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FORTUNE, subst. fém.
A.− MYTH. Divinité qui présidait aux aléas de la destinée humaine, et qui distribuait les biens et les maux selon son caprice. La statue de la Fortune; les Romains adoraient la Fortune, sacrifiaient à la Fortune (Ac.1798-1932).Les Rostres, le temple de la Paix, ceux de Jupiter Stator et de la Fortune, les arcs de Titus et de Sévère, se dessinoient à demi dans les ombres (Chateaubr., Martyrs, t. 1, 1810, p. 271).Si jamais les changements et l'inconstance de la déesse Fortune ont pu faire éclater en sanglots et en harmonieux commentaires un barde (Musset dsLe Temps,1831, p. 31):
1. Ô toi que l'univers adore, Ô toi que maudit l'univers, Fortune, dont la main, du couchant à l'aurore, Dispense les lauriers, les sceptres et les fers, Ton aveugle courroux nous garde-t-il encore Des triomphes et des revers? Delavigne, Messéniennes,1824, p. 37.
1. [P. réf. aux attributs avec lesquels elle est traditionnellement représentée (la corne d'abondance ou le gouvernail qu'elle tient à la main, le bandeau qu'elle porte sur les yeux, la roue sur laquelle elle se tient en équilibre, le char qu'elle dirige)] Il [Cérizet] s'était endormi dans un beau rêve (...). Mais il eut un réveil auquel il ne s'attendait point; il trouva la Fortune debout, lui versant à flots ses cornes dorées, dans la personne de madame Cardinal (Balzac, Pts bourg.,1850, p. 195).La Fortune est femme, et, quoiqu'on la dise aveugle, du haut de sa roue, elle distingue parfois dans la foule un cavalier de naissance et de mérite (Gautier, Fracasse,1863, p. 43).
Loc. proverbiale. Attacher un clou à la roue de la fortune. ,,Trouver moyen de la fixer`` (Ac. 1798-1932).
2. Au fig. [P. réf. aux pouvoirs qui lui sont attribués] Puissance fictive et mystérieuse qui dispense au hasard les biens et les maux. Les caprices de la fortune; la fortune est aveugle, changeante, inconstante; courtiser la fortune; être favorisé par la fortune. Plus d'une fois ces entretiens m'ont fourni la preuve que la fortune, en distribuant les places, fait parfois de bien lourdes bévues (Jouy, Hermite,t. 1, 1811, p. 289).Qu'au moment même où la fortune recommence à nous sourire, nos finances aillent à la faillite, notre économie à la ruine, c'en serait fait décidément du rang, de l'ordre, de l'avenir de la France (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 117):
2. Ce que mon âge trop tendre, ma trop courte expérience et une vie abritée m'empêchèrent de voir, c'est la fortune et ses coups : la fortune qui triomphe des caractères les plus fermes et change en un instant les conditions des hommes. France, Vie fleur,1922, p. 482.
B.− Tour favorable ou défavorable que prend une situation, un événement, sans que l'on puisse l'expliquer autrement que par la chance, le hasard.
1. [Sans précision concernant l'issue favorable ou défavorable de la situation] Il m'est permis de vivre du produit d'un travail que j'aime, sans tenter la fortune inconsistante du cabotage (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 93).Elle s'intéressait à tout. Et elle était prête à la bonne comme à la mauvaise fortune. En somme, une optimiste (Rolland, J.-Ch.,Buisson ard., 1911, p. 1285).
Loc. et expr.
a) Verbe + fortune
α) Courir (la) fortune (de). Risquer (de). C'est le vallon de Rochelie où, à minuit, on court fortune de voir le pied-fourchu (Pourrat, Gaspard,1922, p. 232).
β) Tenter (la) fortune (de). S'engager dans une entreprise dont l'issue est aléatoire. Il [A. de Musset] avait à peine vingt ans, lorsque pour la première fois, il voulut tenter la fortune des planches (Zola, Doc. littér.,Musset, 1881, p. 99).
b) La fortune de + subst.
α) La fortune des armes. Les aléas de la guerre, des combats. La découverte, (...) la lente pénétration, (...) la conquête pacifique et (...) la perte, jouée à la fortune des armes et des alliances, du Canada par les Français (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 336).Un général jacobin (...) d'humble extraction, porté par la fortune des armes (Arnoux, Roi,1956, p. 335).
β) (Dîner, recevoir) à la fortune du pot. (Dîner, offrir un repas) sans cérémonie, en s'accommodant de ce qu'il y a. Synon. à la bonne franquette.J'avais l'intention de le faire souper avec nous, à la fortune du pot (Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 87).Il ne restait qu'à inviter les amis, à la fortune du pot, et à parler encore, tard dans la nuit (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1635).
Rem. Ac. 1798-1932, Besch. 1845 et Rob. enregistrent l'expr. vieillie courir la fortune du pot. ,,S'exposer à faire mauvaise chère, en allant dîner dans une maison où l'on n'est point attendu`` (Ac. 1932).
c) De fortune
α) Loc. adv., vieilli. Par hasard. Je regardais et laissais M. le Maire fouler, fourrager tout mon pré (...) quand de fortune passent Pierre Houry d'Azai, Louis Bézard et sa femme (Courier, Pamphlets pol.,Gaz. vill., 1823, p. 187).J'avais rencontré de fortune à Paris, sous l'Empire, MmeMocenigo dont les ancêtres furent sept fois honorés du dogat (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 374).
Rem. On relève également la loc. adv. par fortune avec le même sens. Quand, par fortune, il ne pouvait éviter les regards de l'officier de service (Id., ibid., t. 2, 1848, p. 658).
β) Loc. adj. (précédée d'un subst.)
[Le subst. désigne un inanimé] Improvisé, réalisé à la hâte et avec ce dont on dispose. Installation, moyens, outil de fortune. La nuit, ils [les bergers] logeront dans des étables de fortune ou sous des frondaisons naissantes (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 232).Le spécialiste a fabriqué pour son arme un petit chevalet de fortune (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 145):
3. Dans le moment même, il s'occupait de faire fermer, par les gens du château, cette poterne par une sorte de porte de fortune en attendant mieux, faite de planches et de vieux bahuts que l'on avait sortis de la bâtisse du jardinier. G. Leroux, Parfum,1908, p. 51.
MAR. Voile de fortune ou, absol., fortune, fortune carrée. Voile carrée supplémentaire que les goélettes, les cotres, etc., hissent afin de pallier l'insuffisance de vent. Le radeau recula de deux toises sur le grelin fortement tendu. La voile de fortune carguée, les dispositions furent prises pour une assez longue station (Verne, Enf. cap. Grant,t. 3, 1868, p. 72).À 9 heures une brise légère du N. E. se lève, nous établissons la fortune carrée (Charcot, Expéd. antarct. fr.,1906, p. 295).
[Le subst. désigne une pers.] D'occasion; chargé d'une fonction, d'une mission ne relevant pas des attributions ordinaires. Des pompiers de fortune faisaient la chaîne. Et on découvrait tout à coup sous le casque le visage noir d'un ami (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 13).
2. [La fortune est envisagée sous son aspect favorable] Coup de fortune; être en fortune, manquer de fortune; une heureuse, une rare fortune. Synon. chance, succès.Plus tard au cours de ma vie, j'ai bien souvent remercié le ciel de cette fortune que j'ai eue d'être lorrain et non pas de Nancy (Barrès, Cahiers,t. 1, 1896-98, p. 47).Il accordait un piano qu'il avait découvert chez un habitant. Cette bonne fortune est rare pour un amateur de musique (Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 175):
4. Maître Saval l'interrogea sur tous les hommes qu'il allait recevoir, ajoutant : « Ce serait pour un étranger une extraordinaire bonne fortune que de rencontrer, d'un seul coup, tant de célébrités réunies chez un artiste de votre valeur ». Romantin, conquis, répondit : « Si ça peut vous être agréable, venez ». Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Soirée, 1883, p. 1271.
Loc. et expr.
a) Chercher fortune. Rechercher les occasions susceptibles de procurer ce que l'on désire (richesses, gloire, etc.) Synon. brusquer2*, busquer2* fortune.Devant la ferme, s'agitaient une douzaine de soldats, des maraudeurs, sans doute des affamés qui cherchaient fortune (Zola, Débâcle,1892, p. 157).Vingt-cinq ans plus tôt, un cousin de son père, fidèle à la tradition basque, était parti chercher fortune en Argentine; il s'y était considérablement enrichi (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 246).
b) Bonne fortune
α) Vx, région. Synon. de bonne aventure.Se faire dire la bonne fortune (J. Humbert, Nouv. gloss. genev.,1852, p. 213).
β) Succès amoureux. Un homme à bonnes fortunes. Mes bonnes fortunes se bornaient, comme celles de Jean-Jacques, à baiser la main (Michelet, Mémorial,1822, p. 188):
5. Il paraît qu'il avait été irrésistible, que toutes les femmes en étaient amoureuses, et qu'il eut de ces bonnes fortunes qui comptent dans la vie d'un homme. Je me souviens d'un dîner d'artistes (...) où quelqu'un le présenta comme ayant eu, en son temps, les plus jolies femmes de Paris. Léautaud, In memor.,1905, p. 186.
(Aller, être) en bonne fortune. (Aller, être) à un rendez-vous galant. Tu te peignes devant ton miroir, et t'en vas, fat, en bonne fortune chez ta maîtresse désolée (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 262).Le garçon a cru que nous étions en bonne fortune... Il nous a offert un cabinet particulier (H. Bataille, Maman Colibri,1904, p. 6).
γ) Bonne fortune d'expression, de style. Expression, style particulièrement original(e), réussi(e). Synon. fam. trouvaille.Charles aimait ses naïvetés, ses mots d'enfant spirituel; non que Marthe eût de l'esprit, mais elle avait ces bonnes fortunes d'expression, ces vivacités (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 231):
6. L'île de la Cité, comme dit Sauval, qui à travers son fatras a quelquefois de ces bonnes fortunes de style, « l'île de la Cité est faite comme un grand navire enfoncé dans la vase et échoué au fil de l'eau vers le milieu de la Seine ». Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 142.
c) De fortune, par fortune, loc. adv. Par bonheur. Si, par fortune, rien ne se détraque, au bout des quatre heures, la même personne tire le même ressort, et la machine s'arrête (Vigny, Lettre Lord***, 1829, p. 262).Au milieu de l'effondrement militaire dans la métropole, elle [la Marine nationale] était, par fortune, intacte (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 68).
3. [La fortune est envisagée sous son aspect défavorable] Dieu vous préserve de mal et de fortune (Ac.1798-1878).Synon. adversité, infortune, malchance.
Loc. et expr.
α) À ses (risques), périls et fortune (vieilli). À ses risques et périls. Ma coutume est de donner mes griffonnages aux libraires, qui les impriment à leurs périls et fortune; et tout ce que j'exige d'eux, c'est de n'y pas mettre mon nom (Courier, Lettres Fr. et It.,1810, p. 830).
β) Faire contre (mauvaise) fortune bon cœur. Ne pas se laisser décourager par l'adversité. Je fus un peu émue, mais je pensai qu'il était de mon devoir de faire contre fortune bon cœur, et je ne pleurai pas (Sand, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 80).Il faisait contre fortune bon cœur, se disant que c'était de l'hygiène de ne prendre qu'un repas léger le soir (Montherl., Célibataires,1934, p. 884):
7. ... il se rappela qu'un de ses maîtres, qui avait fait la plus belle carrière médicale de son temps, ayant échoué la première fois à l'Académie pour deux voix seulement, avait fait contre mauvaise fortune bon cœur et était allé serrer la main du concurrent élu. Proust, Sodome,1922, p. 1071.
γ) Fortune de mer. Accidents de toute nature auxquels sont soumis les navigateurs. Là où il a chanté un fait d'armes ou décrit une bataille navale ou une fortune de mer, il a choisi des paroles dures, âpres et déplaisantes (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 287).
Spéc., DR. MAR. ,,Tout risque fortuit atteignant le navire et les marchandises et dont l'armateur doit répondre`` (Cap. 1936).
Rem. Cette accept. vieillie ne se rencontre que dans les expr. citées supra, les aut. préférant employer l'expr. mauvaise fortune. Il se persuada que (...) la mauvaise fortune qui s'obstinait à le poursuivre à la pêche [pourrait] bien être l'effet d'un sort (Nodier, Trilby, 1822, p. 134). Il faut faire une cure de bonne humeur. Cela consiste à exercer sa bonne humeur contre toute mauvaise fortune (Alain, Propos, 1911, p. 118).
C.− P. ext. Ce qui arrive ou peut arriver aux hommes du fait du hasard, des circonstances; destinée (heureuse ou malheureuse).
1. [Sans précision concernant le caractère heureux ou malheureux de la destinée] Les changements, les vicissitudes de la fortune; suivre la fortune de qqn; être l'artisan de sa fortune. Je ne voulais plus partager en rien la fortune de M. de Staël (Staël, Lettres L. de Narbonne,1792, p. 36).On se souvenait d'ailleurs que Pompée, que Brutus avaient péri pour avoir remis leur fortune au hasard d'un combat de terre (Michelet, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 321):
8. Un consul est quelque chose de plus qu'un homme; il est l'intermédiaire entre l'homme et la divinité. À sa fortune est attachée la fortune publique; il est comme le génie tutélaire de la cité. La mort d'un consul funeste la république. Fustel de Coul., Cité antique,1864, p. 230.
a) Loc. Retour de fortune. Revirement subit d'une situation. À mon retour de l'île d'Elbe, continuait l'Empereur, la tête tourna à Murat de me voir débarqué (...). Il était habitué à mes grands retours de fortune (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 881):
9. Cette humeur, qui a rendu plus d'un marxiste consentant aux fruits trop inévitables de l'évolution sociale, ne leur donne-t-elle pas à présent, par un curieux retour de fortune, quelques motifs de ne pas désespérer de la civilisation? J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 235.
b) P. anal. [En parlant d'un produit de l'activité hum., en partic. une œuvre littér., artistique] Sort favorable ou défavorable. La fortune des livres seroit le sujet d'un bon livre (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 513).Être (...) condamné à garder la chambre, dans un moment où il serait si intéressant de se rendre compte par soi-même de la fortune de sa pièce (Goncourt, Journal,1896, p. 943).
2. [La destinée est envisagée sous son aspect favorable] Élévation dans les biens, les honneurs; réussite sociale. Une brillante fortune; assurer, établir sa fortune, la fortune de qqn. L'ambition des Romains les portait à chercher en Grèce des maîtres dans cet art de l'éloquence qui était chez eux une des routes de la fortune (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 76).Nul doute qu'une haute fortune ne soit promise à ce jeune et précoce talent (Musset dsRevue des Deux-Mondes,1833, p. 640):
10. Vous pourrez faire fortune, mais il faudra nuire aux misérables, flatter le sous-préfet, le maire, l'homme considéré, et servir ses passions : cette conduite, qui dans le monde s'appelle savoir-vivre, peut, pour un laïque, n'être pas absolument incompatible avec le salut; mais, dans notre état, il faut opter; il s'agit de faire fortune dans ce monde ou dans l'autre, il n'y a pas de milieu. Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 44.
a) Locutions
α) Homme de fortune. Homme qui, parti d'une humble condition, s'est élevé rapidement grâce à son talent ou aux événements. Empereur, je suis duc par la grâce de Dieu. Ces aventures-là vont aux gens de fortune (Hugo, Légende,t. 1, 1859, p. 192).
β) Officier, soldat de fortune. Officier, soldat qui est parvenu à un grade élevé de la hiérarchie militaire grâce à son mérite. Il [Bonaparte] voulut que le pape vînt le sacrer à Paris, lui, un soldat de fortune, en signe de sa déité impériale (Proudhon, Confess. révol.,1849, p. 91):
11. ... un officier de fortune pouvait, à force de valeur, et sur la fin de sa vie, aspirer à la place de major ou de lieutenant-colonel, et devenir le mentor en titre du colonel étourdi, non moins impatient de conseil qu'incapable de commandement. Sainte-Beuve, Prem. lundis,t. 1, 1869, p. 54.
b) [Avec un adj. ou un compl. précisant le domaine de réussite] Un intendant général, l'obligé de Hulot, à qui ce fonctionnaire devait sa fortune administrative, disait avoir aperçu le baron (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 336).La fortune littéraire de M. Daudet et de M. Zola ne s'explique pas tout à fait par leur talent, dont l'essence échappe au plus grand nombre (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 340):
12. Il avait le sens de la chicane. Ayant commencé sa fortune politique par des articles adroitement faits pour lui valoir des poursuites, des procès et quelques semaines de prison, il avait considéré, depuis lors, la presse comme une arme d'opposition, que tout bon gouvernement devait briser. France, Lys rouge,1894, p. 338.
c) P. anal. [En parlant d'une production matérielle ou intellectuelle] Réussite, succès auprès du public. La fortune d'un produit nouveau; la fortune d'une doctrine, d'un livre. Francis Jammes avait écrit, dans le temps, un alexandrin qui fit fortune : « Les Vigny m'emmerdent avec leur dignité » (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1238):
13. ... je ne me sens point du tout porté à croire que le thé, le café et le sucre, qui ont fait en Europe une fortune si prodigieuse, nous aient été donnés comme des punitions : je pencherois plutôt à les envisager comme des présens... J. de Maistre, Soirées St-Pétersb.,t. 1, 1821, p. 76.
3. [La destinée est envisagée sous son aspect défavorable] Revers de fortune. Coup du sort transformant une bonne situation en une mauvaise. J'ai tout sacrifié, dans ma vie, à la liberté de mon intelligence! Et elle m'est enlevée par ce revers de fortune (Flaub., Corresp.,1875, p. 186).On a beau accepter et prévoir les fatigues, les dégoûts du travail, les revers de la fortune, les trahisons de la vie; on en demeure toujours surpris et accablé (Blondel, Action,1893, p. 329).
D.− Ensemble des richesses, des biens appartenant à une personne ou à un groupe de personnes. Une immense fortune; faire fortune; l'égalité des fortunes. M. Creton et sa femme mènent maintenant un train au-dessus de leur fortune; ils reçoivent comme des princes, (...) ils donnent des fêtes (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 147).S'il ne thésaurisait pas, il avait l'autre joie, la lutte des gros chiffres, les fortunes lancées comme des corps d'armée, les chocs de millions adverses (Zola, Argent,1891, p. 57):
14. ... Joseph restait à la tête d'une fortune considérable, fortune qu'il ne pouvait même plus évaluer avec précision, car elle était touffue, ramifiée, faite d'une multitude de parties dissemblables, faite d'un assemblage confus de biens, meubles et immeubles, de valeurs, d'espèces, de maisons, de châteaux, de terres, de fabriques. Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 158.
SYNT. Fortune médiocre, solide, colossale, fabuleuse; grosse, jolie, énorme fortune; avoir une fortune personnelle; amasser, laisser une fortune; hériter, disposer, jouir d'une fortune; augmenter, gérer, placer, léguer sa fortune; dépenser, dilapider, manger, perdre sa fortune; être en possession d'une fortune; épouser qqn sans fortune, pour sa fortune.
1. Loc. et expr.
a) État, situation de fortune. État des biens, des richesses que possède une personne à une époque déterminée. En regard de chaque nom [était inscrit] le maximum de la somme qu'il pouvait leur emprunter relativement à leur état de fortune (Murger, Scène vie boh.,1851, p. 29).Le gros Chavignat (...) avait fait beaucoup trop d'enfants. C'était fou, dans sa situation de fortune (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 113).
b) Fortune de mer (dr. mar.). ,,Partie de l'avoir de l'armateur engagée dans l'exploitation de son navire et qui est, en vertu d'une fiction juridique, distinguée de sa fortune de terre`` (Lar. comm. 1930; ds Rob., Lar. encyclop., Lar. Lang. fr.).
c) Fortune nationale, publique (écon. pol.). ,,Valeur totale des actifs détenus à une date donnée par tous les agents économiques du pays`` (Combe 1971). Dans certaines sociétés, le nombre des pauvres augmente sans que la fortune publique diminue. Elle est seulement concentrée en un plus petit nombre de mains (Durkheim, Division trav.,1893, p. 228).Rien (...) ne serait possible sans le retour du pays à une puissante activité économique. Cette guerre nous a coûté la moitié de notre fortune nationale (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 631).
2. P. ext. Importante somme d'argent. Finot racontait gaiement que, sans ces mille écus, il serait mort de misère et de douleur. Pour lui, mille écus étaient une fortune (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 260).Avant Notre-Seigneur, on les embaumait [les morts] dans des parfums − des aromates, qu'on appelait − ça coûtait des fortunes (Bernanos, Mouchette,1937, p. 1332):
15. Les autres, élevés dans les collèges de l'État ou dans les lycées, (...) n'étaient ni plus intéressants ni moins étroits. Ceux-là étaient des noceurs, épris d'opérettes et de courses, jouant le lansquenet et le baccarat, pariant des fortunes sur des chevaux, sur des cartes, sur tous les plaisirs chers aux gens creux. Huysmans, À rebours,1884, p. 7.
P. méton. Ce qui est censé rapporter une certaine somme d'argent. Je sais que je tiens plusieurs fortunes dans mes cartons; mais cette conviction est, de toutes, la plus difficile à faire partager (Balzac, Corresp.,1838, p. 476).
3. Au fig., domaine intellectuel, moral.La fortune des nations, c'est leur génie (Lamart., Voy Orient,t. 2, 1835, p. 60).C'était bien leur faute si j'avais perdu, dispersé, dilapidé ma fortune intérieure. Ils m'avaient aidé dans mes folies, secondé dans mes excès (Duhamel, Confess. min.,1920, p. 73):
16. Les deux peuples anciens dont la littérature et l'histoire composent encore aujourd'hui notre principale fortune intellectuelle n'ont dû leur étonnante supériorité qu'à la jouissance d'une patrie libre. Staël, Consid. Révol. fr.,t. 1, 1817, p. 6.
REM.
Fortunément, adv.Par bonheur. Fortunément il n'est pas de coin en Europe où je ne puisse porter un cœur tranquille, un front serein, un pas assuré (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 561).
Prononc. et Orth. : [fɔ ʀtyn]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1160 « puissance qui est censée distribuer le bonheur ou le malheur; représentation allégorique de cette puissance » (Enéas, 685 ds T.-L.); 2. a) 1265 « hasard » (Brun. Lat., éd. Carmody, I, 153, 4); b) fin xiiies. « bonheur » (Recueil général des jeux-partis, éd. A. Långfors, XXXIII, 13 : quant Eür veult et Fortune); c) 1remoitié du xves. « malheur, accident » (Vie de St Eustache, éd. Holger Petersen, 565, p. 207); 3. a) 1270 fortune d'or « or trouvé par hasard » (Ordonnances des roys de France, I, 180); b) 1580 « richesses » (Montaigne, Les Essais, 1. I, chap. XXI, éd. Thibaudet, p. 126). Empr. au lat. class. fortuna « fortune, sort; heureuse fortune; condition, situation » au plur. « biens, richesses »; pour le sens 2 c, cf. le sens de « tempête » (1265 Brun. Lat., éd. Carmody, I, 151; cf. aussi le lat. pop. et l'a. prov. fortuna de ven (xiiies. ds Rayn. et Levy). Fréq. abs. littér. : 9 421. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 22 529, b) 14 940; xxes. : a) 11 019, b) 6 207. Bbg. Hope 1971, p. 39. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, pp. 336-337. − Logre (R.). Ét. de psychol. étymol. Le mot fortune. Vie Lang. 1957, pp. 495-499. − Page (D.). Ét. sém. du mot fortune. Paris, 1951, 322 p. (Thèse Univ. dactyl.). − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 426. − Tallgren (O. J.). Neuphilol. Mitt. 1921, pp. 53-58. − Vardar (B.). Struct. fondamentale du vocab. soc. et pol. en France de 1815 à 1830. Istanbul, 1973, p. 241. − Vidos 1939, p. 26, 402.