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INVASION, subst. fém.
A. −
1. Action d'envahir un lieu, un territoire, d'y pénétrer par force; résultat de cette action.
a) Action d'envahir un pays par des forces armées; résultat de cette action. Invasion des troupes étrangères; invasion de l'Égypte par les armées françaises; invasion de Napoléon en Italie. Après la désorganisation de l'armée, la patrie livrée à l'invasion par l'incapacité de nos chefs militaires (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 66).L'âme de la terre lorraine, pantelante, déchirée, piétinée par les invasions depuis les temps les plus lointains de l'histoire, vibrait confusément en eux (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 137).La Rhénanie, c'est-à-dire la rive gauche du Rhin, constitue une marche. C'est la route par laquelle l'invasion de l'Occident s'est presque toujours produite (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 560):
1. ... il paraissait nécessaire que notre entrée en territoire belge fût tout au moins justifiée par une menace positive d'invasion allemande. C'était, d'ailleurs, la crainte de l'invasion de la Belgique par l'Allemagne qui avait été la cause première des accords militaires avec l'Angleterre. Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 122.
b) En partic. [En parlant de peuplades pillardes et dévastatrices] Action de pénétrer subitement et massivement dans un pays pour le saccager, pour s'en rendre maître; résultat de cette action. Invasion médique; invasion des Barbares, des Francs, des Grecs, des peuples du Nord, des Perses, des Tartares. Les seuls mouvements en sens inverse connus ayant été l'invasion des Vandales et des Alains au vesiècle après J.-C. (Haddon, Races hum.,1930, p. 63):
2. ... une occasion plus belle et plus grande que les autres vient s'offrir : une invasion nouvelle, l'invasion des Arabes. Ce n'est pas seulement une race, c'est une religion, c'est un monde ennemi qui apparaît avec eux. Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 31.
Grandes Invasions. Invasions et migrations qui ont affecté le territoire de l'Empire romain et de ses États successeurs, en Europe et en Afrique du Nord, entre la fin du iveet la fin du viiesiècle, ces deux limites étant prises approximativement (d'apr. Encyclop. univ. t. 9 1971, p. 47).
SYNT. Invasion brutale, ennemie, étrangère, imminente, préméditée; invasions successives; mouvement d'invasion; danger, projet d'une invasion; pays labouré par des invasions; peuples ravagés par les invasions; patrie livrée à l'invasion; frontières ouvertes à l'invasion; arrêter, craindre, projeter, repousser, subir, tenter une invasion; se défendre de l'invasion; être, se mettre à l'abri de toute invasion; s'opposer, résister à une invasion; faire une nouvelle invasion dans un pays; protéger un pays contre une invasion; renoncer à un projet d'invasion; être menacé d'invasion; menacer (un pays) d'une invasion prochaine; organiser l'invasion d'un pays.
c) P. anal. [En parlant d'une substance chim. ou organique, d'un micro-organisme pathogène] Action d'envahir (l'organisme); résultat de cette action. Invasion de microbes. Votre monsieur est un homme mort, non par suite de l'invasion de la bile dans le sang, mais à cause de sa faiblesse morale (Balzac, Cous. Pons,1847, p. 103).Chaque maladie, (...) chaque invasion de notre corps par des bactéries, des virus ou des substances chimiques étrangères nous modifient de façon permanente (Carrel, L'Homme,1935, p. 290):
3. J'ai vu une fois un magistrat respectable, un homme honorable (...), un de ces hommes dont la gravité artificielle impose toujours, au moment où le hachish fit invasion en lui, se mettre brusquement à sauter un cancan des plus indécents. Baudel., Paradis artif.,1860, p. 341.
2. P. méton. [En parlant surtout de troupes d'occupation] Population migratrice envahissante. J'ai vu l'invasion, à l'ombre de nos marbres Entasser ses lourds chariots; Je l'ai vue arracher l'écorce de nos arbres, Pour la jeter à ses chevaux (Barbier, Ïambes,1840, p. 41).Depuis trois mois, comme une mer débordée, l'invasion entrait partout. C'étaient de grands flots d'hommes qui arrivaient les uns après les autres, jetant autour d'eux une écume de maraudeurs (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Souv., 1882, p. 167).Caroline acheta partout, en Artois et en Lorraine, du blé à huit francs, et attendit, ses greniers pleins, de septembre 1813 à mai 1814, l'invasion qu'il faudrait nourrir (Adam, Enfant Aust.,1902, p. 260).
B. − P. ext.
1. [Avec l'idée dominante de quantité souvent jugée nuisible, hostile] Action de se répandre, d'arriver soudainement dans ou sur (un lieu); résultat de cette action.
a) [En parlant de pers.] Synon. irruption.Justement, les Grégoire, attardés dans leur visite par l'arrivée de cette lettre, la discutaient, la devinaient l'œuvre d'un farceur, lorsque l'invasion de la bande acheva d'épouvanter la maison. Eux, souriaient (Zola, Germinal,1885, p. 1438).Les derniers soupeurs ne se montraient point enchantés de cette invasion soudaine de la police (G. Leroux, Roul. tsar,1912, p. 111).Le grand portail s'ouvrit sur la kermesse. Et une poussée de foule eut lieu, une invasion d'hommes, de paysans, de fermiers et de gens de la terre, qui avaient jusque-là attendu dans les cabarets (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 109):
4. Autant que ma grand'mère elle [maman] redoutait ces invasions d'étrangers et, par peur de ne plus pouvoir s'échapper si elle se laissait cerner, elle se sauvait avec une rapidité qui nous faisait toujours, à mon père et à moi, nous moquer d'elle. Proust, Sodome,1922, p. 807.
b) [En parlant d'une multitude animale] Invasion de lapins, de petites mouches, d'orthoptères, de sauterelles, de singes. Comme l'entomologiste suit curieusement la trace d'une invasion de chenilles vertes sur les fleurs de son jardin (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 301).Les crieurs des journaux du soir annonçaient que l'invasion des rats était stoppée (Camus, Peste,1947, p. 1231).C'est ainsi qu'à la suite de plusieurs étés exceptionnellement secs tous les épicéas plantés en plaine ont été détruits par une invasion de bostriches (Cochet, Bois,1963, p. 134).
c) [En parlant d'une chose naturelle] Les plus belles contrées de l'Italie, comme la Hollande, se trouvent dérobées par artifice à l'invasion des eaux (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 364).Protéger la province du Fayoum contre l'invasion des sables (Du Camp, Nil,1854, p. 94).Ici une invasion marine a brusquement chassé les hommes (Lapparent, Abr. géol.,1886, p. 101).
P. anal., littér. Invasion de la lumière, des ombres. Une invasion de nuages lourds gagnait morceaux par morceaux le ciel demeuré jusqu'alors d'une limpidité immaculée (Courteline, Train 8 h 47,1888, 1repart., 7, p. 80).Je me sentais très fatiguée, prête à reculer devant l'invasion vermeille qui se levait de la mer, mais je voulais aussi terminer cette nuit (...) honorablement (Colette, Naiss. jour,1928, p. 56).Les soirs sont hâtifs, la transparence des horizons ne les garde pas de l'invasion rapide de l'ombre (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 105).
d) MÉD. VÉTÉR. ,,Période de début d'une maladie depuis l'installation des symptômes jusqu'à la période d'état`` (Méd. Biol. t. 2, 1971). Retarder l'invasion. Notre malade, alors bien portant (...) voulut nous accompagner, et en ressentit une fatigue qui détermina l'invasion de sa maladie (Sand, Hiver à Majorque,1842, p. 165).Fièvre aphteuse chez le mouton et la chèvre. L'invasion est annoncée, de même que chez les grands ruminants, par de l'abattement et de l'inappétence (Nocard, Leclainche, Mal. microb. animaux,1896, p. 332).
2. [En parlant d'une pers. ou d'un petit nombre de pers.] Arrivée brusque et envahissante. L'invasion de ces trois hommes noirs avait glacé le pauvre Allemand de terreur (Balzac, Cous. Pons,1847, p. 304).Le lendemain était un jeudi, jour de marché sur la place, et aussi jour d'invasion : sa sœur Félicité Cazenave, son neveu régneraient céans (Mauriac, Baiser Lépreux,1922, p. 155):
5. La mort de Lucien et l'invasion à la conciergerie de la comtesse de Sérisy venaient de produire un si grand trouble dans les rouages de la machine, que le directeur avait oublié de lever le secret du prétendu prêtre espagnol. Balzac, Splend. et mis.,1847, p. 500.
Faire invasion (dans un lieu). Faire irruption et occuper massivement. Ce qui me stupéfie, c'est M. de Marsan (...). N'a-t-il pas fait invasion dans mon boudoir avec tous ses chiens à la remorque pour m'en demander mon avis? (Feuillet, Scènes et prov.,1851, p. 81).Et voilà que ma chambre et le cabinet ne lui suffisent plus : elle a fait invasion dans la pièce à côté, où l'on fait sécher les poires tapées (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 92).
C. − Au fig. Arrivée soudaine de quelque chose qui prend beaucoup de place, presque toute la place.
1. [En parlant de quelque chose considéré comme étant nuisible, préjudiciable à quelqu'un ou à quelque chose] Brutale invasion d'une image; invasion de l'athéisme, des applications de la science; invasion de la crainte. En constituant un peuple séparé, Moïse avait vainement prétendu le défendre de l'invasion de toute idée étrangère (Volney, Ruines,1791, p. 296).On ne savait plus. On barbotait. L'invasion du socialisme au théâtre déroutait les plus indifférents (Renard, Journal,1897, p. 451):
6. ... si d'aventure un chercheur, épris de rigueur logique, ose expliciter ses postulats et, se mettant en scène, dire : « j'ai donc été conduit de la sorte à me demander si..., j'ai pensé que... », aussitôt la critique s'indigne et proteste contre cette invasion du moi haïssable. Marrou, Connaiss. hist.,1954, p. 239.
En partic. Arrivée massive (de produits, de marchandises). Invasion de coton, des importations étrangères. Le sénateur belge disait que les couteliers de Namur valent bien moins depuis que les salaires ont été réduits par l'invasion des marchandises anglaises (Michelet, Journal,1834, p. 153).En réalité le musée de Berlin serait aussi encombré que le Louvre s'il ne s'était défendu énergiquement par de continuelles éliminations contre l'invasion des tableaux médiocres (Réau, Archives, bibl., musées,1909, p. 19).
2. [En parlant de qqc. dont l'arrivée n'est pas perçue comme nuisible] Invasion des illusions. Mais la dernière [prière] doit s'accomplir au lit et se prolonger, autant que possible, jusqu'à l'invasion du sommeil, afin de mieux assurer le calme cérébral (Comte, Catéch. posit.,1852, p. 210).Il n'entrait dans ce sentiment rien de ce qui couve d'ordinaire à cet âge sous une amitié ardente, pensées tendres, désir de caresses, jalousie, et la fait ressentir comme la première invasion de l'amour (Lacretelle, Silbermann,1922, p. 117).
Faire invasion (dans qqc.). Elle était belle comme sont belles les femmes assez belles pour être belles en dormant. C'est l'art faisant invasion dans la nature, c'est enfin le tableau réalisé (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 262).Fritz penchait la tête, s'abandonnant pour la première fois aux sentiments de tendresse et d'amour qui, depuis quelque temps, faisaient invasion dans son âme (Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 128).
REM.
Invasif, -ive, adj.Qui est relatif à l'invasion. La barrière naturelle qui les protège contre une force invasive (Chateaubr., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 246).
Prononc. et Orth. : [ε ̃vazjɔ ̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1155 invasiun « attaque » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 5293); 2. 1671 invasion « occupation » (Pomey). Empr. au b. lat.invasio, -onis de même sens, formé sur le supin invasum de invadere, v. envahir. Fréq. abs. littér. : 1 058. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 699, b) 1 333; xxes. : a) 1 067, b) 1 693.