tout mon pouvoir. Regarde le soir comme si le jour y devait mourir; et le matin comme si toute chose y naissait. Que ta vision soit à chaque instant nouvelle. Le sage est celui qui s'étonne de tout. Toute la fatigue de tête vient, ô Nathanaël, de la diversité de tes biens. Tu ne sais même pas lequel entre tous tu préfères et tu ne comprends pas que l'unique bien c'est la vie. Gide, Les Nourritures terrestres,1897, p. 162.
24. Judas aimait l'argent et Jésus disait : Heureux les pauvres. Judas était impatient de voir le royaume de Dieu se manifester avec éclat, et Jésus se dérobait à la multitude quand elle voulait le proclamer roi. Judas ne voulait que des biens matériels et des jouissances immédiates; Jésus ne promettait que des biens invisibles et des récompenses célestes avec des persécutions. Les promesses du maître lui semblaient vagues, insaisissables, chimériques; ... H. Monod, Sermons,1911, p. 176.
25. Là-bas, sous les latitudes de sa naissance, Maxence voyait une plaine couleur de plomb, l'air raréfié, l'oppression d'un ciel de cuivre, l'aigre rire et le méchant lieu commun, le lourd bon sens, des voix de fausset qui discutent. Mais ici la sainte exaltation de l'esprit, le mépris des biens terrestres, la connaissance des choses essentielles, la discrimination des vrais biens et des vrais maux, la royale ivresse de l'intelligence qui a secoué ses chaînes et se connaît. Là-bas, ceux qui font profession de l'intelligence et qui en meurent, − ici, ceux qui sont doux et pauvres d'esprit. Psichari, Le Voyage du centurion,1914, p. 42.
26. Baudelaire a été si profondément touché par cet écrit [Le Principe poétique d'E. Poe], il en a reçu une impression si intense qu'il en a considéré le contenu, et non seulement le contenu mais la forme elle-même, comme son propre bien. L'homme ne peut qu'il ne s'approprie ce qui lui semble si exactement fait pour lui qu'il le regarde malgré soi comme fait par lui... Il tend irrésistiblement à s'emparer de ce qui convient étroitement à sa personne; et le langage même confond sous le nom de bien la notion de ce qui est adapté à quelqu'un et le satisfait entièrement avec celle de la propriété de ce quelqu'un... Valéry, Variété 2,1929, p. 147.
27. L'altitude est un bien. J'entends ce mot au sens paysan : c'est une possession, une propriété. C'est de la force en réserve, une richesse que l'homme prudent ne dilapide pas à la légère. Parvenu sur le trottoir de l'école polytechnique, j'hésitais toujours une seconde avant d'abandonner ma petite fortune d'altitude, avant de choir à la pauvreté des plaines. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 9.
SYNT. Les biens célestes, essentiels, éternels, immatériels, naturels, nécessaires, réels, spirituels, temporels, véritables; les faux biens; les biens de l'âme, du ciel, du corps, de l'esprit, du monde de la terre, de la vie.
Expr. (fam.). Ce sera un mal pour un bien. [P. allus. littér. (à Molière, qui répondait aux accusations de plagiat). ] Je prends mon bien où je le trouve (cf. A. Dumas Père, Théâtre complet, introd., t. 1, 1833, p. 16).Proverbes. Bien mal acquis ne profite jamais; abondance de biens ne nuit pas en pareille matière on ne peut pas dire qu' abondance de biens ne nuit pas ; (H. Poincaré, La Valeur de la sc.,1905, p. 199).
B.− En partic. Toute chose d'utilité pratique et de valeur financière.
1. DR., lang. cour. Ce qui est susceptible d'une appropriation légale. (Quasi-)synon. avoir, capital, patrimoine :
28. 516. Tous les biens sont meubles ou immeubles. (...) 518. Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature. (...). 528. Sont meubles par leur nature, les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, comme les animaux, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère, comme les choses inanimées. Code civil,1804, p. 95, 97.
29. Si j'ai nommé les Alibert, c'est que leurs vieilles terres, limitrophes des nôtres, mais qui depuis quatre-vingts ans nous appartiennent, n'ont pu se fondre cependant aux biens plus vastes et plus forts des Clodius. (...). Mais si les Alibert, tombés de leur aisance par une fatalité dont nous n'étions pas responsables, nous cédèrent le sol de leur plein gré, ce bien, où ils avaient vécu pendant des siècles, garde de leurs vertus familiales une empreinte si pénétrante que, même aujourd'hui, on en reconnaît la figure sévère et la gravité quasiment religieuse à côté des champs plus amènes qui s'étendent autour de Théotime. Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 85.
SYNT. Biens communs, communaux (Code civil, 1804, p. 100), considérables, consomptibles (= se détruisant au premier usage) ou non consomptibles, corporels (= relatifs à des choses matérielles), dotaux (Montalembert, Hist. de Ste Elisabeth de Hongrie, 1836, p. 227), fongibles (= se consommant par l'usage et interchangeables; au fig. chez Saint-John Perse, Exil, 1942, p. 278 : ... les grands lés du songe, et tout ce bien fongible où l'être engage sa fortune), immobiliers (Code civil, 1804, p. 259), incorporels (= relatifs à des droits), maternels, mobiliers (Ibid.), nationaux (Claudel, L'Otage, 1911, p. 251), oisifs, paraphernaux (= autres que dotaux; Code civil, 1804, p. 291), paternels, patrimoniaux, personnels, privés, productifs, propres, publics, successoraux, vacants (Ibid., p. 100 : tous les biens vacans [sic] et sans maître); biens du clergé (Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan, t. 1, 1870, p. 324), de famille (G. Duhamel, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 142), de mainmorte (Morand, Londres, 1933, p. 12); cession de biens (= ,,abandon qu'un débiteur fait de tous ses biens à ses créanciers, lorsqu'il se trouve hors d'état de payer ses dettes`` dans Code civil, 1804, p. 229), confiscation des biens (Mmede Duras, Ourika, 1824, p. 80), inventaire des biens (Code civil, 1804, p. 52), (demander, prononcer la) séparation de biens (Ibid., p. 265); avoir un/du bien, avoir du bien au soleil (ou de bons biens au soleil : placement (...) en bons biens au soleil [Balzac, Le Père Goriot, 1835, p. 195]), manger son bien, vivre sur son bien (= sur ses terres); périr, se perdre corps et biens (= navire et cargaison; Verne, Les Enfants du capitaine Grant, t. 2, 1868, p. 76 et Céline, Mort à crédit, 1936, p. 64; au fig. chez Giraudoux, Judith, 1931, II, 4, p. 152); être séparé de biens avec; acquérir/amasser/posséder des biens; augmenter/dépenser/donner/exploiter/laisser/ léguer/partager ses biens; disposer/jouir/user de ses biens.
2. ÉCON. POL. Ce qui répond à un besoin matériel et peut être monnayé. Biens de consommation, d'équipement ou de production (Perroux, L'Écon. du XXes.,1964, pp. 212-213);cf. aussiJ.-A. Lesourd, C. Gérard, Hist. écon., xixeet xxe, t. 1, 1968, p. 133).
PRONONC. : [bjε ̃].
ÉTYMOL. ET HIST. A.− xes. « ce qui est juste, qui représente une valeur morale » (La Vie de St Léger, 38 dans A. Henry, Chrestomathie de la Litt. en A. Fr., p. 10). B.− 1. xies. « ce qui est susceptible d'appropriation » (St Alexis, éd. G. Paris, 418); 1268 plur. (Claris et Laris, éd. J. Alton, 2250 dans T.-L.); 2. 1164 « bienfait » (Chr. de Troyes, Erec et Enide, éd. Foerster, 5116, ibid.). Substantivation de bien*, adverbe.
STAT. − Fréq. abs. littér. : 14 547. Fréq. rel. littér. xixes. : a) 23 332, b) 20 386; xxes. : a) 18 560, b) 19 871.
BBG. − Bastin (J.). Nouv. glanures gramm. Riga, 1907, p. 29. − Baumann (H.-H.). Zwei kleine Studien zur romanischen Sprachgeschichte. Vox rom. 1969, t. 28, pp. 244-245. − Benveniste (É.). Mécanismes de transpos. In : [Mél. Frei (H.)]. Cah. F. Sauss. 1969, no25, p. 56. − Cohen 1946, p. 61. − Consultation (La) permanente de l'O.V.F. Vie Lang. 1965, no154, pp. 57-58. − Darm. 1877, p. 131. − Darm. Vie 1932, p. 190. − Duch. Beauté 1960, pp. 154-156. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 21, 33. − Matoré (G.). Proust ling. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, t. 1, pp. 286-287. − Pope 1961 [1952], passim.Rog. 1965, p. 127.